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Les experts du Comité contre la torture s’inquiètent de l’absence de définition autonome de la torture, des conditions carcérales et des possibilités d’usage discrétionnaire de la force ouvertes par la Ley de urgente consideración en Uruguay

Compte rendu de séance

 

Il existe, en Uruguay, un déséquilibre entre, d’une part, l’engagement clair du pays en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, et, d’autre part, l’absence de ressources humaines, financières et matérielles pour y donner suite, notamment dans le domaine des prisons. C’est ce qu’a relevé, en tant que corraporteur chargé de l’examen du rapport de l’Uruguay, le Président du Comité contre la torture, M. Claude Heller, alors qu’était examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport soumis par le pays au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

D’autre part, le Code pénal uruguayen ne définit pas le crime de torture de manière autonome et claire, a ajouté M. Heller, réitérant l’appel du Comité pour que le crime de torture soit défini dans le Code pénal du pays tel qu’il l’est dans la Convention.

Pendant le dialogue noué avec une délégation uruguayenne conduite par Mme Carolina Ache, Sous-Secrétaire aux relations extérieures de l’Uruguay, d’autres membres du Comité se sont inquiétés de l’adoption, en 2020, de la Ley de urgente consideración (Loi d'examen urgent) qui, selon ces experts, ouvre des possibilités pour l’usage discrétionnaire de la force par la police. De même, a-t-il été regretté, la loi contient des dispositions régressives s’agissant des enfants en conflit avec la loi, qui sont désormais exposés à des peines maximales de dix ans de privation de liberté.

D’autres préoccupations ont été exprimées s’agissant des conditions carcérales en Uruguay. Il a été souligné que, dans un contexte de surpopulation intense et de conditions insalubres, le nombre de personnes décédées en prison de causes naturelles avait augmenté de 154% entre 2020 et 2021.

Enfin, il a été relevé que le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture, lors de sa dernière visite en Uruguay, avait reçu beaucoup de témoignages de détenus s’agissant de mauvais traitements perpétrés par la police : en particulier, des adolescents ont dit avoir été soumis à de la torture et à des mauvais traitements pendant leur arrestation ou leur garde à vue.

Présentant le rapport de son pays, Mme Ache a notamment évoqué les efforts déployés par son Gouvernement en faveur d’une vie digne pour les personnes privées de liberté, de la protection des droits dans le système carcéral uruguayen et de l’amélioration du régime de privation de liberté des adolescents en conflit avec la loi.

L’un des efforts les plus importants, a souligné la Sous-Secrétaire aux relations extérieures, a consisté à réformer le système pénitentiaire en luttant contre la surpopulation carcérale par la construction de nouveaux locaux, par des mesures de substitution à la détention et des activités visant la réinsertion sociale des personnes condamnées. L’État uruguayen est conscient que les conditions de vie dans une grande partie des prisons ne sont pas conformes aux normes internationales en vigueur, mais les organismes publics ont pour objectif de continuer à travailler à leur amélioration rapide, a assuré Mme Ache.

Durant le dialogue avec les experts du Comité, la délégation a assuré que la Ley de urgente consideración ne remettait pas en cause les droits fondamentaux. Adopté par une majorité des parlementaires et validé par un référendum populaire, ce texte n’a pas entraîné l’explosion dans le nombre des violences policières qui avait été annoncée. La délégation a en revanche admis que les mécanismes de plainte accessibles aux détenus devaient être améliorés.

La délégation uruguayenne était également composée, entre autres, de représentants du Ministère des relations extérieures, du Ministère de l’intérieur, du Ministère de la défense nationale, de la Cour suprême de justice, ou encore de l’Institut uruguayen de l’enfant et de l’adolescent.

Intégré, de manière exceptionnelle, à la délégation du Gouvernement uruguayen, le délégué parlementaire aux affaires pénitentiaires – qui fonctionne comme un contrôleur indépendant – est aussi intervenu pendant le débat. Il a notamment regretté qu’il n’existe pas de mécanisme efficace de dépôt de plainte par les détenus qui s’estiment victimes de mauvais traitements ; qu’il manque de personnel de garde ; ou encore que la prise en charge médicale des détenus toxicodépendants soit lacunaire. Un tiers (34%) de la population carcérale fait l’objet d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant, c’est-à-dire d’un traitement qui ne correspond pas aux Règles Nelson Mandela, a-t-il indiqué.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Uruguay et les rendra publiques à l’issue de cette soixante-treizième session, vendredi prochain, 13 mai, en même temps que celles concernant les rapports des autres pays examinés durant cette session, à savoir l’Islande, Cuba, le Kenya, le Monténégro et l’Iraq.

 

Lors de sa prochaine réunion publique, mercredi 11 mai, à 10 heures, le Comité se penchera sur le suivi de l'examen des rapports de pays (observations finales) et sur le suivi des plaintes (communications).

 

Examen du rapport de l’Uruguay

Le Comité est saisi du quatrième rapport périodique de l’Uruguay (CAT/C/URY/4), établi sur la base d’une liste de points à traiter soumise par le Comité.

Présentation

Mme Carolina Ache, Sous-Secrétaire aux relations extérieures de l’Uruguay, a expliqué qu’elle allait présenter les changements qui ont eu lieu et les progrès réalisés dans son pays depuis la présentation du précédent rapport, en soulignant que cette période a été marquée par l’urgence sanitaire provoquée par la pandémie de COVID-19, qui a contraint à réorienter et à renforcer les dépenses publiques pour préserver la santé de la population et atténuer ses effets sociaux.

Mme Ache a déclaré que le système juridique actuel a considérablement élargi les droits civils et politiques, ainsi que les droits sociaux, économiques et culturels, avec des mécanismes de protection plus efficaces. L’Uruguay a défini plusieurs priorités dans la lutte pour l’égalité et contre tous les types de discrimination, a-t-elle souligné. Elle a notamment attiré l’attention sur les nouveaux efforts déployés en faveur d’une vie digne pour les personnes privées de liberté, afin de faire progresser la protection des droits dans le système carcéral uruguayen et d’améliorer le régime de privation de liberté des adolescents en conflit avec la loi. Au cours des deux dernières années, des mesures ont été adoptées pour promouvoir la réinsertion sociale des personnes privées de liberté, a-t-elle précisé.

L’un des efforts les plus importants a visé à réformer le système pénitentiaire, notamment en luttant contre la surpopulation carcérale par la construction de nouveaux lieux, la promotion de mesures de substitution, l’amélioration des conditions de détention et les activités visant la réinsertion sociale des personnes condamnées. L’État uruguayen est conscient que les conditions de vie dans une grande partie des prisons ne sont pas conformes aux normes internationales en vigueur, mais les organismes publics ont pour objectif de continuer à travailler à leur amélioration rapide, a déclaré la Sous-Secrétaire.

L’État uruguayen a par ailleurs renforcé la formation en matière de droits de l’homme et de droit humanitaire des fonctionnaires intervenant dans les domaines de compétence du Comité, a poursuivi Mme Ache. Il s’agit notamment d’activités de formation destinées au personnel de police, qui relève du Ministère de l’intérieur, mais aussi au personnel du système judiciaire et de l’Institut national pour l’intégration sociale des adolescents, qui est responsable du système pénal pour mineurs et de ses centres de détention.

Il existe en outre en Uruguay des mécanismes indépendants de prévention et de suivi, en particulier l’Institution nationale des droits de l’homme, qui fait aussi office de mécanisme national pour la prévention de la torture, et le délégué parlementaire aux affaires pénitentiaires. Ces deux derniers coordonnent de manière complémentaire leurs tâches de prévention de la torture et des mauvais traitements par le biais de visites dans les centres de détention et de réception de plaintes.

Un autre développement important a été l’adoption de la Loi sur la santé mentale, qui correspond à un changement de paradigme, puisqu’elle intègre une approche soucieuse des droits de l’homme et une réforme impliquant la fermeture progressive des établissements d’asile.

S’agissant des mineurs et des adolescents en conflit avec la loi, a poursuivi Mme Ache, des progrès importants ont été réalisés depuis la création de l’Institut national pour l’insertion sociale des adolescents en 2015. L’allocation d’un budget autonome a permis à cet Institut de renforcer ses efforts de formation du personnel et de promouvoir la mise en œuvre d’activités récréatives, sportives et socio-éducatives, ainsi que d’autres mesures visant à faciliter la réinsertion socioprofessionnelle des adolescents.

De même, des progrès significatifs ont été accomplis dans la lutte contre l’exploitation sexuelle, la traite des personnes et la violence domestique et sexiste, a ajouté Mme Ache, précisant notamment que les premiers tribunaux spécialisés dans les violences sexistes, domestiques et sexuelles ont récemment été inaugurés dans le pays.

Il n’a pas encore été possible de finaliser l’amendement du Code pénal au travers d’un projet qui pourrait inclure l’incrimination du crime de torture en tant que crime autonome conformément à l’article premier de la Convention, comme l’a recommandé le Comité, a d’autre part indiqué Mme Ache.

Questions et observations des membres du Comité

M. CLAUDE HELLER, Président du Comité et corapporteur pour l’examen du rapport de l’Uruguay, a d’emblée fait observer qu’il y avait un déséquilibre entre l’engagement clair du pays en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, tel qu’il ressort du rapport, et l’absence de ressources humaines, financières et matérielles pour y donner suite, notamment dans le domaine des prisons.

S’agissant de la définition de la torture, l’expert a relevé que le Code pénal ne définissait pas le crime de torture de manière autonome et claire. Il s’est dit inquiet par le fait que le rapport indique qu’aucune personne n’a été poursuivie pour des faits de torture. Le Président du Comité a ainsi réitéré l’appel du Comité visant à ce que le crime de torture soit défini dans le Code pénal de l’Uruguay tel qu’il l’est dans la Convention.

M. Heller a demandé quel avait été le suivi des cas de plaintes contre des violences en prison. Il a relevé que le Sous-Comité pour la prévention de la torture (SPT), lors de sa dernière visite en Uruguay, avait reçu beaucoup de témoignages de détenus s’agissant de mauvais traitements perpétrés par la police. Des adolescents ont dit avoir été soumis à de la torture et à des mauvais traitements dès leur arrestation ou leur garde à vue. Le SPT a tenté d’obtenir des données officielles sur le nombre d’affaires ouvertes pour torture, mais en vain. Le Comité est inquiet de l’absence de données dans ce domaine, a indiqué le corapporteur.

M. Heller a en outre fait observer que le mécanisme national de prévention de la torture (MNP) créé en 2013 avait vu son budget réduit et n’était pas en mesure de contrôler l’ensemble des centres de privation de liberté du pays. Le MNP fonctionne sous la houlette de l’Institution nationale des droits de l’homme mais ne dispose que d’un avocat, de deux psychologues et de deux travailleurs sociaux. En 2018, le SPT a invité les autorités uruguayennes à renforcer le MNP pour qu’il puisse s’acquitter de son mandat de prévention de la torture dans tout le pays, a rappelé M. Heller, avant de s’enquérir de la réaction de la délégation s’agissant de cette question. L’expert s’est également enquis de la chronologie des dates de création du Défenseur du peuple, de l’Institution nationale des droits de l’homme et du MNP et des éventuels chevauchements entre les rôles et attributions de ces différentes institutions.

M. Heller a ensuite relevé qu’après que l’Institution nationale des droits de l’homme eut publié un rapport demandant que soient menées des enquêtes sur des allégations de violences policières, un parti de gouvernement avait demandé le démantèlement de cette Institution ainsi que du Défenseur du peuple.

M. Heller s’est par ailleurs inquiété de l’adoption en 2020, de la Ley de urgente consideración (Loi d'examen urgent), relevant que l’Institution nationale des droits de l’homme avait elle-même souligné que cette Loi élargit les pouvoirs des policiers, notamment au moment de la détention préventive. Cette nouvelle loi de sécurité publique pourrait avoir des répercussions sur les droits de l’homme car elle prévoit de nouveaux délits pénaux, notamment ceux de résistance à l’arrestation et de non-respect de l’autorité policière, ainsi que de nouvelles peines plus sévères. Selon de nombreuses organisations de la société civile, cette loi constitue un recul dans le domaine des droits de l’homme et érode les engagements de l’Uruguay en la matière. Cette loi élargit notamment les possibilités d’invoquer la légitime défense dans le cadre d’un recours à la force par les policiers et les militaires, a souligné M. Heller, s’inquiétant que les policiers puissent en déduire de manière erronée qu’ils peuvent agir en toute légitimité en recourant à la force sans tenir compte des circonstances. M. Heller s’est par ailleurs demandé ce qu’il en était de la délinquance dans le pays pour que l’Uruguay se dote d’une législation aussi restrictive en matière de droits de l’homme.

M. Heller a d’autre part souligné que l’association des « défenseurs publics de l’Uruguay » avait publié et remis à la Cour suprême un rapport sur des situations de violences systématiques à l’encontre des détenus. Dans ce document, sont allégués de multiples violations des règles juridiques et de nombreux cas de violences dans les commissariats ; de même, il y aurait de nombreux recours à la violence physique et psychologique pour obtenir des aveux. Il semblerait qu’il n’y ait eu aucune enquête pénale suite à ces allégations, s’est inquiété le corapporteur. Il a demandé si le pays envisageait de créer un mécanisme clair chargé de recueillir les plaintes de prisonniers pour mauvais traitements, tel que le prévoit la Convention.

En 2021, il y avait plus de 13 000 personnes détenues en Uruguay et le pays a ainsi l’un des taux d’emprisonnement les plus élevés d’Amérique latine, a poursuivi M. Heller, avant de faire observer que la population carcérale a augmenté sensiblement ces dernières années et qu’il y a même eu une augmentation claire du nombre de femmes privées de liberté. Le corapporteur a donc souhaité savoir si le pays disposait d’un plan pour lutter contre la surpopulation carcérale et pour promouvoir la mise en œuvre de peines alternatives à la privation de liberté.

M. Heller s’est ensuite enquis de la formation aux droits des réfugiés dispensée au personnel qui prend en charge les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants. Le Comité a appris que le nombre de demandeurs d’asile en Uruguay a augmenté à partir de 2017, faisant peser une charge très lourde pour le pays et entraînant des retards dans le traitement des demandes, a-t-il indiqué, avant de demander si des moyens supplémentaires avaient été alloués pour faire face à cette augmentation, notamment à l’arrivée de milliers de Vénézuéliens.

S’agissant des crimes contre l’humanité, M. Heller a relevé que, selon ce qu’indique le rapport, a été mis en place un service juridique spécialisé chargé des crimes contre l’humanité pour connaître des crimes commis entre 1968 et 1985, l’objectif étant de parvenir à la vérité, la justice et la réparation pour les victimes et d’assurer la non-répétition des faits. En dépit de ces objectifs, plusieurs ONG et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont fait état d’un certain nombre d’obstacles dans la lutte contre l’impunité. Ainsi, 91% des 187 enquêtes pénales ouvertes relatives à ces crimes n’ont débouché sur aucune poursuite en justice et des condamnations n’ont été prononcées que dans 14 affaires, selon un rapport d’Amnesty international de 2020. Amnesty international a recommandé à l’Uruguay d’abroger la loi d’amnistie pour que l’ensemble des auteurs de graves violations des droits de l’homme durant la dictature puissent être poursuivis, a rappelé M. Heller.

MME ANA RACU, corapporteuse pour l’examen du rapport de l’Uruguay, a demandé si la formation des juges, des procureurs, des fonctionnaires des tribunaux, des avocats, des forces de l’ordre et du personnel pénitentiaire contient des enseignements obligatoires sur toutes les dispositions de la Convention, en particulier sur l’interdiction absolue de la torture. Elle s’est dite préoccupée de constater que le rapport présenté par l’Uruguay ne fournit pas de détails sur les garanties juridiques fondamentales. L’experte a notamment souhaité savoir comment l’Uruguay entend veiller à ce que la police offre des garanties contre la torture aux personnes privées de liberté et comment le droit d’accès à un avocat est actuellement mis en œuvre.

À l’instar de M. Heller, Mme Racu s’est dite préoccupée par l’adoption en 2020 de la Ley de urgente consideración, qui ouvre des possibilités pour l’usage discrétionnaire de la force par la police. Les dispositions de cette Loi pourraient créer une présomption de légitime défense dans les cas d’usage de la force par des responsables de la police et de l’armée ; elles rendent possible un usage excessif et discrétionnaire de la force, a insisté l’experte.

La corapporteuse s’est par ailleurs inquiétée des conséquences de la loi, adoptée à l’unanimité, qui accorde aux forces armées la juridiction d’agir à 20 kilomètres à l’intérieur des terres le long de la frontière nationale. Les forces armées sont une institution dédiée à la défense de la souveraineté par la neutralisation de l’ennemi extérieur et n’ont pas la formation appropriée pour intervenir dans la sécurité intérieure ou agir auprès de la population civile, a souligné Mme Racu, avant de rappeler que des crimes graves et des violations des droits de l’homme ont été commis par les forces militaires de la région pendant la dictature, dont beaucoup restent impunis à ce jour.

Un autre problème est l’absence de législation spécifique pour signaler les cas de violence institutionnelle et policière, a poursuivi Mme Racu. Il manque des mécanismes efficaces pour le signalement, le suivi et la punition de la violence institutionnelle, ainsi que pour la réparation en faveur des victimes de ce type de violence dont l’État est responsable, a-t-elle insisté. Elle a également rappelé que lors de sa dernière visite en Uruguay, le SPT avait reçu de nombreuses allégations émanant de personnes privées de liberté qui déclaraient avoir été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements.

L’accès à un médecin et l’examen médical sont les garanties les plus importantes contre les mauvais traitements infligés aux personnes détenues et ces garanties doivent s’appliquer dès le début de la privation de liberté, a rappelé la corapporteuse. Or, selon certaines sources, les contrôles médicaux [sur les personnes détenues] en Uruguay ne respectent pas les garanties procédurales nécessaires, s’est-elle inquiétée, faisant état d’une absence de confidentialité, de retards ou encore de l’impossibilité de fournir des services médicaux en temps voulu. L’experte a demandé à la délégation de préciser quels sont les protocoles exacts qui sont prévus dans le cas où un professionnel de santé constate et documente des blessures résultant d’actes de torture, de mauvais traitements ou de violence entre prisonniers.

S’agissant des conditions carcérales, Mme Racu a relevé que dans un contexte de surpopulation intense et de conditions insalubres, le nombre de personnes décédées en prison de causes naturelles a augmenté de 154% en 2021 par rapport à l’année précédente. Elle a déclaré que dans un pays qui a réussi à bien des égards, il est difficile de comprendre pourquoi les autorités ne sont toujours pas en mesure de remédier aux lacunes de longue date du système carcéral.

Mme Racu s’est en outre inquiétée de la grave pénurie de personnel pénitentiaire. Elle a également rappelé que lors de sa visite en Uruguay, le SPT a noté avec une grande inquiétude les conditions extrêmement insalubres qui prévalent dans les prisons du pays: beaucoup de déchets, de parasites (rats et cafards, vers), ainsi que des problèmes de maladies récurrentes directement liées à une mauvaise hygiène et aux mauvaises conditions d’alimentation des personnes privées de liberté.

La corapporteuse a également déploré que de nombreux rapports relevaient un nombre assez élevé d’incidents de violence dans le milieu carcéral, notamment entre prisonniers ; elle a souhaité en savoir davantage sur ces violences. Mme Racu a par ailleurs indiqué que les informations sur le nombre de décès en prison avaient « alarmé » le Comité. En 2021, a-t-elle précisé, il y a eu une augmentation des décès de personnes privées de liberté : 86 personnes sont mortes sous la garde des autorités de l’État, ce qui double le chiffre de l’année précédente et positionne l’année 2021 comme celle ayant connu le plus grand nombre de décès en détention pour ce pays. L’experte a demandé des informations sur ces décès ainsi que sur les enquêtes qui auraient été ouvertes pour faire la lumière sur les faits.

Mme Racu s’est par ailleurs inquiétée de la situation des femmes détenues, en reprenant les conclusions du SPT sur le nombre limité d’activités récréatives ou physiques, le manque d’emplois rémunérés et d’ateliers professionnels ou encore les possibilités d’éducation limitées pour les femmes détenues.

Malgré l’adhésion de l’Uruguay à un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, il y a eu ces dernières années une tendance à la régression dans la législation nationale concernant les droits de l’enfant, a affirmé Mme Racu. Des études sur les centres de détention en Uruguay révèlent de graves violations des droits de l’enfant, a-t-elle indiqué, précisant que les conditions dans ces centres varient considérablement : pour certains, la situation des enfants est relativement bonne, mais pour d’autres, elle est beaucoup moins confortable, les enfants étant maintenus dans des conditions indignes, dans des centres souvent surpeuplés. La privation de liberté est utilisée en premier recours plutôt qu’en dernier recours lorsqu’il s’agit d’adolescents, a par ailleurs déploré l’experte. Quant aux mineurs détenus sous régime de sécurité maximale, ils vivent dans des conditions extrêmement précaires, a-t-elle insisté.

La violence sexiste en Uruguay est une autre préoccupation du Comité, a poursuivi Mme Racu. Elle a dès lors demandé des statistiques mises à jour et ventilées par âge et par origine ethnique ou nationalité des victimes, concernant le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations, ainsi que les peines prononcées, dans les cas de violence sexiste, y compris la violence domestique, au cours des quatre dernières années.

Pendant le débat, Mme Racu s’est félicitée que la délégation ait mentionné la volonté de l’État de respecter la dignité des personnes détenues. Elle a plaidé pour une approche globale de la santé des détenus, avec notamment le recrutement de personnels compétents.

La Ley de urgente consideración contient des dispositions régressives s’agissant des enfants en conflit avec la loi, qui sont désormais exposés à des peines maximales de dix ans de privation de liberté, a par ailleurs regretté Mme Racu.

Un autre membre du Comité a dénoncé la mesure qui prévoit l’assignation à résidence d’office pour les anciens fonctionnaires responsables de graves violations des droits de l’homme, notamment du crime de torture, en violation de la Convention qui prévoit les peines les plus graves pour ce type de crime.

Réponses de la délégation

Dans l’ordre juridique interne du pays, il n’y a pas de prépondérance des traités internationaux sur la législation nationale, a précisé la délégation.

La délégation a expliqué que l’idée du Gouvernement n’était pas de démanteler l’Institution nationale des droits de l’homme. Fidèle à la tradition du pays, le Gouvernement de l’Uruguay est attaché aux droits de l’homme, a souligné la délégation. L’Institution nationale des droits de l’homme et l’ensemble du système y afférent ne sont pas menacés, a-t-elle assuré, avant de saluer le rôle de ce mécanisme et de souligner que le Gouvernement travaille en étroite coopération avec lui.

Il n’y a pas de doublon entre les fonctions de l’Institution nationale des droits de l’homme et du MNP et celles du délégué parlementaire aux affaires pénitentiaires, a d’autre part assuré la délégation. L’Institution nationale, avec en son sein le MNP, a une fonction de prévention, alors que le délégué parlementaire a été créé sur la base des Principes de Paris.

De nouvelles ressources humaines et matérielles ont été attribuées, dans le dernier budget de l’État, au siège de l’Institution nationale de droits de l’homme, a par la suite indiqué la délégation. Cette Institution est aussi chargée de conduire les recherches de personnes disparues antérieurement du fait de l’action d’agents de l’État, a-t-elle précisé.

S’agissant de la définition de l’infraction de torture, la délégation a reconnu que l’Uruguay n’a pas incriminé la torture au sens de la Convention, avant de rappeler que la définition de délits et les éventuelles modifications devant être apportées à la législation relèvent du pouvoir législatif : à ce jour, il n’a pas été possible d’y dégager les consensus qui s’imposeraient, mais c’est dans ce cadre-là que la recommandation du Comité concernant la définition de la torture pourra être mise en œuvre.

Etant donné qu’il n’y a pas de qualification spécifique de la torture dans le Code pénal, il ne saurait y avoir de registre de condamnations pour torture, a ensuite expliqué la délégation.

D’après le Procureur général de la nation, en 2018, il y a eu quatre plaintes pour torture et aucune depuis lors. Sur ces quatre plaintes, aucune personne n’a été inculpée, a précisé la délégation.

Les violations des droits des personnes détenues, y compris les agressions sexuelles à leur encontre, sont passibles de peines d’emprisonnement, a-t-il été souligné. La loi sur les activités de la police interdit d’infliger des mauvais traitements ou des traitements dégradants.

La délégation a par ailleurs indiqué que le Gouvernement uruguayen, prenant acte du fait que les droits de l’homme sont parfois bafoués dans les prisons, avait décidé de prendre des mesures correctives et de garantir la dignité des personnes détenues, mais aussi de travailler à leur réinsertion sociale, laquelle relève de l’Institut national de réinsertion. Cet Institut, créé en 2010, est géré par des civils, contrairement à la structure qu’il remplace et qui était dominée par des policiers, a-t-il été précisé.

Pour remédier à la surpopulation carcérale, les autorités sont en train d’ouvrir quelque 3500 places supplémentaires, pour un système qui compte quelque 14 000 détenus, a poursuivi la délégation.

Le taux de vaccination contre la COVID-19 en prison est supérieur à la moyenne nationale et aucune émeute n’a eu lieu pendant la pandémie, a d’autre part souligné la délégation.

La délégation a également fait savoir que 40% des aliments consommés en prison étaient produits par les détenus eux-mêmes.

À l’heure actuelle, quelque 17 800 mesures alternatives à la privation de liberté sont appliquées, a indiqué la délégation.

La délégation a aussi évoqué le système des réparations qui sont accordées aux personnes ayant subi des dommages du fait des actes d’autrui, y compris en cas de torture. Toute personne dont les droits sont bafoués peut exiger une réparation proportionnée, a insisté la délégation.

S’agissant de la Ley de urgente consideración, la délégation a assuré que ce texte ne remettait pas en cause les droits fondamentaux. Une majorité des parlementaires a validé ce texte qui concrétise la politique du Gouvernement et la loi a ensuite été validée par un référendum populaire. Son application n’a pas entraîné l’explosion dans le nombre des violences policières qui avait été annoncée, a mis en avant la délégation. Les policiers, qui sont aussi des citoyens dévoués, sont bien formés, a-t-elle fait valoir. Cela ne signifie pas que les mauvais comportements de policiers ne sont pas sanctionnés, au contraire : les fonctionnaires qui ont bafoué la loi font l’objet d’enquête et peuvent, le cas échéant, être suspendus de leurs fonctions.

La Ley de urgente consideración a mis le pays sur la bonne voie, a estimé la délégation, évoquant notamment une baisse des cambriolages et une meilleure connaissance des lois dans le contexte du traitement des détenus. La loi n’a pas non plus entraîné de recul dans l’exercice du droit de manifestation et aucun policier ne peut fouiller un domicile sans mandat, a ajouté la délégation.

S’agissant de la justice pour mineurs, l’Uruguay continue de respecter le [paradigme du] « droit pénal libéral » avec sa double fonction punitive et éducative, a expliqué la délégation. En témoignent notamment l’indépendance des tribunaux pour mineurs et le fait que l’âge de responsabilité pénale est toujours fixé à 18 ans.

La délégation a ensuite affirmé que les allégations de violences sur des adolescents placés en garde à vue ne relevaient que d’exceptions à la règle. Elle a décrit le suivi médical dont bénéficient les mineurs en conflit avec la loi, de même que l’accompagnement qui est assuré par l’Institut uruguayen de l’enfant et de l’adolescent.

La délégation a ensuite insisté sur le caractère spécialisé des compétences du personnel de l’Institut national pour l’insertion sociale des adolescents. Il est faux de dire que l’entretien des treize centres gérés par cet Institut incombe aux jeunes concernés, a assuré la délégation. Les quelque 230 adolescents bénéficiaires consultés ont jugé satisfaisants les services qui leur sont prodigués, a-t-elle mis en avant.

S’agissant des garanties procédurales, la délégation a donné des informations sur l’accès des justiciables à un avocat, y compris à un avocat commis d’office. Elle a en outre précisé que l’arrivée d’une personne en détention était immédiatement suivie de l’ouverture d’un dossier médical, de la réalisation de plusieurs tests de dépistage de maladies et de la mise à jour du carnet de vaccination.

Il a été indiqué que la formation des policiers en Uruguay contenait notamment des modules sur les droits de l’homme et sur les normes internationales en vigueur en matière de privation de liberté. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme aide l’Uruguay à organiser des formations au Protocole d'Istanbul (Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants).

La délégation a admis que les mécanismes de plainte accessibles aux détenus devaient être améliorés.

Intégré, de manière exceptionnelle, à la délégation du Gouvernement uruguayen, le délégué parlementaire aux affaires pénitentiaires – qui fonctionne comme un contrôleur indépendant – est aussi intervenu pendant le débat. Il a regretté qu’il n’existe pas de mécanisme efficace de dépôt de plainte par les détenus qui s’estiment victimes de mauvais traitements ; qu’il manque de personnel de garde ; ou encore que la prise en charge médicale des détenus toxicodépendants soit lacunaire. Un tiers (34%) de la population carcérale fait l’objet d’un traitement cruel, inhumain ou dégradant, c’est-à-dire d’un traitement qui ne correspond pas aux Règles Nelson Mandela (Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus), a mis en garde le délégué. Il a recommandé de nommer un procureur spécialisé dans les violences commises en prison.

 

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CAT22.008F