Fil d'Ariane

Gaza : des dizaines de civils tués en cherchant à se nourrir, sur fond de famine grandissante

La faim ne tue plus seulement à petit feu. À Gaza, elle tue aussi par balles. Samedi 19 et dimanche 20 juillet, plusieurs dizaines de Palestiniens ont perdu la vie en tentant d’accéder à l’aide humanitaire, à différents points de distribution à travers l’enclave.
Selon les autorités de santé locales, il s’agirait d’un des weekends les plus meurtriers pour les demandeurs d’aide depuis le début de la guerre, il y a plus de 21 mois.
Samedi, des soldats israéliens ont ouvert le feu sur une foule désorganisée se dirigeant vers des centres de distribution gérés par des opérateurs non-onusiens soutenus par Israël, dans des zones sous contrôle de l’armée du pays.
Le lendemain, des tirs ont visé des civils affamés tentant de s’approcher d’un convoi onusien du Programme alimentaire mondial (PAM).
Ces incidents sont loins d'être des cas isolés. Selon les Nations Unies, depuis le 27 mai, plus de 800 personnes ont été tuées par l'armée israélienne alors qu'elles tentaient de se procurer de l'aide. Les tirs visant des foules affamées se répètent, au point de transformer l’accès à la nourriture en un acte de survie à haut risque.
L’ONU hausse le ton
Lundi, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est dit « consterné » par l’effondrement accéléré des conditions humanitaires à Gaza, où « les dernières sources de survie de la population sont en train de céder ». Il a fermement condamné « les tirs, les homicides et les blessures infligées à des civils tentant d’accéder à la nourriture », rappelant qu’« Israël a l’obligation de permettre et de faciliter, par tous les moyens à sa disposition, l’acheminement de l’aide humanitaire fournie par les Nations Unies et d’autres organisations humanitaires ».
Le chef de l'organisation a également dénoncé l'intensification des hostilités, alors que le dispositif humanitaire est désormais entravé, affaibli et exposé à des risques extrêmes. Réitérant son appel à un cessez-le-feu immédiat, il a exigé la protection des civils, la libération des otages et la levée de toutes les restrictions pesant sur l’aide.
Un convoi humanitaire pris pour cible
Le convoi du PAM pris pour cible dimanche était composé de 25 camions chargés de vivres. Selon l'agence, les véhicules avaient franchi dans la matinée le point de passage de Zikim avec Israël pour rejoindre le nord de Gaza. Peu après avoir passé le dernier point de contrôle, le convoi a été encerclé par une foule de civils, anxieux et affamés.
« À l’approche du convoi, la foule qui l’entourait a été la cible de tirs de chars israéliens, de snipers et d’autres armes à feu », a rapporté le PAM sur le réseau X, se disant « profondément préoccupé et attristé » par un incident qui a coûté la vie à de nombreuses personnes.
« Ces hommes et ces femmes tentaient simplement d’obtenir de la nourriture pour nourrir leurs familles au bord de la famine », souligne l’agence, qui appelle à un accès humanitaire sécurisé, prévisible et sans entrave.
La faim comme instrument de siège
Ces morts violentes surviennent alors que les agences de l’ONU ne cessent d’alerter sur une situation nutritionnelle hors de contrôle. « Des gens meurent faute d’aide humanitaire », déplore le PAM, qui estime que 90.000 femmes et enfants ont besoin d’un traitement nutritionnel d’urgence et que près d’un habitant sur trois ne mange pas pendant plusieurs jours. Le prix du kilo de farine dépasse désormais 100 dollars sur les marchés locaux.
« L’aide alimentaire est le seul moyen pour la plupart des gens d’avoir accès à de la nourriture », rappelle l’agence onusienne, qui a prépositionné 116.000 tonnes de vivres juste à l’extérieur de Gaza – assez pour nourrir la population pendant deux mois – sans pouvoir les acheminer en toute sécurité.
Pour le PAM, seule une intensification massive des distributions pourrait enrayer cette spirale.
« Messages désespérés de famine »
À cette réalité chiffrée s’ajoutent les témoignages glaçants qui affluent chaque jour vers l’UNRWA. « J’ai cherché quelque chose pour nourrir mes enfants, mais il n’y a rien. Chaque jour, des messages SOS nous parviennent […]. Cela me fait honte et redouble le sentiment d’impuissance », a confié Philippe Lazzarini, le chef de l’agence pour les réfugiés palestiniens. L’UNRWA parle de « messages désespérés de famine » envoyés par des civils comme par son propre personnel, et accuse : « Les autorités israéliennes affament les civils, dont un million d’enfants ».
« Certains restent des jours sans manger. Les familles ne trouvent pas de farine », alerte encore l’agence, qui publie régulièrement des images de femmes, d’hommes et d’enfants tendant les bras vers quelques rations. Elle qualifie la crise de « provoquée par l’homme ».

Deir al-Balah : nouvel ordre de déplacement massif
Comme si l’urgence ne suffisait pas, l’armée israélienne a ordonné dimanche l’évacuation d’une large zone de Deir al-Balah, dans le centre de Gaza. Selon l’OCHA, le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU, entre 50 000 et 80 000 personnes vivaient dans cette zone de 5,6 km², dont 30 000 déplacés installés dans 57 sites d’accueil. Au moins 1 000 familles ont fui les lieux dans les heures qui ont suivi.
« L’ordre de déplacement massif émis par l’armée israélienne a porté un nouveau coup terrible aux lignes de vie déjà fragiles qui maintiennent les gens en vie dans la bande de Gaza », a dénoncé OCHA dans un communiqué. La zone nouvellement désignée abrite notamment plusieurs entrepôts humanitaires, quatre dispensaires, quatre postes médicaux, ainsi qu’une infrastructure hydraulique vitale : usine de dessalement, puits, station de pompage. Leur endommagement aurait des « conséquences potentiellement mortelles ».
D’après l’OCHA, 87,8 % du territoire de Gaza est désormais soumis à des ordres d’évacuation ou intégré à des zones militarisées, ne laissant que 12 % du territoire pour accueillir 2,1 millions de civils, dans un espace morcelé où les services essentiels sont à l’agonie.
Un appel pour agir
Face à cette impasse, le PAM cherche à mobiliser la solidarité internationale. Le 21 juillet, il a lancé un partenariat avec Careem, une application mobile populaire au Moyen-Orient, pour collecter des dons via sa plateforme « Right Click » en Jordanie et aux Émirats arabes unis. Les fonds serviront à financer de la farine, des repas chauds et des compléments nutritionnels pour Gaza et la Cisjordanie.
« Ces contributions concrètes permettront au PAM de sauver des vies dans l’une de nos opérations les plus difficiles à ce jour », a déclaré Stephen Anderson, directeur régional du PAM. L’agence réaffirme son engagement : « Nous sommes prêts. Nous disposons de stocks alimentaires, d’équipes expérimentées, et de systèmes éprouvés pour intervenir à grande échelle. Nous l’avons déjà fait, et nous pouvons le refaire ».
Mais sans accès sécurisé, sans cessez-le-feu, sans volonté politique, cet engagement restera lettre morte.