Fil d'Ariane
Examen de la Tunisie au CERD : la situation des migrants, des Tunisiens noirs et des Amazighs est au cœur du dialogue
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD, selon l’acronyme anglais) a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par la Tunisie au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation tunisienne venue soutenir ce rapport, un expert a mis au crédit de la Tunisie d’avoir été le premier pays du Moyen-Orient à adopter une loi contre la discrimination, en 2018. Le rapport, a ajouté l’expert, reflète une trajectoire de vie institutionnelle et politique riche, marquée d'une part par des avancées démocratiques à la suite de la révolution tunisienne au Printemps arabe, dont le pays a été le lieu d'impulsion et, d’autre part, par des moments d'instabilité politique et de fortes préoccupations relatives au vivre ensemble.
L’expert a ainsi relevé que les Tunisiens noirs étaient toujours confrontés à des désavantages socioéconomiques importants par rapport aux autres citoyens, étant notamment près de deux fois plus susceptibles d'être au chômage. Il s’est en outre interrogé sur la participation des Tunisiens noirs à la vie politique. Le Comité s'inquiète aussi de rapports faisant état d'un racisme latent enraciné dans les héritages historiques de l'esclavage et exacerbé par des propos incendiaires de personnalités politiques et par l'utilisation d'un lexique stigmatisant, a fait savoir l’expert.
Le même expert a par ailleurs relevé que l'Assemblée des représentants du peuple n'incluait aucun représentant amazigh, et qu’il n'y avait aucun représentant amazigh à l'Assemblée constituante en 2014. Il a voulu savoir si l’État reconnaîtrait le statut des peuples autochtones amazighs et protégerait leurs droits collectifs conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que la Tunisie a approuvée en 2007.
Ce même expert s’est par ailleurs alarmé d’expulsions collectives de migrants à partir de la Tunisie: relativement peu fréquentes avant 2023, ces expulsions seraient devenues presque monnaie courante, impliquant les plus grands groupes de personnes expulsées du continent, en violation du principe de non-refoulement, a-t-il déploré.
Un autre membre du Comité a relevé que la Tunisie était confrontée à une « immigration immense, le plus souvent dans des conditions irrégulières », mais a souligné que l'immigration irrégulière « ne peut constituer, à moins de parasitage idéologique, un problème majeur pour le Comité ». Cet expert s’est alarmé d’un discours du Président de la République, du 21 février 2023, qui aurait ouvert les portes à une flambée de violence raciste sans précédent et documentée, avec des agressions physiques dans les rues, des expulsions de logements, des rafles policières et des campagnes de haine massives en ligne.
L’expert s’est en outre inquiété d’expulsions collectives de migrants à partir de la Tunisie: relativement peu fréquentes avant 2023, ces expulsions seraient devenues presque monnaie courante, impliquant les plus grands groupes de personnes expulsées du continent, en violation du principe de non-refoulement, a-t-il relevé. Une experte a pour sa part relayé des allégations de recours à la torture et d'autres peines ou traitements dégradants pendant les interceptions et les expulsions [de migrants].
D’autres préoccupations ont été exprimées au cours du dialogue, s’agissant notamment de la suspension d’organisations de la société civile qui travaillent avec les migrants en Tunisie.
Présentant le rapport de son pays, M. Mohamed Ben Ayed, Secrétaire d'État auprès du Ministre des affaires étrangères, de la migration et des Tunisiens à l'étranger de la Tunisie, a indiqué que la loi fondamentale de 2018 relative à l'élimination de la discrimination raciale prévoyait des sanctions légales pour ce crime, garantissait la réparation des victimes de discrimination et facilitait leur accès à la justice. De nombreuses autres lois importantes ont été promulguées afin de garantir la protection des droits de toute personne victime de discrimination au sens de la Convention, a-t-il ajouté.
M. Ben Ayed a ensuite fait observer que son pays était confronté, depuis plusieurs années, à des flux sans précédent de migrants en situation irrégulière, qui dépassent les capacités de l'État tunisien. Malgré les défis sécuritaires, économiques et sociaux que cette situation entraîne, a-t-il souligné, la Tunisie a mobilisé toutes les ressources disponibles pour traiter les migrants comme des personnes vulnérables, victimes d'un système mondial inéquitable et de réseaux criminels qui font le trafic d'êtres humains, de leurs vies et de leurs organes à des fins lucratives illégales.
La loi tunisienne garantit les droits politiques des citoyens tunisiens sans discrimination, a poursuivi M. Ben Ayed. Elle garantit aussi la liberté de réunion et d'association des citoyens noirs, des minorités et des réfugiés, a-t-il souligné. Les associations, toutes catégories confondues et y compris les associations amazighes, participent aux consultations régionales et nationales organisées par l'État dans les domaines des droits de l'homme et de la lutte contre la discrimination raciale, à l'occasion de la préparation par la Tunisie de ses rapports périodiques nationaux, a-t-il fait valoir.
La délégation tunisienne était également composée, entre autres, de nombreux représentants des Ministères des affaires étrangères, de la migration et des Tunisiens à l'étranger; de la justice; de l’intérieur; de la défense nationale; de l’éducation supérieure; des affaires religieuses; des affaires sociales; des technologies et de la communication; et de la famille, de la femme, de l’enfance et des personnes âgées. La Commission nationale de coordination, d’élaboration et de présentation des rapports et de suivi des recommandations en matière des droits de l’homme, relevant de la Présidence du Gouvernement, était aussi représentée.
Durant le dialogue, la délégation a notamment indiqué que le Gouvernement appliquait, au niveau législatif et sur le terrain, la stratégie consistant à sanctionner toute personne qui viendrait bafouer les droits d’autrui. La Tunisie, fière d’être une nation africaine, compte des citoyens noirs d’origines différentes, qui jouissent des mêmes droits et devoirs que les autres citoyens, a-t-elle en outre souligné. La délégation a aussi fait savoir que le Ministère de la culture et d'autres institutions compétentes assuraient la continuité de l'identité amazighe par le biais, entre autres, d’activités relatives à la musique, à la danse et aux industries artisanales amazighes.
S’agissant des questions relatives à la gestion des migrations, la délégation a notamment indiqué que la Tunisie appliquait différentes mesures contre les migrations irrégulières, lesquelles ont des liens avec le terrorisme, la traite des êtres humains et la criminalité organisée. Le Gouvernement donne des garanties juridiques aux personnes qui se trouvent sur le territoire national, les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés bénéficiant de la même protection juridique que les Tunisiens, a précisé la délégation.
La délégation a par ailleurs souligné que lors des opérations de sauvetage en mer, l’armée répondait aux demandes de secours avec célérité pour préserver les vies humaines, et veillait également à fournir les soins médicaux aux personnes sauvées en mer.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Tunisie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 5 décembre prochain.
Le Comité consacrera la journée du 4 décembre prochain à la célébration du soixantième anniversaire de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, lors de deux séances publiques qui se tiendront le matin et l’après-midi.
Examen du rapport de la Tunisie
Le Comité est saisi du rapport valant vingtième à vingt-deuxième rapports périodiques de la Tunisie (CERD/C/TUN/20-22).
Présentation du rapport
Présentant le rapport de son pays, M. MOHAMED BEN AYED, Secrétaire d'État auprès du Ministre des affaires étrangères, de la migration et des Tunisiens à l'étranger de la Tunisie, a rappelé que son pays avait été pionnier en 2018 en adoptant une loi fondamentale relative à l'élimination de la discrimination raciale, qui prévoit des sanctions légales pour ce crime, garantit la réparation des victimes de discrimination et facilite leur accès à la justice. De nombreuses autres lois importantes ont été promulguées afin de garantir la protection des droits de toute personne victime de discrimination au sens de la Convention, a-t-il ajouté.
M. Ben Ayed a ensuite fait observer que son pays était confronté, depuis plusieurs années, à des flux sans précédent de migrants en situation irrégulière, qui dépassent les capacités de l'État tunisien. Malgré les défis sécuritaires, économiques et sociaux que cette situation entraîne, a-t-il souligné, la Tunisie a mobilisé toutes les ressources disponibles pour traiter les migrants comme des personnes vulnérables, victimes d'un système mondial inéquitable et de réseaux criminels qui font le trafic d'êtres humains, de leurs vies et de leurs organes à des fins lucratives illégales. En 2011, a précisé le Secrétaire d’État, le Gouvernement et le peuple tunisiens ont déjà accueilli environ 1,2 million de personnes en provenance de Libye, ce qui représente un dixième de la population tunisienne. De plus, a-t-il ajouté, depuis des décennies, la Tunisie accueille des migrants originaires d'Afrique subsaharienne. Qu'ils viennent pour étudier, travailler ou se faire soigner, ces migrants jouissent de tous les droits et services qui leur sont reconnus par la loi, a insisté M. Ben Ayed.
Tout en s'engageant à protéger les résidents étrangers de toutes nationalités, a poursuivi le Secrétaire d’État, la Tunisie est déterminée à lutter contre le phénomène de l'immigration irrégulière dans le cadre de la loi tunisienne et des traités internationaux. Dans ce contexte, a-t-il indiqué, le traitement des migrants africains en situation irrégulière s'inscrit dans le cadre du programme de retour volontaire. Le Gouvernement tunisien veille à ce que leur retour dans leur pays d'origine se fasse en toute sécurité, dans le respect de la dignité humaine, et conformément à ses propres obligations internationales en la matière, a-t-il précisé.
Le phénomène de l'immigration clandestine étant complexe, la Tunisie a toujours appelé à une plus grande solidarité internationale pour le combattre, a ajouté M. Ben Ayed, avant de rappeler l'initiative du Président de la République d'organiser un sommet réunissant les pays des deux rives de la Méditerranée et les pays d'Afrique subsaharienne pour rechercher des solutions aux causes profondes du phénomène migratoire et à ses répercussions. Ce sommet s'est tenu à Rome en 2023.
La loi tunisienne garantit les droits politiques des citoyens tunisiens sans discrimination, a poursuivi M. Ben Ayed. Elle garantit aussi la liberté de réunion et d'association des citoyens noirs, des minorités et des réfugiés, a-t-il souligné. Les associations, toutes catégories confondues et y compris les associations amazighes, participent aux consultations régionales et nationales organisées par l'État dans les domaines des droits de l'homme et de la lutte contre la discrimination raciale, à l'occasion de la préparation par la Tunisie de ses rapports périodiques nationaux, a-t-il fait valoir.
L'État tunisien s'efforce également de garantir sans discrimination les droits économiques, sociaux et culturels, tels que le droit à l'éducation, à la santé et au logement, a également souligné le Secrétaire d’État. Il veille à ce que les étudiants étrangers, en particulier ceux originaires d'Afrique subsaharienne, bénéficient de places et de bourses dans les établissements universitaires publics tunisiens, et à ce que les étrangers et les migrants, qu'ils soient en situation régulière ou irrégulière, aient accès aux services de santé dans les établissements publics, a-t-il ajouté.
La Tunisie veille aussi à la protection des droits des travailleurs migrants et à la lutte contre le travail forcé, le travail des enfants et la traite des êtres humains, a indiqué M. Ben Ayed. Il a notamment mis en avant la promulgation de la loi n°16 de 2025 relative à la réglementation des contrats de travail et à la prévention du travail précaire, qui met fin au travail précaire et protège les travailleurs contre l'exploitation économique.
Questions et observations des membres du Comité
M. IBRAHIMA GUISSÉ, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Tunisie, a d’abord mis au crédit de la Tunisie d’avoir été le premier pays du Moyen-Orient à adopter une loi contre la discrimination, en 2018. Le rapport, a ajouté l’expert, reflète une trajectoire de vie institutionnelle et politique riche, marquée d'une part par des avancées démocratiques à la suite de la révolution tunisienne au Printemps arabe, dont le pays aura été à la fois le lieu d'impulsion et d'irradiation, et d’autre part par des moments d'instabilité politique et de fortes préoccupations relatives au vivre ensemble.
M. Guissé en ensuite relevé qu’il n’existait pas de données officielles sur la composition ethnique de la société tunisienne, sur les minorités nationales ou ethniques ou sur la population autochtone, et que la notion de minorité – ethnique, raciale, religieuse ou linguistique – n’était pas définie avec précision dans la législation tunisienne. Il a prié la délégation de donner des informations sur la situation socioéconomique des différents groupes de l'État partie, tels que les Amazighs, les Tunisiens d'ascendance africaine, ainsi que les non-citoyens – soit les apatrides, les migrants, les migrants sans papiers, les réfugiés et les demandeurs d'asile. M. Guissé a aussi voulu savoir si l’État reconnaîtrait le statut des peuples autochtones amazighs et protégerait leurs droits collectifs conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que la Tunisie a approuvée en 2007.
L’expert a pris note de l'abrogation de la circulaire n°85 de 1965 qui interdisait l'enregistrement des noms amazighs au registre [d’État civil]. Cependant, des rapports soumis au Comité indiquent qu'en pratique, certaines régions et municipalités refusent [encore] l'enregistrement des noms amazighs. De plus, a ajouté M. Guissé, l'Assemblée des représentants du peuple n'inclut aucun représentant amazigh, et il n'y avait aucun représentant amazigh à l'Assemblée constituante en 2014.
M. Guissé a en outre relevé que les Tunisiens noirs étaient toujours confrontés à des désavantages socioéconomiques importants par rapport aux autres citoyens. Ils sont plus susceptibles de vivre dans des zones rurales, moins susceptibles de terminer leurs études primaires et près de deux fois plus susceptibles d'être au chômage, a-t-il fait observer. D'après les informations données au Comité, a-t-il insisté, la stigmatisation sociale et la discrimination à l'égard des Tunisiens noirs en Tunisie sont des problèmes importants et persistants. Le Comité s'inquiète des rapports faisant état d'un racisme latent enraciné dans les héritages historiques de l'esclavage et exacerbé par des propos incendiaires de personnalités politiques et par l'utilisation d'un lexique stigmatisant, a fait savoir l’expert.
M. Guissé a aussi demandé ce qu’il en était de la participation des Tunisiens noirs et amazighs à la vie politique.
M. Guissé a rappelé que dans une déclaration publiée en 2023 dans le cadre de sa procédure d'alerte précoce et d'action urgente, le Comité avait exhorté les autorités tunisiennes à condamner publiquement les appels publics à la haine raciale et à s’en distancer.
L’expert a ensuite fait part de la préoccupation du Comité face aux restrictions sévères d'accès des travailleurs migrants à l'emploi formel en raison d'exigences légales. De nombreux migrants sont contraints à un travail informel sans protection sociale, ce qui les expose à des abus et à l'exploitation, a-t-il souligné.
M. Guissé s’est également alarmé d’expulsions collectives de migrants à partir de la Tunisie: relativement peu fréquentes avant 2023, ces expulsions seraient devenues presque monnaie courante, impliquant les plus grands groupes de personnes expulsées du continent, en violation du principe de non-refoulement, a-t-il déploré. Entre juin 2023 et mai 2025, les autorités ont ainsi expulsé au moins 11 500 réfugiés et migrants dans le cadre des expulsions collectives distinctes, a-t-il insisté.
L’expert a demandé des explications sur la portée et l’application du protocole d’accord conclu en juillet 2023 entre la Commission européenne et la Tunisie concernant, entre autres aspects, les migrations.
M. Guissé a aussi fait remarquer qu’il n’existe pas, en Tunisie, de procédure permettant de détecter les victimes de la traite de personnes parmi les migrants subsahariens arrêtés.
MME PELA BOKER-WILSON, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la Tunisie, a demandé s’il était vrai qu’en Tunisie, les Bahaïs doivent pratiquer leur foi dans la clandestinité.
Mme Boker-Wilson a ensuite demandé quelle était la portée de la loi fondamentale relative à l'élimination de la discrimination raciale de 2018 et ce qu’il en était des mesures prises par le Gouvernement depuis cette date pour intégrer dans le droit tunisien les formes de discrimination raciale indirecte ou de facto, comme le prévoit l'article 4 de la Convention.
L’experte a aussi demandé si la Commission tunisienne des droits de l’homme (institution nationale de droits de l’homme) avait été effectivement créée.
Mme Boker-Wilson a par ailleurs constaté qu’en 2024, les autorités tunisiennes avaient lancé « une répression sans précédent » à l’encontre des organisations et des individus qui aidaient des migrants et des réfugiés; à ce jour, dix personnes seraient encore de ce fait détenues de manière arbitraire. De plus, en octobre 2024, les autorités financières ont ouvert une enquête sur une douzaine d'ONG remettant en question leurs activités, leurs financements et leurs personnels et, depuis août 2025, les autorités tunisiennes auraient suspendu au moins neuf organisations au motif qu'elles auraient violé le décret-loi relatif aux associations ou qu'elles recevaient un financement de l'étranger.
L’experte a d’autre part demandé des informations sur les plaintes enregistrées par les tribunaux, depuis 2020, en lien avec des actes de discrimination raciale, des discours incitant à la haine raciste et des crimes de haine raciste.
Mme Boker-Wilson a ensuite demandé si des policiers tunisiens avaient déjà fait l’objet de poursuites pour des faits de discrimination raciale. Elle a relayé des allégations de recours, par les gardes-côtes tunisiens, à des mesures violentes et illicites; de violences fondées sur le genre et sexistes; et de torture et d'autres peines ou traitements dégradants, pendant les interceptions et les expulsions [de migrants].
Mme Boker-Wilson a demandé ce qui était pour sensibiliser la population et les fonctionnaires de police et de justice à l’importance de la diversité ethnique et culturelle et de la tolérance. Elle s’est aussi enquise de la place accordée à la lutte contre la discrimination raciale dans les programmes scolaires et dans la formation des enseignants.
Un autre membre du Comité a relevé que la Tunisie était confrontée à une immigration immense, le plus souvent dans des conditions irrégulières. Il a toutefois souligné que l'immigration irrégulière « ne peut constituer, à moins de parasitage idéologique, un problème majeur pour le Comité ».
Dans un discours du 21 février 2023, le Président de la République aurait qualifié les migrants de « hordes de migrants illégaux », les accusant de crimes et faisant référence à la théorie du grand remplacement, s’est inquiété un autre expert. Ce discours, a-t-il ajouté, a constitué un véritable tournant et aurait ouvert les portes à une flambée de violence raciste sans précédent et documentée, avec des agressions physiques dans les rues, des expulsions de logements, des rafles policières et des campagnes de haine massives en ligne.
Une experte a demandé ce qu’il en était de l’enregistrement des organisations amazighes en Tunisie.
Un autre expert a fait état d’allégations indiquant que les personnes qui critiquent le Gouvernement font l’objet de harcèlement et que le décret 53 sur la cybercriminalité (2022) est utilisé pour faire taire les médias. Le même expert s’est en outre interrogé sur la dissolution en 2022 du Haut Conseil judiciaire (ou Conseil supérieur de la magistrature) et le limogeage de 49 juges et procureurs par le Président de la République.
Un expert a constaté que le Forum tunisien des droits économiques et sociaux et l’Association tunisienne des femmes démocrates, deux organisations non gouvernementales qui travaillent avec les migrants, avaient été suspendues. De plus, a-t-il ajouté, on ne connaît pas les raisons de l’emprisonnement depuis plus de deux ans de la Présidente de la seule association qui travaille sur l'antiracisme en Tunisie, à savoir l'association Mnemty.
Il a par ailleurs été demandé si des mesures étaient prises pour protéger les enfants noirs tunisiens, qui sont parfois victimes de harcèlement à l’école.
S’agissant de la question des représailles contre les personnes qui collaborent avec le Comité, il a été observé qu’une dizaine de personnes auraient été intimidées pour avoir participé, avec le Comité, à la préparation du dialogue avec la Tunisie.
Dans des remarques de conclusion, M. Guissé a attiré l’attention de la délégation sur l’Observation générale n°35 (2013) du Comité, relative à la lutte contre les discours de haine raciale, et sur le fait que le Comité préparait actuellement une autre observation générale concernant la xénophobie.
Réponses de la délégation
La délégation a d’abord précisé que les indicateurs statistiques relatifs à la population n’incluaient pas d’information concernant la religion ni les caractéristiques ethniques.
Toutes les naissances sont dûment enregistrées à l’état civil, a d’autre part assuré la délégation. Depuis 2020, a-t-elle en outre souligné, les parents peuvent choisir le prénom de leur enfant sans restriction en vertu d’une circulaire que les municipalités sont tenues de respecter.
La Tunisie, fière d’être une nation africaine, compte des citoyens noirs d’origines différentes, qui jouissent des mêmes droits et devoirs que les autres citoyens, a poursuivi la délégation. La Tunisie ne fait aucune distinction entre les Afro-Tunisiens et les migrants noirs, a-t-elle ajouté. Le Gouvernement œuvre pour appliquer, au niveau législatif et sur le terrain, la stratégie consistant à sanctionner toute personne qui viendrait bafouer les droits d’autrui, a souligné la délégation. Le Gouvernement applique des politiques sociales et économiques et un discours anti-discrimination qui visent à atteindre, dans la mesure du possible, le plus d'égalité possible et à ancrer cette égalité dans l'état d'esprit des Tunisiens. On ne peut plus parler de discrimination pour motifs de couleur en Tunisie, qu'il s'agisse de Noirs ou de non-Noirs, a affirmé la délégation.
Le pays a ouvert ses portes non seulement aux musulmans mais aussi aux personnes de toutes les religions, a d’autre part fait valoir la délégation. Les Bahaïs, qui sont des membres actifs de la société, peuvent pratiquer leur religion à la seule condition d’appartenir à la Société bahaïe tunisienne, a-t-elle précisé.
La Tunisie accorde une grande importance aux principes d’égalité et de non-discrimination, qui sont consacrés par la Constitution, a insisté la délégation. Le système éducatif respecte ces principes constitutionnels et met en avant une culture des droits de l'homme, ainsi que les principes de citoyenneté, de tolérance et de respect de la diversité au sein des institutions éducatives. L'État garantit une éducation publique gratuite et fournit les ressources nécessaires pour assurer une éducation de qualité. Il inculque aux élèves et étudiants leur identité islamique arabe, le principe d'appartenance nationale ainsi que l'utilisation de la langue arabe et l'ouverture aux autres langues, cultures et civilisations.
Les perceptions de l'identité nationale en Tunisie sont basées sur l'unité entre les citoyens et l'égalité entre eux, sans discrimination raciale, ethnique ou tribale, a poursuivi la délégation. L'État tunisien consacre le principe d'égalité et de non-discrimination dans son dispositif législatif ; il veille à l'équité et au rejet de la discrimination sur quelque fondement que ce soit, a-t-elle insisté.
La protection des minorités ethniques et raciales se fait par la préservation de leur culte et de leurs traditions, a par ailleurs indiqué la délégation. Ce processus ne se résume pas à préserver les expressions culturelles menacées d'extinction, mais se concrétise également par le biais du respect, par l’État, du principe d'égalité et d'une représentation équitable de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions.
L’État tunisien a ratifié la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, a rappelé la délégation. Le Ministère de la culture et d'autres institutions compétentes appuient des événements culturels en vue de mettre en avant la mémoire collective des villages amazighs, a-t-elle indiqué. Ils assurent aussi la continuité de l'identité amazighe par le biais, entre autres, d’activités relatives à la musique, à la danse et aux industries artisanales amazighes, a ajouté la délégation.
S’agissant de la lutte contre la discrimination raciale, la délégation a précisé que le Ministère de la justice respectait ses engagements grâce à plusieurs mécanismes, notamment en assurant aux victimes de tout préjudice, matériel ou moral, un accès à la justice, y compris par le biais d’une aide juridictionnelle dont peuvent aussi bénéficier les étrangers. Le Ministère de la justice a ouvert des services spécialisés chargés d’écouter les victimes et de les orienter dans le système judiciaire, a ajouté la délégation.
De même, les institutions pénitentiaires luttent contre les actes de discrimination pour assurer le respect des principes d'égalité, de diversité culturelle et de lutte contre le racisme.
Les organes compétents oeuvrent à mettre sur pied dans les plus brefs délais la Commission nationale de lutte contre la discrimination raciale, dont le mandat sera notamment la collecte des données relatives à la discrimination raciale et la proposition de solutions.
Le Gouvernement s’emploie en outre à aligner sur la Convention les cadres réglementaires auxquels sont soumis les agents de l'ordre public, avec en particulier l’adoption d’un code de conduite pour les forces de l'ordre et l’organisation d’ateliers de formation continue traitant, entre autres, de la manière d'éradiquer toutes les formes de discrimination raciale.
D’après le dernier recensement, a indiqué la délégation, la Tunisie compte 7812 migrants dont 70% de demandeurs d’asile (Soudanais essentiellement, puis Syriens et Érythréens, entre autres).
S’agissant des questions relatives à la gestion des migrations, la délégation a par la suite indiqué que la Tunisie appliquait différentes mesures contre les migrations irrégulières, lesquelles ont des liens avec le terrorisme, la traite des êtres humains et la criminalité organisée, a-t-elle souligné.
Le Gouvernement donne des garanties juridiques aux personnes qui se trouvent sur le territoire national, sans aucune discrimination, a poursuivi la délégation. Les forces de sécurité reçoivent les plaintes de ces personnes dans des conditions d'égalité et sans discrimination, et garantissent leur accès à la justice et à une protection juridique en vertu des conventions internationales et du droit interne applicables. Les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés bénéficient de la même protection juridique que les Tunisiens, a insisté la délégation.
En ce qui concerne les allégations de recours excessif à la force, la délégation a souligné que les forces de sécurité gèrent les réfugiés, les migrants et les requérants d'asile en vertu de la législation, tout en garantissant le respect des droits humains conformément aux normes internationales. Les forces de sécurité interviennent de manière efficace et rapide en cas de violation des droits de ces personnes, a ajouté la délégation. L'armée, qui supervise les frontières, applique les textes de lois relatifs à la protection de la souveraineté du pays sans discrimination entre les migrants, les réfugiés, les demandeurs d'asile, a-t-elle également souligné. Lors des opérations de sauvetage en mer, l’armée répond aux demandes de secours avec célérité pour préserver les vies humaines; elle veille également à fournir les soins médicaux aux personnes sauvées en mer.
Dans le protocole d’accord conclu en 2023 entre la Commission européenne et la Tunisie, les deux parties réaffirment, entre autres choses, leur volonté de coopérer pour résister aux migrations irrégulières, sauver des vies et traiter les causes profondes de ce phénomène, a d’autre part rappelé la délégation. Un autre aspect concerne la gestion des conséquences des flux considérables de migrations irrégulières de Tunisie vers l'Union européenne, de même que le rapatriement volontaire des migrants irréguliers en Tunisie vers leurs propres pays, a-t-elle indiqué, avant de préciser que cette dernière démarche se fait en coopération avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). En 2023, quelque 17 000 migrants ont été rapatriés dans leur pays d'origine, a fait savoir la délégation, avant d’ajouter que chaque migrant avait eu droit à un pécule, à un soutien psychosocial et à une orientation vers les services pertinents dans son pays.
L’intérêt supérieur des enfants migrants est dûment pris en compte lors de toute décision de retour dans leur pays d’origine, a par la suite ajouté la délégation.
La délégation a en outre réfuté l’existence, en Tunisie, d’une campagne raciste qui viserait à arrêter des migrants originaires d’Afrique subsaharienne. La Tunisie traite les migrants dans le respect de la loi, laquelle interdit d’arrêter une personne sans qu’une infraction ait été commise, a assuré la délégation. Les migrants qui commettent des crimes jouissent des mêmes protections (garanties fondamentales) que les Tunisiens, a-t-elle ajouté.
Les autorités ont pris des mesures pour contrer les actes racistes qui ont été commis en 2023 contre des migrants d’Afrique subsaharienne ; un « numéro vert » a notamment été mis en place pour faciliter la communication rapide au sujet de ces violations et pour les réprimer, a d’autre part indiqué la délégation.
La délégation a d’autre part rappelé que la Tunisie avait ratifié le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), et que le pays avait légiféré au plan interne pour lutter contre toutes les formes d’exploitation de personnes. De plus, le Ministère de la justice a créé une Commission nationale de lutte contre la traite des personnes, qui intègre des représentants des ministères compétents, ainsi que des représentants de la société civile spécialisés dans ce domaine.
L'Inspection du travail effectue des inspections et des visites permettant de détecter les cas d'exploitation de travailleurs dans le secteur informel; en cas de violation, des sanctions sont appliquées, a par ailleurs indiqué la délégation.
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de fondement juridique pour la création d’une nouvelle commission nationale des droits de l’homme, a fait savoir la délégation, rappelant que le pays à une longue tradition de protection des droits remontant à soixante-dix ans.
La délégation a ensuite regretté que des experts aient parlé de répression des activités des associations. En Tunisie, a-t-elle affirmé, les associations prospèrent, et celles qui respectent le droit travaillent en coordination avec les ministères, dans le cadre de divers partenariats, pour atteindre certains objectifs, la plupart des associations bénéficiant d'un financement du budget national. Des associations ont été suspendues conformément au décret-loi de 1988 qui décrit la procédure à suivre en la matière, a ajouté la délégation.
S’agissant de l’éducation aux droits de l’homme, y compris concernant l'élimination de toute forme de discrimination raciale, la délégation a notamment indiqué que le Ministère de la justice dispensait des formations de base et continues aux dispositions de la Convention.
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