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En Syrie, la lente quête de vérité pour les familles des disparus

Karla Quintana (au centre), Cheffe de l'Institution indépendante sur les personnes disparues en Syrie, visite la place Al Marjeh à Damas, un lieu où les familles de personnes disparues exposent des photos dans l'espoir de retrouver leurs proches.
© IIMP Syria
Karla Quintana (au centre), Cheffe de l'Institution indépendante sur les personnes disparues en Syrie, visite la place Al Marjeh à Damas, un lieu où les familles de personnes disparues exposent des photos dans l'espoir de retrouver leurs proches.
Alors que la Syrie tente de tourner la page du régime de Bachar al-Assad, plus d’une décennie après le début de la guerre civile, le pays s’ouvre lentement à l’exhumation d’un passé que beaucoup avaient été contraints de taire. 

Au nombre de ceux qui réclament la parole : les proches des dizaines de milliers de personnes disparues en Syrie, victimes de la répression étatique d’al-Assad ou des violences armées qui ont suivi l'éclatement, en 2011, de la révolution syrienne.

Pour la première fois depuis sa création, il y a deux ans, l'institution indépendante des Nations Unies chargée de faire la lumière sur le sort des disparus a pu accéder au territoire syrien.

À la tête de cette mission inédite, Karla Quintana décrit une réalité glaçante : « C’est un problème d’une ampleur considérable. […] Tout le monde connaît quelqu'un porté disparu ». Dans un entretien accordé à ONU Info, la juriste mexicaine revient sur ses premières visites à Damas, dans le cadre de rencontres avec les familles des disparus ou sur les lieux mêmes des centres de détention du régime.

Un espoir fragile 

Jusqu’en décembre 2024, Mme Quintana et son équipe étaient contraintes de travailler à distance, principalement auprès de la diaspora syrienne à l'étranger. 

La chute du régime al-Assad, le 8 décembre dernier, a marqué un tournant. « Une nouvelle fenêtre d’espoir et d’opportunités s’ouvre pour les familles, pour la société syrienne et pour nous-mêmes », confie-t-elle. L’institution qu'elle dirige dispose désormais d’un accès au territoire et collabore avec les autorités intérimaires syriennes, la société civile et les familles des victimes. L’objectif : répondre à un traumatisme national, hérité d’un demi-siècle de dictature et de près de quinze années de conflit.

Les témoignages recueillis par les enquêteurs sur place forment un tissu dense de douleurs, souvent enfouies, parfois indicibles. « Nous avons parlé à des personnes qui n’avaient jamais parlé à personne de leurs proches », souligne l’experte des droits humains. Des récits portés majoritairement par des femmes, souvent les premières à entamer la quête de vérité.

Karla Quintana (centre droit), la directrice de l'institution indépendante, rencontre des organisations de la société civile à Damas.
© IIMP Syria
Karla Quintana (centre droit), la directrice de l'institution indépendante, rencontre des organisations de la société civile à Damas.

Les lieux du supplice

Parmi les lieux emblématiques visités récemment par son équipe : Darayya, Tadamon et Sednaya. Des noms devenus synonymes de détention arbitraire, de torture et de disparition forcée. « Ce sont des endroits où tant de personnes ont été torturées, assassinées et, bien sûr, où de nombreuses personnes ont disparu », déplore Karla Quintana. 

Les bâtiments, parfois en ruines, portent les stigmates de décennies de violence étatique. Mais c’est dans les rues, les taxis, les restaurants, que les enquêteurs mesurent la profondeur de la tragédie : partout, des anonymes viennent raconter un frère, une fille, un père disparu.

Mobilisation collective 

Carla Quintana avec le ministre des affaires étrangères du gouvernement syrien de transition, Asaad al-Shaibani.
IIMP Syria
Carla Quintana avec le ministre des affaires étrangères du gouvernement syrien de transition, Asaad al-Shaibani.

Face à une tâche qu’elle qualifie de « titanesque », la cheffe de l’institution indépendante plaide pour une mobilisation large. « Lors de la recherche des disparus, l'information est essentielle. Nous devons disposer de ces informations, les traiter, les partager et les relier entre elles pour pouvoir lancer les recherches », explique-t-elle. 

Le soutien de la communauté internationale est également requis, au-delà du financement, en technologie, en expertise scientifique et en volonté politique. 

Mais la responsable insiste : cette mission doit être portée par les Syriens eux-mêmes. « Il incombe non seulement aux autorités, mais aussi à la société civile et aux familles syriennes de rechercher leurs proches ».

Rétablir la vérité, sans distinction

La démarche de l'institution indépendante de l’ONU se veut inclusive et non partisane. « Nous recherchons toutes les personnes disparues, quelles que soient leur nationalité, leur religion, la raison de leur disparition ou leur enlèvement ». Un principe de neutralité, dans un pays encore fracturé, mais indispensable pour rétablir une confiance élémentaire.

À travers cette initiative, c’est une page encore inachevée de l’histoire syrienne qui commence peut-être à s’écrire. Une page où les noms oubliés des disparus retrouveront leur place, et où les vivants pourront, enfin, faire leur deuil.