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Examen du Portugal : les experts du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale insistent notamment sur le travail que doit encore mener le pays face à son passé esclavagiste et colonial

Compte rendu de séance

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique présenté par le Portugal au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Les questions liées au passé esclavagiste et colonial du Portugal ont figuré en bonne place des questions et observations des experts membres du Comité. L’un d’entre eux a ainsi regretté que le « génocide des peuples noirs par le Portugal » n’ait toujours pas fait l’objet de reconnaissance et a voulu savoir si le Portugal envisageait de présenter des excuses publiques aux peuples qui continuent de souffrir du passé esclavagiste du pays. Plusieurs membres du Comité ont recommandé au pays de mener un travail de mémoire sur son passé colonial.

Dans son rapport faisant suite à la visite qu’il a effectuée au Portugal, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine a noté que l'identité portugaise continuait d'être définie par son passé colonial, avec l'idée d'un empire fondé sur la hiérarchie raciale, a fait observer une experte. Selon d’autres informations, a-t-elle ajouté, certains fonctionnaires portugais qualifient toujours les pays lusophones d'Afrique de « colonies ». L’experte a ensuite voulu savoir ce qui était fait pour remédier aux effets persistants du racisme systémique et institutionnel à l'encontre des personnes d'ascendance africaine. Elle s’est en particulier enquise des mesures concrètes prises pour corriger les programmes et les manuels scolaires qui minimisent la violence du colonialisme et justifient la hiérarchie raciale.

Un membre du Comité a par ailleurs fait savoir que le Comité était préoccupé par les informations qui indiquent que l'usage excessif de la force par les fonctionnaires de police est une pratique profondément enracinée contre les personnes d'ascendance africaine au Portugal. Ainsi, en 2022, lors de sa visite au Portugal, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine a recueilli de nombreux témoignages crédibles de violence et de mauvais traitements à motivation raciale, de profilage racial et d'abus de pouvoir, a-t-il fait observer.

Plusieurs experts ont regretté que les aspects ethniques et raciaux n’aient pas été pris en compte dans le recensement de 2021, soulignant à cet égard que l'absence de données ventilées limite la capacité de l'État à remédier aux disparités raciales qui entretiennent l'inégalité et perpétuent la discrimination raciale.

D’autres préoccupations ont été exprimées s’agissant, notamment, de la situation des Roms.

Les membres du Comité ont toutefois relevé avec satisfaction que le Portugal était le premier État membre de l’Union européenne à se doter d’un plan national d’action contre le racisme dans le droit fil de la Déclaration et du Programme d’action de Durban et ont salué l’adhésion du pays au Pacte mondial sur les migrations, ainsi que l'entrée en vigueur de la loi 93/2017, qui institue le cadre juridique de la lutte contre la discrimination fondée sur l'origine raciale et ethnique.

Présentant le rapport, Mme Isabel Almeida Rodrigues, Secrétaire d’État à l’égalité et aux migrations, a d’abord rappelé que son pays avait cofacilité, en 2021 à New York, avec l'Afrique du Sud, la déclaration politique de l'Assemblée générale pour commémorer le vingtième anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Durban, et qu’il avait accueilli, en 2021, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine : son rapport, publié en septembre dernier, a fait l'objet d'une analyse approfondie par les agences de l'État, a assuré la Secrétaire d’État.

Mme Almeida Rodrigues a ensuite fait état d’un certain nombre de progrès réalisés par son pays depuis 2016, date de la dernière comparution du Portugal devant le Comité. Elle a cité à cet égard l’adoption en 2017 de la loi n° 93/2017 qui établit le régime juridique de prévention, d'interdiction et de lutte contre la discrimination fondée sur l'origine raciale et ethnique, la couleur, la nationalité, l'ascendance et le territoire d'origine ; ou encore, en 2021, l’adoption du plan national de lutte contre le racisme et la discrimination raciale.

Le 6 avril dernier, le Gouvernement a approuvé la création de l'Agence portugaise pour les minorités, les migrations et l'asile (APMMA) ; le Service des étrangers et des frontières (SEF) sera supprimé. Ce faisant, a précisé Mme Almeida Rodrigues, le Gouvernement entend opérer un changement radical dans la politique de migration et d'asile, au profit d’une approche plus humaniste et solidaire.

Enfin, d'ici la fin de l’année, a fait savoir la Secrétaire d’État, le Portugal devrait obtenir pour la première fois des données ventilées par origine ethnique, résultat d'une enquête menée par l'Institut national des statistiques pour caractériser la diversité de la population vivant au Portugal en ce qui concerne ses origines, ses trajectoires générationnelles et ses conditions de vie.

L’imposante délégation portugaise était également composée de M. Rui Macieira, Représentant permanent du Portugal auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de nombreux représentants de la Présidence du Conseil des Ministres et des Ministères des affaires étrangères, des affaires intérieures, de la justice, de l’intégration et des migrations, de la jeunesse et des sports, de l’éducation, du logement, et du travail, de la solidarité et de la sécurité sociale.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Portugal et les publiera à l’issue de sa session, le 28 avril.

 

À partir de 15 heures cet après-midi, le Comité examinera le rapport des Philippines.

 

Examen du rapport du Portugal

Le Comité est saisi du rapport valant dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques du Portugal (CERD/C/PRT/18-19).

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, MME ISABEL ALMEIDA RODRIGUES, Secrétaire d’État pour l’égalité et les migrations du Portugal, a d’abord rappelé qu’en 2021 à New York, le Portugal avait cofacilité avec l'Afrique du Sud la déclaration politique de l'Assemblée générale pour commémorer le vingtième anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Durban, et que le pays avait en outre coparrainé la résolution proclamant le 31 août Journée internationale des personnes d'ascendance africaine. D’autre part, fin 2021, le Portugal a accueilli la visite du Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine dont le rapport, publié en septembre dernier, a fait l'objet d'une analyse approfondie par les agences de l'État, a indiqué la Secrétaire d’État.

Mme Almeida Rodrigues a ensuite fait état d’un certain nombre de progrès réalisés par son pays depuis 2016, date de la dernière comparution du Portugal devant le Comité. Tout d’abord, le Parlement a approuvé en 2017 la Loi n°93/2017 qui établit le régime juridique de prévention, d'interdiction et de lutte contre la discrimination fondée sur l'origine raciale et ethnique, la couleur, la nationalité, l'ascendance et le territoire d'origine.

En 2018, a poursuivi la Secrétaire d’État, le Portugal a poursuivi la révision de la stratégie nationale pour l'intégration des communautés roms, priorité étant donnée au renforcement de la scolarisation, à l'intégration professionnelle, à l'amélioration des conditions de logement et à la reconnaissance de la médiation culturelle. En 2019, a-t-elle ajouté, le Portugal a été l'un des premiers pays au monde à adopter un Plan de mise en œuvre du Pacte mondial sur les migrations : ce Plan doit faciliter et régulariser des flux migratoires plus sûrs tout en favorisant l'accueil des migrants à travers l'éducation, la santé, le logement et la protection sociale, a-t-elle rappelé.

En 2021, le Portugal a par ailleurs approuvé le Plan national de lutte contre le racisme et la discrimination raciale, qui repose sur quatre principes : déconstruction des stéréotypes, coordination et territorialisation, lutte contre les inégalités et intersectionnalité. Accompagné de 80 mesures concrètes, le Plan reconnaît qu'il existe un racisme systémique et structurel au Portugal, qu'il s'agit d'un héritage historique du colonialisme et de l'esclavage et que la stigmatisation, l'insécurité et l'exclusion sociale ont augmenté en même temps que les discours de haine et d'incitation à la violence, a précisé Mme Almeida Rodrigues.

Quant au Plan pour la prévention des manifestations de discrimination au sein des forces et services de sécurité, approuvé en 2021, il porte sur cinq domaines d'intervention : le recrutement, la formation, l'interaction des forces de sécurité avec les autres citoyens, la communication et les mécanismes de prévention. En 2022, le Portugal a réglementé l'utilisation des bodycams, contribuant ainsi à une plus grande transparence et à un meilleur contrôle des performances des forces de police, a indiqué la Secrétaire d’État.

L’an dernier également, le Portugal s’est concentré sur l'accueil des réfugiés d'Ukraine. Sur les quelque 60 000 personnes accueillies, environ 5000 enfants ont été inscrits à l'école publique, 15 000 personnes à l'Institut de l'emploi et de la formation professionnelle et 10 000 personnes à des cours de portugais, a indiqué Mme Almeida Rodrigues.

Pour ce qui est de cette année 2023, a-t-elle poursuivi, le Gouvernement a déjà créé l'Observatoire du racisme et de la xénophobie et diffusé un guide pour prévenir et combattre la discrimination raciale dans les écoles. Le 6 avril, le Gouvernement a par ailleurs soumis au Parlement un projet de loi qui sépare la Commission pour l’égalité et contre la discrimination raciale (CICDR) du Haut-Commissariat aux migrations et la place sous la responsabilité du Parlement, pour renforcer son indépendance. Le même jour, le Gouvernement a approuvé la création de l'Agence portugaise pour les minorités, les migrations et l'asile (APMMA) – et le Service des étrangers et des frontières (SEF) sera [donc] supprimé. Ce faisant, a précisé Mme Almeida Rodrigues, le Gouvernement entend opérer un changement radical dans la politique de migration et d'asile, au profit d’une approche plus humaniste et solidaire.

Pour l'avenir, la Secrétaire d’État a notamment mentionné la modification prochaine du Code pénal pour y inclure la langue et la nationalité parmi les formes de discrimination interdites, ainsi que celle de la loi 39/2009 de lutte contre le racisme, la xénophobie et l'intolérance dans les manifestations sportives – l'objectif de cette dernière révision étant de fournir aux fédérations et aux clubs davantage d'outils de sanction. Enfin, d'ici la fin de 2023, le Portugal devrait obtenir pour la première fois des données ventilées selon l’origine ethnique, issues d'une enquête menée par l'Institut national des statistiques pour caractériser la diversité de la population vivant au Portugal en ce qui concerne ses origines, ses trajectoires générationnelles et ses conditions de vie.

M. RAVI AFONSO PEREIRA, Adjoint auprès du Provedor de Justiça du Portugal (institution nationale des droits de l’homme du Portugal), a recommandé que les autorités accordent une plus grande publicité aux initiatives de lutte contre la discrimination raciale et qu’elles procèdent à des évaluations indépendantes de ces initiatives.

Il a par ailleurs fait état d’une discrimination envers les Roms en matière de logement, ainsi que de conditions de vie préoccupantes dans les centres pour migrants placés en détention administrative. Il a enfin recommandé aux autorités portugaises d’augmenter le nombre d’inspecteurs chargés de contrôler l’action de la police.

Questions et observations des membres du Comité

MME CHINSUNG CHUNG, rapporteuse du groupe de travail du Comité chargé de l’examen du rapport du Portugal, a d’abord félicité le Portugal d’être le premier État membre de l’Union européenne à se doter d’un plan national d’action contre le racisme dans le droit fil de la Déclaration et du Programme d’action de Durban.

L’experte a ensuite regretté que les aspects ethniques et raciaux n’aient pas été repris dans le recensement de 2021. Le Comité est préoccupé par l'absence de données ventilées (sur cette base), car cela limite la capacité de l'État partie à remédier aux disparités raciales qui entretiennent l'inégalité et perpétuent la discrimination raciale, a-t-elle indiqué.

Mme Chung a ensuite demandé des exemples concrets d’affaires dans lesquelles la Convention a été invoquée ou appliquée par des tribunaux portugais, ainsi que des informations sur la formation aux droits de l'homme destinée aux juges, aux procureurs et aux avocats.

L’experte a par ailleurs pris acte de la promulgation et de l'entrée en vigueur de la Loi 93/2017, qui institue le cadre juridique de la lutte contre la discrimination fondée sur l'origine raciale et ethnique, mais a regretté que cette Loi ne s’applique qu’à un nombre restreint d’infractions. Elle a demandé si l'entrée en vigueur de ladite Loi avait entraîné une augmentation du nombre de plaintes pour discrimination. Selon l'enquête sur les Roms réalisée en 2021 dans dix pays européens, dont le Portugal, seuls 5% des Roms victimes de discrimination ont porté plainte, a observé Mme Chung.

Mme Chung a ensuite salué l'adoption du Plan national de lutte contre le racisme et la discrimination 2021-2025. Mais, a-t-elle fait remarquer, dans son rapport sur la visite qu’il a effectuée au Portugal en 2022, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine a souligné que les fonctionnaires municipaux ne connaissaient pas l’existence de ce Plan.

Mme Chung a ensuite relevé que, selon l’enquête de l'Union européenne sur les minorités et la discrimination menée en 2017, 38% des répondants roms au Portugal ont dit avoir été victimes de discrimination, en raison de leur origine ethnique, dans l'accès aux services publics et privés, et 47% avoir été victimes de discrimination pour la même raison lors de la recherche d'un emploi et sur le lieu de travail. Le Comité, a indiqué Mme Chung, est préoccupé par le faible taux d’emploi des Roms et par des expulsions forcées de Roms et de personnes d’ascendance africaine pendant la pandémie de COVID-19.

D’autre part, a poursuivi Mme Chung, dans son rapport faisant suite à sa visite au Portugal, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine a noté que l'identité portugaise continuait d'être définie par son passé colonial, avec l'idée d'un empire fondé sur la hiérarchie raciale. Selon d’autres informations, certains fonctionnaires portugais qualifient toujours les pays lusophones d'Afrique de « colonies ». D’autres informations font état d’une discrimination envers certaines personnes, notamment d’origine brésilienne, qui s’expriment en langue portugaise avec un accent différent, a souligné l’experte.

Mme Chung a donc voulu savoir ce qui était fait pour engager un dialogue national sur le passé colonial du Portugal, afin de redéfinir l'identité portugaise par la reconnaissance des fautes commises dans le passé. Elle a également voulu savoir ce qui était fait pour remédier aux effets persistants du racisme systémique et institutionnel à l'encontre des personnes d'ascendance africaine. En particulier, Mme Chung s’est enquise des mesures concrètes prises pour corriger les programmes et les manuels scolaires qui minimisent la violence du colonialisme et justifient la hiérarchie raciale.

Concernant l’intersectionnalité, Mme Chung a demandé ce qui était fait pour lutter contre la discrimination dont sont victimes les personnes âgées et les personnes handicapées appartenant à des groupes ethniques minoritaires. Elle s’est en outre enquise du résultat des études menées depuis 2019 pour mieux connaître les inégalités croisées dont sont victimes les femmes migrantes, les femmes roms et les femmes d'ascendance africaine vivant au Portugal. Mme Chung a aussi voulu savoir si des initiatives avaient été lancées contre la discrimination multiple et intersectionnelle à l'encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transsexuelles et intersexuées.

M. IBRAHIMA GUISSÉ, membre du groupe de travail du Comité chargé de l’examen du rapport du Portugal, s’est interrogé sur les raisons de l’augmentation du nombre des plaintes reçues entre 2018 et 2021 relativement à certains actes publics impliquant la haine raciale, la haine religieuse et la haine fondée sur la couleur ou l'origine ethnique ou nationale. M. Guissé a recommandé au Portugal d’envisager de faire de la discrimination raciale une circonstance aggravante pour tous les crimes. L’expert s’est enquis de ce qui était fait pour simplifier et accélérer les procédures de plainte relatives à la discrimination raciale.

M. Guissé a ensuite relevé que, selon le rapport soumis par l’institution nationale de droits de l’homme (Provedor de Justiça), l'Inspection générale de l’administration interne (IGAI), chargée des enquêtes indépendantes sur les cas de brutalité policière, est actuellement en sous-effectif, avec seulement 36 postes pourvus sur 55.

M. Guissé a demandé si le Provedor de Justiça avait le mandat d'engager des poursuites dans des cas individuels de discrimination raciale.

L’expert a ensuite prié la délégation de dire ce que faisait le Portugal pour prévenir et combattre les crimes de haine raciste et les actes de violence raciste à l'encontre des personnes appartenant à des minorités ethniques, en particulier les personnes d'ascendance africaine, les Roms et les migrants. Le Comité, a ajouté M. Guissé, est préoccupé par l'augmentation des attaques visant les défenseurs des droits de l'homme qui luttent contre le racisme : l’expert a cité le harcèlement raciste, l'intimidation et les menaces de mort proférées à l'encontre du défenseur des droits de l'homme M. Mamadou Ba, membre fondateur du Réseau européen contre le racisme (ENAR).

Saluant l’adhésion du Portugal au Pacte mondial sur les migrations en 2018, M. Guissé a demandé si le pays ratifierait aussi la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

M. Guissé a d’autre part fait savoir que le Comité était préoccupé par les informations qui indiquent que l'usage excessif de la force par les fonctionnaires de police est une pratique profondément enracinée contre les personnes d'ascendance africaine au Portugal. Ainsi, en 2022, lors de sa visite au Portugal, le Groupe de travail d'experts sur les personnes d'ascendance africaine a recueilli de nombreux témoignages crédibles de violence et de mauvais traitements à motivation raciale, de profilage racial et d'abus de pouvoir, a-t-il fait observer. Il s’est enquis des mesures prises par le Portugal pour prévenir le profilage racial par la police ainsi que la discrimination dans l'administration de la justice. M. Guissé a aussi voulu savoir quels enseignements avaient été tirés du meurtre à motivation raciale d'un acteur noir, Bruno Candé, par un homme blanc le 25 juillet 2020.

M. Guissé a par ailleurs recommandé au Portugal de mener un travail de mémoire sur son passé colonial, et de promouvoir la connaissance de l'histoire des groupes minoritaires et de leur contribution à la société et à la culture portugaises.

M. GUN KUT, rapporteur chargé du suivi des recommandations du Comité, a précisé que le Portugal avait remis à temps le rapport intermédiaire qui devait être soumis par le pays après l’examen par le Comité de son précédent rapport. Il a rappelé que le Comité avait alors choisi trois thèmes qui devaient faire l’objet d’un suivi : l’instauration d’un dialogue entre la police et les justiciables pour prévenir les infractions à caractère raciste ; l’adoption du projet de loi contre la discrimination ; et la mise en œuvre de la stratégie d’intégration des Roms. M. Kut a salué les efforts sincères du Portugal pour répondre aux préoccupations du Comité dans ces trois domaines. Il a demandé si le pays disposait d’outils pour évaluer l’efficacité de ses politiques.

D’autres experts membres du Comité ont jugé préoccupant que l’État ne dispose pas d’informations statistiques détaillées sur les minorités ethniques vivant au Portugal. Le nombre de « crimes de haine » enregistrés par la police est en augmentation, a relevé une experte, avant de demander quelles suites pénales y étaient données.

Un autre expert a demandé dans quelle mesure les discours de haine étaient interdits au Portugal et a voulu connaître les recours judiciaires ouverts aux victimes de ces discours, y compris lorsqu’ils sont prononcés sur les médias sociaux. Une autre experte a demandé s’il était vrai que certains magasins interdisent l’entrée aux Roms.

Ancienne puissance coloniale, le Portugal a aussi été impliqué dans la traite esclavagiste, a rappelé un expert. Il a demandé si le Portugal envisageait de reconnaître ses responsabilités, de présenter des excuses aux peuples qui ont souffert de ce passé et de leur octroyer des réparations.

Un autre expert, rappelant que la traite esclavagiste figurait en bonne place parmi les grands crimes de l’histoire, a regretté que le « génocide des peuples noirs par le Portugal » n’ait toujours pas fait l’objet de reconnaissance. Il a lui aussi demandé si le pays envisageait de présenter des excuses publiques aux peuples qui continuent de souffrir du passé esclavagiste du Portugal. Le Portugal doit assumer une responsabilité historique envers ses anciennes colonies, a insisté un autre expert, qui s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles le pays refuse de revoir la perception de son passé esclavagiste.

Il a été jugé regrettable que le Portugal n’ait pas promulgué de législation spécifique relative à la mémoire de l’esclavage.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord précisé que l’Institut national des statistiques agissait de manière indépendante du Gouvernement. En 2018-2019, le Gouvernement a créé un groupe de travail pour réfléchir à l’inclusion des considérations ethniques dans le recensement de 2021. L’Institut a estimé que ce n’est pas dans le recensement qu’il fallait évoquer ces questions et a recommandé de réaliser plutôt une enquête pilote sur un échantillon de 35 000 personnes, contenant des questions sur l’origine familiale, la nationalité, le statut migratoire et l’accès aux soins de santé, ou encore l’expérience de la discrimination et les langues parlées en milieu familial, entre autres, ce qui permettrait aux autorités de dresser un tableau plus précis de la situation au Portugal.

Chaque anniversaire de la révolution des Œillets de 1974 est animé par l’esprit de la décolonisation, a poursuivi la délégation. Elle a souligné que les mouvements africains d’émancipation avaient bénéficié du soutien des gouvernements démocratiques portugais successifs. Les autorités actuelles sont toujours ouvertes au dialogue sur ces questions, a déclaré la délégation.

L’article 240 du Code pénal, relatif à la non-discrimination, a fait l’objet de nombreux amendements au fil du temps, a d’autre part souligné la délégation. Une prochaine modification viendra intégrer au Code pénal les recommandations faites au Portugal par le Comité et par le Conseil de l’Europe s’agissant des motifs de discrimination interdits et de la prise en compte du motif raciste comme circonstance aggravante de certains crimes et délits. La modification élargira aussi la portée de l’interdiction de la préparation et de la diffusion de documents incitant à la haine et à la violence contre certaines catégories de personnes. En l’état, la loi portugaise interdit déjà les organisations qui défendent les idéologies fasciste et similaires, a fait valoir la délégation.

La délégation a fourni d’autres informations concernant les conditions d’invocation et d’application de la Convention devant les tribunaux au Portugal, et a fait état de la création prochaine d’une base de données complète et publique concernant la jurisprudence. La délégation a cité une décision de la Cour d’appel de Lisbonne condamnant des propos publics offensants pour les Roms et pour les personnes d’ascendance africaine.

La délégation a par ailleurs fait valoir que les organisations antiracistes qui aident des victimes de discrimination étaient dispensées de payer certains frais de justice.

La délégation a d’autre part indiqué qu’un nouveau régime juridique allait simplifier la procédure permettant à la Commission pour l’égalité et contre la discrimination raciale de déposer des plaintes pour des faits de discrimination, y compris en allégeant le fardeau de la preuve pour les victimes présumées. Le nombre de plaintes pour discrimination transmises à la Commission a doublé en quelques années, ce qui résulte du travail de sensibilisation effectuée par cette institution tant auprès des communautés que de la police, a affirmé la délégation. Sept des onze membres de la Commission sont des juristes, a-t-elle précisé.

La même Commission entretient par ailleurs des partenariats avec des éditeurs de contenus en ligne pour alerter les utilisateurs aux problèmes posés par les discours de haine ; elle est autorisée à exiger le retrait de contenus discriminatoires, a également fait savoir la délégation.

La délégation a mis en avant la collaboration du Gouvernement avec les organisations de la société civile qui travaillent à la prévention de la discrimination raciale en vue de la formulation de recommandations qui ont été reprises dans le Plan national de lutte contre la discrimination. Le Plan fait l’objet d’évaluations par les différentes institutions publiques chargées de son application et un rapport d’ensemble sera présenté en 2025, a indiqué la délégation.

La délégation a d’autre part indiqué que le Gouvernement avait créé un groupe de travail composé de représentants des services concernés et chargé de remédier aux pratiques discriminatoires au sein des forces de l’ordre. Des formations contre le racisme et la discrimination sont prévues, ainsi qu’une révision des sanctions possibles et des réparations accordées aux victimes. L’inspection générale de l’administration interne (IGAI) est indépendante des forces de l’ordre, a-t-il été précisé.

Le Gouvernement a pris des mesures pour éviter le profilage racial par la police, a assuré la délégation. De nouveaux critères d’évaluation ont ainsi été intégrés au recrutement des futurs agents, concernant en particulier l’attitude des candidats face à la diversité et leur agressivité, a-t-elle ajouté. La formation initiale et permanente des fonctionnaires de police contient des modules sur la diversité, le racisme, le genre, la santé mentale et les LGBTIQ+, a-t-il aussi été précisé.

Un gendarme a été condamné à six ans de prison ferme au terme d’un procès concernant des actes de violence commis sur six jeunes gens noirs, a fait savoir la délégation en réponse à une question de M. Guissé. Quant à l’assassin de Bruno Candé, il a été condamné à 22 ans et neuf mois de prison, la peine maximale étant de 25 ans au Portugal, a indiqué la délégation.

La délégation a par la suite indiqué que les magistrats suivaient, dans le cadre de leur formation continue obligatoire, des enseignements sur la prévention de la discrimination raciale et des discours de haine. Elle a aussi fait savoir que le Ministère de l’éducation avait diffusé un guide pour aider les enseignants confrontés à des situations de discrimination à l’école.

Le Provedor de Justiça, créé il y a 48 ans, est l’institution nationale de droits de l’homme accréditée par l’Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l’homme. Il exerce un contrôle de l’action des organismes publics et peut saisir la justice en cas de discrimination, a expliqué la délégation.

La délégation a décrit la stratégie nationale d’amélioration des conditions de vie des Roms au Portugal, axée notamment sur leur intégration dans le système scolaire, l’emploi et le logement. La stratégie est évaluée par une commission indépendante composée, entre autres, de représentants de la communauté rom. Les fonctionnaires portugais reçoivent des formations à l’histoire et à la culture des Roms, a ajouté la délégation. Le Portugal reçoit des financements européens à l’appui de son initiative de médiateurs communautaires roms au niveau des municipalités, a-t-elle aussi indiqué.

Les autorités gèrent d’autres programmes destinés d’une part à aider les familles roms en situation de vulnérabilité à se loger, y compris par le biais d’aides au paiement des loyers et, d’autre part, à soutenir l’employabilité des Roms.

Dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, le Portugal mène des projets de sensibilisation dans l’ensemble du pays, orientés surtout sur les jeunes, y compris des dialogues autour de la situation des femmes africaines au Portugal ou encore de la « route historique de la Lisbonne africaine du XVe au XXe siècles ». En 2023, le Gouvernement a conclu un partenariat avec un réseau de bibliothèques scolaires pour mener d’autres activités de sensibilisation. Le Haut-Commissariat aux migrations soutient, pour sa part, plusieurs projets gérés par des migrants portant sur la situation des Afrodescendants.

La délégation a ensuite évoqué le plan national pour l’intégration des migrants et réfugiés destiné à donner effet au Pacte mondial sur les migrations – plan qui a notamment abouti à l’ouverture de 56 centres locaux répondant aux besoins des migrants dans des domaines tels que la régularisation ou le logement.

Les différents accents portugais sont bien acceptés au Portugal, a assuré la délégation en réponse aux commentaires d’une experte du Comité. Les personnes originaires du Brésil sont les plus nombreuses parmi les immigrés au Portugal et ce sont aussi elles qui déposent le plus grand nombre de plaintes pour discrimination fondée sur la nationalité, a précisé la délégation.

Le colonialisme et l’esclavage, ainsi que leurs conséquences, font explicitement partie de l’enseignement secondaire portugais, a indiqué la délégation, assurant que tous les élèves doivent connaître les atrocités commises par le passé. S’il n’y a pas de manuel scolaire obligatoire au Portugal, le contenu du programme est, lui, obligatoire, y compris s’agissant des questions relatives à la colonisation et à l’esclavage, a-t-elle insisté.

La Constitution stipule que le Portugal est composé d’une diversité de populations rassemblées au sein d’une communauté unique, a rappelé la délégation, avant d’admettre qu’il reste un long chemin à parcourir à cet égard.

Une experte ayant demandé comment le Gouvernement portugais pouvait appliquer le Plan national de lutte contre le racisme et la discrimination raciale sans disposer de statistiques ventilées concernant l’origine ethnique de la population vivant au Portugal, et un autre expert ayant souligné que l’Institut national de la statistique ne pouvait arguer de son indépendance vis-à-vis du Gouvernement pour refuser de collecter de telles données, la délégation a rappelé que la Constitution de 1976, adoptée après la chute de la dictature, consacrait expressément l’autonomie de l’Institut national de la statistique (parmi d’autres organes publics).

Remarques de conclusion

MME CHUNG a indiqué que le Comité allait maintenant préparer des recommandations destinées à aider le Portugal à mieux appliquer la Convention.

MME ALMEIDA RODRIGUES a notamment assuré que son Gouvernement entend disposer de données plus nombreuses et de meilleure qualité pour évaluer l’ampleur du problème du racisme, et qu’il estime donc que les résultats de l'enquête sur les conditions de vie, les origines et les parcours de la population résidente – avec son échantillon de 35 000 personnes – seront essentiels. Elle a ensuite souligné que le Gouvernement poursuivrait la mise en œuvre de ses plans nationaux de lutte contre le racisme et de prévention de la discrimination dans les forces de sécurité, ainsi que la stratégie d'intégration des communautés roms.

La Secrétaire d’État a rappelé que l’abolition de la dictature, le 25 avril 1974, jour de la révolution des Œillets, avait aussi consisté à mettre fin au joug du colonialisme. Aujourd'hui, face à la montée des mouvements politiques xénophobes et populistes, la réponse de l’État sera une meilleure éducation, une surveillance plus étroite et des sanctions plus efficaces, a indiqué Mme Almeida Rodrigues.

 

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