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Examen du Nicaragua au Comité contre la torture : il est demandé à l’État de réaliser des enquêtes indépendantes sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de sécurité

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné ce matin le rapport présenté par le Nicaragua au titre de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en l’absence de délégation du pays concerné.

En début de séance, le Président du Comité, M. Claude Heller, a donné lecture d’un courrier qui lui était adressé par le Ministre des affaires étrangères nicaraguayen, dans lequel le Ministre dénonce notamment la « transformation pernicieuse du Comité en caisse de résonnance des politiques (...) de ceux qui ont établi des scénarios afin d’attaquer le Nicaragua (…) », affirme que « le Nicaragua ne pratique pas la torture, une pratique qui a cours dans des pays impérialistes » et soutient que « face aux violations et aux humiliations des empires que le Comité sert, cet organe n’a aucune légitimité ».

M. Heller a déploré les affirmations contenues dans cette lettre qui, a-t-il souligné, montre une méconnaissance de la Convention ainsi que des méthodes de travail du Comité. Le Nicaragua se trouve à un moment charnière de son histoire, avec de graves risques pour les droits de l’homme, a poursuivi M. Heller. C’est pourquoi, même en l’absence de délégation, le Comité formulera ses observations sur le rapport périodique qui lui a été soumis et qui serviront à la rédaction des observations finales, a-t-il ajouté.

M. Heller, en tant que corapporteur pour l’examen du rapport du Nicaragua, a ensuite indiqué que, selon des informations crédibles, les manifestations de la population du Nicaragua contre une réforme de la sécurité sociale, en 2018 et 2019, avaient entraîné la mort de 355 personnes à la suite de l’usage aveugle de la force par la police et les groupes para-policiers ; en outre, plus de 1300 personnes ont été blessées et 1614 ont été privées de liberté. C’est dans ce contexte qu’ont émergé les premières allégations de pratique de la torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants dans des centres de détention d’État et clandestins.

Quelque 190 opposants au Gouvernement sont actuellement privés de liberté, et ce nombre est en augmentation, a dit M. Heller. Des personnes sont détenues sans procès et certaines ont été torturées par des agents de l'État – dans 97 % des cas, les actes de torture ont lieu dans les centres de détention de la police. M. Heller a plaidé pour la mise en œuvre, par le Nicaragua, de ses obligations au titre de la Convention, et en particulier la réalisation d’enquêtes indépendantes sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de sécurité, et la sanction des responsables.

M. Erdogan Iscan, corapporteur du Comité pour l’examen du même rapport, a rappelé pour sa part que les organes conventionnels – ou Comités – des droits de l’homme sont des organes d’experts indépendants, mandatés par les États parties aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Ces organes surveillent la mise en œuvre des traités et apportent ce faisant leur appui aux États parties.

Le dialogue entre les États parties et le Comité contre la torture poursuit un but précis, a souligné M. Iscan : aider les États parties à faire de nouveaux progrès en vue du plein respect de la Convention. Ce dialogue ne porte nullement atteinte à l’indépendance ou à la souveraineté des États parties.

En conclusion, M. Heller a indiqué que le Comité rédigerait des observations provisoires qui seraient envoyées au Nicaragua et dans lesquelles seraient mentionnés l’absence de coopération du pays avec le Comité et le non-respect de ses obligations en tant qu’État partie à la Convention. Les observations finales seront adoptées lors de la prochaine session du Comité.

Cet après-midi, le Comité doit clore l’examen du rapport des Émirats arabes unis, qui avait commencé hier matin.

Examen du rapport du Nicaragua

Le Comité contre la torture était saisi du deuxième rapport périodique du Nicaragua (CAT/C/NIC/2).

Remarques liminaires

M. CLAUDE HELLER, Président du Comité contre la torture, a donné lecture d’un courrier qui lui était adressé par le Ministre des affaires étrangères nicaraguayen, courrier dans lequel le Ministre dénonce la « transformation pernicieuse du Comité en caisse de résonnance des politiques impérialistes, abusives et malhonnêtes de ceux qui ont établi des scénarios afin d’attaquer le Nicaragua sans en avoir le droit (…). »

De même, le Ministre affirme que « le Nicaragua ne pratique pas la torture, une pratique qui a cours dans des pays impérialistes. Face aux violations et aux humiliations des empires que le Comité sert, cet organe n’a aucune légitimité (…). Il est manifeste que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme utilise l’imposition permanente de ces mécanismes pour s’immiscer dans les affaires internes du pays, faisant fi de son indépendance et de sa souveraineté, et se faisant l’écho de la politique interventionniste des États-Unis. Le Nicaragua est un État libre, souverain et indépendant doté de l’autodétermination qui rejette toute forme d’ingérence et tout acte de haine ».

M. Heller a précisé que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme n’avait plus eu de contact avec le Nicaragua depuis la réception de cette lettre. Il a déploré les affirmations contenues dans cette lettre qui montre une méconnaissance de la Convention et des méthodes de travail du Comité.

Le Nicaragua se trouve à un moment charnière de son histoire, avec de graves risques pour les droits de l’homme, a poursuivi M. Heller. C’est pourquoi, même en l’absence de délégation, le Comité formulera ses observations sur le rapport périodique qui lui a été soumis et qui serviront à la rédaction des observations finales, a-t-il indiqué.

Observations des membres du Comité

M. HELLER, en tant que corapporteur pour l’examen du rapport du Nicaragua, a indiqué que la pandémie de COVID-19 avait empêché le présent rapport, qui aurait dû être soumis en 2013, d’être examiné en 2020. Par conséquent, une bonne partie de son contenu est obsolète et, en particulier, le rapport ne dit rien de la crise à laquelle le Nicaragua est confronté depuis 2018 et qui affecte le respect des droits de l’homme ainsi que le respect de la Convention contre la torture.

Selon des informations crédibles, les manifestations de la population contre une réforme de la sécurité sociale, entre le 18 avril 2018 et le 31 juillet 2019, ont entraîné la mort de 355 personnes à la suite de l’usage aveugle de la force létale par la police et les groupes para-policiers ; en outre, plus de 1300 personnes ont été blessées et 1614 privées de liberté. C’est dans ce contexte qu’ont émergé les premières allégations de pratique de la torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants dans des centres de détention d’État et clandestins.

Quelque 190 opposants au Gouvernement sont actuellement privés de liberté, et ce nombre est en augmentation, a dit M. Heller. Des personnes sont détenues sans procès et certaines ont été torturées par des agents de l'État. Dans 97 % des cas, les actes de torture ont lieu dans les centres de détention de la police et il est de la responsabilité de l'État d'enquêter sur ces cas de torture, a insisté M. Heller.

L’État justifie sa réponse répressive en affirmant que les manifestations d’avril 2018 étaient associées à la préparation d’un coup d’État et que les organisations sociales et des États étrangers finançaient cette tentative. Depuis cette date, l’État est accusé de mettre en œuvre une politique de détention massive et sélective comme moyen de dissuasion des manifestations ou de toute forme d’opposition, s’appuyant sur la torture et les mauvais traitements, a regretté M. Heller.

Les incidents d’avril 2018 et la réponse de l’État n’ont pas été causés par une crise isolée ou conjoncturelle résultant de l’imposition d’une réforme très impopulaire du système de sécurité sociale, a indiqué M. Heller. Ils doivent être examinés comme le résultat d’un processus progressif de concentration du pouvoir et d’un affaiblissement progressif des institutions démocratiques, processus qui s’est intensifié en 2007 lorsque Daniel Ortega a accédé à son deuxième mandat en tant que Président de la République.

M. Heller a ensuite indiqué que la définition de la torture utilisée au Nicaragua n’était pas conforme à la Convention, et regretté qu’il n’existe pas de mécanisme pour punir l’auteur, le complice ou les agents publics qui pratiquent la torture. Il a en outre regretté qu’avec l’entrée en vigueur de la réforme du Code de procédure pénale, il est mis fin au principe de la présomption d’innocence pour en revenir au modèle inquisitoire antérieur. Cela a affecté les prisonniers politiques condamnés dont les garanties procédurales et les droits constitutionnels n’ont pas été respectés.

Depuis les manifestations sociales qui ont commencé en avril 2018, les détentions arbitraires ont augmenté et une nouvelle vague s’est produite dans le contexte des élections de 2021, accompagnée de tortures à l’encontre des personnes détenues, a constaté M. Heller. Dans certains cas, des acteurs paraétatiques ont participé à la détention de personnes qui ont été soumises à des mauvais traitements, à l’isolement, au manque de soins médicaux adéquats, à l’absence de défense et à la violation des garanties d’une procédure régulière.

Par ailleurs, l’État a eu recours à la pratique de la disparition forcée en ne déclarant pas, pendant des périodes allant jusqu’à 90 jours, où se trouvaient des personnes arrêtées, en violation de son obligation d’informer leurs familles du lieu de détention et des raisons de celle-ci.

Le Bureau du Procureur pour la défense des droits de l’homme avait été désigné en 2012 comme Mécanisme national de prévention de la torture. Mais, en vertu des Principes de Paris, il a été rétrogradé au statut B, en 2019, en raison de son manque d’indépendance et de sa réticence à se pencher sur des plaintes pour des violations graves des droits humains visant une personne proche des autorités.

Il semble en outre, selon certaines informations parvenues au Comité, que l’État utilise la justice comme instrument de persécution et de répression contre celles et ceux que le régime qualifie d’ennemis. Le Nicaragua ne dispose pas d’un pouvoir judiciaire indépendant en raison du processus de nomination, qui est marqué par le népotisme et l’influence du parti au pouvoir, a relevé M. Heller.

D’autre part, aucune mesure n’a été prise par l’État pour réformer la police nationale après les graves violations des droits de l’homme survenues depuis avril 2018. Au contraire, les autorités policières identifiées comme responsables ont été décorées par le Président Daniel Ortega lui-même pour avoir « héroïquement défendu les intérêts suprêmes de la patrie ».

Par ailleurs, avant les élections de 2021, le Gouvernement a modifié la législation pour discréditer des personnalités reconnues de l’opposition politique et de la société civile, les accusant d’être des « traîtres à la patrie ». Ces lois ont justifié l’arrestation, le procès et la condamnation de sept pré-candidats aux élections.

Outre les violations des droits de l’homme et les mauvais traitements fréquents dans les prisons et les commissariats de police, M. Heller a déploré les conditions de détention précaires et déplorables en termes de surpopulation, de santé, d’hygiène et de nutrition. M. Heller a relevé que, selon des rapports d’organisations non gouvernementales, au moins onze personnes se seraient suicidées dans des commissariats entre avril 2018 et mars 2022.

Le Nicaragua, a regretté M. Heller, a adopté nombre de lois qui marquent une régression de l’état de droit, contreviennent à la séparation des pouvoirs et sont contraires aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. M. Heller a donc plaidé pour la mise en œuvre, par le Nicaragua, de ses obligations au titre de la Convention, et en particulier la codification pénale du crime de torture conformément à la Convention et la définition de sanctions correspondant à la gravité des faits ; la réalisation d’enquêtes indépendantes sur les allégations de torture et de mauvais traitements infligés par les forces de sécurité, et la sanction des responsables ; la révision de décisions judiciaires ayant un objectif politique clair et ayant entraîné des sanctions disproportionnées ; le rétablissement de l’indépendance de l’institution nationale des droits de l’homme en tant que mécanisme national de prévention ; et la reprise du dialogue et de la coopération avec le Haut-Commissariat et d’autres organismes régionaux de défense des droits de l’homme.

M. ERDOGAN ISCAN, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Nicaragua, a d’abord rappelé que les organes conventionnels – ou Comités – des droits de l’homme sont des organes d’experts indépendants, mandatés par les États parties aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme. Ces organes surveillent la mise en œuvre des traités et apportent ce faisant leur appui aux États parties. Chaque État partie a l’obligation de prendre des mesures pour que toute personne dans l’État puisse jouir des droits énoncés dans le traité.

Le dialogue entre les États parties et le Comité contre la torture poursuit un but précis, a ajouté M. Iscan : aider les États parties à faire de nouveaux progrès en vue du plein respect de la Convention. Ce dialogue ne porte nullement atteinte à l’indépendance ou à la souveraineté des États parties : au contraire, il renforce le multilatéralisme.

M. Iscan a ensuite constaté que les recommandations qui ont été faites au Gouvernement du Nicaragua depuis 2018 n’ont pas été mises en œuvre.

Sur une note positive, M. Iscan a noté que les efforts du Gouvernement avaient permis d’atteindre certains des objectifs de développement durable, en particulier ceux en faveur de l’égalité des sexes et en ce qui concerne les dépenses consacrées à la santé et à l’éducation. Cependant, a fait remarquer le corapporteur, la réalisation du Programme de développement durable à l’horizon 2030 nécessite la construction de sociétés ouvertes et inclusives qui offrent un accès égal à la justice. Or, aucun progrès tangible à cet égard n’a été observé au Nicaragua et l’incapacité persistante à garantir l’obligation de rendre des comptes pour les violations des droits humains commises depuis avril 2018 reste une source de préoccupation, a-t-il ajouté.

L'expert a par ailleurs appelé le Nicaragua à modifier sa législation afin d’y inclure le principe de non-refoulement dans les lois sur les demandes d’asile, les expulsions et l’extradition.

M. Iscan a ensuite rappelé que, dans sa mise à jour du 16 juin 2022 au Conseil des droits de l’homme, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme avait indiqué que le nombre de Nicaraguayens quittant leur pays augmentait sans cesse. Ainsi, au Costa Rica voisin, le nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile nicaraguayens a doublé au cours des huit derniers mois, avec un total de 150 000 nouveaux demandeurs depuis 2018, soit trois pour cent de la population totale.

L’expert a lui aussi relevé des problèmes liés aux conditions de détention au Nicaragua, notamment la surpopulation carcérale.

M. Iscan a rappelé les obligations des États parties à la Convention en matière de réparations pour les victimes de torture. Il s’est demandé quels étaient les recours, ainsi que les mesures de réparation, destinés aux personnes qui prétendent être victimes d’actes de torture et de mauvais traitements depuis le 18 avril 2018, commis soit par des policiers ou des agents pénitentiaires, soit par des soutiens du gouvernement ou d’autres personnes, avec le consentement des responsables de l’application des lois.

S’agissant des féminicides et des violences contre les femmes, l’expert a déploré que la nouvelle législation prévoit la réintroduction de la médiation comme moyen de régler certains cas de violence familiale. Il a en outre relevé qu’au moins 25 cas de violence sexuelle à l’égard de femmes dans des locaux de police avaient été signalés depuis avril 2018.

M. Iscan a aussi demandé si le Nicaragua entendait modifier le Code pénal afin de garantir un accès légal et sûr à l’interruption volontaire de grossesse lorsque la vie ou la santé de la femme ou de la jeune fille enceinte est en danger et que le fait de mener la grossesse à terme contre son gré pourrait lui causer un préjudice ou une souffrance substantiels, notamment lorsque la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste ou n'est pas viable.

L’expert a également souligné que, selon des sources de la société civile, 38 féminicides avaient été enregistrés au premier semestre 2021, soit une augmentation de 81% par rapport à la même période en 2020.

À l’instar de M. Heller, M. Iscan a fait part de ses préoccupations sur la situation des droits de l’homme au Nicaragua depuis les événements survenus dans le pays en 2018.

Un autre expert membre du Comité a déploré la situation dans laquelle se trouve le Comité aujourd’hui, avec un défaut manifeste de coopération d’un État partie à la Convention. Ce qui est inédit, c’est que ce défaut de coopération se conjugue avec une attaque violente contre le Comité et les experts qui le composent. En plus de nier ses obligations, le Nicaragua met en cause l’intégrité de l’organe chargé de vérifier l’application d’un traité auquel l’État a pourtant adhéré souverainement, a regretté cet expert. Le Comité doit répondre à l’outrance par la fermeté, a conclu cet expert.

M. HELLER a enfin indiqué que le Comité rédigerait des observations provisoires qui seraient envoyées au Nicaragua et dans lesquelles seraient mentionnés l’absence de coopération du pays avec le Comité et le non-respect de ses obligations en tant qu’État partie à la Convention. Les observations finales seront adoptées lors de la prochaine session du Comité.

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