Fil d'Ariane

Examen de l’Espagne au Comité des droits de l’homme : sont notamment évoquées la situation dans les centres pour migrants, les infiltrations policières dans les mouvements sociaux, la hausse des discours de haine et la loi d’amnistie de 1977
Le Comité des droits de l’homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport soumis par l’Espagne au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques .
Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation espagnole venue soutenir ce rapport, des experts ont salué des progrès récents concernant la loi d'amnistie de 2024, qui accorde l'amnistie aux personnes impliquées dans des activités indépendantistes en Catalogne, ainsi que des améliorations en matière d'accès à l'éducation dans les communautés gitanes.
Un expert a fait part de la préoccupation du Comité devant l'augmentation des discours de haine en Espagne. Particulièrement inquiétante, a-t-il souligné, est la recrudescence des discours de haine néofascistes chez les adolescents, qui se manifestent en ligne et lors de rassemblements. Ont également été relevées les préoccupations du Défenseur du peuple face à la normalisation des discours discriminatoires dans la vie publique en Espagne.
Le même expert a ensuite mentionné des informations crédibles selon lesquelles les centres de détention pour migrants seraient marqués par des soins médicaux inadéquats, la surpopulation et des actes d'automutilation. Le Comité, a fait savoir cet expert, a reçu des informations inquiétantes faisant état de surpopulation et de mauvais traitements infligés à des enfants non accompagnés en détention, en particulier dans les îles Canaries. De plus, des rapports indiquent que les refoulements et les retours sommaires automatiques se sont poursuivis, en particulier lors des tentatives d'entrée de groupes (de migrants) à Melilla et Ceuta ; sont aussi mentionnés des mauvais traitements infligés aux migrants par les agents des services frontaliers, notamment des coups, un recours excessif à la force physique et même des décès. Il s'agit d'un problème persistant et de longue date, a regretté l’expert.
Un autre expert a fait état d'infiltrations de la police dans des mouvements sociaux, sans autorisation judiciaire. À ce propos, une experte a estimé que les infiltrations policières notées à Barcelone, Valence et Madrid étaient très préoccupantes car elles se font dans le secret le plus complet, en dehors de tout cadre légal, de toutes garanties judiciaires et sont couvertes par la Loi de 1968 sur les secrets officiels.
Concernant l’accès à la justice intégrale pour les victimes des violations graves de droits de l’homme commises pendant la guerre civile et sous la dictature franquiste, la loi d’amnistie de 1977 n’a toujours pas été abrogée et le droit à la vérité des victimes et de leurs familles n’est toujours pas pleinement garanti, a-t-il été déploré.
Présentant le rapport de son pays, M. Marcos Gómez Martínez, Représentant permanent de l’Espagne auprès des Nations Unies à Genève, a notamment fait état de progrès dans la lutte contre la discrimination en Espagne avec, en particulier, la loi 4/2023 pour l'égalité réelle et effective des personnes trans et la protection des droits des personnes LGTBI, et la loi 15/2022 sur l'égalité de traitement et la non-discrimination. Il a également fait état d’un renforcement du cadre pénal contre les crimes de haine, avec l’élargissement des motifs de discrimination reconnus, incluant notamment l'âge, l'exclusion sociale et la discrimination fondée sur l'origine gitane. La Stratégie pour l'égalité, l'inclusion et la participation du peuple gitan (2021-2030) a été renouvelée, a par ailleurs souligné le Représentant permanent, avant de préciser que cette Stratégie porte notamment sur l'éducation, l'emploi, la santé, le logement et les services essentiels, ainsi que la pauvreté et la lutte contre la discrimination et la violence à l'égard des femmes.
L'Espagne reste fermement engagée dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes, a poursuivi M. Gómez Martínez, avant de souligner que la loi organique 10/2022 sur la garantie intégrale de la liberté sexuelle a placé le consentement au centre de l'infraction pénale et a élargi les mesures de prévention, d'assistance et de réparation.
M. Gómez Martínez a par ailleurs souligné que la population carcérale avait diminué ces dernières années en Espagne et que les conditions de détention s’étaient améliorées, notamment pour ce qui est de l'accès aux soins, de la prise en charge des personnes handicapées et de la réduction du recours aux moyens de contention mécaniques.
S’agissant des enfants migrants non accompagnés, le Représentant permanent a indiqué que le décret-loi royal 2/2025 adopté en avril dernier contenait des mesures urgentes pour garantir l'intérêt supérieur des enfants et adolescents dans des situations migratoires exceptionnelles et leur offrir un accueil garantissant pleinement leurs droits sur tout le territoire. Des progrès ont par ailleurs été réalisés dans l'élaboration d'un avant-projet de loi sur la lutte contre la traite des êtres humains, a ajouté M. Gómez Martínez. Il a d’autre part fait état de l’adoption en 2022 d’une loi sur la mémoire démocratique pour consolider le droit à la vérité, à la justice et à la réparation pour les victimes de la guerre civile et de la dictature.
La délégation espagnole était également composée, entre autres, de représentants des Ministères espagnols des affaires étrangères, de l’intérieur, de la justice, de la santé, de l’égalité, de l’enfance, ainsi que de l’inclusion, de la sécurité sociale et des migrations.
Durant le dialogue avec le Comité, la délégation a indiqué que les centres de prise en charge provisoire pour migrants, en 2024, n’étaient occupés qu’à 30% de leur capacité. On compte aujourd’hui 34 000 places pour accueillir les personnes qui demandent une protection en Espagne, quatre nouveaux grands centres ayant été ouverts à cet effet en 2023, a-t-elle précisé. Également en 2023, des mesures pratiques ont été prises pour mieux prendre en charge les migrants mineurs ayant rapidement besoin de protection, et un protocole d’accord est en cours d’élaboration afin d’uniformiser et de coordonner l’action des communautés autonomes dans l’accueil des jeunes migrants.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Espagne et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 17 juillet prochain.
Cet après-midi à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport d’Haïti.
Examen du rapport de l’Espagne
Le Comité est saisi du septième rapport périodique de l’Espagne (CCPR/C/ESP/7), rapport établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.
Présentation
Présentant le rapport de son pays, M. MARCOS GÓMEZ MARTÍNEZ, Représentant permanent de l’Espagne auprès des Nations Unies à Genève , a déclaré que depuis la présentation du rapport précédent en 2015, l'Espagne avait adopté d'importantes mesures législatives, institutionnelles et politiques pour renforcer la protection des droits de l'homme, en particulier pour ce qui est des droits civils et politiques.
Ainsi, a précisé le Représentant permanent, le deuxième Plan national des droits de l'homme (2023-2027), approuvé en juin 2023, élargit-il la protection des droits politiques et civils, tout en intégrant de manière transversale l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la non-discrimination. Le Plan dispose d'une structure dont l'une des fonctions est de donner suite aux avis et recommandations des organes créés en vertu des traités relatifs aux droits de l'homme auxquels l'Espagne est partie. Le Plan reconnaît aussi l'importance du Défenseur du peuple en tant qu'institution indépendante dotée de ressources propres pour effectuer un suivi en matière de droits de l’homme.
Le Représentant permanent a ensuite fait état de progrès dans la lutte contre la discrimination en Espagne avec, en particulier, l’adoption de la loi 4/2023 pour l'égalité réelle et effective des personnes trans et la protection des droits des personnes LGTBI, qui reconnaît les principes d'autodétermination du genre et de dépathologisation des identités trans. Quant à la loi 15/2022 sur l'égalité de traitement et la non-discrimination, elle renforce le cadre de protection institutionnel grâce, entre autres, à la création de l'Autorité indépendante pour l'égalité de traitement et la non-discrimination.
M. Gómez Martínez a aussi fait état d’un renforcement du cadre pénal contre les crimes de haine, avec l’élargissement des motifs de discrimination reconnus, incluant notamment l'âge, l'exclusion sociale et la discrimination fondée sur l'origine gitane. Le ministère public a créé un réseau de procureurs spécialisés dans les crimes de haine et la discrimination, et des unités de police ont été créées pour prévenir et enquêter sur ces crimes, a précisé le Représentant permanent.
La Stratégie pour l'égalité, l'inclusion et la participation du peuple gitan (2021-2030) a été renouvelée, a par ailleurs indiqué le Représentant permanent, avant de préciser que cette Stratégie porte notamment sur l'éducation, l'emploi, la santé, le logement et les services essentiels, ainsi que la pauvreté et la lutte contre la discrimination et la violence à l'égard des femmes.
L'Espagne reste fermement engagée dans la lutte contre la violence à l'égard des femmes, a poursuivi M. Gómez Martínez. À cet égard, la loi organique 10/2022 sur la garantie intégrale de la liberté sexuelle a placé le consentement au centre de l'infraction pénale et a élargi les mesures de prévention, d'assistance et de réparation. Un Office national contre les violences sexuelles (ONVIOS) a été créé en 2023 au sein du Ministère de l’intérieur, a-t-il été ajouté.
M. Gómez Martínez a ensuite souligné que la population carcérale avait diminué ces dernières années en Espagne et que les conditions de détention s’étaient améliorées, notamment pour ce qui est de l'accès aux soins, de la prise en charge des personnes handicapées et de la réduction du recours aux moyens de contention mécaniques. En 2022, le Ministère de l’intérieur a créé le Bureau national des garanties des droits de l'homme, chargé de veiller au respect des normes nationales et internationales contre la torture par les forces et corps de sécurité de l'État, a précisé le Représentant permanent.
S’agissant des enfants migrants non accompagnés, le Représentant permanent a indiqué que le décret-loi royal 2/2025 adopté en avril dernier contenait des mesures urgentes pour garantir l'intérêt supérieur des enfants et adolescents dans des situations migratoires exceptionnelles et leur offrir un accueil garantissant pleinement leurs droits sur tout le territoire. Parallèlement, les systèmes d'accueil dans les territoires de première arrivée ont été financés et leurs professionnels formés à la protection des enfants et adolescents migrants non accompagnés.
Des progrès ont par ailleurs été réalisés dans l'élaboration d'un avant-projet de loi sur la lutte contre la traite des êtres humains, une question qui a été soulevée récemment par plusieurs États à l'occasion de l’examen périodique universel (EPU) de l'Espagne, a ajouté M. Gómez Martínez.
M. Gómez Martínez a fourni d’autres explications concernant la lutte contre la traite des êtres humains et la corruption en Espagne, et a fait état de l’adoption en 2022 d’une loi sur la mémoire démocratique pour consolider le droit à la vérité, à la justice et à la réparation pour les victimes de la guerre civile et de la dictature.
Questions et observations des membres du Comité
Le Comité avait chargé un groupe de travail composé de cinq de ses membres de procéder à l’examen du rapport de l’Espagne : M. Hernán Quezada Cabrera, Mme Hélène Tigroudja, M. Laurence R. Helfer, M. Rodrigo A. Carazo et M. Koji Teraya.
Rapporteur de ce groupe de travail, M. QUEZADA CABRERA a d’abord rappelé que le Comité avait rendu, s’agissant de l’Espagne, plusieurs avis (ou constatations) dans des cas de violation des garanties judiciaires (article 14 du Pacte) ou du droit de participer à la vie publique (article 25). L’expert a demandé s’il existait un mécanisme chargé de rassembler toutes les recommandations formulées par le Comité et les autres organes créés en vertu d'instruments relatifs aux droits de l'homme, et de superviser leur application.
Constatant que la Cour suprême espagnole, en juillet 2018, avait affirmé la valeur contraignante des décisions du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), M. Quezada Cabrera a demandé si cette position pouvait aussi s'appliquer aux décisions du Comité des droits de l’homme.
L’expert a ensuite regretté que la loi générale sur l'égalité de traitement et la non-discrimination comporte des restrictions qui limitent l’accès des migrants sans permis de séjour à la justice. L’expert a en outre cité des préoccupations du Défenseur du peuple face à l'augmentation des crimes de haine et à la normalisation des discours discriminatoires dans la vie publique en Espagne.
M. Quezada Cabrera a aussi regretté que la loi 4/2023 pour l’égalité réelle et effective des personnes trans et pour la protection des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) limite l'autodétermination aux seules options « homme » ou « femme » : concrètement, cela signifie que les identités non binaires ne figurent pas sur les documents d'identité, les certificats de naissance, les registres de la population et autres documents administratifs nationaux, ce qui expose les personnes concernées à des discriminations dans les espaces publics et de loisirs, dans l'éducation, dans le système de santé ou encore dans le monde du travail.
M. Quezada Cabrera a ensuite relevé que le mécanisme espagnol de prévention de la torture avait signalé, lors de ses visites annuelles, des lacunes matérielles dans les prisons les plus anciennes, ainsi qu’un manque de personnel sanitaire et psychiatrique.
L’expert a en outre relevé que, selon certaines informations, un manque de formation adéquate en matière d'usage de la force dans les centres de détention pour mineurs donnerait lieu à des mauvais traitements infligés par des agents de sécurité privés. L’expert a voulu savoir s’il existait des mesures alternatives à la détention des migrants dans les centres de rétention, et si l’Espagne envisageait par ailleurs d’abolir totalement la détention au secret.
Pour sa part, MME TIGROUDJA a demandé si le Plan relatif aux droits de l’homme 2023-2027 tenait compte des changements climatiques, qui ont un lien direct avec les droits défendus par le Pacte. L’experte a par ailleurs voulu savoir si les plaintes pour usage excessif de la force faisaient partie du mandat du Défenseur du peuple et s’il existait un mécanisme indépendant pour enquêter sur les plaintes pour torture contre les forces de sécurité.
Le Comité a reçu des informations inquiétantes sur le défaut de mise en œuvre effective de la Loi organique 1/2023 relative à la santé sexuelle et procréative et à l’IVG, ce qui rendrait l’accès à l’avortement inégal selon les régions et selon les populations concernées, a poursuivi Mme Tigroudja. La question de l’objection de conscience des médecins reste un obstacle majeur pour la mise en œuvre du droit à l’avortement, a-t-elle souligné.
Concernant l’accès à la justice intégrale pour les victimes des violations graves de droits de l’homme commises pendant la guerre civile et sous la dictature franquiste, l’experte a cité des préoccupations relatives au fait que la loi d’amnistie de 1977 n’a toujours pas été abrogée et au fait que le droit à la vérité des victimes et de leurs familles n’est toujours pas pleinement garanti. L’experte a aussi regretté que la Loi de 1968 sur les secrets officiels soit toujours en vigueur et que, à propos des bébés volés pendant la dictature, une proposition de créer une banque de données ADN et d’organiser l’accès aux archives n’ait pas abouti. L’experte a en outre demandé des précisions sur le mandat de la commission de vérité sur les violations de droits de l’homme commises pendant la guerre civile et sous la dictature de Franco, qui aurait été créée en avril dernier.
Mme Tigroudja a d’autre part voulu savoir si la Loi sur la mémoire démocratique de 2022 avait mis fin aux amnisties accordées par la loi d’amnistie de 1977.
Mme Tigroudja a ensuite regretté que la lutte contre la corruption dans le pouvoir judiciaire ne semble pas avoir progressé pendant la période couverte par le rapport. Elle a en outre voulu savoir quel objet de la réforme du pouvoir judiciaire en cours suscitait le mécontentement des acteurs judiciaires.
M. HELFER a pour sa part salué les améliorations récentes en matière d'accès à l'éducation dans les communautés gitanes. Il a cependant regretté que la qualité de l'éducation dispensée aux enfants gitans soit inférieure à celle de l'élève moyen en Espagne, et a cité des informations faisant état d'un taux de chômage élevé parmi les Gitans.
L’expert a ensuite demandé ce qui était fait pour que les recommandations du Conseil pour l'élimination de la discrimination raciale et ethnique (CEDRE) deviennent juridiquement contraignantes. Il a cité des informations crédibles selon lesquelles les agents des forces de l'ordre procèdent systématiquement à des contrôles d'identité discriminatoires. À cet égard, le Comité est préoccupé par l'absence de normes juridiques claires – une absence qui facilite les traitements discriminatoires, a souligné l’expert.
M. Helfer a également fait part de la préoccupation du Comité devant l'augmentation des discours de haine en Espagne, soulignée par le Défenseur du peuple et par de nombreuses organisations de la société civile. Particulièrement inquiétantes sont les informations faisant état d'une recrudescence des discours de haine néofascistes chez les adolescents, qui se manifestent en ligne et lors de rassemblements, a-t-il souligné. Il a voulu savoir où en était l'approbation du projet de loi organique contre le racisme, la discrimination raciale et les formes connexes d'intolérance.
M. Helfer a par ailleurs constaté que le profilage ethnique et racial n’était pas explicitement interdit par la loi espagnole.
M. Helfer a fait état d’informations crédibles selon lesquelles les centres de détention pour migrants seraient marqués par des soins médicaux inadéquats, la surpopulation et des actes d'automutilation. Le Comité a aussi reçu des informations inquiétantes faisant état de surpopulation et de mauvais traitements infligés à des enfants non accompagnés en détention, en particulier dans les îles Canaries.
De plus, des rapports du Défenseur du peuple espagnol et du Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe indiquent que les refoulements et les retours sommaires automatiques se sont poursuivis, en particulier lors des tentatives d'entrée de groupes [de migrants] à Melilla et Ceuta, a poursuivi l’expert. Sont aussi mentionnés des mauvais traitements infligés aux migrants par les agents des services frontaliers, a ajouté l’expert, dénonçant notamment des coups, un recours excessif à la force physique et même des décès. Il s'agit d'un problème persistant et de longue date, a regretté M. Helfer, qui a voulu savoir si l'Espagne envisagerait d'abroger ou de modifier le régime spécial pour Ceuta et Melilla.
M. Helfer a noté avec préoccupation des informations faisant état de conditions d'accueil inadéquates pour les migrants, notamment à l'aéroport de Madrid en février 2024, où environ 400 personnes ont été détenues pendant des semaines dans des locaux surpeuplés et dépourvus de lumière naturelle.
M. CARAZO a notamment fait part de préoccupations relatives aux obstacles auxquels se heurtent les femmes pour signaler les cas de violence, aux taux élevés de féminicides et à la persistance des stéréotypes sexistes dans certains secteurs tels que la justice.
M. Carazo a d’autre part regretté que d’anciens membres de la Garde civile condamnés à de lourdes peines de prison pour des comportements criminels aient pu conserver les décorations qui leur avaient été décernées autrefois.
M. TERAYA a pour sa part demandé si l’interdiction de la stérilisation des personnes incapables d'exprimer leur consentement de manière permanente avait abouti à une amélioration de la situation en pratique.
M. Teraya a par ailleurs indiqué que, selon une source fiable, plus de 5000 personnes auraient été victimes de torture et de mauvais traitements dans le contexte de la violence politique au Pays basque entre 1960 et 2014. Il a voulu savoir quels recours étaient encore ouverts aux victimes que la prescription empêche d’accéder à la justice.
M. Teraya a également demandé où en étaient les enquêtes au sujet du recours excessif à la force lors de manifestations en Catalogne en 2017.
M. Teraya a pointé l'absence d'un protocole normalisé et d'une procédure uniforme pour la détermination de l’âge des migrants mineurs non accompagnés. De plus, le Comité a reçu des informations confirmant des cas de mauvais traitements et de discrimination dans les centres d'accueil, dont certains font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire, a-t-il ajouté. En outre, le Défenseur du peuple a recensé un nombre important de personnes qui se sont déclarées mineures mais ont néanmoins été placées avec des adultes, a relevé l’expert.
M. Teraya a aussi fait part de préoccupations concernant l'utilisation de technologies de surveillance. Entre 2017 et 2020, au moins 65 politiciens, militants et personnalités publiques catalans et autres auraient été ciblés par le logiciel espion Pegasus, et aucune enquête officielle n'a été ouverte, a-t-il observé.
Le Comité a pris note des progrès récents concernant la loi d'amnistie de 2024, qui accorde l'amnistie aux personnes impliquées dans des activités indépendantistes en Catalogne, a poursuivi M. Teraya. Cependant, cette loi ne serait pas correctement mise en œuvre dans la pratique, a-t-il regretté.
M. Teraya a également fait état d'infiltrations de la police dans des mouvements sociaux – et ce, sans autorisation judiciaire, a-t-il regretté. À ce propos, Mme Tigroudja a affirmé que les infiltrations policières notées à Barcelone, Valence et Madrid étaient très préoccupantes car elles se font dans le secret le plus complet, en dehors de tout cadre légal, de toutes garanties judiciaires et sont couvertes par la Loi de 1968 sur les secrets officiels.
Plusieurs experts ont voulu savoir ce qu’il en était de la création de l'Autorité indépendante pour l'égalité de traitement et la non-discrimination, prévue par la loi sur l'égalité de 2022.
Des préoccupations ont en outre été exprimées à plusieurs reprises s’agissant d’informations concordantes relatives à un manque de responsabilité effective dans les cas d'usage excessif de la force par la police espagnole.
Réponses de la délégation
La délégation a assuré que les constatations et avis des organes de traités des droits de l’homme étaient pris en compte dans les processus législatifs espagnols. La décision de la Cour suprême de juillet 2018, affirmant la valeur contraignante des constatations du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, vaut pour l’ensemble des organes de traités, a précisé la délégation. Elle a ajouté que la commission chargée d’assurer le suivi de l’application des recommandations et constatations avait commencé ses travaux. La délégation a souligné par la suite que cette commission réunissait des institutions publiques et la société civile et qu’en son sein, un groupe de travail était plus particulièrement chargé de rédiger les rapports de suivi des constatations.
Il a par ailleurs été indiqué que la Cour constitutionnelle évaluait en ce moment même une proposition de création d’un droit à la protection de la santé physique et mentale dans le contexte des changements climatiques .
La création d’un organisme pour l’ égalité de traitement a subi des retards en raison du manque de consensus sur sa composition, a ensuite expliqué la délégation. Le Gouvernement se coordonne avec des instances publiques et privées pour dresser un état des lieux des différents types de discrimination et élaborer des mesures appropriées afin d’y remédier, a-t-elle ajouté.
Le profilage racial est interdit par la loi organique sur la protection des citoyens (2015) de même que par les codes de déontologie des forces de police, a fait valoir la délégation. Les statistiques montrent qu’il n’y a pas de problème systémique dans ce domaine, a-t-elle affirmé.
Le Ministère de l’intérieur applique un principe de tolérance zéro contre les discours et crimes de haine, a déclaré la délégation. L’augmentation signalée des délits est imputable au fait que la police et la garde civile sont désormais mieux formées pour répondre à ces délits, a-t-elle assuré. La tendance actuelle est à la baisse, a affirmé la délégation.
Le Gouvernement s’attaque de plus au racisme et aux discours de haine en ligne et dans le monde du sport et les organisations non gouvernementales qui travaillent dans ce secteur bénéficient de subventions, a fait savoir la délégation.
Les autorités mènent des campagnes de lutte contre la LGBTI-phobie en ligne et dans le monde du sport, a-t-elle en outre indiqué. Les autorités organisent, de plus, des campagnes contre la violence numérique.
En vertu de la loi 4/2023 sur l'égalité réelle et effective des personnes trans et la protection des droits des personnes LGTBI, les entreprises de plus de cinquante travailleurs doivent prendre des mesure pour respecter les droits des LGBTIQ et des personnes trans, a souligné la délégation. Une étude a été lancée pour évaluer les besoins des personnes ayant des variations de leur identité sexuelle s’agissant de la mention du sexe dans les documents d’identité, a-t-elle en outre indiqué.
Toute femme âgée de 16 ans ou plus peut, depuis 2023, demander un avortement sans l’autorisation de ses parents ou d’un tuteur, a fait savoir la délégation. Par ailleurs, il n’est plus possible de stériliser une personne handicapées sans son consentement libre et éclairé, a-t-elle indiqué.
S’agissant de la situation des Gitans, il a été précisé que la stratégie nationale pour leur intégration portait en particulier sur l’inclusion sociale, la santé, l’éducation et la non-discrimination. Les autorités dressent des diagnostics préalables à la réalisation de chacune des cibles de cette stratégie, a expliqué la délégation. Le Gouvernement central édicte des normes en matière de qualité de l’éducation dispensée aux jeunes Gitans, normes que les autorités provinciales doivent s’efforcer d’atteindre, a-t-elle ajouté.
Le Ministère de l’intérieur a mis en place des procédures policières détaillées pour prévenir les actes de torture et les mauvais traitements, a poursuivi la délégation. L’enregistrement vidéo n’est pas obligatoire dans la procédure pénale, a-t-il été précisé.
La délégation a d’autre part assuré que le Gouvernement espagnol luttait résolument contre le fléau de la violence envers les femmes .
La délégation a en outre souligné que toutes les personnes au bénéfice du statut de victime pouvaient obtenir les dédommagements auquel ce statut donne droit. Des dispositions particulières s’appliquent aux victimes de violence sexuelle et aux victimes de traite des êtres humains, y compris, pour les étrangers en situation irrégulière, le droit de rester en Espagne pendant les éventuelles procédures judiciaires, a précisé la délégation.
La délégation a indiqué que la Cour constitutionnelle, en 2024, avait précisé que la Loi sur la mémoire démocratique de 2022 avait un champ d’application différent de la Loi d’amnistie de 1977. La première couvre des faits qui échappent à la loi d’amnistie, laquelle avait été votée au début de la période de transition vers la démocratie.
La délégation a par ailleurs expliqué que le rôle de procureur des droits de l’homme avait été créé pour enquêter plus efficacement sur les crimes commis pendant le régime franquiste. Il travaille avec la banque d’ADN des victimes qui a été créée récemment, a-t-elle précisé, avant d’ajouter que plusieurs procédures intentées depuis 2010 pour des faits remontant à la guerre civile ou à la dictature sont toujours en instruction.
La délégation a ensuite indiqué que les autorités pénitentiaires avaient pour priorité d’assurer de bonnes conditions sanitaires pour les personnes privées de liberté , une démarche rendue difficile cependant par le manque de médecins au niveau du pays. Des mesures sont prises pour remédier à cette pénurie, en particulier au travers de la télémédecine, qui permet de mettre à la disposition des établissement pénitentiaires des médecins en ligne, 24 heures sur 24. Quelque 95% des postes infirmiers dans les prisons sont pourvus, a en outre précisé la délégation.
L’Espagne est en conformité avec les directives de l’Union européenne concernant la détention au secret (détention incommunicado), a indiqué la délégation. Les personnes ainsi détenues bénéficient de droits renforcés en matière de santé, en particulier deux visites par jour effectuées par du personnel médical, a-t-elle souligné. Quelque 390 personnes sont actuellement soumises à ce régime, qui est une pratique de dernier recours soumise au contrôle de la justice, a précisé la délégation.
Les autorités s’efforcent par ailleurs de trouver des parades aux automutilations de détenus, a indiqué la délégation.
L’adoption du projet de loi contre la traite des êtres humains a été retardée par l’actualité politique en Espagne, a-t-il d’autre part été expliqué. Le projet, en cours, de négociation pourrait passer les dernières phases d’adoption cet automne, a fait savoir la délégation. En l’état, la loi accorde un certain nombre de droits et avantages sociaux aux victimes, les forces de l’ordre appliquant déjà un protocole unique de prise en charge au niveau national, a-t-elle ajouté.
Les décisions de détention, ou internement, de migrants en situation irrégulière sont de dernier recours, a assuré la délégation, avant de préciser que des alternatives à cette détention sont prévues, telles que la confiscation des papiers ou l’obligation de ne pas quitter telle ou telle zone géographique.
Les centres de prise en charge provisoire pour migrants dépendent directement des autorités de police provinciales, a d’autre part indiqué la délégation. En 2024, ces centres n’étaient occupés qu’à 30% de leur capacité, a-t-elle insisté. Après un afflux massif de migrants à l’aéroport de Madrid en 2024, ses centres d’accueil ont été agrandis, a-t-elle fait savoir. Aux Canaries, a-t-elle ajouté, on a enregistré depuis 2022 une hausse des entrées qui a entraîné des efforts des autorités pour accélérer le traitement des demandes d’asile. On compte aujourd’hui 34 000 places pour accueillir les personnes qui demandent une protection en Espagne, quatre nouveaux grands centres ayant été ouverts à cet effet en 2023, a-t-il été rappelé.
Également en 2023, des mesures pratiques ont été prises pour mieux prendre en charge les migrants mineurs ayant rapidement besoin de protection, a également souligné la délégation. De plus, un protocole d’accord est en cours d’élaboration afin d’uniformiser l’action des communautés autonomes dans l’accueil des jeunes migrants - accueil qui relève de leur responsabilité au titre de leur compétence générale en matière de protection de la jeunesse, a expliqué la délégation.
Les conditions de renvoi aux frontières de Ceuta et Melilla ont été validées par la Cour européenne des droits de l’homme en 2020, a en outre rappelé la délégation. Le Gouvernement condamne les agissements des criminels qui ont entraîné des épisodes regrettables à Tarajal et Melilla, a-t-elle ajouté. Deux enquêtes menées par le parquet et le Défenseur du peuple au sujet d’événements survenus à Ceuta et Melilla ont été closes et archivées, a-t-elle en outre fait savoir.
Les agents sous couverture ont le droit de tenter d’obtenir des informations relatives à la sécurité nationale, et ils sont contrôlés par un magistrat, a d’autre part affirmé la délégation.
Au cours du dialogue, la délégation a en outre mentionné plusieurs autres mesures prises pour renforcer l’état de droit en Espagne, lutter contre la corruption et rendre le fonctionnement de l’État plus transparent.
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