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Examen des Philippines devant le Comité des droits de l’homme : les questions relatives aux exécutions extrajudiciaires dans le cadre de la « guerre contre la drogue » et à la surpopulation carcérale sont particulièrement débattues

Compte rendu de séance

 

Le Comité des droits de l'homme a achevé ce matin l’examen – entamé hier après-midi – du rapport soumis par les Philippines concernant la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

D’une manière générale, depuis l’examen du précédent rapport périodique du pays en 2012, le Comité a observé des lacunes dans la protection des droits de l’homme, affectant profondément les titulaires de droits aux Philippines. Les violations, telles que les exécutions extrajudiciaires et les attaques contre les défenseurs des droits humains et les détracteurs du Gouvernement, sont des exemples sérieux qui ont été discutés au Conseil des droits de l’homme la semaine dernière. C’est ce qu’a d’emblée souligné une experte du Comité engageant le dialogue avec la délégation philippine.

S’agissant des exécutions extrajudiciaires, cette même experte a relevé qu’elles ont eu lieu en grande majorité dans le cadre de la « guerre contre la drogue » de l’ancien Président Duterte. Ces exécutions extrajudiciaires sont des violations flagrantes du droit à la vie, qui doivent cesser pour que l’État partie se conforme à l’article 6 du Pacte, a-t-elle souligné. Bien que l’administration de l’ancien Président Duterte ait nié à plusieurs reprises les exécutions extrajudiciaires, l’agence de presse philippine a fait état de plus de 6000 morts, a-t-elle fait observer.

Un autre membre du Comité s’est inquiété de plusieurs rapports qui montrent que la surpopulation dans les prisons et autres centres de détention reste un grave problème aux Philippines, en raison principalement de l’afflux élevé d’arrestations de suspects dans le cadre de la campagne antidrogue, qui a entraîné une pression accrue sur le système pénitentiaire.

Un expert a quant à lui relevé que la corruption demeure répandue dans le pays et touche tous les niveaux de l’Etat. Il a en outre relevé que la lutte contre les groupes armés de l’état islamique dans l’ile de Mandanao, la lutte contre la drogue, les luttes contre les guérillas communistes, les conflits avec les groupes autochtones, et autres conflits sociaux ont donné lieu à des atteintes graves et massives aux droits de l’homme. La situation est d’autant plus grave que des ordres de tuer ont été clairement formulés par l’ancien Président Duterte à propos de la lutte antidrogue ou antiterroriste, a souligné cet expert.

A également été dénoncée au cours du dialogue la pratique du « marquage rouge », qui consiste à qualifier publiquement ou à étiqueter des individus ou des organisations comme étant des « communistes », des « gauchistes » ou des « terroristes » et donc des « ennemis de l’État », quelles que soient leurs croyances ou affiliations réelles. Cette pratique est utilisée comme stratégie contre les voix qui critiquent le Gouvernement, y compris les défenseurs des droits humains, les avocats, les journalistes et les militants de la société civile, dans le but de les réduire au silence et de délégitimer leur travail professionnel et les droits humains, a-t-il été souligné.

Des rapports font état d’un recours généralisé à la torture aux Philippines, principalement en tant qu’outil d’enquête pour extorquer des aveux aux détenus, a fait observer un membre du Comité.

Présentant le rapport de son pays, M. Jesus Crispin C. Remulla, Secrétaire à la justice des Philippines, a indiqué que le pays a commencé à entreprendre des réformes phares des mécanismes et processus de justice, en mettant l’accent sur l’inclusion et la justice sociale. Pour ce faire, les autorités ont notamment entrepris de décongestionner les prisons et d’assurer un traitement humain aux personnes privées de liberté, en construisant un nouvel établissement correctionnel de classe mondiale et en procédant à un examen administratif complet de tous les dossiers des détenus afin de libérer ceux qui n’ont plus de raison d’être détenus.

Les autorités se sont aussi engagées à poursuivre les objectifs du Comité d’examen sur les cas de décès découlant de la campagne de lutte contre les drogues illicites, a poursuivi M. Remulla. Quarante-six policiers ont été inculpés dans le cadre des 302 affaires qui ont été renvoyées devant le Bureau national d’enquête (NBI). Des opérations antidrogue passées, 222 policiers ont par ailleurs été jugés administrativement responsables et suspendus de leur service. Un programme renforcé de protection des témoins a par ailleurs été mis en place afin d’encourager les témoins et les familles des victimes à se manifester et à déposer plainte.

M. Remulla a rappelé que les Philippins avaient élu l’ancien Président Rodrigo Duterte sur un programme visant à lutter contre les drogues illégales, considérées comme une menace pour le droit humain à la vie, et destructeur pour les familles, en particulier les jeunes. Conformément à l’article 23 du Pacte, qui met l’accent sur le devoir de l’État de protéger la famille en tant qu’unité fondamentale de la société, l’État a mené une campagne de lutte contre les drogues illicites. L’ancien Président Duterte a terminé son mandat avec un taux d’approbation de 87% et les politiques antidrogue des Philippines sont conformes aux normes internationales, a ajouté M. Remulla.

La délégation philippine était également composée, entre autres, de M. Evan P. Garcia, Représentant permanent des Philippines auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants de la Cour suprême, du Secrétariat du Comité présidentiel des droits de l’homme, du Département de la justice, du Département des affaires étrangères, de la Police nationale, et de l’Agence philippine de lutte contre la drogue.

Au cours du dialogue, la délégation a notamment indiqué que les Philippines se sont retirées du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), car tout le système judiciaire interne fonctionne sur tout le territoire, avec une Cour suprême et une Cour d’appel, de sorte que la CPI n’a pas besoin d’intervenir dans le pays.

La délégation a également fait valoir les mesures prises par le pays pour prévenir la torture et pour lutter contre la surpopulation carcérale, contre la corruption, contre la traite de personnes ou encore contre les violences domestiques. Pour ce qui est des exécutions extrajudiciaires, la délégation a par ailleurs indiqué ne pas avoir connaissance de ce type d’exactions depuis l’arrivée du nouveau Président Ferdinand Marcos Jr.

Le Comité adoptera ultérieurement, dans le cadre de séances privées, ses observations finales sur les Philippines. Elles seront rendues publiques à l'issue de la session, qui se termine le 4 novembre prochain.

 

Cet après-midi à 15 heures, le Comité des droits de l'homme entamera l'examen du rapport du Kirghizistan.

 

Examen du rapport

Le Comité est saisi du rapport des Philippines, ainsi que des réponses apportées par le pays à une liste de points à traiter que lui avait adressée le comité.

Présentation du rapport

M. Jesus Crispin C. Remulla, Secrétaire à la justice des Philippines, a indiqué que les élections nationales de mai dernier ont enregistré le taux de participation le plus élevé de l’histoire, soit 83 % des électeurs inscrits qui ont exercé leur droit de vote dans un cadre « libre, équitable et de manière ordonnée ». Avec 63% des suffrages exprimés, Ferdinand Marcos Jr. est devenu le premier président majoritaire depuis des décennies.

Le pays a commencé à entreprendre des réformes phares des mécanismes et processus de justice, en mettant l’accent sur l’inclusion et la justice sociale, a poursuivi M. Remulla. Pour ce faire, les autorités ont notamment entrepris de décongestionner les prisons et d’assurer un traitement humain aux personnes privées de liberté, en construisant un nouvel établissement correctionnel de classe mondiale et en procédant à un examen administratif complet de tous les dossiers des détenus afin de libérer ceux qui n’ont plus de raison d’être détenus. Les autorités se sont aussi engagées à poursuivre les objectifs du Comité d’examen sur les cas de décès découlant de la campagne de lutte contre les drogues illicites. Quarante-six policiers ont été inculpés dans le cadre des 302 affaires qui ont été renvoyées devant le Bureau national d’enquête (NBI). Des opérations antidrogue passées, 222 policiers ont par ailleurs été jugés administrativement responsables et suspendus de leur service. Un programme renforcé de protection des témoins a par ailleurs été mis en place afin d’encourager les témoins et les familles des victimes à se manifester et à déposer plainte.

Plus de 10 millions de Philippins vivent et travaillent aujourd’hui à l’étranger, a poursuivi le chef de la délégation. Au moins un million de Philippins, selon les registres de l’Organisation internationale du Travail (OIT), migrent pour trouver un emploi chaque année. Leur protection continue est assurée par le Département des travailleurs migrants nouvellement créé.

M. Remulla a rappelé que les Philippins avaient élu l’ancien Président Rodrigo Duterte sur un programme visant à lutter contre les drogues illégales, considérées comme une menace pour le droit humain à la vie, et destructeur pour les familles, en particulier les jeunes. Conformément à l’article 23 du Pacte, qui met l’accent sur le devoir de l’État de protéger la famille en tant qu’unité fondamentale de la société, l’État a mené une campagne de lutte contre les drogues illicites. L’ancien Président Duterte a terminé son mandat avec un taux d’approbation de 87%. Les politiques antidrogue des Philippines sont conformes aux normes internationales, a ajouté M. Remulla, précisant que l’action des autorités est guidée par les recommandations et les directives sur la prévention et le contrôle des drogues de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime et de l’Organe international de contrôle des stupéfiants. De juillet 2016 à août 2022, 4627 enfants âgés de 4 à 17 ans ont été secourus durant la campagne contre les drogues illicites, a-t-il indiqué.

Le chef de délégation a poursuivi en indiquant qu’ONU FEMMES a félicité les Philippines pour avoir la définition la plus complète de la violence domestique et pour avoir mis à disposition des mécanismes élaborés et innovants pour les secours aux victimes.

En 2019, la Cour suprême a publié la Règle révisée sur les enfants en conflit avec la loi, dans le but de veiller à ce que le système de justice traite chaque enfant en conflit avec la loi d’une manière qui reconnaît et défend leur dignité et leur valeur humaines. Dans le même ordre d’idées, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a reconnu les efforts déployés par l’Etat pour fournir une protection spéciale dans les situations de conflit armé par le biais d’une loi adoptée en 2019 déclarant les enfants « zones de paix » et offrant une protection contre les violations graves des droits de l’enfant.

Le travail du Conseil interinstitutions sur la violence à l’égard des femmes et de leurs enfants a en outre permis aux mécanismes du pays d’agir dans 13 538 cas sur 21 458 incidents signalés de 2021 à septembre de cette année, a fait savoir M. Remulla.

En réponse au défi mondial de la traite des personnes, le Gouvernement philippin a récemment lancé une campagne contre la traite, qui a abouti à 103 condamnations en 2021, dont 42 sont relatives à des cas d’exploitation sexuelle d’enfants en ligne. Pour poursuivre les efforts de l’État à cet égard, une loi spéciale a également été adoptée cette année pour sanctionner les abus sexuels et l’exploitation visant des enfants.

Le Congrès philippin a en outre adopté une loi prévoyant la régionalisation et la réforme du système correctionnel, a indiqué M. Remulla. Le bureau du Procureur public, qui compte 2 080 personnes, veille à ce que tous les centres de détention soient visités pour s’assurer que les personnes privées de liberté soient traitées correctement, a-t-il ajouté.

« Tout ce que nous demandons, c’est du temps pour mettre notre résolution en action », a déclaré M. Remulla en conclusion, appelant les défenseurs des droits de l’homme à se joindre aux efforts déployés sans relâche par le Gouvernement pour faire progresser les droits de l’homme.

Questions et observations des membres du Comité

Mme Marcia V.J. Kran, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport des Philippines, a indiqué que, d’une manière générale, depuis l’examen du précédent rapport périodique du pays en 2012, le Comité a observé des lacunes dans la protection des droits de l’homme, affectant profondément les titulaires de droits aux Philippines. Les violations, telles que les exécutions extrajudiciaires et les attaques contre les défenseurs des droits humains et les détracteurs du Gouvernement, sont des exemples sérieux qui ont été discutés au Conseil des droits de l’homme la semaine dernière.

Mme Kran a indiqué que de nombreux projets de loi sur les droits de la personne sont toujours en attente, notamment ceux relatifs aux défenseurs des droits de l’homme et à l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

L’experte a par ailleurs rappelé que l’ancien Président Duterte aurait menacé de violence et attaqué verbalement des responsables internationaux, dont l’ancienne Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, Mme Agnès Callamard, et l’ancienne Procureure de la Cour pénale internationale, Mme Fatou Bensouda.

S’agissant des exécutions extrajudiciaires, Mme Kran a relevé qu’elles ont eu lieu en grande majorité dans le cadre de la « guerre contre la drogue » de l’ancien Président Duterte. Elle a dès lors demandé à la délégation en quoi, pour le Gouvernement et les responsables de l’application de la loi, tolérer et promouvoir des ordres de tir pour tuer était conforme aux obligations des Philippines de protéger le droit à la vie en vertu de l’article 6 du Pacte. Elle a souligné que les exécutions extrajudiciaires dans le cadre de la « guerre contre la drogue » étaient des violations flagrantes du droit à la vie, qui doivent cesser pour que l’État partie se conforme à l’article 6 du Pacte. Bien que l’administration de l’ancien Président Duterte ait nié à plusieurs reprises les exécutions extrajudiciaires, l’agence de presse philippine a fait état de plus de 6000 morts. Entre 2016 et 2020, seul le meurtre de Kian Delos Santos, un délinquant lié à la drogue, a été résolu par le tribunal. Il a fallu dix ans pour qu’un procès ait lieu sur le massacre de 2009 à Maguinadanao, au cours duquel plus de 50 personnes ont été tuées, a déploré la corapporteuse, précisant que trois policiers ont été condamnés tandis qu’une trentaine de complices restent impunis.

Malgré de nombreux rapports crédibles, les réponses écrites des Philippines font état d’un manque de preuves concernant l’occurrence et la prévalence des exécutions extrajudiciaires, a poursuivi Mme Kran. Pourtant, en septembre 2021, la Cour pénale internationale a trouvé suffisamment de preuves pour ouvrir une enquête sur les exécutions extrajudiciaires dans le cadre de la guerre contre la drogue aux Philippines, a-t-elle rappelé.

Les nombreuses déclarations de l’ancien Président Duterte accordant l’immunité contre toute poursuite pénale aux fonctionnaires de police qui tuent des personnes suspectées de trafic de stupéfiants sont révélatrices de violations du droit à la vie garanti par le Pacte, a-t-elle insisté.

Le Comité est par ailleurs informé que plus de 100 enfants ont été tués dans la « guerre contre la drogue ». En 2019, un enfant de 3 ans est mort par balle lors d’une descente de police. L’ancien Président Duterte a qualifié les enfants de « dommages collatéraux », a souligné Mme Kran ; jugeant profondément préoccupants les impacts physiques et psychologiques négatifs de toute cette situation sur les enfants.

La corapporteuse a en outre attiré l’attention sur les obstacles institutionnels ainsi que les actes d’intimidation auxquelles se heurtent les familles des victimes d’exécutions extrajudiciaires qui cherchent à obtenir justice. La police ne mène pas d’enquêtes authentiques et ne fournit pas de documents de police, selon une cinquantaine de familles de victimes ayant été tuées, a relevé l’experte.

Mme Kran a par ailleurs rappelé que l’Observation générale n°36 du Comité (sur le droit à la vie) interdit le rétablissement de la peine de mort là où elle a été abolie.

M. Imeru TAMERAT Yigezu, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport des Philippines, a, de son côté, demandé des informations sur les mesures prises pour renforcer la Commission des droits de l’homme des Philippines afin de lui permettre de remplir son mandat en tant qu’institution nationale des droits de l’homme.

Malgré les mesures prises pour lutter contre la surpopulation carcérale, plusieurs rapports montrent que la surpopulation dans les prisons et autres centres de détention reste un grave problème aux Philippines, en raison principalement de l’afflux élevé d’arrestations de suspects dans le cadre de la campagne antidrogue, qui a entraîné une pression accrue sur le système pénitentiaire, a poursuivi l’expert. Par exemple, a-t-il précisé, les rapports dont le Comité est saisi indiquent que les prisons gérées par le Bureau de la gestion des prisons et des peines ont dépassé leur capacité de 403 %. Ces rapports indiquent aussi que les mauvaises conditions d’incarcération sont encore répandues dans les centres de détention et les prisons qui fonctionnent souvent au-delà de leurs capacités. Par exemple, le Bureau de la gestion des prisons et des peines lui-même a confirmé que de nombreuses prisons ne respectent pas l’Ensemble de Règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela).

M. Yadh Ben Achour, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport des Philippines, a, quant à lui, relevé que la corruption demeure répandue dans le pays. Elle touche tous les niveaux de l’Etat, sous ses différentes formes : corruption électorale, administrative, politique ; grande et petite corruption… Il semble que la corruption se soit développée au cours de la campagne contre la pandémie de COVID-19, a ajouté l’expert.

M. Ben Achour a en outre relevé que la lutte contre les groupes armés de l’état islamique dans l’ile de Mandanao, la lutte contre la drogue, les luttes contre les guérillas communistes, les conflits avec les groupes autochtones, et autres conflits sociaux ont donné lieu à des atteintes graves et massives aux droits de l’homme. La situation est d’autant plus grave que des ordres de tuer ont été clairement formulés par l’ancien Président Duterte à propos de la lutte antidrogue ou antiterroriste, a souligné le corapporteur.

S’agissant de la Loi antiterroriste de 2020, M. Ben Achour a relevé que cette loi a été largement dénoncée comme étant de nature à provoquer des abus contre les droits de l’homme et des violations par l’État de ses obligations internationales. La Cour suprême a validé la plupart des dispositions de cette Loi en février 2022 ; elle a cependant invalidé la disposition définissant l’acte terroriste, la déclarant trop large parce qu’elle aurait pu interpréter le terrorisme comme incluant l’exercice de droits civils tels que les protestations, les manifestations et les arrêts de travail. Il faut rappeler que les rapporteurs spéciaux de l’ONU avaient exhorté l’ancien Président Duterte à reconsidérer certains aspects du projet de loi afin de s’assurer qu’il soit conforme aux obligations internationales de l’État partie en matière de droits humains, la définition extrêmement large du terrorisme ayant été dénoncée comme contraire aux normes internationales.

En outre, la pratique du « marquage rouge » consiste à qualifier publiquement ou à étiqueter des individus ou des organisations comme étant des « communistes », des « gauchistes » ou des « terroristes » et donc des « ennemis de l’État », quelles que soient leurs croyances ou affiliations réelles. Cette pratique est utilisée comme stratégie contre les voix qui critiquent le Gouvernement, y compris les défenseurs des droits humains, les avocats, les journalistes et les militants de la société civile, dans le but de les réduire au silence et de délégitimer leur travail professionnel et les droits humains, a fait observer M. Ben Achour.

Relevant par ailleurs que les Philippines affirment que la dépénalisation de l’avortement est à l’étude, M. Ben Achour a souhaité savoir où en est ce projet de dépénalisation.

M. CHRISTOPHER Arif Bulkan, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport des Philippines, a noté l’absence d’une législation antidiscrimination complète aux Philippines, dont il résulte une couverture incomplète de la protection contre toute forme de discrimination. Par exemple, les minorités ethniques, qui ne sont protégées par aucune loi, sont victimes de discrimination dans le cadre du travail, car le Code du travail ne prévoit de protection que contre la discrimination à l’égard des femmes.

Un autre exemple est le maintien de la disposition du Code pénal relative au « grave scandale », qui expose les personnes LGBTI à un harcèlement potentiel, a ajouté M. Bulkan. L’expert a aussi dénoncé des allégations de discrimination à l’encontre des musulmans, des peuples autochtones et des personnes handicapées, entre autres.

M. Bulkan a ensuite relevé que des rapports font état d’un recours généralisé à la torture aux Philippines, principalement en tant qu’outil d’enquête pour extorquer des aveux aux détenus. Ainsi, une ONG a-t-elle documenté, avec des témoignages et des rapports médicaux à l’appui, 244 cas de torture sous l’administration Aquino et 233 sous l’administration Duterte.

M. Bulkan a ajouté qu’Amnesty International avait mené une enquête détaillée en 2014, qui avait conclu qu’une « culture omniprésente de l’impunité » existait au sein de la police.

Un autre expert a exhorté la délégation philippine à communiquer au Comité le nombre d’affaires, de poursuites et de condamnations concernant toutes les formes de violence à l’égard des femmes, ainsi que les peines infligées aux auteurs de ces violences, au cours de la période considérée. Il s’est dit inquiet par l’atmosphère sociale dans le pays, qui considère encore largement la violence domestique comme un simple problème personnel ou familial qui peut être réglé dans les limites du foyer.

Un expert a fait part des préoccupations du Comité face à la pratique endémique de la détention provisoire aux Philippines ; il a relevé que selon certaines informations, 75 % des détenus se trouvent en détention provisoire. Pire encore, on estime que les périodes de détention provisoire durent en moyenne 528 jours avant la tenue du procès, a déploré cet expert.

Le même a également attiré l’attention sur l’exécution d’un projet « particulièrement préoccupant » d’implantation d’un camp militaire à Marawi sur les terres de résidents qui ont été déplacés sans avoir été consultés au sujet du projet.

Un autre expert a demandé à la délégation de préciser plus en détail les mesures concrètes adoptées par les Philippines pour garantir que toutes les personnes détenues bénéficient dans la pratique de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté.

Par ailleurs, a poursuivi l’expert, des rapports montrent qu’en dépit de certains progrès dans ce domaine, les enfants aux Philippines continuent de se livrer aux pires formes de travail des enfants, y compris l’exploitation sexuelle à des fins commerciales, souvent à la suite de la traite. Les rapports indiquent également qu’un enfant philippin sur cinq est victime de différentes formes d’abus et d’exploitation sexuels et qu’un total de 279 166 cas d’exploitation sexuelle en ligne ont été signalés depuis mars 2020.

En outre, a ajouté ce même expert, des rapports indiquent que la commission qui enregistre les organisations de la société civile est utilisée comme mécanisme de surveillance pour cibler et harceler ces organisations, contrairement au droit à la liberté d’association prévu à l’article 22 du Pacte.

Un autre expert a fait observer que les circonstances ayant conduit à l’éviction - par une décision majoritaire de la Cour suprême en mai 2018 – de la juge de la Cour suprême Maria Lourdes Sereno au motif qu’elle n’avait pas satisfait à un critère d’ « intégrité » ont soulevé de sérieuses questions sur le respect de l’indépendance judiciaire par les Philippines. Cet expert a relevé que différents rapports montrent également qu’il y a eu une recrudescence ces derniers temps de menaces publiques et d’intimidations et que plusieurs juges ou avocats ont été assassinés aux Philippines.

Un autre membre du Comité s’est dit extrêmement préoccupé par la situation des défenseurs des droits de l’homme aux Philippines, en soulignant que si les défenseurs ne sont pas protégés, ce sont les droits de l’homme dans leur ensemble qui ne sont pas protégés.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué qu’elle était composée principalement de représentants du pouvoir exécutif et qu’elle ne pouvait pas s’exprimer sur les projets de loi en cours au Parlement. Le pouvoir exécutif ne peut pas intervenir sur les débats des membres du Congrès, s’agissant notamment de la loi sur la peine de mort, a-t-elle insisté. La délégation a par la suite indiqué que lors du prochain examen devant le Comité, il y aurait dans la délégation philippine un membre du Parlement pour évoquer les projets de loi en cours d’examen.

S’agissant du plan national d’action sur les droits de l’homme, la délégation a relevé que le pays en était à sa troisième édition, qui se terminera à la fin de l’année 2022. Ces plans sont composés en partenariat avec les organisations de la société civile, a-t-elle indiqué ; en 2020, une évaluation du plan à mi-parcours a eu lieu qui a vu la participation de toutes les parties prenantes. A la fin de l’année, une évaluation finale de ce plan aura lieu et toutes les parties prenantes seront invitées à réfléchir à la rédaction du quatrième plan national d’action.

S’agissant de la surpopulation carcérale, la délégation a indiqué que les autorités ne niaient pas cette situation, mais elle a souligné que la loi sur la réforme des prisons allait permettre de commencer à régler le problème, avec la construction de quatorze prisons dans différentes régions du pays. La prison des femmes va également être modernisée et déplacée.

S’agissant de la loi antiterroriste de 2020, la délégation a indiqué qu’il y avait eu beaucoup de commentaires à son sujet. L’article 4 de cette loi exclut les manifestations, les grèves et d’autres actes civils et politiques de sa portée, a précisé la délégation. Cette loi n’a pas été adoptée du jour au lendemain, a-t-elle poursuivi : il a fallu treize ans pour élaborer une riposte au terrorisme dans le pays. Par ailleurs, la délégation a fait observer que dans d’autres pays de la région, le délai de détention d’une personne pour terrorisme était bien plus long que la vingtaine de jours prévue dans la loi philippines. La Cour suprême a étudié en profondeur cette loi et de nombreuses campagnes sont menées afin de faire connaitre à la population mais aussi aux policiers et aux militaires la teneur des dispositions de cette loi, a ajouté la délégation.

La délégation a d’autre part indiqué que les autorités entendaient renforcer le processus de justice transitionnelle et de réconciliation dans le pays via un projet de loi soumis au Congrès.

S’agissant de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées , la délégation a indiqué que les discussions autour de la ratification de cet instrument sont en cours au Sénat – seule institution à avoir la compétence de ratifier des traités et conventions internationaux. Les Philippines ont été l’un des premiers pays à avoir adopté une législation dans ce domaine [des disparitions forcées], a ajouté la délégation.

S’agissant des exécutions extrajudiciaires, la délégation a indiqué ne pas avoir connaissance de ce type d’exactions depuis l’arrivée du nouveau Président. Il n’y a pas de politique pour tuer les gens aux Philippines, a par la suite insisté la délégation. Les allégations d’exécutions extrajudiciaires sont très graves et ne sont pas prises à la légère, a-t-elle assuré, avant de rappeler que des enquêtes ont été menées sur 90 cas.

La délégation a ensuite indiqué que la campagne antidrogue du nouveau Gouvernement avait pour priorité la prévention. Il s’agit d’une stratégie équilibrée et cohérente qui vise à supprimer la toxicomanie dans les communautés dans le respect des droits de l’homme, afin de rendre les Philippines exempte de drogue. La délégation a indiqué que le pays suivait les approches de l’OMS et de l’ONUDC dans ce domaine. Les toxicomanes bénéficient d’un soutien dans l’accès aux soins pour lutter contre leur dépendance.

S’agissant du décès d’enfants durant la guerre contre la drogue, la délégation a indiqué que les enquêtes ont montré que trois enfants – et non pas une centaine – ont été tués. Lors d’une opération, a précisé la délégation, des enfants ont été tués de façon accidentelle alors que c’était le père qui était visé, et un policier a été condamné dans cette affaire. Au contraire, des milliers d’enfants ont été sauvés grâce aux opérations antidrogue, a assuré la délégation.

Les personnes chargées de collecter les données sur les toxicomanes doivent respecter les règles relatives à la vie privée, a en outre assuré la délégation. S’agissant de la liste de surveillance générée par les forces de police, la délégation a indiqué qu’elle sert d’outils de surveillance uniquement à l’usage des autorités.

La délégation s’est par ailleurs dite troublée par les affirmations d’un membre du Comité concernant la corruption. Le bureau contre la corruption est chargé de lutter contre ce phénomène ; il s’agit d’un bureau indépendant qui ne peut subir l’influence d’aucune des trois branches du pouvoir.

S’agissant du renforcement de la Commission nationale des droits de l’homme, la délégation a indiqué que cette institution était indépendante et qu’elle jouit du statut A de pleine conformité aux Principes de Paris. Cette Commission atteste de la démocratie aux Philippines, a insisté la délégation, ajoutant que son budget avait légèrement diminué dernièrement en raison des difficultés économiques du pays, qui ont touché toutes les institutions. L’institution nationale des droits de l’homme des Philippines reste une des plus puissantes au monde, a insisté la délégation.

La délégation a par ailleurs indiqué que les Philippines étant une démocratie, chacun peut s’exprimer comme il le souhaite dans ce pays. La liberté d’expression est totale, a-t-elle insisté. Ainsi, il existe de nombreux médias publics et privés ainsi que de multiples médias en ligne, sur les réseaux sociaux et autres.

La délégation a en outre relevé qu’il existe dans le pays des centres de protection pour les femmes, les enfants, et les personnes LGBTI .

Les droits de l’homme font partie de la formation des agents de police, s’agissant notamment des mesures de protection en faveur des femmes et des enfants, a d’autre part indiqué la délégation. Elle a ensuite ajouté que tous les policiers suivaient une formation destinée à prévenir tout acte de torture. Depuis 2009, quatre policiers ont été mis à pied pour des faits relatifs à de la torture, a indiqué la délégation, assurant que tous les cas de violations par des policiers doivent faire l’objet d’enquête. Tous les signalements d’actes de torture font l’objet d’enquêtes, a insisté la délégation.

Durant la pandémie de COVID-19, un site web a été dédié aux signalements de violences domestiques, a souligné la délégation. Plus de 2000 cas de violences ont été signalés durant cette pandémie, a-t-elle précisé, avant d’indiquer qu’il revient à la victime d’engager une procédure judiciaire. Les autorités orientent les victimes vers un soutien psychosocial et parfois, ce soutien et l’éloignement des auteurs de violence peut suffire pour les victimes qui ne souhaitent pas s’engager dans une procédure judicaire, a expliqué la délégation.

S’agissant de la destitution de la juge de la juge Maria Lourdes Sereno par la Cour suprême, la délégation a indiqué que les procédures avaient été respectées et a rappelé que ce sont ses pairs qui l’ont destituée en raison de faits tangibles et non pas parce que c’était une femme. Quant à la Sénatrice Leila de Lima, elle est en prison pour liens prouvés avec le milieu de la drogue et non pas parce que c’est une femme, a ajouté la délégation.

S’agissant du catalogage des organisations de la société civile (« Red tagging ») , il faut faire attention avec ce terme, a affirmé la délégation. Les organisations cataloguées ne le sont qu’en raison d’une infraction pénale, a-t-elle assuré.

La délégation a ensuite indiqué que la loi de 1997 sur les droits des peuples autochtones concerne l’ensemble de ces communautés, qui représentent 13% de la population dans l’archipel. Les Philippines ont ainsi été l’un des premiers États à reconnaitre leurs droits, notamment à l’eau et aux terres ancestrales, a fait valoir la délégation.

Les Philippines se sont retirées du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), car tout le système judiciaire interne fonctionne sur tout le territoire, avec une Cour suprême et une Cour d’appel. La CPI n’a donc pas besoin d’intervenir dans le pays, a déclaré la délégation.

S’agissant des défenseurs des droits de l’homme, la délégation philippine a indiqué qu’elle était elle-même composée uniquement de militants des droits de l’homme et qu’aucun défenseur ne saurait prôner la violence pour régler les différends. Il ne faut pas qualifier les personnes favorables à la violence de défenseurs des droits de l’homme, a souligné la délégation.

Remarques de conclusion

M. Remulla a remercié les experts pour ce dialogue qui a permis à chacun de mieux comprendre la situation aux Philippines. Le Gouvernement philippin, malgré le fait qu’il ne soit en fonction que depuis une centaine de jours, fait son possible pour mettre en œuvre les droits de l’homme sur son territoire, a ajouté le Secrétaire à la justice, avant d’assurer que sa délégation a pris bonne note de toutes les suggestions des experts. La priorité du nouveau Gouvernement est la mise en œuvre des droits de la population avec un système de justice amélioré, s’agissant notamment des services de poursuites, a-t-il indiqué. Le pouvoir judiciaire joue un rôle très particulier dans ce domaine, car il incarne la raison humaine dans les décisions prises, a-t-il insisté. Malheureusement, dans cet exercice de la justice, certains ont perdu la vie, a-t-il souligné.

Les autorités philippines veulent également améliorer le système de détention, car l’image de prisons surpeuplées est catastrophique pour toute société civilisée, a poursuivi le chef de délégation. Ce n’est pas parce qu’une personne a violé les droits d’autrui que l’État doit violer les droits de cette personne, a-t-il insisté. L’objectif est de libérer le plus rapidement possible les détenus qui peuvent l’être, notamment en ayant recours aux libérations sous caution, a fait savoir M. Remulla.

Mme Photini PAZARTZIS, Présidente du Comité, a remercié la délégation pour ce dialogue qui – a-t-elle souligné – a été dense et franc. Il a été possible d’évoquer les progrès et des défis liés à la mise en œuvre du Pacte aux Philippines, a-t-elle relevé. Le Comité a pris très au sérieux l’engagement du chef de la délégation d’améliorer la mise en œuvre des droits de l’homme dans le pays, ce qui devra impliquer l’ensemble des branches du pouvoir philippin, a-t-elle ajouté. Toute forme de restriction faite à la société civile et aux défenseurs des droits de l’homme préoccupe le Comité, a souligné la Présidente, rappelant que certaines organisations ont informé le Comité de certaines pratiques, notamment le catalogage, qu’il faudra surmonter.

 

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