Fil d'Ariane
Israël-Palestine : le chef de l'ONU met en garde contre l’irréversible

Dans le nord de l’enclave palestinienne, où l’état de famine a été déclaré au mois d’août en raison des blocages israéliens à l’acheminement de l’aide, l'invasion terrestre lancée la semaine dernière par Israël contraint une nouvelle fois la population à se déplacer.
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, Antonió Guterres a estimé que dénoncer la situation comme « moralement et juridiquement indéfendable » n’était plus suffisant pour décrire l’ampleur de la « souffrance humaine » dans l’enclave. À l’heure où de nombreuses voies s’élèvent pour qualifier les agissements israéliens à Gaza de génocide, les paroles du Secrétaire général était lourdes de sens.
Le conflit actuel a éclaté le 7 octobre 2023, lorsque le Hamas a lancé une attaque d’une violence inédite contre Israël, faisant plus de 1.200 morts et des dizaines d’otages. La riposte israélienne, d’une intensité militaire inégalée depuis le début du conflit israélo-palestinien, a transformé la bande de Gaza en champ de ruines. Près de deux ans et 65.000 morts plus tard, les bombardements israéliens continuent, les infrastructures civiles palestiniennes sont anéanties, et les agences de l’ONU parlent d’une « catastrophe humanitaire totale ».
Dans un rapport publié mardi, une Commission d’enquête internationale indépendante, mandatée par l’ONU, va plus loin. Elle affirme qu’Israël cherche à exercer un contrôle permanent sur Gaza, où le pays a pris le contrôle de 75 % du territoire à l’été 2025. En privant délibérément la population de ressources essentielles à sa survie et en réduisant drastiquement l’espace vital des Palestiniens, la Commission affirme qu’Israël s’est rendu coupable d’actes constitutifs de génocide.
« Israël doit immédiatement mettre fin à la confiscation et à l’utilisation de terres palestiniennes à Gaza […] et restituer toutes les terres confisquées à leurs propriétaires », a déclaré dans un communiqué Navi Pillay, présidente de la Commission.
Au Conseil, Antonió Guterres a appelé à un cessez-le-feu immédiat et permanent, ainsi que la libération sans condition de tous les otages retenus par le Hamas et un accès humanitaire libre de tout obstacle.
Une paix menacée de dislocation
Pour le Secrétaire général, la crise s’étend sur l’intégralité du territoire palestinien. La Cisjordanie, occupée par Israël depuis 1967, connaît depuis plusieurs années une intensification de la colonisation et une multiplication des attaques de colons contre les villages palestiniens.
Le droit international, notamment les Conventions de Genève et les résolutions de l’ONU, interdit l’installation de populations civiles de la puissance occupante dans un territoire conquis. Pourtant, des centaines de milliers de colons israéliens vivent aujourd’hui en Cisjordanie. Le feu vert récemment donné à la création d’une nouvelle colonie, dite E1, à l’est de Jérusalem, est particulièrement stratégique. « Si elle est mise en œuvre, elle scinderait la Cisjordanie occupée, détruisant la contiguïté territoriale d’un État palestinien », a averti le chef de l’ONU.
Dans son rapport, la Commission d’enquête indépendante mandatée par l’ONU, elle, a constaté que les autorités israéliennes encouragent ou tolèrent les actions de colons violents, tout en mettant en œuvre une politique « claire » de transfert forcé des Palestiniens et d’annexion de facto de la Cisjordanie. La ministre des colonies, Orit Strock, et le ministre des finances, Bezalel Smotrich, sont directement cités comme responsables de l’expansion des implantations, tandis que le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, est jugé « responsable en dernier ressort » des crimes commis dans l’ensemble du territoire palestinien occupé.
Face à cette évolution, le Secrétaire général a rappelé que la solution à deux États, l’un israélien et l’autre palestinien, constituait le pilier de la diplomatie onusienne dans la zone depuis des décennies. Or, a-t-il déploré, cette solution s’effrite à vue d’œil. « L’expansion incessante de la colonisation. L’annexion de facto. Les déplacements forcés » sont autant de réalités qui, selon lui, rapprochent « dangereusement d’un point de non-retour ».
Lueur fragile d’une diplomatie renaissante
Dans ce paysage sombre, M. Guterres a salué une éclaircie : la conférence de haut niveau organisée lundi par la France et l’Arabie saoudite. L'événement a offert, dit-il, une dynamique nouvelle, renforcée par la reconnaissance de l’État de Palestine par « un nombre croissant de pays, dont des membres permanents du Conseil de sécurité, la France et le Royaume-Uni ».
Cette initiative franco-saoudienne s’inscrit dans une série de tentatives diplomatiques pour relancer une solution politique au conflit. Depuis le plan de partage de la Palestine voté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1947, l’idée de deux États vivant côte à côte reste la référence, réaffirmée dans les accords d’Oslo de 1993 et l’Initiative de paix arabe de 2002.
Mais jamais le processus n’a semblé aussi fragile : Israël semble désormais refuser d’évoquer la création d’un État palestinien, tandis que l’Autorité palestinienne, qui bénéficie de pouvoirs limités en Cisjordanie, est minée par une crise budgétaire aiguë et par ses divisions avec le Hamas, lequel a pris le pouvoir à Gaza en 2007.
Mais pour M. Guterres, une chose est certaine. « L’occupation illicite doit cesser », a-t-il lancé, reprenant les conclusions de la Cour internationale de justice, qui, dans un avis consultatif rendu en 2024, a jugé l’occupation israélienne contraire au droit international. À moins d’un an et demi de la fin de son mandat, le Secrétaire général a appelé à soutenir d’urgence l’Autorité palestinienne, menacée d’asphyxie financière et politique, et à rejeter « toute forme de nettoyage ethnique » à Gaza.
« On ne bâtira jamais une paix juste et durable en ajoutant de la violence à la violence », a-t-il conclu.