Fil d'Ariane

Haïti : plus de 1.600 personnes tuées au 1er trimestre dans des violences liées aux gangs

Entre le 1er janvier et le 31 mars 2025, au moins 1.617 personnes ont été tuées et 580 autres ont été blessées dans des violences impliquant des gangs, des groupes d’autodéfense ou des membres de la population, ainsi que lors d’opérations menées par les forces de sécurité, précise ce rapport publié par le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).
Parallèlement, sur cette même période, au moins 161 enlèvements contre rançon ont été recensés, dont 63% dans le département de l’Artibonite.
Attaques d’envergure
Le premier trimestre a été marqué par l’intensification des activités des groupes criminels pour étendre leur influence territoriale dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince et ses environs. Les communes de Delmas et de Kenscoff ont été particulièrement ciblées, dans le but de déstabiliser Pétion-Ville.
Par ailleurs, ces mêmes gangs ont mené des attaques d’envergure contre les communes de Mirebalais et de Saut d’Eau, dans le département du Centre, pour prendre le contrôle de routes menant à la République dominicaine, mais aussi permettre l’évasion de plus de 515 détenus de la prison de Mirebalais.
Le rapport note qu’au cours du premier trimestre, les actes des groupes d’autodéfense ainsi que ceux de membres non organisés de la population, perpétrés dans le cadre du mouvement communément appelé « Bwa Kalé », sont restés une source importante d’abus des droits de l’homme, et ont causé la mort d’au moins 189 personnes accusées d’appartenir aux gangs ou d’avoir commis des délits de droit commun.
Le BINUH exprime des préoccupations sur le nombre élevé de personnes tuées lors des opérations de forces de sécurité. Dans ces opérations, au moins 802 personnes ont été tuées, dont environ 20% étaient des membres de la population touchés par des balles perdues alors qu’ils se trouvaient dans les rues ou dans leurs habitations. À cela s’ajoutent 65 cas d’exécutions sommaires qui auraient été commis par des éléments de la police et le commissaire du gouvernement de Miragoâne.

Violences sexuelles
Le rapport met également en lumière les graves conséquences des activités des gangs sur les femmes et les enfants.
Au cours de ce trimestre, plus de 333 survivantes de violences sexuelles ont été recensées, dont 96 % ont été victimes de viols, souvent collectifs, perpétrés par des membres de gangs.
Par ailleurs, au moins 35 enfants ont perdu la vie et dix autres ont été blessés lors d’attaques menées par des gangs, d’opérations policières ou d’actes de justice populaire. De nombreux autres enfants ont été victimes de traite et ont été contraints de rejoindre les rangs des gangs.
Face à ces abus et ces violations des droits de l’homme, et malgré le dysfonctionnement persistant du système judiciaire, les autorités ont lancé plusieurs initiatives en vue de lutter contre l’impunité, avec l’appui des Nations Unies. Le Conseil présidentiel de transition et le gouvernement ont notamment adopté un décret créant des pôles judiciaires spécialisés pour traiter des crimes de masse, des violences sexuelles et des crimes financiers. Plus de 114 cas de viol ont en outre été examinés par des juges d’instruction à travers le pays.
Augmentation des expulsions

De son côté, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a indiqué mercredi avoir intensifié ses opérations dans les villes de Belladère et Ouanaminthe, à la frontière avec la République dominicaine, face à une forte augmentation des expulsions par voie terrestre. Environ 20.000 Haïtiens vulnérables ont été renvoyés en avril, soit le chiffre mensuel le plus élevé enregistré cette année.
« La situation en Haïti devient de plus en plus critique. Chaque jour, les expulsions et la violence des gangs aggravent une situation déjà fragile », a déclaré Amy Pope, directrice générale de l'OIM. « Le soutien des donateurs et de la communauté internationale a permis de renforcer l'aide humanitaire, mais il en faut bien davantage, car le nombre de personnes vulnérables continue d'augmenter ».
L'augmentation marquée du nombre de personnes très vulnérables – notamment des femmes, des enfants et des nouveau-nés – renvoyées de force est particulièrement alarmante. Aux postes-frontières de Belladère et Ouanaminthe, l'OIM, en collaboration avec l'Office national des migrations (ONM) et d'autres organismes publics, aide en moyenne 15 femmes enceintes et 15 mères allaitantes par jour depuis le 22 avril. Au total, 3.500 personnes expulsées ont reçu de l'aide depuis le 22 avril.
Déplacements de population
Ces expulsions coïncident avec une autre situation d'urgence humanitaire dans le département du Centre. Les violences entre gangs qui ont éclaté fin mars à Mirebalais et Saut d'Eau ont déplacé plus de 51.000 personnes, selon les dernières données de suivi des déplacements de l'OIM. La plupart ont trouvé refuge auprès de familles d'accueil, tandis que plus de 12.500 personnes se sont réfugiées dans 95 sites de déplacement spontanés nouvellement créés, avec un accès limité aux services de base. À Belladère seulement, plus de 4.000 personnes déplacées ont trouvé refuge.
Le contrôle des gangs sur Mirebalais a effectivement isolé Belladère du reste du pays, bloquant l'accès sécurisé du personnel humanitaire, des fournitures médicales et de l'aide. Cet isolement aggrave les conditions déjà difficiles des personnes expulsées et des populations déplacées, qui ne peuvent toujours pas rejoindre leurs villes d'origine. Les produits de première nécessité, notamment la nourriture, l'eau et les fournitures médicales, s'épuisent.
« Il s'agit d'une crise aggravée qui s'étend au-delà de la capitale, avec des expulsions transfrontalières et des déplacements internes convergeant vers des endroits comme Belladère », a déclaré Grégoire Goodstein, chef de mission de l'OIM en Haïti. « Acheminer l'aide devient de plus en plus difficile, car les acteurs humanitaires se retrouvent piégés aux côtés des personnes qu'ils tentent d'aider ».
L'OIM, en coordination avec la Direction générale de la protection civile (DGPC), intervient en fournissant notamment de l’eau potable et de kits d'hygiène adaptés aux besoins des femmes et des enfants. Des premiers secours, une orientation médicale et un soutien psychosocial sont mis à disposition des plus vulnérables. Des abris temporaires ont également été mis en place, notamment des hébergements hôteliers pour les mères allaitantes. Par ailleurs, l'OIM travaille en étroite collaboration avec l'ONM et le ministère de la Santé publique afin de garantir que les nouveau-nés et les mères bénéficient d'un soutien sanitaire et d'une vaccination immédiats.