Fil d'Ariane

Derrière un calme de façade au Yémen, l’ONU prévient : « Ce n’est pas la paix »

« Ce que le Yémen a aujourd’hui, ce n’est pas la paix », a affirmé sans fard Hans Grundberg, lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la question yéménite.

Certes, l’annonce, le 6 mai, d’une cessation des hostilités entre les États-Unis et les houthistes s’est soldée par une désescalade « nécessaire » dans la région, après une série d’attaques d’Ansar Allah contre des navires en mer Rouge et la reprise, le 15 mars, des raids américains dans des zones yéménites sous le contrôle des rebelles.
Mais les frappes et les menaces se poursuivent. Le 4 mai, une attaque houthiste contre le principal aéroport international israélien, dans la banlieue sud de Tel Aviv, a entraîné une riposte contre le port de Hodeïda et l’aéroport de Sanaa, la capitale yeménite. « Le Yémen est pris dans des tensions régionales plus larges », a déploré M. Grundberg.
Crise économique et sociale
Sur le terrain, la population s’enfonce dans la crise économique et sociale. « La monnaie continue de se déprécier, dépassant les 2.500 rials pour un dollar », a relevé l'émissaire onusien, évoquant des coupures d’électricité récurrentes dans les zones contrôlées par le gouvernement. Des interruptions qui peuvent aller de 15 heures par jour dans la ville portuaire d’Aden, au sud du pays, à des semaines entières de pannes totales dans les gouvernorats voisins de Lahj et d’Abyan.
Parallèlement, dans les territoires sous domination houthiste, la population souffre d’une perte de pouvoir d’achat, les salaires des fonctionnaires ne sont pas payés en totalité depuis des années et les civils sont de moins en moins capables de se procurer les produits les plus élémentaires. « Les voix de la société civile sont réprimées alors que les besoins explosent », a souligné Hans Grundberg.
Les enfants en première ligne

De son côté, Tom Fletcher, le chef des opérations humanitaires à l’ONU, a souligné que les premières victimes de la crise étaient les enfants. « La moitié des enfants du Yémen – soit 2,3 millions – sont mal nourris », a-t-il dit aux membres du Conseil. Parmi eux, 600.000 souffrent de malnutrition aiguë.
Les conséquences sont glaçantes : « La malnutrition attaque le système immunitaire, exposant ces enfants aux infections mortelles comme la pneumonie et la diarrhée ». L’accès à la santé est quant à lui fortement limité. Environ 20 % des enfants n’ont jamais reçu de vaccin, soit l’un des pires taux de vaccination au monde.
Le chef humanitaire a aussi alerté sur les conséquences dramatiques de la baisse des fonds alloués à l’aide. « Le plan de réponse humanitaire pour 2025 n’est financé qu’à hauteur de 9 %, soit moins de la moitié de ce que nous avions à cette date l’an dernier », a-t-il indiqué. En conséquence, près de 400 établissements de santé, dont 64 hôpitaux, sont menacés de fermeture et 350.000 femmes et enfants privés de soins nutritionnels.
« Les coupes budgétaires font mal », a lancé Tom Fletcher. « Des gens meurent ». Pourtant, l’aide parvient encore à certaines familles, comme celle de Noor, une fillette de 16 mois sévèrement mal nourrie dans le gouvernorat de Lahj, soignée à temps grâce à une volontaire communautaire. Mais ces succès restent fragiles. « Un enfant peut sortir de la malnutrition pour y retomber, faute d’eau potable », a-t-il résumé.
Un processus politique au point mort
À cette dégradation humanitaire s’ajoute une crise de confiance entre les parties. « Certains se prépareraient encore à la guerre », a averti Hans Grundberg. Dans ce contexte, la poursuite d’un processus politique pourrait sembler irréaliste. « Je suis ici pour dire que ce n’est pas le cas », a tranché le diplomate, pour qui les parties se sont accordées sur les principaux éléments à négocier : un cessez-le-feu national, des mesures économiques urgentes et un dialogue inclusif. « Le statu quo est intenable », a-t-il insisté.
Les deux hauts responsables ont dénoncé la détention arbitraire de membres du personnel onusien, du corps diplomatique et de la societé civile par Ansar Allah. « Ce n’est pas seulement une violation du droit international. Cela a un effet paralysant », a déclaré Hans Grundberg, appelant les houthistes à libérer « immédiatement et sans condition » les personnes retenues.
Avant de conclure, Tom Fletcher a lancé trois appels au Conseil : « Assurer le respect du droit humanitaire, [...] financer les opérations vitales d’aide [...] et soutenir les efforts pour une paix durable ».
Le message, martelé par le chef de l’humanitaire, ne laisse place à aucune ambiguïté : « Le Yémen a besoin d’aide, mais il a surtout besoin de paix ».