Fil d'Ariane
Prévention du génocide : les atrocités dans le monde risquent de s'aggraver, avertit l'ONU

Dans son premier entretien depuis sa prise de fonctions en août, Chaloka Beyani est revenu sur les origines de son mandat, créé par le Conseil de sécurité de l'ONU à la suite des génocides rwandais et de Srebrenica, et a établi des parallèles troublants avec les crises actuelles.
« Nous constatons des violations massives du droit international des droits de l'homme, des attaques directes contre des civils et un non-respect flagrant du droit international humanitaire », a déclaré M. Beyani à ONU Info récemment. « Le risque d'atrocités, et le risque qu'elles se produisent effectivement, sont extrêmement élevés ».
Il a cité l'aggravation des violences au Soudan comme l'un des exemples les plus urgents. Le conflit du Darfour, qui a fait l'objet d'une première enquête par une commission de l'ONU dans les années 1990, continue de s'envenimer des décennies plus tard. « Rien n'a changé », a-t-il affirmé. « La chute du gouvernement civil n'a fait qu'exacerber la crise ».
Système d’alerte précoce
Le Bureau pour la prévention du génocide et la responsabilité de protéger fait office de système d’alerte précoce au sein des Nations Unies. Il alerte le Secrétaire général, le Conseil de sécurité et l’ensemble du système des Nations Unies – dans cet ordre – lorsqu’un risque de crimes atroces, y compris de génocide, est détecté.
S’appuyant sur la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et sur les avis juridiques relatifs aux affaires de génocide, le Bureau surveille et analyse 14 facteurs, allant des conflits armés impliquant des groupes ethniques ou religieux aux discours de haine, en passant par l’effondrement de l’Etat de droit.
Lorsque ces risques présentent un caractère violent, M. Beyani émet des avertissements et coordonne les réponses avec les responsables des Nations Unies, tout en maintenant des liens étroits avec des organisations régionales comme l'Union africaine et l'Union européenne, ainsi qu'avec d'autres mécanismes internationaux.
« Dès que notre Bureau donne l'alerte, cela signifie que le seuil critique est sur le point d'être franchi », a-t-il déclaré.
« Notre rôle n'est pas de constater le génocide, mais de le prévenir », a souligné M. Beyani, précisant que son Bureau s'en remet aux tribunaux internationaux pour déterminer si le crime a été commis.
Briser le silence
Le Conseiller spécial a également insisté sur le rôle crucial des tribunaux et de la justice dans la protection des personnes vulnérables.
« Face aux atrocités, il est primordial de faire comprendre aux personnes impliquées dans les conflits qu'elles sont surveillées », a affirmé M. Beyani.
À titre d'exemple, il cite la condamnation par la Cour pénale internationale, en 2012, du chef de guerre congolais Thomas Lubanga pour recrutement d'enfants soldats. Cela a conduit d'autres chefs de guerre à dénoncer publiquement le recrutement d'enfants.
Il a également fait référence aux mesures conservatoires prononcées par la Cour internationale de Justice (CIJ) au titre de l'obligation de prévention du génocide, dans le cadre de l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide à Gaza, dans l'affaire Afrique du Sud contre Israël.
Parmi d'autres affaires, la CIJ examinera l'année prochaine le fond de l'affaire portée par la Gambie contre le Myanmar, également fondée sur l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
« La prévention implique la responsabilité », a expliqué le Conseiller spécial.
Menaces émergentes
Parmi les menaces émergentes que le Bureau de M. Beyani surveille figurent la désinformation et les discours de haine. Son Bureau collabore avec des entreprises technologiques comme Meta et Google pour lutter contre l'incitation à la haine en ligne, et avec des chefs religieux et communautaires pour contrer les discours haineux au niveau local.
La dégradation de l'environnement et les changements climatiques deviennent également des catalyseurs de conflits. Selon lui, le Conseil de sécurité a raison de considérer la dégradation de l'environnement comme un risque pour la sécurité, comme il l'a fait lors d'un débat le 6 novembre : « Nous constatons des tensions liées aux ressources, du Sahel aux petits États insulaires menacés de submersion. Les changements climatiques ne sont pas la cause directe de ces tensions, mais ils amplifient d'autres facteurs de risque ».
Le Conseiller spécial a souligné que les communautés autochtones, souvent prises pour cibles dans les conflits fonciers et liés aux ressources naturelles, comptent parmi les groupes ayant le plus besoin de protection. « Les industries extractives et les actions délibérées à leur encontre les exposent à des risques énormes », a-t-il souligné. « Leur identité et leur mode de vie les rendent particulièrement vulnérables ».
Malgré la gravité de son mandat, M. Beyani privilégie la diplomatie et la prévention à la condamnation publique. « Ce Bureau a été conçu pour agir discrètement, conseiller le Secrétaire général et le Conseil de sécurité, et faire des déclarations publiques lorsque cela s’avère nécessaire », a-t-il expliqué. « Les États le perçoivent, à certains égards, comme une menace ».
Pour l’avenir, le Conseiller spécial a souligné que la prévention exige autant le devoir de mémoire que l’action.
« La commémoration des génocides passés nous rappelle la promesse fondatrice de l’ONU, “plus jamais ça”, et le fondement sur lequel repose la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », a-t-il dit, évoquant la Journée internationale de commémoration et de respect de la dignité des victimes du crime de génocide et de la prévention de ce crime, le 9 décembre. « Mais le souvenir seul ne suffit pas. Nous devons renforcer nos outils, instaurer la confiance et agir sans tarder ».
Qu’est-ce qu’un génocide ?
Selon le droit international, le génocide désigne l’un quelconque des actes suivants, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
- Meurtre de membres du groupe
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
- Soumission délibérée du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
- Imposition de mesures visant à empêcher les naissances au sein du groupe
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe