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Founex Forum

Michael Møller

12 mars 2018
Forum de Founex

Allocution de M. Michael Møller
Secrétaire général adjoint des Nations Unies
Directeur général de l’Office des Nations Unies à Genève

Founex Forum
Lundi 12 mars 2018 – 19h00

Mesdames et Messieurs :

C’est un grand plaisir pour moi d’être ici avec vous aujourd’hui.

Nous allons explorer le rôle de la Genève internationale face aux défis actuels auxquels le monde est confronté. Nous discuterons également le rôle quotidien de chacun dans notre quête collective d’un monde meilleur.

Je vais vous offrir deux interprétations différentes de l’état du monde actuel – d’un point de vue optimiste et d’une perspective plutôt pessimiste.

Suite à cette analyse, je ferai le lien entre ces différentes perspectives et le travail des Nations Unies et de la Genève internationale pour mettre en avant notre responsabilité individuelle et commune dans tout cela.

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Permettez-moi donc de commencer avec la vision la plus pessimiste.

Allumez la télévision, la radio, écoutez les informations ou lisez les journaux ; tout ce que vous lirez ou entendrez ne manquera pas de vous faire perde espoir. Tant d’images accablantes montrant la misère humaine, la pauvreté, la violence, la haine, l’intolérance, le racisme.

Ensuite, et ensuite seulement, viennent les menaces plus vastes, mondiales et existentielles.

En tout premier lieu, le changement climatique. Parmi toutes les menaces mondiales auxquelles nous devons faire face, il s’agit là de celle qui définira radicalement la nature de notre siècle plus que toute autre.

Ce soir, nous allons passer à peu près une heure ensemble. Une heure. Selon la Banque Mondiale et le Fond mondial pour la nature, dans cette seule et unique heure, quatre millions de tonnes de dioxyde de carbone seront émises ; 1'500 hectares de forêts seront détruites et trois espèces vont disparaître. Pendant cette même heure, la pollution qui se trouve déjà dans notre atmosphère piègera autant de chaleur que celle produite par la détonation de plus de 16'600 bombes atomiques de l’ampleur de celle d’Hiroshima. Et ce en une heure seulement.

Comme vient de le confirmer le dernier rapport de l’Organisation météorologique mondiale, l’impact de tout cela est clair et irréfutable : 17 des plus chaudes années jamais enregistrées ont eu lieu depuis 2001 ; les plus chaudes d’entre-elles étant ces trois dernières.

Des milliards de personnes sont exposées à des risques de sécheresses extrêmes, d’incendies, d’inondations, d’ouragans et de montée des eaux. Les changements climatiques sont à la fois une menace directe mais également un amplificateur de nombreuses autres menaces – de la pauvreté, au déplacement de population en passant par les conflits.

Ce qui complique le problème, c’est que tout ce dont je viens de faire mention – pauvreté, déplacement de population, conflit – empêche la lutte contre le changement climatique. Vous ne pouvez décemment pas demander aux gens qui se battent pour trouver suffisamment de quoi manger aujourd’hui, de se soucier de ce qui se passera pour la planète demain. Car se soucier du changement climatique est un luxe que beaucoup ne peuvent tout simplement pas se permettre.

Le changement climatique menace tout le monde, partout. Or, nous n’avons pas de plan B, simplement car nous n’avons pas de planète B. Et pourtant, ce sont ceux qui ont le moins contribué à cette menace qui connaissent les préjudices les plus importants, qui payent les coûts les plus élevés et qui souffrent des pertes les plus sérieuses.

Les inégalités socioéconomiques et le changement climatique se renforcent mutuellement. Et cela signifie donc que pour résoudre ce dernier, nous ne pouvons pas ignorer le premier.

Cependant, ni la lutte contre les inégalités, ni celle contre le changement climatique n’est assez rapide. Et il se pourrait même que nous soyons en train de faire marche arrière.

Selon un nouveau rapport d’Oxfam, 82% de la richesse générée l’année dernière est revenue aux 1% les plus riches du monde. Ce même monde a ainsi accueilli un nouveau milliardaire tous les deux jours, et parmi lesquels neuf sur dix sont des hommes. Cette augmentation démesurée aurait déjà pu permettre d’enrayer l’extrême pauvreté mondiale sept fois. Au lieu de cela, les quatre milliards de personnes qui constituent la moitié la plus pauvre du monde n’ont vu aucune augmentation de leur richesse. Des régions et des pays entiers échouent à rattraper la vague du progrès, et demeurent ainsi à l’arrêt.

Les inégalités, toujours un peu plus creusées par les progrès technologiques, font basculer encore davantage la distribution des rendements du travail au capital, créant un dangereux berceau pour le mécontentement. Ces inégalités mettent à vif le tissu social. Elles contribuent à ébranler la confiance dans les institutions qui gouvernent nos sociétés, et à attiser les flammes de l’indignation populiste.

La montée du populisme se nourrit de ce sentiment de crise, ce sentiment d’être laissé pour compte en faveur de forces « anonymes » – la mondialisation, le libéralisme ou le progrès technologique.

Il est vrai que dans de nombreuses économies développées, notamment aux Etats Unis ou en Europe occidentale, les jeunes ne s’attendent plus à être mieux lotis que leurs parents. Entrée sur le marché du travail à l’aube de la crise financière de 2008, la génération du millénaire gagne en moyenne moins, possède moins et fait face à une insécurité de l’emploi beaucoup plus importante que celle de leurs parents.

Cependant une question subsiste : la situation était-elle réellement meilleure dans le passé ?

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Si vous deviez choisir une période de l’histoire à laquelle naître, sans notion de votre sexe, de votre pays d’origine ni de votre statut social, quelle période de l’histoire choisiriez-vous ?


Si vous choisissiez le présent, peu importe où vous viviez, vous auriez probablement moins de chances de vivre dans la pauvreté ; vous auriez probablement moins de chances d’être analphabète ; vous auriez probablement moins de chance d’être confrontés à l’intolérance et à l’oppression ; et vous auriez probablement moins de chances de mourir d’une maladie ou d’être tué par une guerre que dans n’importe quelle autre époque de l’histoire de l’humanité.

Ces sept dernières décennies ont ainsi été témoin de la majeure partie de cette incroyable histoire du progrès.

A quelques exceptions près, la pauvreté a davantage été réduite au cours des 50 dernières années qu’au cours des 500 dernières. Les données du FMI montrent que la classe moyenne chinoise est 10 fois plus riche aujourd’hui et qu’elle vit également jusqu’à 25 ans de plus qu’il y a seulement cinq décennies.

90% de tous les scientifiques qui ont un jour vécu, sont en vie aujourd’hui et notre compréhension scientifique du monde est aujourd’hui plus avancée que jamais auparavant. Pour comprendre l’avancée sans précédent du progrès de notre ère, il suffit de considérer le fait que votre téléphone portable possède bien plus de puissance informatique que la navette spatiale Apollo qui a emmené les premiers hommes sur la lune en 1969 !

Parallèlement, vous auriez certainement à revenir une centaine d’années en arrière pour trouver une telle période de paix entre grandes puissances. Selon les données compilées par Max Roser, économiste à l’université d’Oxford, le nombre de personnes décédées des suites d’une guerre, d’une guerre civile et, oui, également d’actes de terrorisme, a chuté de 50% depuis les années 90. Ce nombre connait une baisse de 75% depuis les cinq dernières décennies – époque de la Guerre Froide, ainsi qu’une chute de 99% depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Par ailleurs, dans un intervalle de temps similaire, la probabilité de mourir d’un accident de voiture a chuté de 96%, et celle de mourir dans un incendie, de 92%.

Le progrès continue également d’avancer au moment même où nous parlons. Un peu plus tôt, j’ai mentionné le mal que nous infligeons à notre planète dans un intervalle de 60 minutes. Cependant, il est également bon de souligner qu’au cours de cette même heure, le nombre de gens qui vivent avec moins de 2$ par jour diminue de 9'000; et que toutes les heures encore, près de 12'500 personnes accèdent à l’eau potable.

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Alors que devons-nous faire de tout cela ? Vous pouvez choisir de brosser le portrait d’un monde à la dérive, mais vous pouvez également choisir d’esquisser les raisons pour lesquelles nous sommes certainement en train de vivre dans la meilleure des époques.

J’aimerais maintenant si vous le voulez bien tirer trois observations.

Premièrement, les défis sont bien réels, existentiels, et parmi les plus dangereux auxquels nous n’ayons jamais été confrontés. Mais tous, ont été créés par l’homme. Rien – ni le changement climatique, ni les avancées technologiques, pas même les inégalités – rien, n’est indépendant de l’activité humaine. Nous sommes les maîtres de nos destins. Chacune de nos actions compte.

Cela signifie deuxièmement que nous avons la capacité de surmonter ces défis. L’intérêt majeur des incroyables avancées de notre histoire est de nous offrir des raisons d’être optimiste. Non pas d’un optimisme béat et aveugle, mais d’un optimisme durement gagné, et véritablement ancré dans de réels progrès.

Troisièmement, puisque les défis auxquels nous faisons face n’ont plus de frontières, alors toutes nos actions se doivent d’être mondiales et universelles. Nous avons besoin d’efforts collectifs.

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En dépit d’une situation géopolitique compliquée, les 193 Etats Membres des Nations unis se sont mis d’accord il y a environ deux ans et demi maintenant, sur quelque chose de réellement novateur et ambitieux – le Programme de développement durable à l'horizon 2030.

L’Agenda 2030 est ainsi la conclusion logique et nécessaire des trois perspectives que je viens de présenter – l’intervention humaine, l’optimisme et l’universalité.

L’Agenda 2030 constitue la reconnaissance universelle que les défis rencontrés individuellement peuvent rapidement devenir des crises d’ampleur sans précédent – les émissions de carbone ne connaissent aucunes frontières, les conflits lointains entraînent des flux de réfugiés et les faibles systèmes de santé des états fragiles peuvent conduire à des pandémies d’envergure mondiale.

L’Agenda 2030 démontre également la nécessité pour répondre à ces défis de ne pas seulement rafistoler les gouvernances économiques, sociales ou politiques, mais au contraire de proposer un réajustement fondamental du modèle dominant de développement dans tous les pays.

Avec 17 Objectifs du développement durable (ODD) et 169 cibles précises nous disposons désormais d’une feuille de route détaillée de ce qui doit être fait.

De l’éradication de la pauvreté (Objectif 1) et l’accomplissement de l’égalité des genres (Objectif 5), au travail décent accompagné d’une croissance économique équitable (objectif 8) et en passant par la promotion de la paix, de la justice et des institutions efficaces (Objectif 16), les ‘ODD’ (comme on les appelle) répondent à tout.

Réaliser ces objectifs permettrait de créer un monde globalement durable : socialement équitable ; écologiquement sûr ; économiquement prospère ; inclusif ; et plus prévisible.

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Une question se pose cependant : comment faire de l’Agenda 2030 une réalité ?

La réponse est loin d’être simple.

Nous savons d’une part que l’Agenda 2030 est devenu notre feuille de route commune et que notre travail s’en est trouvé transformé, devenant ainsi interdisciplinaire et mondial. Les ODD ont permis de créer un pont, un langage commun pour nous rassembler et résoudre les défis qui nous affectent tous.

Un nouveau sens de la coopération et du partenariat est en marche, un sens qui jusqu’à présent n’existait pas.

D’un autre côté, cette volonté de partenariat a également besoin de s’ancrer plus fermement dans les structures et les instruments dont nous disposons pour mettre en œuvre des politiques.

Je parle ici des Nations Unies. Le paysage géopolitique qui a fait naître l’Organisation en 1945 a basculé depuis quelques années dans une mesure que nous commençons tout juste à comprendre. Il suffit de considérer la distribution des pouvoirs auparavant et celle que nous connaissons aujourd’hui. Dans un tel système de relations diffuses de pouvoir, les Nations unies – toujours solidement bâties autour de la notion de souveraineté étatique – se doivent adaptabilité et ouverture afin de rester pertinentes sur la scène internationale.

Genève, notre siège européen est à l’avant-garde de ce changement. Son écosystème unique alimente la collaboration, l’innovation et le partage du savoir. La Genève internationale abrite plus de 100 organisations internationales, près de 400 organisations non gouvernementales, les représentations de 178 Etats, un secteur privé en pleine ébullition et des institutions académiques de renommée mondiale. Une telle proximité permet de nombreux partenariats dont les effets se font ressentir à travers le monde.

En vérité, le travail entrepris ici à Genève touche chaque personne sur cette planète plusieurs fois par jour. Ceci n’est pas quelque chose d’abstrait ; mais une réalité directement ressentie dans votre quotidien.

Un peu plus tôt, j’ai mentionné la puissance de vos téléphones. Un bon exemple pour démontrer l’impact du travail des organisations internationales basées à Genève sur notre vie quotidienne :
- Les indicatifs pour les appels internationaux sont alloués grâce à l’Union International des Télécommunications.
- Le téléphone en lui-même, ainsi que ses composants, peuvent être échangés à l’international grâce aux règles et aux pratiques négociées et approuvées par l’Organisation mondiale du commerce.
- Les risques potentiels de l’utilisation des téléphones portables sont surveillés de près par l’Organisation mondiale de la santé.
- Les droits des travailleurs qui assemblent ces téléphones sont protégés par l’Organisation internationale du travail.
- Le « World Wide Web », qui nous offre la totalité des connaissances humaines à portée de main, a justement été inventé à deux pas d’ici, au CERN.

Il existe des centaines d’exemples démontrant l’impact du travail des acteurs de la Genève internationale sur votre vie quotidienne – et ce pour différents aspects, que ce soit la santé, que ce soit la propriété intellectuelle, la paix et la sécurité, ou encore la technologie, et cetera, et cetera.

Beaucoup d’entre vous ce soir vont rentrer à la maison en voiture. Rappelez-vous un peu plus tôt quand j’ai mentionné que la probabilité de mourir d’un accident de voiture avait chuté de 96% au cours du dernier siècle. Et bien, derrière cette donnée considérable se cache le travail de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe à Genève, qui, dans les années 1950s, a établi un groupe d’experts sur les spécificités techniques des véhicules afin de proposer des normes mondiales sur la sécurité automobile.

La plupart du temps, ces actions sont techniques et invisibles aux yeux du citoyen. Mais, néanmoins, ce sont toutes ces actions ensemble, qui produisent le progrès humain. Tout cela lève le voile sur l’importance du système multilatéral en général.

Parce que ce qui est vrai pour Genève, l’est aussi pour les Nations Unies à travers le monde. La réalité est bien plus complexe que les ouïe-dires.

Pendant que nous parlons, les Nations Unies :
̶ Maintiennent la paix, avec 117 000 membres du personnel déployés dans 16 opérations sur 4 continents.
̶ Fournissent des aliments et une aide à 80 millions de personnes dans 80 pays.
̶ Aident et protègent 65,3 millions de personnes fuyant la guerre, la famine ou la persécution.
̶ Couvrent les besoins en vaccins de 45 % des enfants du monde, contribuant à sauver 3 millions de vies par an.

Laissez-moi vous poser une question et soyez honnête : saviez-vous que toutes ces activités font partie du mandat des Nations Unies? Peut-être que, comme beaucoup de gens, lorsque vous entendez le mot « ONU », cela vous fait instantanément penser au blocage du Conseil de Sécurité, à l’incapacité à résoudre le terrible conflit en Syrie, aux abus des certains casques bleus, ou encore aux difficultés à réguler les flux migratoires.

Quoi qu’il en soit, le point important dont je veux vous faire part ce soir, et que j’espère avoir réussi à vous prouver, c’est que l’ONU ne se résume pas uniquement à cela. Le Conseil de Sécurité, la Syrie, les réfugiés – tout cela n’est qu’une infime partie de la totalité de nos efforts
[n’est qu’une partie visible de l’iceberg].

Mais toutes les autres activités, en particulier les activités techniques auxquelles il n’est jamais fait mention dans les journaux, ce sont toutes ces activités qui ont conduit au progrès constant de ces dernières décennies. En vérité, ce sont ces activités, celles qui sont rarement mentionnées, qui apparaissent comme cruciales aujourd’hui, dans un monde de plus en plus fracturé.

Ne nous y trompons pas : le multilatéralisme est mis à rude épreuve. Mais s’il disparaît, il va falloir nous préparer à un monde bien plus dangereux, bien moins pacifique, biens moins prospère, et bien moins inclusif. Il n’y a pas d’alternative crédible face au multilatéralisme. Les solutions populistes, et notamment l’idée que l’isolationnisme pourrait nous offrir sécurité et prospérité ne sont que des remèdes illusoires.

De la même façon que l’ONU bénéficie à tous, la vie deviendrait plus compliquée si elle venait à disparaître – surtout en vue de la nature globale des menaces réelles. Et c’est donc pourquoi, fondamentalement, il en va de la responsabilité de chacun de s’impliquer et de la soutenir.

En réalité, il n’a jamais été aussi simple de s’impliquer dans nos efforts collectifs pour rendre notre monde meilleur et cela n’a également jamais été aussi nécessaire.

Même les petites actions simples quotidiennes, qui peuvent parfois sembler négligeables, peuvent avoir un impact très important.

Les années et décennies qui arrivent mettront à l’épreuve notre civilisation comme nulle autre avant elles. Nous sommes la première génération à pouvoir mettre fin à l’extrême pauvreté mais également la dernière à pouvoir endiguer le changement climatique.

Nous avons les moyens, les compétences et je l’espère la volonté de le faire. Mais nous ne pouvons espérer le succès que si chacun d’entre nous y contribue. La responsabilité individuelle est cruciale dans nos efforts pour un monde meilleur.

Dès lors, voici ce que je vous demande: restez impliqués, restez optimistes. Ensemble, je suis certain que nous pouvons faire de ce monde un monde meilleur.

Je vous remercie.

This speech is part of a curated selection from various official events and is posted as prepared.