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Blocus humanitaire à Gaza : l'ONU dénonce une politique « délibérément » cruelle

Les membres d'une famille à Gaza, devant les décombres de leur maison.
© UNICEF
Les membres d'une famille à Gaza, devant les décombres de leur maison.
Deux mois jour pour jour se sont écoulés depuis la décision israélienne de bloquer l’aide humanitaire à destination de la bande de Gaza. Deux mois d’attente et de souffrances croissantes pour une population déjà exsangue - et de colère contenue dans les rangs des travailleurs humanitaires, désormais renvoyés à leur impuissance.

Ce 1er mai, Tom Fletcher, le chef des affaires humanitaires de l’ONU, a rompu avec la prudence usuelle des communiqués diplomatiques pour dénoncer une situation qu’il qualifie sans détour d’« injustice ». 

« Il y a deux mois, les autorités israéliennes ont délibérément pris la décision de bloquer toute aide à Gaza et de mettre un terme à nos efforts pour sauver les survivants de leur offensive militaire », a-t-il dénoncé.

Selon lui, les autorités israéliennes ont elles-même reconnu ouvertement l’objectif de cette politique : exercer une pression sur le Hamas, toujours en possession de dizaines d’otages pris lors de l’attaque sanglante perpétrée par le groupe contre Israël, le 7 octobre 2023.

« Certes, les otages doivent être libérés, et ce dès maintenant », a souligné M. Fletcher. « Mais le droit international est sans équivoque : en tant que puissance occupante, Israël doit autoriser l'entrée de l'aide humanitaire. L'aide, et les vies civiles qu'elle sauve, ne devraient jamais être un levier de négociation ».

Le blocus à l'examen de La Haye

C’était également le sens de la déclaration prononcée en début de semaine par la conseillère juridique de l’ONU, Elinor Hammarskjöld, à l’ouverture d’une semaine d’audiences de la Cour internationale de justice (CIJ) sur les obligations humanitaires d’Israël dans les territoires palestiniens occupés.

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« Ces obligations impliquent d’autoriser et d’aider toutes les entités compétentes des Nations Unies à mener leurs activités au profit de la population locale », au premier rang desquelles l'agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), a affirmé lundi Mme Hammarskjöld, au siège du tribunal onusien à La Haye.

Une position à laquelle n'adhère pas la Maison Blanche. Mercredi, Josh Simmons, de l’équipe juridique du département d’État américain, a défendu l’entrée en vigueur, fin janvier, de deux lois israéliennes rendant illicite tout contact de l’UNRWA avec les autorités du pays et interdisant ses opérations à Jérusalem-Est, qu’Israël occupe depuis 1967. 

La guerre des mots

« Il existe des inquiétudes sérieuses quant à l'impartialité de l'UNRWA, notamment des informations selon lesquelles le Hamas a utilisé les installations de l'UNRWA et que le personnel de l'UNRWA a participé à l'attaque terroriste du 7 octobre contre Israël », a affirmé M. Simmons, dans le cadre des audiences de la CIJ.

« Compte tenu de ces préoccupations, il est clair qu'Israël n'a aucune obligation d'autoriser l'UNRWA à fournir une aide humanitaire spécifique », a estimé le haut fonctionnaire américain.

En réponse, le chef de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a qualifié de « propagande » les accusations proférées à l’encontre de son agence.

« La guerre des mots continue », a-t-il déploré mercredi sur les réseaux sociaux. « Des allégations infondées circulent pour affaiblir l'action de l'UNRWA : une bouée de sauvetage pour deux millions de personnes ».

Fermetures d'écoles à Jérusalem-Est

Outre les habitants de Gaza, l'UNRWA est le principal fournisseur de soins de santé et d'éducation pour tous les réfugiés palestiniens du Moyen-Orient, y compris en Cisjordanie, soit six millions de personnes au total.

En raison des lois israéliennes interdisant sa présence, l'agence a été notifiée par les autorités du pays, il y un mois, de la fermeture de six écoles dont elle a la charge à Jérusalem-Est et dans un camp de réfugiés situé à proximité de la ville sainte.

« Il s'agit d'une grave menace pour le droit de ces enfants à l'éducation », a protesté Roland Friedrich, le directeur des opérations de l'UNRWA en Cisjordanie, dans un entretien accordé mercredi à ONU Info.

La fermeture des établissements doit prendre effet le 8 mai prochain. Dans moins d'une semaine, leurs 800 élèves seront donc privés d'éducation, en plein milieu d'année scolaire, une situation que M. Friedrich a jugé « sans précédent ».

Des civils affamés

Pour Philippe Lazzarini, les déclarations « déshumanisantes et polarisantes » du département d’État à l'encontre de l'UNRWA participent d’une campagne de désinformation visant à détourner l'attention du public de la crise humanitaire à Gaza et à « faire taire les voix qui dénoncent l'horreur de cette guerre brutale ».

Depuis le début du conflit, il y a un an et demi, plus de 50.000 Palestiniens ont en effet trouvé la mort dans les bombardements israéliens à Gaza, dont près de 2.000 depuis la rupture du cessez-le-feu, le 18 mars dernier. 

Outre les opérations militaires israéliennes, les habitants de l'enclave manquent désormais de tout, alors qu’aucun ravitaillement n’est entré dans le territoire depuis le 2 mars. 

« Bloquer l’aide affame les civils. Cela les prive de soins médicaux de base. Cela les prive de dignité et d’espoir. Cela leur inflige une punition collective cruelle. Bloquer l’aide tue », a assené Tom Fletcher, dans sa déclaration.

« Levez ce blocus brutal »

Son cri d’alarme intervient alors que plus de 170.000 tonnes de nourriture stockées par l'ONU dans la région sont prêtes à être livrées, dès que les restrictions imposées par les autorités israéliennes seront levées. 

Or, l’ONU juge inacceptables les conditions fixées par le pays pour la reprise des livraisons d’aide. « La dernière modalité proposée par les autorités israéliennes ne répond pas aux critères minimums d'une aide humanitaire fondée sur des principes », a déploré M. Fletcher.

Le haut responsable a lancé un appel clair aux dirigeants israéliens : « Levez ce blocus brutal. Laissez les humanitaires sauver des vies ». 

Mais, en creux, transparaissait aussi un aveu d’impuissance. « Je suis sincèrement désolé que nous ne soyons pas parvenus à mobiliser la communauté internationale pour empêcher cette injustice », a-t-il confié.