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Examen du rapport du Brésil devant le CERD : les experts relèvent que les Afro-Brésiliens sont, de manière disproportionnée, victimes de la violence policière, des homicides et des crimes de haine

Compte rendu de séance

Les inégalités raciales ont été fondamentales dans la composition de l’État et de la société brésiliens, qui ont été bâtis sur « la conquête des peuples autochtones » et sur « la réduction en esclavage de cinq millions d’Africains ». Les institutions du Brésil ont « tendance à exclure » et il existe dans le pays une « domination racialisée qui est toujours présente ». Le racisme au Brésil est « structurel et multiple ». C’est ce qu’a affirmé une experte du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) en ouverture de l’examen du rapport périodique soumis par le Brésil au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale – examen qui s’est tenu hier après-midi et ce matin à Genève.

Cette même experte a regretté que des programmes réussis tels que la Bolsa Família aient été démantelés et remplacés par des alternatives moins efficaces et a fait observer que la population noire, et surtout les femmes, avait davantage souffert de la pandémie de COVID-19 que les Blancs.

Un autre membre du Comité a par la suite constaté que le rapport soumis par le Brésil faisait état d’un nombre terrifiant d'homicides, ainsi que de morts violentes de cause indéterminée au Brésil, et a relevé que les Afro-Brésiliens étaient touchés par ces homicides de manière disproportionnée. « Il est déchirant et incompréhensible » de lire que l'homicide est la principale cause de décès des garçons et des hommes âgés de 15 à 29 ans, a déclaré l’expert, avant d’ajouter que les femmes noires étaient également très touchées. Il a par ailleurs constaté le nombre disproportionné d'Afro-Brésiliens en prison, et a estimé que l’une des causes en était le traitement discriminatoire des Afro-Brésiliens par la police et le système judiciaire.

La brutalité policière est un très grand problème, a ajouté ce même expert, précisant que selon l'Annuaire brésilien de la sécurité publique de 2022, les principales victimes de la violence policière sont des hommes (99,2%), d'origine africaine (84,1%) et âgés de 12 à 29 ans (74%). Le Comité est préoccupé par le fait que c'est souvent la police militaire qui est impliquée dans les opérations de police, en particulier dans les favelas, et la question se pose de savoir dans quelle mesure la police militaire rend compte de ses actes et si l'État partie envisage de démilitariser la police, a souligné l’expert.

Un expert a fait remarquer que, selon des informations parvenues au Comité, l'accès à la justice pour discrimination raciale et crimes racistes était impossible dans la majorité des cas. Le Comité constate un nombre croissant de crimes de haine contre les Afro-Brésiliens et les peuples autochtones : ces crimes donnent lieu à peu d’enquêtes et de condamnations, a-t-il été souligné.

Un expert s’est par ailleurs inquiété de l’augmentation exponentielle de la déforestation dans les zones protégées et autochtones de l'Amazonie.

Présentant le rapport de son pays, Mme Cristiane Britto, Ministre des femmes, de la famille et des droits de l’homme du Brésil, a expliqué que la base juridique des politiques de promotion de l'égalité raciale au Brésil était le Statut de l'égalité raciale, une loi adoptée par le Congrès national pour garantir l'égalité effective des chances à la population noire, la protection des droits ethniques individuels, collectifs et communs, ainsi que la lutte contre la discrimination et les autres formes d'intolérance ethnique. Le Statut s’accompagne du Système national de promotion de l’égalité raciale (SINAPIR), qui vise à organiser et coordonner l’application des politiques et services fournis par le pouvoir public fédéral pour surmonter les disparités ethniques dans le pays, a-t-elle ajouté.

Le Brésil célèbre par ailleurs le dixième anniversaire de l'adoption de la loi dite des quotas – une importante mesure d'action positive qui a établi une réserve de postes pour les Noirs et les autochtones dans les établissements d'enseignement supérieur, et qui a permis d'augmenter de près de 400% la présence des Noirs dans les universités publiques fédérales, a souligné Mme Britto. Elle a par ailleurs attiré l’attention sur la mise en œuvre de la politique nationale de santé intégrale pour la population noire.

En ce qui concerne les droits de la population autochtone, le Gouvernement fédéral s'appuie sur la Fondation nationale de l'Indien (Funai), a poursuivi la Ministre, avant de rappeler l'obligation, pour les programmes des écoles d'éducation de base, d’enseigner l'étude des cultures autochtones et afro-brésiliennes ; la reconnaissance, en 2022, de l'efficacité des pratiques de santé traditionnelles autochtones ; et l’introduction, toujours en 2022, du Programme national d'accès à l'eau potable dans les terres autochtones. D’autre part, a fait valoir la Ministre, le Brésil a réussi à vacciner 88% de la population autochtone adulte contre la COVID-19.

M. Tovar da Silva Nunes, Représentant permanent du Brésil auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a notamment souligné que le Brésil avait adopté cette année la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d'intolérance, qui fait désormais partie du système juridique brésilien.

Enfin, Mme Maria Yvêlonia Dos Santos Araújo, Secrétaire nationale à l’assistance sociale au Ministère de la citoyenneté, a notamment évoqué le programme de transfert de revenus d'urgence qui, entre 2020 et 2021, pendant la pandémie de COVID-19, a alloué environ 68 milliards de dollars à 70 millions de Brésiliens : grâce à ce programme, l'extrême pauvreté au Brésil est passée de 5,4% à 1,9%, a-t-elle indiqué.

La délégation brésilienne était également composée, entre autres, de plusieurs députés fédéraux ainsi que de très nombreux représentants des Ministères des femmes, de la famille et des droits de l’homme ; de la justice et de la sécurité publique ; des affaires étrangères ; de la santé ; de la citoyenneté ; et de l’éducation. Le Conseil national de la justice était aussi représenté.

Pendant le débat, la délégation a notamment fait état d’une réduction historique de 30% du nombre des crimes violents entre 2016 et 2021 dans le pays.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Brésil et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 2 décembre prochain.

 

Le Comité entamera cet après-midi, à 15 heures, l’examen du rapport de Bahreïn.

 

Examen du rapport

Le Comité est saisi du rapport valant dix-huitième à vingtième rapports périodiques du Brésil (CERD/C/BRA/18-20), couvrant la période 2004 à 2017.

Présentation

MME CRISTIANE BRITTO, Ministre des femmes, de la famille et des droits de l’homme du Brésil, a expliqué que la base juridique des politiques de promotion de l'égalité raciale au Brésil était le Statut de l'égalité raciale, une loi adoptée par le Congrès national pour garantir l'égalité effective des chances à la population noire, la protection des droits ethniques individuels, collectifs et communs, ainsi que la lutte contre la discrimination et les autres formes d'intolérance ethnique. Le Statut s’accompagne du Système national de promotion de l’égalité raciale (SINAPIR), qui vise à organiser et coordonner l’application des politiques et services fournis par le pouvoir public fédéral pour surmonter les disparités ethniques dans le pays. À ce stade, 25 États, sur un total de 27 entités fédérés, font partie de ce Système, a précisé la Ministre.  

Le Brésil célèbre par ailleurs le dixième anniversaire de l'adoption de la loi dite des quotas – une importante mesure d'action positive qui a établi une réserve de postes pour les Noirs et les autochtones dans les établissements d'enseignement supérieur, et qui a permis d'augmenter de près de 400% la présence des Noirs dans les universités publiques fédérales, a souligné Mme Britto. Elle a par ailleurs attiré l’attention sur la mise en œuvre de la politique nationale de santé intégrale pour la population noire, qui favorise la réduction des inégalités ethniques et combat la discrimination raciale dans les institutions et les services du système de santé.

En ce qui concerne les droits de la population autochtone, le Gouvernement fédéral s'appuie sur la Fondation nationale de l'Indien (Funai), qui dispose de représentations dans tout le pays et dont la mission consiste à servir environ un million de personnes appartenant aux peuples autochtones, lesquels occupent près de 14% du territoire national : cette superficie, a fait remarquer la Ministre, équivaut aux territoires espagnol et français réunis. Le Brésil compte 305 ethnies et 274 langues autochtones, a rappelé Mme Britto.

Mme Britto a aussi rappelé l'obligation, pour les programmes des écoles d'éducation de base, d’enseigner l'étude des cultures autochtones et afro-brésiliennes ; la reconnaissance, en 2022, de l'efficacité des pratiques de santé traditionnelles autochtones ; et l’introduction, toujours en 2022, du Programme national d'accès à l'eau potable dans les terres autochtones. D’autre part, a fait valoir la Ministre, le Brésil a réussi à vacciner 88% de la population autochtone adulte contre la COVID-19.

Mme Britto a d’autre part assuré que les politiques brésiliennes de protection contre les traitements discriminatoires ne faisaient aucune distinction entre la population nationale et étrangère. L'approche du Brésil en ce qui concerne la migration et le refuge est marquée par la non-criminalisation : le pays donne la priorité à la protection des droits des migrants et des réfugiés et à leur intégration socioéconomique, sans aucune forme de discrimination, a insisté la Ministre, avant de rappeler que la nouvelle Loi sur les migrations a instauré des visas humanitaires, lesquels sont actuellement accordés aux Ukrainiens et aux personnes apatrides affectées par le conflit en Ukraine, aux Haïtiens et aux personnes apatrides vivant en Haïti, aux personnes affectées par le conflit en Syrie, ainsi qu’aux Afghans, aux apatrides et aux personnes affectées par la situation en Afghanistan. Le Brésil accueille actuellement plus de 345 000 Vénézuéliens – migrants, réfugiés et autres personnes cherchant refuge – dont plus de 51 500 se sont officiellement vu accorder le statut de réfugiés, a ajouté la Ministre.

Mme Britto a aussi fait état de progrès dans l'élaboration d'un vaste cadre juridique pour combattre les inégalités historiques, en particulier celles qui découlent du fléau de l'esclavage. Le cadre juridique national soutient la mise en œuvre d’un très grand nombre de politiques publiques de promotion de l'égalité raciale et de lutte contre toutes les formes de discrimination, a-t-elle ajouté.

M. TOVAR DA SILVA NUNES, Représentant permanent du Brésil auprès des Nations Unies à Genève, a ensuite affirmé que l’engagement de son pays envers l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale se reflétait dans l'engagement du pays, dès le premier instant, dans le processus de suivi de la Déclaration et du Plan d'action de Durban, de même que dans sa participation constructive aux négociations pour la création du Forum permanent pour les personnes d’ascendance africaine, en 2021.

Le Brésil soutiendra à nouveau la résolution intitulée « Appel mondial pour une action concrète en vue de l’élimination totale du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et de l’application intégrale et du suivi de la Déclaration et du Programme d’action de Durban », qui sera examinée ce 17 novembre par la Troisième Commission de l'Assemblée générale, a par ailleurs indiqué le Représentant permanent.

Sur le plan régional, a-t-il poursuivi, le Brésil a adopté cette année la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d'intolérance, qui fait désormais partie du système juridique brésilien avec le statut d'amendement constitutionnel.  

Le Représentant permanent a par ailleurs insisté sur le fait que son pays était l'un des plus souvent visités par les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l'homme : le Groupe d'experts sur les personnes d'ascendance africaine s’est ainsi rendu au Brésil en 2013, et le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones en 2016. M. da Silva Nunes a en outre souligné que son Gouvernement était à jour dans la remise de tous les rapports dus aux organes de traités des Nations Unies.

Enfin, MME MARIA YVÊLONIA DOS SANTOS ARAÚJO, Secrétaire nationale à l’assistance sociale au Ministère de la citoyenneté du Brésil, a présenté les mesures prises par le Gouvernement brésilien pour soutenir, sans discrimination, la partie de la population qui se trouve dans une situation de vulnérabilité sociale, évoquant notamment les transferts de revenus, la protection sociale et l’inclusion productive dans les zones urbaines et rurales. La cartographie des groupes spécifiques qui composent cette population est extraite du Registre unique des programmes sociaux du Gouvernement fédéral, qui est la base de la gestion des programmes sociaux dudit Gouvernement, a-t-elle expliqué. Plus de 63 millions de personnes enregistrées se déclarent noires, a-t-elle précisé.

Face à la pandémie de COVID-19, le Gouvernement a agi rapidement pour protéger toutes les personnes touchées par la perte soudaine de revenus, a poursuivi la Secrétaire nationale. En seulement six jours, il a créé et mis en œuvre un gigantesque programme de transfert de revenus d'urgence qui, entre 2020 et 2021, a alloué environ 68 milliards de dollars à 70 millions de Brésiliens : grâce à ce programme, l'extrême pauvreté au Brésil est passée de 5,4% à 1,9%, a-t-elle déclaré. Sur la base de cette expérience réussie, le Gouvernement a remanié le principal programme de transfert de revenus du pays, en créant le programme Auxílio Brasil, dont bénéficient à l’heure actuelle 21 millions de familles vulnérables, dont 82% dirigées par des femmes.

Questions et observations des membres du Comité

MME GAY MCDOUGALL, rapporteuse du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du Brésil, a déclaré que les inégalités raciales avaient été fondamentales dans la composition de l’État et de la société brésiliens, qui ont été bâtis sur « la conquête des peuples autochtones » et sur « la réduction en esclavage de cinq millions d’Africains ». L’experte a constaté que les institutions du pays « avaient tendance à exclure » et que son « tissu social était raciste ». Il existe une « domination racialisée qui est toujours présente », le racisme au Brésil étant « structurel et multiple », a insisté la rapporteuse.

L’experte a ensuite pointé des lacunes méthodologiques dans la collecte des données relatives au recensement de la population. Elle a demandé si le prochain recensement conserverait toutes les catégories d'auto-identification afin de permettre la ventilation des données, conformément à l'article premier de la Convention, et s’il était envisagé d'ajouter le statut LGBTIQA+ à la liste desdites catégories.

Mme McDougall a ensuite regretté que des programmes réussis tels que la Bolsa Família aient été démantelés et remplacés par des alternatives moins efficaces, et que la pauvreté n’ait pas entièrement disparu au Brésil. Les Afro-Brésiliens sont davantage confrontés au chômage que les Blancs et beaucoup de femmes noires ont perdu leur emploi pendant la pandémie, a par ailleurs fait remarquer l’experte.

D’une manière générale, la population noire, et surtout les femmes, a davantage souffert de la pandémie de COVID-19 que les Blancs. L’experte a demandé quelles mesures l'État partie avait prises pour que les autochtones, les Afro-Brésiliens et les Quilombolas aient accès au vaccin contre la COVID-19 en temps voulu et de manière équitable. Elle a aussi déploré une forte violence à l’encontre des Afro-Brésiliens.

L’experte a ensuite voulu connaître l’effet des mesures prises pour lutter contre la ségrégation raciale dans le domaine du logement et réduire le nombre d'Afro-Brésiliens qui vivent dans des logements inadéquats, notamment dans les favelas, ou qui sont sans abri. D’autres questions de l’experte ont porté sur les inégalités entre les Afro-Brésiliens et les Blancs dans le monde du travail, s’agissant notamment de l’important écart salarial entre ces deux populations, et dans le domaine de l’éducation.

Mme McDougall a demandé à la délégation de donner des statistiques sur les enquêtes, poursuites et voies de recours en cas de discrimination raciale, au regard en particulier des disparités en matière d'éducation entre les élèves autochtones et les élèves blancs. Elle a par ailleurs voulu savoir si la loi concernant l'étude de l'histoire africaine et afro-brésilienne (afin de promouvoir l'appréciation de la culture et de l'identité noires) et la sensibilisation à l'égalité raciale était toujours en vigueur, et si son efficacité avait été mesurée.

Mme McDougall a espéré que, compte tenu des progrès réalisés dans l'accès des Afro-Brésiliens à l'enseignement supérieur grâce à la loi sur les quotas, l'État partie cherchera à renouveler et à renforcer encore ces dispositions.

L’experte a d’autre part prié la délégation de préciser si le gel pour vingt ans des investissements dans les systèmes de santé et d’éducation – gel décrété en 2016 – était toujours en vigueur ; elle a fait remarquer que dans ce contexte, il était difficile d’évaluer les dépenses relatives à ces deux secteurs. La question se pose de savoir combien d’argent est investi, comment les fonds sont dépensés et au profit de qui. Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, les femmes noires continuent de mourir beaucoup plus souvent en couches que les femmes blanches, a relevé l’experte.

La disparité raciale au sein du Ministère de la justice reste inacceptable, a également affirmé Mme McDougall, souhaitant savoir combien d’Afro-Brésiliens et de membres des peuples autochtones avaient été engagés à tous les niveaux des autorités fédérales.

Mme McDougall a par ailleurs demandé si l’État partie serait disposé à ouvrir des discussions avec les représentants des communautés afro-brésiliennes, quilombolas et autochtones sur la possibilité de créer une commission chargée d'élaborer des propositions pour réparer les injustices historiques commises à l'encontre des peuples autochtones et des Afro-descendants. Les politiques de réduction de la pauvreté et d'action positive, même si elles sont bien mises en œuvre, ne constituent pas à elles seules des réparations, a souligné l’experte.

M. MEHRDAD PAYANDEH, membre du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du Brésil, a demandé pour sa part si les lois anti-discrimination au Brésil couvraient toutes les formes de discrimination raciale, englobant la discrimination directe et indirecte, ainsi que les formes intersectionnelles de discrimination, par exemple en ce qui concerne la race et le sexe, l'orientation sexuelle ou la religion. Il a en outre voulu savoir si les tribunaux brésiliens pouvaient invoquer la Convention dans leurs jugements.

M. Payandeh a ensuite fait remarquer que, selon des informations, l'accès à la justice pour discrimination raciale et crimes racistes était impossible dans la majorité des cas : il semble que les juges ne prennent pas au sérieux les manifestations de racisme et manquent de sympathie pour les victimes. L’expert a donc demandé si des mesures avaient été prises pour améliorer l'accessibilité et l'attractivité du système judiciaire pour les victimes de discrimination, et si des campagnes d'information, de sensibilisation et de formation du personnel judiciaire étaient menées. La société civile se plaint du manque d’avocats et de la dissolution du Secrétariat spécial aux politiques de promotion de l'égalité raciale, a fait observer l’expert.

De même, le Comité constate un nombre croissant de crimes de haine contre les Afro-Brésiliens et les peuples autochtones, a poursuivi M. Payandeh. Là encore, le problème principal ne semble pas être la loi, mais plutôt son application, a-t-il souligné : ces crimes donnent en effet lieu à peu d’enquêtes et de condamnations, les juges ne semblant pas enclins à reconnaître la dimension raciste d'un crime, en particulier pour ce qui est des discours de haine raciale. M. Payandeh s’est dit particulièrement préoccupé par les discours de haine raciale tenus par des fonctionnaires.

L’expert a demandé pourquoi les discours de haine en ligne n’étaient sanctionnés que par un retrait obligatoire (en ligne) et non par des poursuites pénales ou des sanctions telles que la suspension du compte (de l’auteur). Pourquoi le taux de retrait des contenus racistes est-il si faible, a-t-il en outre demandé ?

M. Payandeh a par la suite constaté que le rapport soumis par le Brésil faisait état d’un nombre terrifiant d'homicides, ainsi que de morts violentes de cause indéterminée au Brésil, et a relevé que les Afro-Brésiliens étaient touchés par ces homicides de manière disproportionnée. « Il est déchirant et incompréhensible » de lire que l'homicide est la principale cause de décès des garçons et des hommes âgés de 15 à 29 ans, a déclaré l’expert, avant d’ajouter que les femmes noires étaient également très touchées. Il est décevant de trouver peu de choses dans le rapport sur les mesures prises pour résoudre la crise des homicides, a regretté l’expert. M. Payandeh a aussi constaté le nombre disproportionné d'Afro-Brésiliens en prison, et a estimé que l’une des causes en était le traitement discriminatoire des Afro-Brésiliens par la police et le système judiciaire.

La brutalité policière est un très grand problème, a déclaré l’expert. Selon l'Annuaire brésilien de la sécurité publique de 2022, les principales victimes de la violence policière sont des hommes (99,2%), d'origine africaine (84,1%), âgés de 12 à 29 ans (74%). En 2021, la proportion de Blancs victimes de la police a diminué de 30,4%, tandis que le taux d'hommes noirs tués par la police avait augmenté de 5,8%. Le Comité est préoccupé par le fait que c'est souvent la police militaire qui est impliquée dans les opérations de police, en particulier dans les favelas. La question se pose de savoir dans quelle mesure la police militaire rend compte de ses actes et si l'État partie envisage de démilitariser la police, a souligné M. Payandeh.

L’expert a aussi été demandé ce qui était fait pour lutter contre le profilage racial visant les individus confrontés à des formes de discrimination croisées, notamment les Afro-Brésiliens souffrant de handicaps physiques ou psychosociaux et les Afro-Brésiliens LGBTI+. La délégation a été priée de dire où en était l’enquête sur le meurtre de Genivaldo de Jesus Santos, un homme afro-brésilien « neurodivergent », arrêté par la police fédérale des autoroutes en mai 2022 et décédé à la suite des actions de la police.

M. EDUARDO ERNESTO VEGA LUNA, également membre du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du Brésil, a constaté que les institutions de défense et de promotion des droits de l'homme au Brésil – telles que le bureau du Procureur fédéral pour les droits des citoyens, le bureau du Défenseur public fédéral et la Fondation nationale indienne – n’étaient pas conformes aux Principes de Paris s’agissant de leur autonomie et de leur indépendance. Le Comité, a ajouté M. Vega Luna, a été informé d’un affaiblissement général des institutions en question, du fait notamment de la réduction de leurs budgets.

M. Vega Luna a par la suite relevé que plusieurs rapports avaient dénoncé, depuis 2018, l’augmentation exponentielle de la déforestation dans les zones protégées et autochtones de l'Amazonie. Le problème s'est aggravé après l'abandon du Plan d'action pour prévenir et contrôler la déforestation en Amazonie en 2019, et alors même que les « inspections environnementales » de l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (IBAMA) ont considérablement diminué depuis la même date, a souligné M. Vega Luna.

D’autre part, a fait remarquer l’expert, plusieurs procédures spéciales des Nations Unies ont condamné les agressions commises par des mineurs illégaux contre des autochtones qui s'opposent à l'exploitation forestière et minière illégale sur les terres autochtones des Munduruku et des Yanomani. Le Gouvernement brésilien doit prendre des mesures immédiates pour protéger la sécurité de ces populations indigènes et des défenseurs des droits humains et pour empêcher la contamination au mercure par l'exploitation minière illégale, qui cause de réels dommages à la santé, à l'eau et aux sources alimentaires des peuples autochtones, a déclaré M. Vega Luna.

D’autres questions des membres du groupe de travail ont porté sur les mesures prises pour garantir l'accès des Roms à l'éducation, à la santé publique, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux au Brésil, ainsi que sur l’application des lois relatives aux migrations et à la traite des êtres humains.

M. GUN KUT, rapporteur du Comité pour le suivi des observations finales, a expliqué à la délégation que le Comité attendait des États parties qu’ils répondent, au travers d’un rapport intérimaire, à trois questions jugées particulièrement importantes par le Comité dans ses observations finales. Cette procédure, a précisé M. Kut, a été adoptée après la présentation du précédent rapport du Brésil, qui est intervenue en 2004.

D’autres membres du Comité ont posé des questions sur les violences policières. Il a été rapporté au Comité que, chaque année, les forces de sécurité brésiliennes tuent quelque 6000 personnes, dont 80% de Noirs, a-t-il été indiqué. La question se pose de savoir qui ordonne ces actes et quelles sanctions sont prises, a souligné un expert. Une experte a, pour sa part, voulu savoir quelles suites avaient été données à la décision de la Cour suprême demandant la réduction des interventions policières contre les personnes d’ascendance africaine, qui entraînent souvent des exécutions extrajudiciaires sous le prétexte de la lutte contre la drogue.

Plusieurs experts ont regretté le faible nombre de représentants afro-brésiliens au Parlement.

Le Comité est en outre préoccupé par la violence exercée contre les femmes noires qui s’engagent en politique, a ajouté une experte.

D’autres questions ont porté sur la représentation des minorités dans les médias brésiliens, la fracture numérique entre Blancs et Afro-Brésiliens ou encore le sort des peuples autochtones touchés par la déforestation.

Réponses de la délégation

La délégation a d’abord affirmé qu’elle n’entendait pas nier les problèmes rencontrés au Brésil ni les travaux qu’il reste au pays à mener pour les résoudre. Elle a insisté sur le fait que son pays, qui a la taille d’un continent, comptait le plus de personnes noires hors d’Afrique, et qu’il n’avait cessé d’œuvrer pour les intégrer dans la société brésilienne.

Plusieurs décisions importantes ont été prises pour transcrire les dispositions des traités internationaux ratifiés par le Brésil dans le droit interne, s’agissant notamment de la définition de la discrimination raciale, y compris la discrimination indirecte, et des injures raciales, a par ailleurs souligné la délégation.

La délégation a mentionné plusieurs actions positives menées au Brésil, dans le sillage de la Convention, pour ouvrir l’accès à l’enseignement supérieur, promouvoir les candidatures de Noirs à des postes politiques ou encore définir des critères constitutionnels permettant d’identifier les communautés quilombolas.

La délégation s’est dite choquée par la comparaison – établie par un expert du Comité pendant le débat – entre l’apartheid et les mesures de discrimination positive prises par le Brésil pour favoriser, notamment, la participation des femmes et des hommes noirs dans l’enseignement et dans les instances de décision. Toutes ces mesures, y compris les quotas, sont prises pour parvenir au contraire de l’apartheid, a insisté la délégation.

La délégation a fait état d’une progression du nombre de candidats noirs à des postes politiques depuis 2018. Les quotas ont joué leur rôle à cet égard, a-t-elle affirmé.

Le Gouvernement lutte contre les violences envers les femmes engagées en politique, a par ailleurs assuré la délégation. Un expert du Comité ayant évoqué l’assassinat en 2018 de Marielle Franco, conseillère municipale de Rio de Janeiro et militante féministe, la délégation a précisé que de nouvelles stratégies d’enquêtes avaient été appliquées pour en trouver les auteurs et qu’il y aura très bientôt un procès.

Les femmes noires sont confrontées aux problèmes liés à leur genre et à leur couleur, a d’autre part souligné la délégation. Leur situation s’est aggravée pendant la pandémie de COVID-19, a-t-elle indiqué. Elles ont alors bénéficié de plusieurs mesures du Gouvernement, notamment la distribution de paniers alimentaires ainsi que des aides à l’accès au crédit et à la création de petites entreprises, a fait valoir la délégation. Quant au plan national de lutte contre le féminicide, il tient compte des besoins de protection spécifiques des femmes noires, a-t-elle ajouté.

Le Gouvernement agit d’autre part pour améliorer le taux de scolarité des enfants noirs, qui fréquentent l’école deux ans de moins en moyenne que leurs condisciples blancs.

Le Gouvernement lutte contre les discours de haine en appliquant le cadre juridique donné par la Convention interaméricaine contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d’intolérance. Plusieurs projets de loi sont à l’examen concernant, par exemple, les sanctions contre les discours de haine ou encore les « discours acceptables dans le monde numérique », a indiqué la délégation.

Le Pacte national pour l’égalité raciale sera lancé Le 20 novembre, au moment où le Brésil célébrera la Journée de la conscience noire. Tous les tribunaux seront invités à s’associer à ce Pacte, qui a pour objectif de « créer un environnement propice à une vraie politique d’égalité raciale », a indiqué la délégation, l’objectif étant de « démanteler les structures historiques qui vont à l’encontre de l’égalité ».

Le Gouvernement entend aussi lutter contre la discrimination dans le système judiciaire : il prévoit notamment de modifier les structures de ce système et d’introduire des mesures pour changer les mentalités. Les efforts réalisés à ce jour portent sur l’augmentation du nombre des magistrats noirs grâce à des quotas dans les concours de recrutement. Outre ces mesures d’action positive, sont menées des activités de sensibilisation et de formation des magistrats aux questions en lien avec le racisme et la discrimination raciale.

Le Ministère de la justice s’efforce aussi de défendre l’égalité raciale dans les prisons, pour que les détenus soient traités sur un pied d’égalité. Par ailleurs, des directives et règlements ont été publiés concernant le traitement pénal différencié des peuples autochtones ainsi que leur accès au système judiciaire, a ajouté la délégation.

D’autre part, le Conseil national de la justice organise des formations et sensibilisations au problème du racisme dans la justice pénale, sur la base du constat que la politique pénale frappe de manière disproportionnée les jeunes Noirs, membres de peuples autochtones ou LGBTI, qui sont trop souvent considérés a priori comme délinquants par les forces de sécurité, ou alors sanctionnés plus durement que les Blancs pour les mêmes crimes, a expliqué la délégation.

Une commission a été chargée par le Ministère de la justice d’élaborer des protocoles régissant le comportement de la police lors des contrôles d’identité, le but étant d’éviter le profilage racial, a d’autre part indiqué la délégation.

Le Gouvernement applique depuis 2019 une politique nationale de sécurité publique accompagnée de mécanismes de contrôle et d’évaluation. Plusieurs objectifs de la politique concernent la réduction du nombre d’homicides dans le pays ainsi que de la mortalité dans la population noire et jeune. On a enregistré une réduction historique de 30% du nombre des crimes violents entre 2016 et 2021, a assuré la délégation.  

La délégation a ensuite assuré que les autorités fédérales et locales étaient bien déterminées à remédier au fait que les Noirs sont les principales victimes de la violence policière. Les initiatives et bonnes pratiques prises depuis quelques années, notamment le port de caméras par les agents, ont déjà permis de réduire le nombre de violences et de décès pendant les opérations de police. Le Gouvernement impose aussi aux membres des forces de l’ordre de suivre des formations obligatoires portant notamment sur les droits de l’homme et le respect de la diversité ethnique, a souligné la délégation.

Il a été décidé en 2021 de rejuger cinq policiers accusés de violence et précédemment graciés faute de preuve, a par ailleurs indiqué la délégation. Quant à la mort de Genivaldo de Jesus Santos, elle a donné lieu à une enquête en règle par la police fédérale : la responsabilité des trois policiers en cause a été établie et ils sont en détention provisoire depuis de 13 octobre 2022, a fait savoir la délégation.

Le programme Auxílio Brasil – succédant à la Bolsa Família et l’améliorant, a dit la délégation – a été lancé en 2021 et a pour but d’aider les familles à s’autonomiser pour mieux sortir de la pauvreté. Il consiste en des transferts fixes en direction des personnes vivant dans la pauvreté et l’extrême pauvreté. Le programme est doté d’un budget trois fois plus important que le précédent ; l’équivalent de 20 milliards de dollars ont été dépensés à ce jour, a précisé la délégation. Ce programme est à distinguer de l’ aide d’urgence qui a été débloquée d’avril 2020 à octobre 20221, pour atténuer les effets économiques et sociaux de la pandémie, a-t-elle poursuivi. L’efficacité de cette aide d’urgence a été « sans égale », a affirmé la délégation, indiquant que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est tombé de 11,37 millions de personnes en 2019 à 4 millions en 2022, soit « le taux le plus bas de l’histoire du pays ».

« Jamais les femmes et les enfants n’ont été aussi prioritaires au Brésil » que sous la présidence de Jair Bolsonaro, a d’autre part affirmé la délégation, avant d’informer le Comité des mesures prises par son Gouvernement en faveur de la santé maternelle et infantile.

La délégation a aussi évoqué les mesures prises par le Ministère de la santé pendant la pandémie en faveur des populations noires en général, notamment en ce qui concerne le renforcement des services de soins de santé primaires. En outre, toutes les personnes qui l’ont demandé ont reçu le vaccin contre la COVID-19, le taux de mortalité étant quasiment identique entre les Noirs et les Blancs, a indiqué la délégation. Les peuples autochtones ont été vaccinés à titre prioritaire, compte tenu de leur vulnérabilité, a-t-elle précisé.

La délégation a précisé que le budget de la santé avait été augmenté pendant la pandémie. Le taux de mortalité maternelle n’est pas plus élevé chez les femmes noires que chez les femmes blanches, ce taux étant en lien avec le niveau de revenu plutôt qu’avec la race, a par ailleurs indiqué la délégation. Elle a ensuite décrit plusieurs initiatives prises en faveur de la santé des autochtones.

La FUNAI compte 39 bureaux régionaux et protège près d’un million d’ autochtones, a-t-il ensuite été rappelé. Pendant la COVID-19, l’institution a pris des mesures pour garantir leur accès à la santé et a recruté du personnel supplémentaire à cet effet ; elle a aussi distribué 44 000 tonnes d’aliments dans les villages.

La FUNAI exerce par ailleurs un mandat de surveillance des activités illicites, notamment en ce qui concerne le déboisement, sur les terres des communautés autochtones, coordonnant pour ce faire son action avec le Ministère fédéral de l’environnement ainsi que les forces de police. Quelque 3400 actions ont été menées en 2021, 1500 amendes infligées et du matériel de déboisement confisqué, a précisé la délégation.

Remarques de conclusion

MME MCDOUGALL a constaté que le Gouvernement brésilien avait hérité d’une situation d’inégalité flagrante et a souligné que cette situation ne serait pas résolue avec la seule distribution de paniers alimentaires. Le Gouvernement doit consulter la société civile et devenir véritablement représentatif, a-t-elle ajouté, après avoir fait remarquer que la délégation était en grande majorité composée de personnes blanches.

M. DA SILVA NUNES a expliqué que la délégation était composée de représentants des différentes branches de l’État choisis pour leur capacité à apporter des réponses aux questions des experts. Le Représentant permanent a ensuite déploré les blocages au Conseil des droits de l’homme s’agissant de l’application de la Déclaration et du Programme d’action de Durban : « ceux qui veulent vraiment éliminer le racisme, la discrimination et la xénophobie sont appelés à travailler ensemble » au sein du Conseil, a-t-il demandé.

 

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