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Examen du Tchad devant le Comité contre la torture : des experts préoccupés par la répression de manifestations, le 20 octobre dernier, dans plusieurs villes du pays

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et ce matin, le deuxième rapport périodique présenté par le Tchad au titre de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

À cette occasion, un expert membre du Comité a fait part de la vive inquiétude du Comité face aux événements du 20 octobre 2022. Il a demandé des explications sur la répression, ce jour-là, de manifestations dans plusieurs villes du pays. Cette répression, a dit l’expert, s’est conjuguée avec de nombreuses exactions contre des civils entraînant la mort de nombreuses personnes et des actes de torture sur des hommes, des femmes et également des enfants. Entre 50 et 150 personnes auraient été tuées, de 150 à 184 personnes auraient disparu, environ 1369 auraient été arrêtées et de 600 à 1100 personnes auraient été déportées dans la prison de haute sécurité de Koro Toro, a relevé l’expert. Il s’est interrogé sur les raisons de cette répression et de cette violence pour réprimer des manifestations annoncées comme pacifiques.

Même avant les violences récentes, a fait remarquer un autre membre du Comité, de nombreuses informations en provenance du Tchad, depuis un certain nombre d'années, faisaient état d’actes de torture et de violence pour lesquels personne n'a rendu de compte. Les violences les plus brutales à ce jour se sont produites le 20 octobre 2022 – fin de la période de 18 mois initialement prévue avant la remise du pouvoir à un gouvernement civil par le Conseil militaire de transition –, a relevé cet expert, avant de souligner que le nouveau Haut-Commissaire aux droits de l'homme, M. Volker Türk, avait publié une déclaration très ferme déplorant cette violence.

Il a par ailleurs été observé que la définition de la torture dans le Code pénal tchadien n’était pas entièrement conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention. En effet, dans sa définition, le Code pénal retient uniquement comme auteurs potentiels de torture les « agents publics » et « autorités traditionnelles », alors qu’il existe d’autres catégories de détenteurs de pouvoir qui peuvent occasionner la torture. En ce qui concerne les garanties juridiques fondamentales, il a d’autre part été constaté qu’il existait dans le Code de procédure pénale des exceptions qui permettent aux policiers de prolonger la durée de la garde à vue bien au-delà des 48 heures légales, sans qu’il soit possible de faire intervenir un magistrat pour encadrer la pratique.

Un expert a fait état d’information selon lesquelles les conditions matérielles de détention au Tchad, qui sont très précaires, ont entraîné plusieurs décès de personnes détenues.

D’autre part, selon certaines allégations, l’Agence nationale de sécurité gérerait des centres de détention secrets et serait utilisée comme bras armé du parti politique au pouvoir plutôt que comme une agence de lutte contre le terrorisme, a affirmé un autre expert. En outre, les conditions de détention dans les prisons tchadiennes ont été jugées inquiétantes, en raison notamment de la surpopulation carcérale, avec 9589 personnes détenues pour une capacité d’accueil de 7190 places. Plusieurs questions ont porté sur la prison de haute sécurité de Koro Toro.

Enfin, un expert a relevé une contradiction entre l’abolition officielle de la peine de mort au Tchad et, malgré cela, l’exécution de plusieurs personnes après 2015.

Présentant le rapport de son pays, M. Makaila Ahmad, Représentant permanent du Tchad auprès des Nations Unies à Genève, a notamment précisé qu’un nouveau Code pénal avait été adopté en 2017 pour rendre la définition de la torture conforme aux normes internationales et réajuster les peines liées aux infractions relevant de la torture. D’autre part, le Gouvernement s’est engagé à concrétiser la modernisation de son appareil judiciaire, a-t-il ajouté. M. Ahmad a fait état d’autres mesures visant à assurer une formation adéquate des magistrats et à accroître les ressources de l’administration de la justice, ce qui a permis la création d’une école de formation de magistrats et autres corps rattachés.

M. Ahmad a par ailleurs insisté sur le fait que son pays était sur la ligne de front dans la lutte contre le terrorisme. Conscient du risque permanent inhérent aux conflits armés, le Gouvernement a adhéré aux principes du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, a-t-il souligné. Ces efforts, a précisé M. Ahmad, « ont permis de sortir le Tchad de la liste du Secrétaire général des Nations Unies sur les enfants affectés par les conflits armés en juillet 2014 ».

S’agissant des événements du 20 octobre 2022, la délégation a affirmé, au cours du dialogue avec le Comité, que les manifestations n’avaient rien eu de pacifique. Pour le Gouvernement, ces événements sont le fait de plusieurs groupes de militants violents, organisés et coordonnés, et munis d’armes blanches, qui se sont délibérément attaqué, de nuit, à des symboles de l’État. Leurs organisateurs avaient appelé publiquement à la « rupture » et à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Ces mêmes organisateurs avaient déposé des demandes d’autorisation de manifester la veille, mais ces demandes étaient hors délai et ne répondaient pas aux conditions légales pour la marche. Le Gouvernement a pris la décision d’interdire ce projet de rassemblement qui présentait manifestement un risque de trouble à l’ordre public, et même pour la stabilité du pays, compte tenu des propos tenus par ses organisateurs. Le Gouvernement a ensuite fait face avec détermination pour préserver l’ordre public, a expliqué la délégation.

La délégation a aussi précisé que l’Agence nationale de sécurité disposait de lieux de détention administrative pour auditionner des personnes soupçonnées de menacer les intérêts vitaux de l’État : ces locaux ouverts en 2020 sont connus et ont fait l’objet de visites de la Commission nationale des droits de l’homme et du Comité international de la Croix-Rouge. Quant à la prison de Koro Toro, il s’agit d’un établissement de haute sécurité relevant du Ministère de la justice et visité par le Comité international de la Croix-Rouge tous les mois, a souligné la délégation.

Outre M. Ahmad, la délégation tchadienne était également composée de représentants des Ministères des affaires étrangères et de la justice.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Tchad et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 25 novembre. Cet après-midi, à partir de 15 heures, le Comité achèvera l’examen du rapport du Malawi.

Examen du rapport

Le Comité est saisi du rapport périodique du Tchad (CAT/C/TCD/2), rapport préparé sur la base d’une liste de points à traiter soumise par le Comité.

Présentation

M. MAKAILA AHMAD, Représentant permanent du Tchad auprès des Nations Unies à Genève, a indiqué que le processus d’élaboration du rapport de son pays, qui couvre la période 2009-2019, avait été participatif et inclusif, impliquant notamment l’ensemble des départements ministériels concernés ainsi que le Parquet général et le juge pour enfants. Le rapport restitue les actions législatives et réglementaires qui ont été prises pour mettre le Tchad en conformité avec les dispositions de la Convention contre la torture, a-t-il souligné. M. Ahmad a précisé à cet égard qu’un nouveau Code pénal avait été adopté en 2017 pour rendre la définition de la torture conforme aux normes internationales et réajuster les peines liées aux infractions relevant de la torture. Ces dispositions sont en vigueur et le rapport cite des cas concrets concernant leur application, à titre illustratif, a indiqué le Représentant permanent.

D’autre part, le Gouvernement de la République du Tchad s’est engagé, en partenariat avec l’Union européenne et le système des Nations Unies, à concrétiser la modernisation de son appareil judiciaire, a poursuivi M. Ahmad, citant dans ce contexte le Protocole d’accord avec la Commission européenne sur le Programme d’appui à la réforme de la justice au Tchad (PRAJUST phases 1 et 2), ainsi que le Programme de renforcement des capacités judiciaires, des droits humains et du genre, mené avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

D’autres mesures visant à assurer une formation adéquate des magistrats et à accroître les ressources tant humaines que matérielles de l’administration de la justice ont été prises, ce qui a permis la création d’une école de formation de magistrats et autres corps rattachés, a aussi fait savoir M. Ahmad. Par ailleurs, a-t-il poursuivi, des reformes systémiques ont été entreprises, telles que l’harmonisation des textes créant la Commission nationale des droits de l’homme et visant à la rendre conforme aux Principes de Paris, ou encore la transposition des normes internationales dans la législation interne.

M. Ahmad a insisté sur le fait que son pays était sur la ligne de front dans la lutte contre le terrorisme, un certain nombre de groupes armés terroristes opérant en effet dans la région du lac Tchad. Conscient du risque permanent inhérent aux conflits armés, le Gouvernement a adhéré aux principes du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, a-t-il souligné. En outre, en 2013, le chef de l’État a émis une directive portant sur le respect des conditions afférentes à l’âge de recrutement au sein de l’Armée nationale tchadienne: la directive prévoit des sanctions allant de l’avertissement à la radiation pour tous les gradés impliqués dans un recrutement non conforme [auxdites conditions]. De même, le projet de code de protection de l’enfant fixe l’âge minimum de recrutement à 18 ans, avec des sanctions contre les auteurs de recrutement non conforme ou d’utilisation d’enfants [dans le cadre de conflits armés].

Ces efforts, a précisé M. Ahmad, « ont permis de sortir le Tchad de la liste du Secrétaire général des Nations Unies sur les enfants affectés par les conflits armés en juillet 2014 ».

Le Représentant permanent a fait état d’autres mesures concrètes mises en œuvre pour protéger toutes les couches vulnérables de la société et garantir l’accès aux soins contre le VIH, la tuberculose et le paludisme.

Questions et observations des membres du Comité

M. SÉBASTIEN TOUZÉ, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Tchad, a d’abord fait part de la vive inquiétude du Comité face aux événements du 20 octobre 2022, dont il a estimé les conséquences importantes et inquiétantes. L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) a en effet accusé le pouvoir [tchadien] de graves violations des droits humains dans la répression des manifestations du jeudi 20 octobre dernier et d’avoir tué au moins 80 personnes. L’Union africaine (UA) et l’Union européenne (UE) ont déjà fermement condamné la répression des manifestations, ainsi que de graves atteintes aux libertés d’expression et de manifestation, a rappelé M. Touzé.

Dans ce contexte, a indiqué le corapporteur, le Comité souhaite obtenir des explications sur la répression récente de manifestations dans plusieurs villes du pays – répression qui s’est conjuguée avec de nombreuses exactions contre des civils entraînant la mort de nombreuses personnes et des actes de torture sur des hommes, des femmes et également des enfants. Entre 50 et 150 personnes auraient été tuées, de 150 à 184 personnes auraient disparu, environ 1369 auraient été arrêtées et de 600 à 1100 personnes auraient été « déportées » dans la prison de haute sécurité de Koro Toro, a relevé l’expert. Il s’est interrogé sur les raisons de cette répression et de cette violence pour réprimer des manifestations annoncées comme pacifiques.

M. Touzé a par la suite fait observer que la définition de la torture dans le Code pénal tchadien n’était pas entièrement conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention. En effet, dans sa définition, le Code pénal retient uniquement comme auteurs potentiels de torture les « agents publics » et « autorités traditionnelles », alors qu’il existe d’autres catégories de détenteurs de pouvoir qui peuvent occasionner la torture.

S’agissant des peines encourues, M. Touzé a fait remarquer que les actes de torture étaient punis de 2 à 30 ans d’emprisonnement selon leur gravité. Cependant, les sanctions pénales n’atteignent une certaine gravité que lorsque, par exemple, l’acte de torture cause la mort d’autrui sans intention de la donner. Ainsi, les auteurs de torture sont punis de peines équivalentes en réalité à celles encourues pour des délits, c’est-à-dire des peines de deux à cinq ans de prison, a souligné M. Touzé. Il a regretté que le rapport ne donne pas de statistiques détaillées sur les plaintes concernant les actes de torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants qui auraient été commis par les responsables de l’application des lois ou par les membres de l’armée.

S’agissant des garanties juridiques fondamentales, M. Touzé a constaté qu’il existait dans le Code de procédure pénale des exceptions qui permettent aux policiers de prolonger la durée de la garde à vue bien au-delà des 48 heures légales, sans qu’il soit possible de faire intervenir un magistrat pour encadrer la pratique. D’autres questions de M. Touzé ont porté sur l’accès des justiciables à l’assistance judiciaire et aux conseils d’un avocat.

M. Touzé a ensuite demandé si des visites étaient systématiquement effectuées dans les prisons par la Commission nationale des droits de l’homme ou d’autres observateurs. Des organisations non gouvernementales se sont vu refuser l’accès à certaines prisons, a-t-il fait observer. Il a jugé inquiétantes les conditions de détention au Tchad, en raison notamment de la surpopulation carcérale, avec 9589 personnes détenues pour une capacité d’accueil de 7190 places.

M. Touzé a aussi attiré l’attention de la délégation sur le fait que la loi antiterroriste en vigueur mettait en place un régime de dérogation au droit commun en ce qui concerne les durées de garde à vue et de détention préventive.

L’expert a en outre fait part de l’étonnement du Comité devant la persistance de la pratique de la dya ou « prix du sang », consistant, pour la famille du coupable en cas de meurtre ou de blessure grave, à verser une compensation à la famille de la victime – une pratique pourtant contraire à la loi.

M. Touzé a fait état d’information selon lesquelles les conditions matérielles de détention au Tchad, très précaires – cellules exiguës, soif et chaleur, notamment –, ont entraîné plusieurs décès de personnes détenues.

Le corapporteur a voulu savoir si les actes de torture commis par des militaires tchadiens lors d’opérations au Niger, actes dénoncés par un rapport officiel de la Commission nigérienne des droits de l’homme, avaient fait l’objet de poursuites par les autorités du Tchad.

M. TODD BUCHWALD, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Tchad, a fait observer que même avant les violences récentes, de nombreuses informations en provenance du Tchad, depuis un certain nombre d'années, faisaient état d’actes de torture et de violence pour lesquels personne n'a rendu de compte. M. Buchwald a mentionné des répressions violentes contre des manifestants et contre l'opposition politique avant les élections d'avril 2021 ; puis, après la mort de l'ancien Président Déby, des violences contre les manifestants, y compris l'usage apparemment disproportionné de la force : en mai 2021, plusieurs rapporteurs spéciaux de l'ONU ont constaté l'utilisation de balles réelles contre les manifestants, causant la mort de plusieurs personnes, ainsi que l'arrestation de plus de 680 personnes, dont 650 privées du droit à un procès équitable.

Ensuite, a poursuivi M. Buchwald, depuis septembre 2020, dans le contexte de protestations contre le Dialogue national inclusif et souverain, de nouvelles manifestations ont eu lieu, suivies de nouveaux rapports faisant état d'un recours excessif à la force contre les manifestants ainsi que contre les membres de l'opposition et des journalistes à N'Djamena. Enfin, le 20 octobre – fin de la période de 18 mois initialement prévue avant la remise du pouvoir à un gouvernement civil par le Conseil militaire de transition – se sont produites les violences les plus brutales à ce jour. Le nouveau Haut-Commissaire aux droits de l'homme, M. Volker Türk, a publié une déclaration très ferme déplorant cette violence : les forces de sécurité ont ouvert le feu sur les manifestants, pour la plupart des jeunes, entraînant quelque 50 morts, 300 blessés et 500 arrestations.

Le corapporteur a voulu connaître le nombre de personnes tuées et blessées, ainsi que le nombre de personnes détenues à ce jour et les lieux de détention dans lesquels elles se trouvent ; il a également voulu savoir si ces personnes ont pu contacter un avocat et si elles ont été déférées à un magistrat. M. Buchwald a demandé sur quelle base juridique avait été exercée la force léthale contre des manifestants. Il a aussi voulu savoir quelles mesures les autorités de transition ont prises pour garantir que les personnes qui ont été maltraitées lors de ces incidents, en violation de la Convention, seront indemnisées. Il a par ailleurs demandé si une enquête pourrait être réalisée par une partie indépendante du Gouvernement.

M. Buchwald a ensuite relevé que, selon certaines allégations, l’Agence nationale de sécurité gérerait des centres de détention secrets et serait utilisée comme bras armé du parti politique au pouvoir plutôt que comme une agence de lutte contre le terrorisme. Le corapporteur a prié la délégation de confirmer officiellement qu'il n'existe pas de centres de détention secrets au Tchad.

M. Buchwald a d’autre part voulu savoir si le Conseil militaire de transition se considérait juridiquement lié par le droit international des droits de l'homme pendant toute la période où il exerce le pouvoir, ou s’il estimait être en droit de déroger à certaines dispositions au motif qu'il s'agirait d'une période d'urgence publique. L’expert s’est également enquis des mesures prises pour garantir que toute force utilisée par la police, l'armée ou toute autre personne pendant cette période de transfert du contrôle à un gouvernement civil, soit strictement limitée à ce qui est nécessaire et proportionné. Qu’en est-il des instructions que les forces de l’ordre reçoivent quant à savoir quand elles peuvent ou non utiliser la force, a demandé le corapporteur ?

M. Buchwald a ensuite constaté qu’en 2009, la Commission nationale des droits de l’homme du Tchad avait été rétrogradée au statut B concernant son rang de conformité aux Principes de Paris. Il a posé plusieurs questions concernant l’indépendance de cette institution, le processus de nomination de ses membres, son financement, la publicité donnée à ses travaux et sa capacité à effectuer des visites inopinées dans les lieux de détention.

M. Buchwald a ensuite voulu savoir si le Gouvernement tchadien avait contribué au fonds d’indemnisation pour les victimes de l’ancien régime ; il a regretté qu’aucun monument à la mémoire de ces victimes n’ait été érigé.

D’autres questions de M. Buchwald ont porté sur les mesures prises dans le pays pour prévenir la violence familiale ; sur le problème de la vente d’enfants à des groupes armés ; ainsi que sur la prévention des mutilations génitales féminines et la traduction de leurs auteurs en justice.

M. Buchwald a par la suite demandé si des sanctions avaient déjà été prononcées contre des personnes impliquées dans des mutilations génitales féminines.

D’autres experts membres du Comité ont dit comprendre les difficultés que le Tchad rencontre en tant qu’État et apprécier les efforts consentis par le Gouvernement du pays. D’aucuns ont remercié le Tchad de participer au dialogue constructif avec le Comité dans une période difficile.

La délégation a été priée de dire comment les autorités faisaient face à la pénurie de gardiens de prison et de préciser si la gendarmerie nationale assumait toujours des fonctions dans ce domaine. Plusieurs questions ont porté sur la prison de haute sécurité de Koro Toro : à quelle autorité cette prison est-elle soumise ; quand le Comité international de la Croix-Rouge l’a-t-il visitée pour la dernière fois ; les personnes qui y sont détenues peuvent-elles consulter un avocat en toute confidentialité ; et certains des manifestants du 20 octobre y ont-ils été transférés ?

Un expert a relevé une contradiction entre l’abolition officielle de la peine de mort au Tchad et, malgré cela, l’exécution de plusieurs personnes après 2015.

Le Tchad est un important contributeur aux opérations internationales de maintien de la paix, a fait remarquer un expert, avant de demander si les soldats concernés étaient sensibilisés à la nécessité de respecter les droits de l’homme pendant leur déploiement à l’étranger.

Réponses de la délégation

S’agissant des événements du 20 octobre, la délégation a d’abord déploré l’ensemble des morts enregistrés dans ces circonstances et assuré que le Gouvernement était solidaire des familles endeuillées.

Aucun texte de loi au Tchad ne permet de réprimer une manifestation pacifique, a assuré la délégation. Ainsi, des dizaines de manifestations ont été organisées sans violence au Tchad depuis des années, a-t-elle fait valoir ; le parti « Les Transformateurs » a lui aussi pu manifester, a-t-elle ajouté.

Les dernière manifestations – qui ont commencé le 19 octobre au soir – n’avaient rien de pacifique, a dit la délégation. Pour le Gouvernement, ces événements sont le fait de plusieurs groupes de militants violents, organisés et coordonnés, et munis d’armes blanches, qui se sont délibérément attaqué, de nuit, à des symboles de l’État. Leurs organisateurs avaient appelé publiquement à la « rupture » et à la mise en place d’un nouveau gouvernement. Ces mêmes organisateurs avaient déposé des demandes d’autorisation de manifester la veille, mais ces demandes étaient hors délai et ne répondaient pas aux conditions légales pour la marche. Ce ne sont pas des questions de procédure qui ont motivé alors l’interdiction de ces manifestations : le Gouvernement a pris la décision d’interdire tout rassemblement en vertu du caractère violent prévisible de ce projet de rassemblement, qui présentait manifestement un risque de trouble à l’ordre public, et même pour la stabilité du pays, compte tenu des propos tenus par les organisateurs. Le Gouvernement a ensuite fait face avec détermination, pour préserver l’ordre public.

Des attaques ciblées ont été lancées contre des personnes considérées comme proches du Gouvernement, ainsi que contre des bâtiments publics, et ces attaques ont entraîné la mort de quinze agents de police. Aucun témoignage n’est venu confirmer que des hommes en civil et en armes qui auraient tiré sur la foule feraient partie de la police, a poursuivi la délégation.

Ces événements, qui ont entraîné une cinquantaine de morts, se sont produits dans le contexte d’une grève des magistrats qui dure depuis deux mois, a rappelé la délégation. Les insurgés du 20 octobre arrêtés par la police ont été transférés à la prison de Koro Toro, a-t-elle indiqué. Des commissions d’enquête judiciaires ont été créées dans les quatre villes où des violences ont été commises ; les actes de manifestants, mais aussi de membres des forces de l’ordre, seront examinés, a assuré la délégation. L’État répondra aux accusations concernant les agissements de la police avec les éléments dont il dispose, et compte tenu du fait que des enquêtes sont en cours. Les codes déontologiques de la police et de la garde nationale obligent les agents à ne faire usage de leur arme à feu qu’en cas d’extrême nécessité, a souligné la délégation.

Quant aux violences des 27 et 28 mai 2021, la délégation tchadienne a rappelé qu’elles avaient été condamnées par le Gouvernement de transition et avaient donné lieu à l’ouverture d’enquêtes.

Le Gouvernement admet l’importance de respecter le principe de proportionnalité dans l’action de la police, a par la suite souligné la délégation.

La rumeur malveillante prête toujours des agissements violents et secrets à l’ancienne Agence nationale de sécurité (ANS, aujourd’hui Agence nationale de sécurité d’État), a regretté la délégation. Ces accusations sont sans fondement et le Gouvernement n’a connaissance d’aucun témoignage d’acte de torture ou illégal commis par cette institution, a-t-elle ajouté, précisant que l’ANS n’était pas une police politique, mais une institution encadrée par la loi.

L’Agence dispose de lieux de détention administrative pour auditionner des personnes soupçonnées de menacer les intérêts vitaux de l’État, notamment en se livrant au trafic d’armes légères. Ces locaux ouverts en 2020 sont connus et ont fait l’objet de visites de la Commission nationale des droits de l’homme et du Comité international de la Croix-Rouge, a souligné la délégation.

Le terme de « déportation » ne s’applique pas en ce qui concerne [les personnes envoyées dans] la prison de Koro Toro, qui est uniquement un établissement de haute sécurité relevant du Ministère de la justice, a d’autre part déclaré la délégation. Le Comité international de la Croix-Rouge visite cette prison tous les mois, a-t-elle ajouté.

En ce qui concerne les conditions de détention, la délégation a précisé que les grandes maisons d’arrêt disposaient d’infirmeries ; à défaut, les détenus malades sont envoyés aux consultations de médecins locaux. Les autorités travaillent à améliorer les conditions de détention. La prison de Koro Toro est soumise au même règlement que les autres lieux de détention du Tchad s’agissant des visites, a souligné la délégation.

Jeune institution, la Commission nationale des droits de l’homme est indépendante, ce dont témoignent les rapports qu’elle a rendus au sujet des événements du 20 octobre, a affirmé la délégation tchadienne. La Commission est composée de onze membres, dont au moins quatre femmes, nommés par un organe émanant du Parlement ; que ce soit de manière directe ou indirecte, les commissaires ne reçoivent aucune instruction des membres du Gouvernement, a précisé la délégation.

La Commission attire l’attention des pouvoirs publics sur les violations des droits de l’homme et recommande des mesures pour y mettre fin. Lorsque des cas de torture sont portés à son attention, elle mène une enquête, et si les allégations s’avèrent fondées, elle peut alors choisir de divulguer les informations au public ou de les tenir confidentielles.

La Commission est aussi tenue d’assumer le rôle de mécanisme de surveillance des lieux de détention, a poursuivi la délégation. Elle peut effectuer toutes les visites qu’elle souhaite et n’a pas besoin d’obtenir d’autorisation préalable pour ce faire ; et elle peut prendre des photos pendant ses visites. Aucun rapport spécifique sur la torture n’a été publié à ce jour par la Commission, a fait savoir la délégation. En revanche, la Commission a publié un rapport sur la mort de 44 membres présumés de Boko Haram. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) effectuent aussi des visites de lieux de détention, a ajouté la délégation.

Le chef de l’État a déjà pris des dispositions pour assurer davantage de transparence dans les nominations aux fonctions publiques, a d’autre part indiqué la délégation. Un « observatoire de l’éthique et du genre » a ainsi été créé pour évaluer les progrès réalisés dans la promotion de l’égalité entre les sexes et des droits des femmes. Un expert du Comité ayant fait état d’un manque de femmes dans l’appareil judiciaire et policier, la délégation a indiqué que le Gouvernement s’efforçait déjà de recruter davantage de femmes dans les entités de l’État. La loi sur la parité précise que le recrutement s’opère sans discrimination entre les sexes, a souligné la délégation. Elle a ensuite pointé une lacune s’agissant de la scolarisation des filles – lesquelles doivent être encouragées à suivre davantage les carrières dites masculines, a fait observer la délégation.

Par ailleurs, les violences, y compris sexuelles, contre les femmes et les jeunes filles sont criminalisées, et cela comprend les mutilations génitales féminines, entre autres pratiques traditionnelles néfastes, a ajouté la délégation, soulignant que le Code pénal punit aussi le harcèlement, le viol et la violence conjugale. Le Tchad apporte une réponse systémique aux violences faites aux femmes et pour répondre aux besoins des victimes, en collaboration avec tous les acteurs concernés, a indiqué la délégation. Quatre centres de services ont été créés pour prendre en charge les victimes de violences sexistes, y compris les victimes de viol ; une prise en charge médicale et psychologique est aussi assurée.

D’autres dispositions ont été prises pour lutter contre l’inceste, le harcèlement sexuel et le viol conjugal par le biais de campagnes de sensibilisation. Des cas de mariage précoce ou forcé persistent en raison d’une mauvaise interprétation des principes religieux, a fait savoir la délégation.

Les membres et cadres des contingents tchadiens prenant part aux opérations de maintien de la paix suivent, avant leur déploiement, des formations visant à leur expliquer leur mission et à les informer des règles juridiques internationales applicables, notamment pour ce qui est du droit international humanitaire, des normes relatives aux droits et à la protection des enfants, du code de conduite pendant les opérations militaires et du code de conduite des Casques bleus.

Le Gouvernement a créé une commission chargée de procéder à une cartographie des violations des droits de l’homme commises entre 2005 et 2021 et d’en identifier les auteurs. Le Tchad est le premier pays à verser sa part au fonds fiduciaire pour l’indemnisation des victimes, créé par les Chambres africaines chargées de juger Hissène Habré à la demande de l’Union africaine, a fait savoir la délégation.

Il n’y a personne dans le « couloir de la mort » au Tchad, a indiqué la délégation. Le pays n’entend absolument pas revenir sur l’interdiction de la peine de mort, même face aux attaques terroristes organisées depuis le territoire de pays voisins, a-t-elle assuré.

Le paiement de la dya n’entraîne pas l’extinction de l’action pénale, a d’autre part expliqué la délégation, soulignant qu’indépendamment de tout arrangement entre parties, une procédure doit être ouverte par le procureur dans tout cas de décès.

En ce qui concerne la traite de personnes, la délégation a précisé que cette pratique constituait un délit au Tchad, qui est en l’occurrence un pays de transit.

Un procès est en cours pour situer les responsabilités s’agissant dudécès en détention de 44 membres présumés de Boko Haram, a par ailleurs indiqué la délégation.

S’agissant d’actes de torture commis au Niger, l’enquête se poursuit ; à titre conservatoire, les soldats concernés ont été renvoyés au pays.

Le Gouvernement de transition a pour mission d’appliquer les décisions du Dialogue national inclusif et souverain dans le respect des dispositions constitutionnelles, a expliqué la délégation ; il est en phase avec l’ensemble des engagements pris antérieurement par le Tchad et entend les respecter, y compris s’agissant du processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées – qui est toujours d’actualité.

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

 

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