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Le Comité des droits de l'homme examine le rapport de l'Égypte : l'attention se porte sur la lutte contre les disparitions forcées et les violences à l'égard des femmes, l'indépendance de la justice, la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle

Compte rendu de séance

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport périodique de l'Égypte sur l'application des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ce cinquième rapport périodique a été présenté par le Ministre de la justice de l'Égypte, M. Omar Marwan, qui a notamment attiré l'attention sur les réussites de l'Égypte concernant la mise en œuvre des droits civils et politiques, notamment s'agissant de l'égalité entre les hommes et les femmes, dont les droits avaient été attaqués par le précédent pouvoir islamiste. Les femmes peuvent désormais à nouveau accéder aux plus hautes fonctions publiques; elle représentent notamment un quart des membres du gouvernement. Le ministre a aussi fait valoir que l'État d'urgence en vigueur depuis les attentats de juin 2017 avait été levé en 2021 et qu'il avait été mis fin aux tribunaux d'exceptions. Il a d'autre part souligné que la peine de mort n'était prescrite que pour les crimes les plus graves et que la procédure de condamnation était rigoureuse et accompagnée de garanties. Il s'est également félicité de l'adoption d'une stratégie nationale pour moderniser les centres de détention. M. Marwan a notamment exposé les mesures prises pour lutter contre les mutilations génitales féminines, promouvoir la liberté religieuse.

La délégation était également composée de Mme Maya Morsy, Présidente du Conseil national des femmes ; de M. Khaled Aly El Bakly, Ministre des affaires étrangères adjoint pour les droits de l'homme, les affaires humanitaires et sociales ; ainsi que des représentants du Ministère des affaires étrangères et du Ministère de la justice. Elle a répondu aux questions des membres du Comité s'agissant notamment de questions telles que la lutte contre les disparitions forcées et les violences intrafamiliales, les dispositions en matière d'usage de la force lors de manifestations, l'indépendance de la justice et le rôle des tribunaux militaires, les droits des migrants et la participation de la société civile à la vie publique.

Les membres du Comité ont également porté leur attention sur des allégations faisant état d'arrestations ciblant des personnes qui critiquent le pouvoir avant qu'elles ne disparaissent. Ils ont également relevé que, bien que l'homosexualité ne soit pas pénalisée en soi en Égypte, il semble que les personnes LGBTQI+ font l'objet de harcèlement et de provocations de la part de la police.

Le Comité adoptera, lors de séances à huis clos, des observations finales sur le rapport de l'Égypte et les rendra publiques à l'issue de la session qui doit clore ses travaux le 24 mars prochain.

Le Comité des droits de l'homme entame cet après-midi l'examen du troisième rapport périodique du Turkménistan (CCPR/C/TKM/3), qui se poursuivra demain matin.

Examen du rapport de l'Égypte

Le Comité des droits de l'homme était saisi du cinquième rapport périodique de l'Égypte (CCPR/C/EGY/5), ainsi que de réponses de l'État partie à une liste de points à traiter qui lui avait été adressée par le Comité.

Présentation du rapport

M. OMAR MARWAN, Ministre de la justice de l'Égypte, a rappelé que son pays avait été l'un des premiers pays à signer le Pacte relatif aux droits civils et politiques. Il a souhaité en préambule attirer l'attention du Comité sur les réussites de l'Égypte concernant la mise en œuvre des droits civils et politiques, notamment s'agissant de l'égalité entre les hommes et les femmes, dont les droits avaient été attaqués par le précédent pouvoir islamiste. Les femmes peuvent désormais à nouveau accéder aux plus hautes fonctions publiques, notamment devenir magistrates, précisant qu'un quart des membres du gouvernement sont des femmes.

Par ailleurs, le ministre égyptien a fait valoir que l'État d'urgence en vigueur depuis les attentats de juin 2017 avait été levé en 2021 et qu'il a été mis fin aux tribunaux d'exception. Il a aussi souligné que les dispositions législatives encadrant la peine capitale étaient précises et que cette peine n'était prescrite que pour les crimes les plus graves. La procédure juridique entourant une sentence de peine de mort est rigoureuse et accompagnée de garanties, comme le droit à un procès équitable, et le droit de faire appel.

Une stratégie nationale a été mise en place pour moderniser les centres de détention et augmenter le nombre de places disponibles, afin d'améliorer les conditions de vie carcérale.

S'agissant du droit à un procès équitable, le ministère de la justice a mis en place un plan national début 2020 pour renforcer l'accès effectif à ce droit. En outre, la mise en place de procès en ligne a été un franc succès et a considérablement réduit les délais d'attente pour obtenir une décision de justice, a fait valoir le ministre.

Au sujet de la protection des femmes contre les violences, le chef de la délégation égyptienne a notamment mis en avant la loi de 2021 renforçant les sanctions contre les mutilations génitales féminines. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, seulement 72 cas ont été poursuivis par le parquet, démontrant que ce problème était aujourd'hui moins prégnant dans le pays.

M. Marwan a d'autre part rappelé que l'Égypte accueillait un nombre croissant d'étrangers, en particulier des demandeurs d'asile, en raison de l'instabilité de la région.

Le ministre a indiqué que la liberté religieuse avait également été fortement attaquée par le précédent pouvoir en Égypte. Aujourd'hui, le gouvernement a notamment mis en place un fond de rénovation des églises, qui a aussi bénéficié à certaines synagogues, a-t-il fait valoir.

S'agissant du respect de la liberté d'expression, le Ministre égyptien de la justice a affirmé que son pays s'efforçait comme de nombreux autres de concilier la liberté d'opinion avec la répression des appels à la haine et au terrorisme, notamment sur les réseaux sociaux. Il a également fait savoir que l'on pouvait désormais créer une association par simple notification, sans contrôle préalable, ce qui est une manière d'encourager la société civile à s'impliquer davantage dans la vie publique.

Les discriminations sont strictement bannies par la Constitution égyptienne, a rappelé M. Marwan. Le président de la Cour constitutionnelle, depuis un an, est d'origine copte, ce qui constitue un symbole de la lutte contre les discriminations et de la promotion des minorités, a-t-il souligné.

En conclusion, M. Marwan a admis que le chemin vers la pleine réalisation des droits de l'homme était long et difficile, mais a assuré que son pays et son gouvernement étaient à la tâche pour les mettre en œuvre. Il a salué enfin le travail du Comité et a affirmé attendre avec intérêt les échanges avec ses membres.

Questions et observations des membres du Comité

Un membre du Comité s'est enquis de la mise en œuvre effective des droits reconnus par la Constitution de 2014. Il a notamment voulu savoir si et comment les personnes sous juridiction égyptienne pouvaient faire valoir les dispositions du Pacte devant les autorités et les tribunaux. Il a demandé à la délégation de présenter des jurisprudences récentes s'appuyant sur les dispositions du Pacte. Reconnaissant des efforts dans ce domaine, l'expert a rappelé la nécessité de faire connaître les droits reconnus dans le Pacte, notamment auprès des auxiliaires de justice.

Il a aussi été demandé à la délégation si le Gouvernement égyptien avait l'intention de ratifier les deux protocoles additionnels du Pacte.

S'agissant de l'institution nationale des droits de l'homme, l'Égypte a été encouragée à prendre des mesures pour assurer l'indépendance de ses membres et la transparence dans ses nominations, ainsi que l'application législative de ses prérogatives.

Le Comité souhaiterait également connaître l'état de mise en œuvre des décisions rendues par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, notamment s'agissant de cinq décisions en particulier qui concernent l'Égypte. Il a voulu savoir s'il existait un mécanisme d'incorporation en droit interne de ces décisions.

Les experts se sont félicités de la fin officielle du régime d'exception en 2021, mais ont regretté que les lois de 2015 relatives à la lutte contre le terrorisme et la loi de 2014 relative à la protection des infrastructures publiques étendaient de manière dangereuse des mesures exceptionnelles, exposant les citoyens à des procédures devant des tribunaux d'exception, notamment les juridictions militaires. Un expert a regretté que les amendements à la loi sur l'État d'urgence, adoptés en 2020, étendent les prérogatives des tribunaux militaires à l'égard des civils. Il a regretté que les juges militaires soient nommés par le ministre de la Défense et puissent prononcer la peine capitale contre des civils. Il a en conséquence demandé à la délégation quelles étaient précisément les prérogatives des tribunaux militaires et de préciser comment les juges qui y siégeaient étaient nommés.

Il a par ailleurs été relevé que, si les nominations des juges sont la prérogative du Conseil suprême de la magistrature, les membres de ce Conseil sont nommés par le Président lui-même, à l'instar des dirigeants des principaux tribunaux du pays. Dans ce contexte, comment l'Égypte compte-t-elle éviter la politisation des membres de la magistrature.

Pour ce qui a trait aux disparitions forcées, il a été relevé que les réponses apportées par l'Égypte portaient uniquement sur des dispositions criminalisant la détention arbitraire, l'enlèvement ou encore la séquestration. Ces dispositifs peuvent en effet permettre de prévenir la disparition forcée telle que définie la Convention sur les disparitions forcées. Toutefois, de nombreuses allégations font état d'arrestations ciblant les personnes qui critiquent le pouvoir avant qu'elles ne disparaissent. Il a en outre été noté que l'Égypte n'avait pas donné de suite aux communications qui lui ont été adressées par le groupe de travail sur les disparitions forcées. L'Égypte a-t-elle l'intention d'interdire de manière expresse les arrestations hors de toute procédure, a demandé un membre du Comité. Quelles sont les mesures concrètes pour que les victimes de disparitions forcées et de détention arbitraire, ou leurs proches, aient accès à des recours effectifs et utiles ?

L'Égypte a par ailleurs été appelée à publier un registre de tous les centres de détention dans le pays. Un expert a souligné que l'absence de données fiables sur la population carcérale et le nombre de lieux de détention entravait les travaux du Comité. Il a aussi relevé que, dans le cadre de la pandémie, les visites d'avocats ont été suspendues sans solutions alternatives. En outre, les demandes de visite de l'Institution nationale des droits de l'homme sont souvent refusées, ou entravées. Par ailleurs, les procureurs, qui ont la possibilité de faire des visites inopinées, ne se saisissent pas de cette possibilité ou le font de manière annoncée. La délégation a aussi été interrogée sur la mise à l'isolement prolongé et les restrictions de visites de la famille dont souffrent les prisonniers politiques. Il a été demandé si les autorités administratives avaient le pouvoir de maintenir en détention des personnes acquittées par la justice ou ayant effectué leur peine.

Le Gouvernement égyptien affirme que le recours à la détention provisoire s'est accru à mesure de l'augmentation de la criminalité dans le pays. Or, la détention provisoire ne saurait être qu'une exception et être appliquée que si elle est strictement nécessaire. Un expert a demandé à la délégation des données ventilées sur les personnes en détention provisoire. Il a critiqué la pratique consistant à placer de manière répétitive des personnes en détention provisoire, à chaque fois sous de nouveaux motifs, permettant de maintenir en détention ces personnes pour un temps quasi illimité sans procès.

Il ressort des informations reçues par le Comité que de nombreux actes de torture sont commis suite à des arrestations arbitraires. Les procureurs, les juges, les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire sont complices de ses actes en ne s'y opposant pas.

Un expert a constaté que les dispositions prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de COVID-19 avaient permis de nombreuses dérogations extralégales qui perdurent aujourd'hui, permettant de limiter l'accès à des droits reconnus par le Pacte. Il a souligné que des journalistes critiques de l'organisation de la lutte contre la pandémie avaient été arrêtés et condamnés pour avoir prétendument répandu des fausses nouvelles ou pour appartenance à un groupe terroriste. Il a demandé à la délégation si l'Égypte comptait amender la loi 152, visant officiellement à lutter contre la pandémie, pour la mettre en conformité avec le Pacte.

Un membre du Comité a abordé la question des juridictions spécialisées dans la lutte contre le terrorisme. Les deux lois de 2015 visant à lutter contre le terrorisme sont des sujets d'inquiétude car, selon lui, la définition du terrorisme y est à la fois large et vague, offrant la possibilité au parquet de réprimer de nombreuses attitudes qui déplaisent aux autorités mais ne pouvant être qualifiées pour autant d'actes de terrorisme. Il a demandé à la délégation de démontrer comment la définition du terrorisme dans la législation nationale était en adéquation avec les dispositions du Pacte. Les personnes participant à des manifestations pacifiques sont régulièrement accusées de terrorisme dans des procès de masse et parfois condamnées à mort, a-t-il ajouté. Il a exprimé sa préoccupation face à l'absence de garanties en matière de droit à la défense et d'indépendance du pouvoir judiciaire. Il a aussi été demandé comment étaient nommés les juges siégeant dans les tribunaux antiterroristes.

Le recours accru à la peine de mort, y compris pour des actions non violentes, est un sujet de préoccupation majeur pour les membres du Comité. Entre octobre 2020 et septembre 2021, plus de 150 personnes ont été exécutées, a-t-il été relevé. L'Égypte détient un des taux de recours à la peine capitale les plus élevés du monde. Près de cent infractions sont passibles de cette sentence, ce qui accroît l'arbitraire dans son application. Une experte a appelé à mettre en place un moratoire sur la peine capitale, ou à défaut à réduire drastiquement le nombre d'incriminations passibles de la peine de mort.

S'agissant de la lutte contre la corruption, un expert a demandé à quoi correspondait le pourcentage mentionné par l'Égypte lorsqu'elle affirme que la stratégie anticorruption 2019-2022 aurait été « un succès à 85% ». Combien de condamnations de personnalités haut placées dans l'appareil d'État ont été prononcées, alors que certaines sources font état d'une culture du népotisme et de la corruption généralisée. Il semblerait que la législation anticorruption s'applique de manière très inégale, permettant aux fonctionnaires d'agir en toute impunité.

En outre, le climat d'impunité générale dont bénéficient les agents des forces de l'ordre faisant usage de la force, y compris létale, a par ailleurs interpellé les membres du Comité. Une experte a fait part de sa préoccupation à l'égard de la répression des manifestations à l'été 2013, qui a fait de nombreux morts. Elle a souhaité savoir si des fonctionnaires avaient été sanctionnés pour ces agissements.

Une experte a salué les mesures prises par l'État partie pour renforcer la législation contre les discriminations. L'accès à des recours judiciaires et administratifs est essentiel, a-t-elle rappelé.

Cette experte a en outre déploré que les personnes ayant des relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe soient stigmatisées, harcelées et victimes d'arrestations et de détentions arbitraires. Des actes médicaux invasifs et inutiles auraient été pratiqués contre des personnes homosexuelles, ce qui pourrait s'apparenter à des actes de torture et des traitements inhumains et dégradants. Bien que l'homosexualité ne soit pas pénalisée en soi en Égypte, les personnes LGBTQI+ font l'objet de harcèlement et de provocations de la part de la police.

S'agissant de la lutte contre les violences faites aux femmes, un expert a salué les avancées législatives renforçant les sanctions contre les auteurs des violences ainsi que la stratégie nationale visant à protéger les femmes contre les violences. Il a néanmoins regretté que les violences sexuelles dans la sphère familiale ne soient pas incriminées de manière spécifique dans la législation alors que près de la moitié des femmes égyptiennes sont victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Quelle stratégie l'Égypte compte-t-elle mettre en œuvre contre les crimes dits d'honneurs, contre la brutalisation des femmes qui exigent l'accès à leurs droits et en faveur de la sensibilisation de la population à ces thématiques?

Une experte a salué les efforts consentis par l'Égypte pour lutter contre les mutilations génitales féminines. Toutefois, les mesures répressives de l'État ne s'accompagnent pas d'une politique de prévention et de sensibilisation sur l'ensemble du territoire, notamment dans les zones rurales. Le fait que les parents soient pénalement responsables de ces mutilations est un frein à la dénonciation de tels actes par les femmes qui en sont victimes.

Pour ce qui est du droit à l'interruption volontaire de grossesse, l'Égypte a indiqué que cette procédure était possible dans les 120 premiers jours en cas de danger pour la vie de la mère. Toutefois, le Comité souhaiterait savoir de quels recours disposent les femmes enceintes dans un grand état de souffrance. Quel est le niveau d'accès à la contraception, notamment d'urgence, s'est enquis une experte.

Un membre du Comité a relevé que l'Égypte n'offrait pas aux objecteurs de conscience une alternative non discriminante et non humiliante au service militaire.

Pour ce qui est de la liberté religieuse, l'expert a indiqué que seules les trois religions du livre sont protégées en Égypte. Les membres d'autres cultes ou de branches minoritaires de ces religions sont parfois attaqués et persécutés.

Une experte du Comité a relevé que certaines personnes migrantes étaient refoulées à la frontière, parfois détenues avant de pouvoir déposer une demande d'asile, en violation du principe de non refoulement. Les mauvais traitements à l'égard des migrants seraient particulièrement prégnants contre les Érythréens.

Une experte a salué les efforts importants consentis par l'Égypte contre le trafic d'êtres humains et l'esclavage, et notamment la stratégie nationale 2016-2021. Toutefois, force est de constater que le trafic d'êtres humains et l'esclavage perdurent en Égypte, notamment en ce qui concerne les employés domestiques, qui sont souvent des femmes migrantes. Elle a demandé à la délégation de détailler les efforts mis en place par l'État partie pour mieux identifier et repérer les cas d'esclavage et de traite des êtres humains, alors que les autorités semblent s'appuyer de manière excessive sur la société civile et les ONG pour contrer ce phénomène.

La même experte a fait part de son inquiétude quant à la quasi-disparition d'un espace public et politique pluraliste. Elle a pointé les conditions drastiques exigées pour la création d'un parti politique et pour le maintien de ses activités. En outre, un parti peut être dissous pour des raisons de « sécurité nationale », a-t-elle souligné. Elle a rappelé que l'interdiction des partis qui défendent une identité religieuse était prohibée par le Pacte.

Un autre membre du Comité a reconnu qu'un nouveau cadre juridique avait été mis en place pour protéger la liberté d'opinion et d'expression. Néanmoins, malgré la nouvelle Constitution, il a pointé de sérieuses restrictions à la liberté d'expression, notamment en ligne. De nombreux sites web de journalistes et de simples citoyens sont tout simplement fermés. Des journalistes et défenseurs des droits de l'homme ont été arrêtés. Les particuliers comme les journalistes sont soumis à de lourdes obligations financières pour pouvoir publier. En conséquence, la plupart des médias nationaux appartiennent à l'État.

S'agissant de la liberté d'association, la loi de 2019 concernant la société civile consacre le droit d'enregistrer une association sur simple déclaration. Toutefois, une grande défiance persiste entre l'État et la société civile, a constaté un membre du Comité. Un processus de dialogue national a été mis en place pour résoudre ce problème qui a permis la libération de près de 1500 personnes. Le Comité encourage l'État partie à poursuivre dans cette voie et à libérer toutes les personnes n'ayant commis aucun acte de violence. Par ailleurs, quelles mesures de protection sont prises pour permettre aux associations des droits de l'homme d'agir sans être inquiétées par les autorités ?

Un expert a constaté que la Constitution de 2014 consacrait officiellement le droit de réunion pacifique, mais a souhaité savoir si l'obligation de notification des réunions publiques pouvait être assimilée à un régime d'autorisation préalable de la part du Gouvernement. L'expert a ajouté que de trop nombreux cas de violences à l'égard des manifestants étaient constatés, y compris des violences pouvant entraîner la mort, sans réaction de la part des autorités. Il s'agit clairement d'usages disproportionnés de la force visant à limiter le droit de manifester.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité concernant le cadre général d'application du Pacte, et en particulier l'intégration des dispositions du Pacte dans le droit interne, le Ministre égyptien de la justice a rappelé que la Constitution de 2014 reconnaissait l'ensemble des instruments internationaux de défense des droits de l'homme, conférant à ces traités une autorité supérieure à la loi nationale. La délégation a déclaré que le système judiciaire égyptien garantissait les droits reconnus dans le Pacte, avançant plusieurs jurisprudences allant dans ce sens.

La délégation a précisé que les tribunaux militaires offrent les mêmes garanties que les juridictions régulières. Répondant par la suite à des questions complémentaires, la délégation a ajouté que les juges militaires étaient avant tout juges, et se comportaient comme les juridictions civiles. Les garde-fous censés protéger les juges de toute pression sont les mêmes que pour les juges civils.

Le recours à des tribunaux d'exception durant l'État d'urgence a permis de réduire efficacement la criminalité et le terrorisme. La délégation a affirmé que, sur les cas ont-ils se sont saisis, ces tribunaux n'avaient prononcé que 38% de condamnations et avaient permis d'épuiser rapidement des affaires en souffrance afin de rendre une justice dans un délai raisonnable, conformément aux dispositions du Pacte.

Le chef de la délégation a affirmé que la peine de mort n'était appliquée en Égypte que pour les actes graves qui constituent une atteinte sérieuse à la société. En outre, la peine de mort ne peut être prononcée contre des mineurs. En dehors de certains cas précisés dans la loi, la peine de mort n'a aucun caractère automatique en Égypte, a affirmé M. Marwan.

La délégation a par la suite précisé que l'application de la sanction de la peine de mort était facultative dans la plupart des cas où cette peine est prévue. L'accusé bénéficie toujours de l'aide d'un avocat et du temps nécessaire pour la préparation de sa défense. Les juges doivent en outre se prononcer à l'unanimité et pas seulement à la majorité comme c'est le cas pour les autres peines. La peine capitale ne peut être prononcée contre un mineur ou une femme enceinte et jusqu'à deux ans après la naissance de leur enfant. Les exécutions ne sont pas publiques. Le condamné est en outre accompagné par son avocat le jour de son exécution. Enfin, une grâce accordée par le chef de l'État est toujours possible.

La délégation égyptienne a souligné que la Constitution conférait une protection importante aux femmes. Une stratégie nationale à l'horizon 2030 a été mise en place pour lutter contre les violences sexospécifiques. La loi a reconnu que les femmes pouvaient être victimes non seulement de violences physiques et sexuelles mais également psychologiques et économiques. Un système d'accompagnement des femmes victimes a été instauré au niveau national. Des unités chargées de la lutte contre les violences faites aux femmes sont présentes dans toutes les universités, a-t-elle mis en avant. Un manuel à l'intention des professionnels de santé, mais également à destination des policiers et des juges a été distribué afin de sensibiliser les professionnels chargés de l'accompagnement des femmes. Pour ce qui est des violences au sein de la famille, la délégation a affirmé que la législation égyptienne prévoyait des circonstances aggravantes contre les auteurs de violences intrafamiliales. La loi dispose en outre que le divorce peut être demandé à l'avantage de la femme en cas de violences. La délégation s'est félicitée des succès de l'Égypte dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. Enfin, elle a fait savoir au Comité que le simple encouragement au recours à ces mutilations était sévèrement puni par la loi.

La délégation a par la suite affirmé que plusieurs études avaient été menées par l'État égyptien sur le coût économique des violences faites aux femmes, ce qui est une première dans le monde musulman. Par ailleurs, des formations spécifiques sont délivrées aux femmes qui vont se marier concernant leurs droits, quelle que soit leur religion. Un travail sur le sujet a été entamé avec les chefs religieux, y compris dans les régions les plus reculées de l'Égypte. Près de 24 000 familles ont été visitées lors d'une campagne porte à porte de longue haleine. Un projet de loi est en discussion pour réprimer davantage les violences faites aux femmes. La question de l'autonomie financière des femmes est un point de vigilance fort des autorités.

La délégation a indiqué que toute privation de liberté qui ne reposait pas sur une décision de justice constituait une infraction pénale, que ces faits soient commis par un simple citoyen ou par un fonctionnaire. Elle a en outre réaffirmé qu'il n'existe aucun lieu de détention secret en Égypte. Elle a ajouté que tous les lieux de détention sont connus, et accessibles par les membres du ministère public. Durant la pandémie de COVID-19, l'Égypte a notifié les organisations des droits de l'homme de la suspension des visites des avocats en prison, et ce, uniquement pour des raisons sanitaires. Ces mesures ont été levées dès que l'alerte sanitaire a pris fin. Les détenus ont eu durant ce laps de temps un droit élargi à contacter leurs représentants par téléphone depuis les prisons. La délégation a par la suite précisé que tous les détenus ont été vaccinés contre la maladie à coronavirus.

Apportant des compléments d'information sur ces questions, la délégation a expliqué que l'Institution nationale des droits de l'homme bénéficie d'un accès régulier aux lieux de détention, à l'instar des membres du parquet. Les détenus ont toujours eu accès à leurs conseils durant la pandémie, par téléphone principalement. Une liste de tous les lieux de rétention a été établie par l'Institution nationale des droits de l'homme. Les rapports de ses visites dans les lieux de détention sont envoyés au département des droits de l'homme du parquet, a par la suite indiqué la délégation. Les visites ne sont pas annoncées à l'avance, a assuré un membre de la délégation en réponse à une question du Comité. Une mise à l'isolement ne peut durer plus de trente jours, et ne constitue pas une peine complémentaire. L'isolement ne peut avoir lieu qu'après violation des règles de fonctionnement des prisons par le détenu.

Des questions ayant été posées sur des actes de torture en détention, la délégation a rappelé que cette pratique était formellement interdite. Aucun cas de décès n'a été recensé dans les centres de détention, a fait valoir la délégation, seuls des cas de mort naturelle ont été rapportés.

En réponse à d'autres questions, la délégation a notamment affirmé que la coopération de l'Égypte avec le Comité sur les disparitions forcées était excellente.

Répondant à des questions sur l' usage de la force par la police, la délégation a déclaré que la force n'était employée que lorsque cela était strictement nécessaire et après épuisement de tous les autres moyens de coercition.

La délégation a rappelé que la société égyptienne était traumatisée par les nombreux actes de violence dont elle a été victime. L'Égypte a mis en place les quatre piliers recommandés par les Nations Unies dans la lutte contre le terrorisme, y compris s'agissant de la sauvegarde des droits fondamentaux. La définition du terrorisme en Égypte est conforme à la définition adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies. De plus, les tribunaux antiterroristes ne sont pas des tribunaux extraordinaires, a-t-il fait valoir, il s'agit uniquement de tribunaux spécialisés.

Quant à la loi protégeant les infrastructures publiques, un membre de la délégation a rappelé que ces installations avaient été particulièrement visées par les terroristes. La Cour Constitutionnelle pose par ailleurs deux conditions à l'application de cette loi : il faut que l'installation soit vitale et publique, il faut ensuite que l'installation ait été réhabilitée et soit protégée spécifiquement par la police. Seulement 240 procédures ont été lancées dans le cadre de cette législation.

La lutte contre la corruption est une priorité du Gouvernement égyptien, a rappelé la délégation. Les fonctionnaires sont punis au même titre que tous les autres citoyens qui se livreraient à des actes illégaux.

La législation nationale interdit l' interruption volontaire de grossesse lorsqu'elle est utilisée comme moyen de planning familial. Néanmoins, elle est possible si la mère ou le fœtus est dans un état de santé ne permettant pas la poursuite de la grossesse. En cas de viol, un médicament abortif peut être donné à la femme qui en fait la demande. Des moyens de contraception sont à disposition des femmes qui en font la demande, soit gratuitement, soit à des prix subventionnés.

La délégation a assuré, en réponse aux questions des membres du Comité, que les défenseurs des droits de l'homme et les avocats n'étaient pas persécutés ; les avocats en particulier sont protégés par la loi dans l'exercice de leur fonction. Les perquisitions dans les bureaux des avocats sont interdites, sauf lorsque cela est approprié et sur ordre de la justice. Toutefois, l'exercice du métier de journaliste, d'avocat ou de défenseur des droits de l'homme n'exonère pas en toute situation de sa responsabilité pénale. Ils sont égaux devant la loi, y compris en ce qui concerne la répression des crimes et délits.

En ce qui concerne l'obligation du service militaire, la délégation a expliqué qu'il s'agissait d'un fondement de l'État, protégé par la Constitution. L'orateur a précisé que seuls les hommes majeurs y étaient soumis et que les brimades à l'égard des conscrits étaient prohibées. En outre, les femmes et les hommes qui ne peuvent se soumettre au service militaire peuvent effectuer des missions d'intérêt général dans des institutions publiques.

La liberté de conviction est garantie par l'article 64 de la Constitution. Les autorités religieuses sont libres de réglementer leurs affaires sans intervention de l'État. La délégation a rappelé que les discriminations basées sur la religion étaient strictement interdites. La Cour constitutionnelle a pris un arrêt, le 4 février 2017, disposant que nul ne pouvait être forcé à changer de religion. Toutes les églises frappées par des actes terroristes ont été restaurées dans l'ensemble des gouvernorats, s'est félicité la délégation.

Un membre de la délégation a expliqué que les personnels domestiques étaient parfois des migrantes illégales, rendant leur protection particulièrement difficile car elles ne se signalent pas à la police. Pourtant, la justice égyptienne protège toutes les femmes, quel que soit leur statut vis-à-vis de l'immigration. Un fonds à destination des victimes de la traite des êtres humains a été mis en place pour les accompagner. Une nouvelle stratégie 2022-2026 contre la traite est actuellement mise en œuvre, qui prévoit une sensibilisation large du public sur le sujet, et vise en particulier les migrants eux-mêmes, en publiant les informations sur les droits des personnes migrantes dans plusieurs langues.

Près de 9 millions de personnes en Égypte sont des migrants, tous statuts confondus, dont 1,5 millions viennent de Syrie, 1,5 million de Libye, et un million de Yéménites. Sur 40 000 demandes d'asile déposées chaque année, seulement 10% ne sont pas acceptées. Les autres restent jusqu'à obtenir des conditions favorables pour un retour digne et sûr. Les autorités nationales coopèrent avec le Haut Commissariat pour les réfugiés pour offrir un accompagnement s'agissant des cas particuliers comme les mineurs non accompagnés. L'Égypte respecte strictement le principe de non-refoulement, à condition que les demandeurs s'enregistrent dès leur arrivée. Ceux qui sont arrêtés à la frontière ne sont pas des demandeurs d'asile mais ont tenté de franchir la frontière illégalement.

En ce qui concerne la détention provisoire, la délégation a reconnu la gravité de cette procédure et a assuré que les conditions la régissant étaient strictes. Il faut que le délit soit passible d'au moins un an de prison. Le législateur a autorisé la prolongation de cette mesure jusqu'à un an maximum. La détention provisoire n'est prononcée que lorsqu'il existe un risque pour l'ordre public. Les obligations financières et familiales du prévenu sont prises en compte. De plus, des alternatives à la détention provisoire sont prévues, la justice peut délivrer une assignation à résidence et une obligation de se présenter à la police deux fois par jour.

La détention provisoire en première instance ne peut durer plus d'un tiers de la peine encourue. En ce qui concerne les détentions provisoires successives, la délégation a assuré que la justice respectait la loi, et que les prévenus disposaient des voies de recours habituelles. Il se peut toutefois qu'une même personne soit impliquée à plusieurs reprises dans des affaires distinctes.

Pour ce qui est de la répression des manifestations, la délégation a expliqué que le Président avait établi un Comité National pour la collecte d'informations et de preuves suite aux nombreuses violences ayant émaillé les manifestations de 2013, afin de faire toute la lumière sur ces événements. Les criminels ayant entraîné ces violences ont été arrêtés. Concernant les manifestations de la place al-Nahda à l'été 2013, la délégation a signalé qu'un policier avait été tué et que plusieurs avaient été gravement blessés par des criminels. Il a été ajouté que la dispersion de cette manifestation avait été autorisée par la justice conformément à la loi.

La délégation a souligné que la législation égyptienne ne pénalisait pas les relations sexuelles entre adultes consentants, quelle que soit leur identité de genre ou leur orientation sexuelle. Elle a rejeté les allégations concernant la répression des personnes LGBTQI+. Elle a affirmé que des arrestations avaient eu lieu pour des troubles à l'ordre public et des attentats à la pudeur, et que l'orientation sexuelle des personnes arrêtées n'étaient pas en cause. Des examens médicaux invasifs ont bien eu lieu, mais dans l'intérêt des accusés pour s'assurer de leur état de santé et à la demande des autorités judiciaires.

Le Gouvernement égyptien travaille à établir un lien de confiance entre la société civile et l'État. L'année 2022 a été décrétée « année de la société civile ». Le Dialogue national a permis de participer à la reconstitution d'un lien profond avec la société civile. La nouvelle loi sur la société civile a fait l'objet de concertations substantielles aboutissant à un dispositif juridique très assoupli pour la création d'associations et pour leur financement, y compris des fonds de l'étranger.

La délégation a déclaré qu'une commission indépendante composée de magistrats uniquement statuait sur la légalité des partis politiques. Les partis ne peuvent entrer en contradiction avec la Constitution, ne peuvent faire la promotion d'une religion, ni être la section d'un parti étranger. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, le parti est dissous.

Déclaration de clôture

Le Ministre égyptien de la justice s'est félicité de la qualité des échanges entre la délégation et le Comité, dont il a salué l'objectivité et la compétence. Il a assuré que des réponses écrites seront adressées au Comité pour les questions auxquelles la délégation n'a malheureusement pas eu le temps de répondre. La Commission suprême permanente des droits humains de l'Égypte est chargée d'appliquer les instruments internationaux des droits de l'homme et se saisira des observations du Comité énoncées lors de cet examen. M. Marwan a affirmé que le Gouvernement égyptien était très attentif aux cas isolés de violations des droits de l'homme dans son pays.

M. Marwan a affirmé que le Gouvernement égyptien avait pleinement conscience que la consécration juridique des droits n'était pas une fin en soi, mais que l'objectif était de réaliser de manière concrète ces droits au moyen de recours effectifs et connus de tous.

 

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