Fil d'Ariane

Changement de cap historique : comment le secteur maritime met le cap sur le zéro émission nette

Pendant des années, les émissions des navires ont été un sujet complexe et souvent reporté dans les discussions internationales sur le climat. Mais les choses ont changé en avril 2025, lorsque l'Organisation maritime internationale (OMI), l'organe des Nations Unies chargé de superviser les réglementations en matière de transport maritime mondial, a approuvé un plan historique visant à rendre le secteur net zéro d'ici 2050.
« Cela démontre que le multilatéralisme et les Nations Unies sont toujours pertinents et importants en ces temps particuliers », a déclaré le Secrétaire général de l'OMI, à ONU Info. Arsenio Dominguez a évoqué les négociations tendues et souvent émotionnelles qui ont eu lieu lors de la 83e session du comité de protection de l'environnement marin, qualifiant l'approbation du plan d'engagement de l'OMI et du secteur du transport maritime dans la lutte contre le changement climatique.
Cette évolution montre également que même le plus grand secteur de transport du monde peut s'orienter vers la responsabilité climatique.
Une avancée qui se prépare depuis des années
L'accord, baptisé « Cadre net zéro » de l'OMI, marque l'aboutissement d'années de négociations laborieuses entre les États membres, y compris les petites nations insulaires menacées par la montée des eaux, et les plus grandes nations maritimes du monde.
« Je pourrais passer des heures à vous raconter en détail tous les grands moments passés à travailler en étroite collaboration avec les délégués de tous les États membres de l'OMI pour parvenir à cet accord », remémore M. Dominguez. « Je me souviendrai toujours de cette approche collaborative, de voir tous les États membres se rassembler et se rallier les uns aux autres pour mettre en place cet accord ».

L'avancée de 2025 ne s'est pas faite du jour au lendemain. Les travaux de l'OMI en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre s'étendent sur plus d'une décennie. En 2011, elle a mis en place les premières mesures obligatoires d'efficacité énergétique pour les navires. Puis, en 2018, les pays membres se sont mis d'accord sur la stratégie initiale de l'OMI pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre des navires, marquant ainsi les premiers objectifs internationaux visant à réduire l'impact du secteur sur le climat.
S'appuyant sur ces progrès, l'OMI a renforcé son ambition en 2023 et fixé des objectifs clairs : réduire les émissions d'au moins 20 % d'ici à 2030 et de 70 % d'ici à 2040, et introduire progressivement des carburants à émissions nulles ou quasi nulles. Le Cadre 2025 net zéro transforme ces plans en réglementation contraignante.
« Nous nous concentrons d'abord sur 2030, sur la réalisation de ces objectifs de réduction des émissions d'au moins 20 % et sur l'adoption d'au moins 5 % de carburants alternatifs, car cela ouvrira la voie à la prochaine série d'actions et montrera quels autres mécanismes ou mesures nous devons mettre en place », a déclaré M. Dominguez.

Les rouages du commerce mondial
Plus que l'environnement, ce sont les rouages mêmes du commerce mondial qui sont en jeu. En 2023, le volume des échanges maritimes a dépassé les 12 milliards de tonnes de marchandises, selon les données des Nations Unies.
« Même la chaise sur laquelle vous êtes assis en ce moment a probablement été transportée par bateau », a fait remarquer M. Dominguez. « Les choses se déplacent par bateau parce que c'est la méthode de transport de masse la plus efficace. Mais cela s'accompagne de responsabilités et de quelques inconvénients ».
Si le secteur du transport maritime a été « lent » à réglementer son impact sur le climat, le cadre de 2025 change la donne grâce à deux mesures clés : une norme mondiale sur les carburants visant à réduire l'intensité des gaz à effet de serre et un mécanisme de tarification pour les navires dépassant les seuils d'émission.
Les pollueurs devront soit acheter des « unités correctives », soit compenser leurs émissions excédentaires en contribuant au fonds net zéro de l’OMI. Les navires utilisant des technologies à émissions nulles ou quasi nulles pourront générer des crédits excédentaires, ce qui constitue une incitation à réduire leurs émissions. Un armateur dépassant son plafond d’émissions pourra ainsi soit acheter des crédits à un navire plus performant, soit verser une contribution au fonds, destiné à soutenir la transition vers une navigation plus propre.
Les revenus du fonds seront utilisés pour récompenser les navires à faibles émissions et pour aider les pays en développement à renforcer leurs capacités, à transférer des technologies et à accéder à des carburants alternatifs.
La surveillance par les États membres et l'OMI garantira l'application des nouvelles mesures.
« Nous travaillons avec les États membres, en particulier les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés, pour améliorer la mise en œuvre des instruments de l'OMI », a expliqué M. Dominguez.
Des processus de certification, de vérification, d'audit et d'établissement de rapports permettront de contrôler la conformité. « Tout est rapporté à l'Organisation, et à partir de là, nous prenons des mesures supplémentaires ».
Équilibrer l'action climatique et le commerce
Les mesures visent les grands navires océaniques de plus de 5.000 tonnes brutes, qui sont responsables d'environ 85 % des émissions du secteur.
Quant aux répercussions potentielles sur les chaînes d'approvisionnement et les prix à la consommation, en particulier pour les pays fortement tributaires des importations, le chef de l'OMI a souligné qu'une étude d'impact complète avait été réalisée.
« Il y a un coût à payer lorsqu'il s'agit de décarboniser et de protéger l'environnement. La pollution de l'environnement a également un coût. Toutes ces règles auront donc bien sûr un impact. Nous avons cherché à réduire cet impact autant que possible. S'il y a un impact, les mesures financières et les mécanismes de tarification soutiendront la transition de l'industrie ».
L'innovation jouera un rôle majeur, y compris certaines technologies prometteuses telles que les carburants à base d'ammoniac et d'hydrogène, la propulsion éolienne, la navigation assistée par l'énergie solaire et le piégeage du carbone à bord.
« Nos règles sont là pour encourager l'innovation et non pour la limiter », affirme M. Dominguez, expliquant que l'Organisation procédait à une première analyse. « Nous redécouvrons l'existence du vent dans l'industrie du transport maritime, si je puis dire... Nous devons être ouverts à tout ce qui se passe sur le terrain. Il y a beaucoup de travail sur les carburants alternatifs ».
Cette transition nécessitera également des investissements dans la formation et les mesures de sécurité pour les marins au fur et à mesure de l'adoption de ces carburants alternatifs, a-t-il averti. « Nous devons accorder une importance primordiale aux personnes ».

Un secteur en transition
Le cadre fixe un calendrier strict : les émissions de l'industrie doivent diminuer d'au moins 20 % (avec un objectif de 30 %) d'ici à 2030, d'au moins 70 % (avec un objectif de 80 %) d'ici à 2040, et atteindre le niveau zéro d'ici à 2050 environ. La première année de mise en conformité sera 2028.
« Il s'agit d'une approche progressive, qui vise la décarbonisation pour atteindre l'objectif zéro net d'ici 2050 », signale M. Dominguez. « Mais cela ne signifie pas que nous ne faisons rien entre-temps ».
L'OMI s'est également engagée à procéder à un examen et à un perfectionnement constants.
« Pour nous, il ne s'agit pas seulement de l'étape suivante », a dit M. Dominguez. « Il s'agira d'un processus constant d'analyse, d'examen et d'engagement visant à rassembler l'expérience et l'expertise nécessaires pour ajuster ou fournir tout soutien supplémentaire qui pourrait s'avérer nécessaire ».
Au-delà des émissions
Bien que les gaz à effet de serre fassent la une des journaux, il a expliqué que l'empreinte environnementale du transport maritime va au-delà du CO₂.
« L'Organisation a bien d'autres choses à faire », a-t-il déclaré.
Les mesures de l'OMI portent sur des questions telles que l’encrassement biologique, soit l'accumulation d'organismes aquatiques tels que les algues et les bernacles sur les coques des navires, qui augmente la traînée et consommation de carburant des navires; la pollution sous-marine, qui peut perturber la vie marine ; et la gestion des eaux de ballast, pour empêcher de répandre les espèces invasives à travers le monde.
« Nous prenons toujours en compte le fait que les navires touchent de nombreux éléments de l'environnement et que nous devons les protéger », a-t-il ajouté.

La voie à suivre
Mais l'adoption du cadre lors de la session extraordinaire de l'OMI en octobre aura-t-elle lieu ?
« Bien sûr, je suis confiant car nous venons de démontrer que le multilatéralisme est toujours d'actualité, que l'OMI est prête à respecter ses engagements », affirme M. Dominguez.
La prochaine étape consistera à répondre aux préoccupations et à élaborer des lignes directrices pour la mise en œuvre des nouvelles mesures, y compris le mécanisme de tarification, explique le chef de l’OMI.
« Cela nous aidera à respecter le calendrier très ambitieux que les États membres se sont engagés à respecter, de sorte que dès que ces amendements entreront en vigueur en 2027, nous pourrons commencer à démontrer avec des résultats tangibles ce que l'industrie du transport maritime veut dire lorsqu'elle parle de décarbonisation ».
Pour M. Dominguez et de nombreux observateurs, l'accord représente une rare victoire du multilatéralisme et un nouveau départ pour un secteur essentiel mais longtemps négligé.
« La question n'est pas de savoir si nous avons réussi. Il s'agit d'un processus, d'une transition. Nous prenons aujourd'hui les premières mesures qui nous mèneront à l'objectif principal ».
Longtemps négligé en tant que contributeur majeur aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, le secteur du transport maritime est aujourd'hui à l'avant-garde d'une coopération internationale unique en son genre.