Fil d'Ariane

Kosovo : un quart de siècle après la guerre, l’ONU alerte sur la persistance des divisions

Devant le Conseil de sécurité, le responsable de la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), Milbert Dongjoon Shin, a dressé le constat préoccupant d’un territoire où la méfiance reste vive et les institutions fragiles.
Le Kosovo actuel est né dans la tourmente. En 1998, un conflit éclate entre la Serbie et l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), une guérilla issue de la majorité albanaise de cette province serbe déterminée à rompre avec Belgrade. Après 78 jours de frappes aériennes de l’OTAN contre la Serbie, au printemps 1999, la guerre prend fin.
Le Conseil de sécurité reconnaît alors une « autonomie substantielle » au territoire et confie son administration provisoire à la MINUK, chargée de rétablir la sécurité et de reconstruire des institutions démocratiques locales.
En 2008, le Kosovo proclame unilatéralement son indépendance. Celle-ci est immédiatement reconnue par les États-Unis et de nombreuses nations européennes, mais contestée par la Serbie, la Russie et la Chine.
La MINUK, qui n’exerce plus de fonctions administratives directes, agit désormais comme une mission politique chargée de faciliter le dialogue entre Belgrade et Pristina, la capitale kosovare. Elle veille également à la réconciliation entre la majorité albanaise et la minorité serbe du Kosovo, épaulée en cela par la Force pour le Kosovo (KFOR), un contingent multinational déployé par l’OTAN pour garantir la sécurité dans le territoire.
Des institutions politiques paralysées
Le Kosovo est aujourd’hui frappé de paralysie politique. Depuis les élections législatives de février, il n’a toujours pas formé de gouvernement. Le parlement, fragmenté entre plusieurs partis albanais rivaux et un bloc serbe étroitement lié à Belgrade, reste dans l’incapacité d’élire son bureau au complet – première étape nécessaire à la désignation d’un nouveau premier ministre.
Au cœur du blocage : la contestation de l’élection d’un vice-président du parlement censé représenter la minorité serbe. Le poste a été attribué à un député serbe non affilié au parti de la Srpska Lista, principale formation politique des Serbes du Kosovo. Cette dernière, estimant que le choix a été imposé par la majorité albanaise, a saisi la cour constitutionnelle, paralysant la procédure.
Le différend, a souligné mardi Milbert Dongjoon Shin, « dépasse la simple question d’un siège parlementaire » : il traduit un déficit de confiance entre communautés et un désaccord sur la manière d’intégrer la minorité serbe dans les institutions de l’État. En attendant la décision de la cour, aucun gouvernement ne peut être investi, et les affaires courantes sont gérées par un exécutif intérimaire sans véritable légitimité politique.
Quant au dialogue entre Belgrade et Pristina, mené sous l’égide de l’Union européenne, il est selon M. Shin lui aussi à l’arrêt. Pour preuve, la création d’une association des municipalités serbes du Kosovo, pourtant prévue depuis 2013, n’a toujours pas vu le jour.
Le Nord, épicentre des tensions communautaires
Au nord du territoire, où vivent la majorité des Serbes du Kosovo, la coexistence reste précaire. Les fermetures d’écoles et de cliniques serbes décidées par les autorités de Pristina, les arrestations de responsables locaux et les nouvelles règles administratives ont accentué un climat de méfiance envers le pouvoir central.
Le 1ᵉʳ novembre, deux lois – sur les étrangers et sur les véhicules – doivent entrer pleinement en vigueur. Elles visent à unifier le cadre administratif du pays en remplaçant les documents et plaques d’immatriculation délivrés par la Serbie par des équivalents kosovars. Mais dans le Nord, où nombre d’habitants utilisent encore des papiers émis par Belgrade, ces mesures sont perçues comme une forme d’exclusion : elles pourraient priver certains résidents de l’accès à la santé, à l’éducation ou à l’emploi.
Selon M. Shin, qui s’exprimait par visioconférence depuis Pristina, leur application sans concertation avec les communautés concernées risque de « restreindre l’accès aux droits essentiels » et de raviver les tensions.
Ces crispations, d’abord entre Serbes et Albanais, touchent aussi les autres minorités du pays – bosniaque, turque, rom, ashkali et gorane – qui dénoncent un sentiment d’exclusion croissant. « Les autorités doivent véritablement engager les communautés concernées avant de prendre des décisions qui affectent leur vie quotidienne », a exhorté le diplomate, originaire des États-Unis.
Une sécurité encore fragile, une justice inachevée
M. Shin a rappelé que le Kosovo venait de marquer le deuxième anniversaire de l'incident survenu à Banjska, en septembre 2023, lorsqu’un groupe armé serbe avait affronté la police kosovare près du monastère de ce village du Nord, faisant plusieurs morts.
Le représentant de l’ONU a exhorté Belgrade et Pristina à coopérer pour identifier et juger les responsables de cette attaque, ainsi que pour faire la lumière sur l’attentat contre le canal d’Ibër-Lepenc, commis l’année précédente.
Il s’est par ailleurs dit « préoccupé par des arrestations liées à l’affichage de symboles culturels ou religieux », rappelant la nécessité de préserver « l’équilibre entre liberté d’expression et prévention de la haine ».
Des fractures sociales qui sapent la démocratie
Le chef de la MINUK s’est également dit préoccupé par les pressions croissantes visant les journalistes et la société civile. Le syndicat des journalistes du Kosovo a fait état d’attaques personnelles, et la télévision publique RTK subit des ingérences politiques. Ces dérives, prévient M. Shin, menacent la fragile démocratie du pays.
Face à ces tensions, la mission onusienne tente de préserver le dialogue à travers des projets locaux. Le Centre Barabar, à Pristina, a accueilli plus de 17 000 participants à des initiatives de rapprochement intercommunautaire. « Nous continuons, malgré les contraintes financières, à promouvoir la confiance et la cohésion sociale », a assuré le responsable onusien.
Plus de vingt-cinq ans après la guerre, la paix au Kosovo reste donc sous tutelle internationale. « En travaillant ensemble, nous pouvons soutenir le dialogue, défendre les droits humains et consolider les fondations d’une paix durable », a-t-il conclu.