Fil d'Ariane

À l’ONU, le cri des familles face au silence des disparus de la guerre

« Si vous regardez bien ce gamin, c'est un enfant joyeux », lance le père de famille, la voix serrée. « Il aurait regardé un match de NBA, hier ».
Itay, 18 ans, faisait partie d’un équipage de char israélien capturé lors de l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, durant laquelle plus de 250 personnes ont été prises en otage et ramenées de force dans la bande de Gaza. Depuis lors, sa famille vit « un silence long, une forme de torture psychologique lente et persistante ».
En mars dernier, M. Chen a été informé par l'armée israélienne qu'Itay n'avait sans doute pas survécu à l'attaque du 7 octobre, dans laquelle environ 1.200 personnes ont trouvé la mort.
« Mais depuis plus de 19 mois, le Hamas refuse de reconnaître qu'il est en sa possession et de dire quel est son état de santé », se lamente-t-il, en compagnie de sa femme et de son plus jeune fils, âgé de 14 ans.
« Nous ignorons toujours où il se trouve »
L’incertitude des proches de personnes disparues dure parfois toute une vie, à l’instar du cas de Sung-Eui Lee.
« J’attends le retour de mon père depuis 75 ans », déclare cette femme sud-coréenne, qui représente l’Union des familles de victimes d’enlèvements pendant la guerre de Corée.
À l'âge de 18 mois, elle voyait pour la dernière fois son père, le procureur Jong-Ryong Lee, enlevé par les forces nord-coréennes. « Nous ignorons toujours où il se trouve, s’il est vivant ou mort ».
Ruby Chen et Sung-Eui Lee étaient invités, jeudi, à témoigner au Conseil de sécurité dans le cadre d’une réunion consacrée à la mise en œuvre de sa résolution 2474 sur les personnes portées disparues. Adopté à l’unanimité, il y a cinq ans, ce texte oblige toutes les parties belligérantes, étatiques ou non, à rechercher activement les personnes disparues, informer leurs familles et garantir un accès humanitaire, notamment via le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Toutefois, la portée de cette résolution reste largement théorique, comme le souligne M. Chen, qui exhorte les Nations Unies à aller au-delà des déclarations : « La résolution 2474 ne doit pas rester symbolique, elle doit devenir exécutoire ».
56.000 nouveaux cas en 2024
De son côté, le Sous-Secrétaire général de l’ONU pour le Moyen-Orient, l’Asie et le Pacifique, Khaled Khiari, confirme l’ampleur du phénomène. « Pour la seule année 2024, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a enregistré 56.000 nouveaux cas de personnes disparues. [...] Nous en savons suffisamment pour affirmer que la situation est alarmante ».
Outre Gaza, le responsable onusien cite plusieurs théâtres de conflit où la disparition de civils et de combattants demeure sans réponse : l’Ukraine, le Myanmar, la Syrie, Chypre, la péninsule coréenne. « Lorsqu’on ne traite pas la question des personnes disparues, ce ne sont pas seulement des individus, mais des sociétés entières que l’on empêche d’avancer », souligne-t-il, dénonçant les obstacles à une paix durable que crée cette incertitude prolongée pour les survivants.
À Gaza, où les tensions sont toujours vives, « on estime que 58 otages israéliens, dont 35 présumés morts, sont toujours portés disparus », précise M. Khiari. Il dénonce également le fait que des milliers de Palestiniens, y compris des enfants, sont aussi portés disparus. « Beaucoup sont ensevelis sous les décombres, sans que leurs familles puissent obtenir des informations sur leur sort ».
Demande de création d'un poste dédié
Pour améliorer la mise en œuvre de la résolution 2474, Ruby Chen plaide pour la création d’un poste de « représentant spécial ou d’envoyé spécial des Nations Unies pour les affaires d’otages ». Ce mandataire, selon lui, « assurerait un leadership institutionnel, coordonnerait les réponses internationales et garantirait que les engagements pris par ce Conseil se traduisent par des actions concrètes ».
Alors que les conflits s’enlisent et que les disparitions s'accumulent, le gouffre entre le droit international et la réalité du terrain s'agrandit. « Fournir des réponses peut prendre des décennies », rappelle M. Khiari, soulignant que 315 personnes sont encore portées disparues depuis la guerre du Golfe de 1991.
Mais pour les familles, l’attente est insupportable.