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À Séville, un nouveau forum pour rééquilibrer la dette des pays du Sud

Rania Al-Mashat (au centre), ministre égyptienne de la planification et du développement économique, aux côtés du ministre zambien des affaires étrangères, Mulambo Haimbe (à droite), lors du lancement du Forum des emprunteurs à Séville.
UN News/Matt Wells
Rania Al-Mashat (au centre), ministre égyptienne de la planification et du développement économique, aux côtés du ministre zambien des affaires étrangères, Mulambo Haimbe (à droite), lors du lancement du Forum des emprunteurs à Séville.
Dans les couloirs du palais de congrès de Séville, une idée neuve a pris corps cette semaine : celle d’un front uni pour les pays surendettés. Lancé à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, le Forum des emprunteurs ambitionne de bousculer l'architecture financière mondiale dominée par les créanciers.

Face au système actuel de remboursement de la dette, jugé obsolète et inique, ce mécanisme permettra aux pays du Sud de parler d'une même voix. « Ce n’est pas qu’un discours, c’est une mise en œuvre », a martelé la ministre égyptienne de la planification et du développement économique, Dr Rania Al-Mashat. « Le Forum des emprunteurs est un véritable plan, porté par les pays eux-mêmes, pour élaborer une stratégie commune face aux défis de l’endettement ».

Né de l’Engagement de Séville, texte phare adopté au premier jour du sommet par les 192 États participants, le forum répond à une urgence : selon les Nations Unies, 3,4 milliards de personnes vivent dans des pays qui consacrent davantage de ressources au service de la dette qu’à la santé ou à l’éducation.

Pour Rebeca Grynspan, cheffe de l'agence onusienne chargée du commerce et du développement (CNUCED), cette initiative répond à un déséquilibre fondamental : « Avoir une voix, ce n’est pas seulement pouvoir parler, c’est pouvoir influer sur les décisions ».

« L'instant Séville »

Fruit des recommandations du groupe d’experts de l’ONU sur la dette, le forum offrira aux pays surendettés la possibilité de partager leur expérience, s’entraider juridiquement et techniquement, et renforcer leur poids dans les négociations. Une manière de s’émanciper d’un système longtemps dominé par les créanciers.

Le ministre des affaires étrangères de la Zambie, Mulambo Haimbe, a salué une initiative fondée sur « des partenariats durables, le respect mutuel et une responsabilité partagée », tout en se portant candidate pour accueillir une première réunion du mécanisme.

Le ministre espagnol des finances, Carlos Cuerpo, n’a pas hésité à parler d’« instant Séville », en écho à la naissance du Club de Paris, un groupe informel de grands créanciers, il y a près de 70 ans, alors que la crise de la dette, « silencieuse mais urgente », gagne du terrain.

Pour subvenir aux besoins de ses enfants, Ayouch (au centre) cultive du blé et des légumes sur les terres de son mari défunt. Elle procède aussi au désherbage et à la récolte dans les fermes voisines. Elle doit faire tout cela, tout en ayant recours à l'…
UNOCHA/Ali Haj Suleiman
Pour subvenir aux besoins de ses enfants, Ayouch (au centre) cultive du blé et des légumes sur les terres de son mari défunt. Elle procède aussi au désherbage et à la récolte dans les fermes voisines. Elle doit faire tout cela, tout en ayant recours à l'endettement pour survivre.

Une réception en demi-teinte

Mais dans les rangs de la société civile, l’enthousiasme reste mesuré quant à la portée de l’Engagement de Séville. « Ce document manquait déjà d’ambition au départ et il a tout de même été édulcoré », a déclaré Jason Braganza, de l’organisation africaine AFRODAD. « Près de la moitié des pays africains sont en crise de la dette. Au lieu d’investir dans la santé, l’éducation ou l’eau potable, ils paient leurs créanciers ».

M. Braganza a salué le leadership du Groupe africain et de l’Alliance des petits États insulaires, qui ont milité – en vain – pour une Convention-cadre de l’ONU sur la dette souveraine. Un modeste progrès, selon lui, réside dans le lancement d’un processus intergouvernemental qui pourrait déboucher sur des réformes futures.

Remise en cause des « échanges dette-climat »

D’autres voix s’élèvent contre les « échanges dette-climat » — ou debt-for-climate swaps — qui consistent à annuler ou réaménager une partie de la dette d’un pays, en échange d’investissements équivalents dans des projets liés à la lutte contre le changement climatique. 

Mais en pratique, leur efficacité suscite de plus en plus de doutes. Complexes à mettre en œuvre, conditionnés à des garanties strictes et souvent limités à des montants symboliques, ils n’offrent pas, selon leurs détracteurs, un véritable répit fiscal. « Ce sont de fausses solutions qui ne créent pas un réel espace budgétaire », a ainsi dénoncé Jason Braganza.

Tove Ryding, du réseau Eurodad, renchérit : « On nous dit qu’il n’y a pas d’argent pour lutter contre la pauvreté ou le changement climatique – mais l’argent existe. Le vrai problème, c’est l’injustice économique. Et le résultat de cette conférence perpétue le statu quo ».

Séville, capitale de l'Andalousie, dans le sud de l'Espagne.
UN News/Matt Wells
Séville, capitale de l'Andalousie, dans le sud de l'Espagne.

Un engagement concret pour la santé mondiale

En marge des débats sur la dette, l’Espagne a annoncé mercredi le lancement de l’initiative mondiale pour la santé. Objectif : injecter 315 millions d’euros entre 2025 et 2027 pour renforcer les systèmes de santé fragilisés, en partenariat avec une dizaine de pays et les grandes organisations internationales du secteur.

Dans une conférence dominée par les appels à réformer un ordre économique mondial lézardé, cette initiative offre un début de réponse tangible à une question lancinante : comment replacer la justice sociale et la solidarité au cœur des priorités internationales ?