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S'attaquer aux héritages du colonialisme peut permettre de surmonter les inégalités au sein des États et entre eux et de relever les défis du développement durable, affirme la Haute-Commissaire aux droits de l’homme par intérim

Compte rendu de séance

 

Après avoir achevé son dialogue avec le Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones en entendant les déclarations de plusieurs délégations*, le Conseil des droits de l’homme a tenu, cet après-midi une réunion-débat sur les effets négatifs de l’héritage du colonialisme sur l'exercice des droits de l’homme. Il a par ailleurs entendu le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, M. José Francisco Calí Tzay, présenter son rapport thématique, qui porte sur « Les femmes autochtones et le développement, l’application, la préservation et la transmission des savoirs scientifiques et techniques », et rendre compte de la visite qu’il a effectuée au Costa Rica en décembre 2021. Le Costa Rica a alors fait une déclaration en tant que pays concerné.

Dans une déclaration liminaire ouvrant la réunion-débat sur les effets négatifs de l’héritage du colonialisme, la Haute-Commissaire aux droits de l’homme par intérim, Mme Nada Al-Nashif, a rappelé qu’en juillet dernier, le Haut-Commissariat avait présenté au Conseil un rapport sur la justice raciale et l'égalité qui a révélé que le racisme systémique à l'encontre des Africains et des personnes d'ascendance africaine persistait en grande partie en raison de l'idée erronée selon laquelle l'abolition de l'esclavage, la fin du commerce transatlantique des Africains et du colonialisme, ainsi que les mesures prises par les États à ce jour, auraient supprimé les structures racialement discriminatoires créées par ces pratiques et engendré des sociétés égalitaires. En réalité, a souligné Mme Al-Nashif, « aucun État n'a pris en compte de manière exhaustive le passé ni les effets actuels du racisme systémique, notamment la saisissante marginalisation socioéconomique et politique qui détermine encore la vie des personnes d'ascendance africaine dans certains pays ».

« S'attaquer aux héritages du colonialisme peut permettre de surmonter les inégalités au sein des États et entre eux et de relever les défis du développement durable au XXIe siècle », a affirmé la Haute-Commissaire par intérim.

La Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Mme Verene Sheperd, a insisté sur le fait que l'indépendance politique et la décolonisation n’avaient pas entraîné la fin du « mal appelé colonialisme ». De fait, la décolonisation a donné aux ex-colonies une liberté d'action, mais rarement l'occasion de l'exploiter pleinement, car la décolonisation économique n'accompagne pas nécessairement la décolonisation politique, a-t-elle fait observer. En d'autres termes, le monde post-colonial a conservé des formes de colonialisme qui s'expriment par la manipulation, l'exploitation, l'expropriation culturelle et les inégalités – même si le colonialisme en tant que phénomène politique appartient pour l'essentiel au passé, a expliqué Mme Sheperd. Il est temps que les anciennes puissances coloniales admettent les torts du passé et engagent un dialogue sur la justice réparatrice avec les anciennes colonies, a-t-elle affirmé.

Pour la modératrice du débat, Mme Tendayi Achiume, Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, parler d'« effets négatifs » risque de minimiser ce dont il est réellement question, à savoir des formes profondément ancrées de racisme systémique qui sont le résultat d'héritages persistants de l'esclavage et du colonialisme, et un monde où la race et l'ethnicité déterminent dans une grande mesure la jouissance des droits humains fondamentaux. Il ne saurait y avoir de véritable solution aux crises mondiales les plus urgentes sans une prise en compte sérieuse de l’héritage du colonialisme, a assuré Mme Achiume.

La réunion-débat a ensuite compté avec la participation de plusieurs panélistes : M. José Francisco Calí Tzay, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ; MM. Mihir Kanade et Koen De Feyter, tous deux membres du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement ; et M. Fabian Salvioli, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition.

De nombreuses délégations** ont ensuite pris part au débat.

Après que le Conseil eut achevé, en début d’après-midi, son dialogue avec le Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, le Président du Conseil, M. Federico Villegas, a informé l’assemblée d’une « situation inacceptable » impliquant un membre de ce Mécanisme, Mme Anexa Alfred Cuningham qui, en juillet dernier, après s’être rendue à Genève pour participer à la quinzième session du Mécanisme, a été empêchée d'embarquer sur son vol de retour vers le Nicaragua, le Gouvernement du Nicaragua ayant stipulé que son entrée dans le pays serait refusée. M. Villegas a indiqué avoir demandé à de nombreuses reprises la clarification de cette situation ainsi que la coopération du Gouvernement pour rectifier les choses. Cependant, « je n’ai jamais reçu de réponse », a-t-il indiqué, affirmant que le refus du Nicaragua d'autoriser le retour de Mme Alfred Cunningham représente un acte de représailles pour sa participation à la session du Mécanisme et est totalement inacceptable.

 

Demain matin, à 10 heures, le Conseil engagera son dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, qui a présenté son rapport cet après-midi.

 

Fin du dialogue avec le Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones

Aperçu du dialogue

Plusieurs délégations ont estimé que les droits des peuples autochtones ne seront pleinement et efficacement mis en œuvre que lorsque ces derniers jouiront d’une représentation et une participation adéquates aux affaires publiques aux niveaux local, national et international. Les populations autochtones représentent aujourd’hui 6% de la population mondiale et font partie des sociétés les plus marginalisées, a-t-il été observé. Leur rôle dans la préservation et la diffusion des connaissances et de la culture autochtones est primordial pour les sociétés modernes, a-t-il par ailleurs été souligné.

Certains orateurs ont rappelé que la Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) avait été proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 2019 et ont insisté sur l’importance de mener des efforts conjoints pour sensibiliser le plus largement possible aux langues autochtones dans le cadre de cette Décennie. Ainsi, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a-t-elle créé en 2021 un Groupe de travail mondial pour l’élaboration d’une Décennie d’action pour les langues autochtones, a-t-il été souligné, l’objectif étant de veiller à ce que tous les peuples aient le droit et la liberté d’utiliser les langues qu’ils ont choisies.

Plusieurs intervenants ont fait état de mesures prises pour faire progresser les droits des peuples autochtones dans la société et pour protéger l’accès de ces peuples à leurs terres ancestrales et à leurs ressources naturelles et culturelles. Seule la contribution au Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones permettra de combattre les inégalités et de réduire les vulnérabilités dont souffrent ces derniers, a-t-il été affirmé. D’aucuns ont regretté que - comme cela est indiqué dans le rapport du Mécanisme d'experts - seuls deux États aient contribué à l'achèvement de l’Étude [du Mécanisme d’experts] sur les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus entre les peuples autochtones et les États.

Les discriminations et les préjugés à l’encontre des populations autochtones persistent, a-t-il été observé. Leurs droits sont violés et les communautés autochtones sont souvent incapables d’accéder à des recours juridiques appropriés pour se défendre, a-t-il été ajouté.

Le Conseil a été appelé à renouveler et concerter ses efforts pour inclure les communautés autochtones dans les processus multilatéraux de prise de décision.

*Liste des intervenants : Fédération de Russie, Chine, Pérou, États-Unis, Bolivie, Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Malawi, Philippines, Ukraine, République islamique d’Iran, Genève pour les droits de l’homme : formation internationale, Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue and Democracy (MIFTAH), Non c'è pace senza giustizia, GIN SSOGIE NPC, Conselho Indigenista Missionário CIMI, Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII, Peace Brigades International, Conectas Direitos Humanos, Meezaan Center for Human Rights, Prahar.

Réponses et remarques de conclusion

M. BINOTA MOY DHAMAI, Président-Rapporteur du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, a précisé que l’« Étude sur les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus entre les peuples autochtones et les États, y compris les accords de paix et les initiatives de réconciliation, et leur reconnaissance dans les textes constitutionnels » respecte les principes de la Charte des Nations Unies. Reconnaître les droits des peuples autochtones favorise les relations harmonieuses et les partenariats entre les peuples autochtones et les États, a-t-il souligné.

Par ailleurs, M. Dhamai a fait savoir que le Mécanisme d’experts avait suivi avec préoccupation la situation de l’experte nicaraguayenne de ce Mécanisme, Mme Anexa Alfred Cuningham, qui après avoir participé à une réunion en juillet dernier à Genève n’a pas pu rentrer ensuite dans son pays. Le Mécanisme n’est pas intimidé par cet acte répréhensible et continuera de mettre en œuvre son mandat, a assuré le Président-Rapporteur.

En raison de la pandémie, a poursuivi M. Dhamai, les peuples autochtones ont été ceux qui ont rencontré le plus de difficultés pour faire entendre leurs voix. Le présent dialogue [autour des travaux du Mécanisme] constitue donc une importante plate-forme pour les peuples autochtones et les États et c’est pourquoi, le Mécanisme d’experts espère que toutes les parties prenantes vont s’appuyer sur les conclusions de cette Étude [sur les traités, accords et autres arrangements constructifs conclus entre les peuples autochtones et les États] pour élaborer des outils.

À ce stade de la réunion, M. FEDERICO VILLEGAS, Président du Conseil des droits de l’homme, a informé l’assemblée d’une « situation inacceptable » impliquant un membre du Mécanisme d'experts sur les droits des peuples autochtones, Mme Anexa Alfred Cuningham. L’experte, de nationalité nicaraguayenne, a été nommée par le Conseil en avril dernier en tant que membre du Mécanisme pour l'Amérique centrale et du Sud, a-t-il rappelé. En juillet dernier, a-t-il fait savoir, Mme Alfred Cunningham s'est rendue à Genève pour participer à la quinzième session du Mécanisme ; mais après la session, elle a été empêchée d'embarquer sur son vol de retour vers le Nicaragua, le Gouvernement du Nicaragua ayant stipulé que son entrée dans le pays serait refusée. M. Villegas a indiqué avoir demandé à de nombreuses reprises la clarification de cette situation ainsi que la coopération du Gouvernement pour rectifier les choses. Cependant, « je n’ai jamais reçu de réponse ni de garanties du Gouvernement que Mme Alfred Cunningham serait en mesure de retourner au Nicaragua », a indiqué le Président du Conseil.

Le refus du Nicaragua d'autoriser le retour de Mme Alfred Cunningham représente un acte de représailles pour sa participation à la session du Mécanisme et est totalement inacceptable, a insisté M. Villegas. Il a demandé au Nicaragua de rectifier immédiatement cette situation et a rappelé à tous les pays membres et observateurs du Conseil l'importance de respecter les droits des personnes que le Conseil nomme.

Dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones

Le Conseil est saisi de deux rapports du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones concernant, respectivement, « Les femmes autochtones et le développement, l’application, la préservation et la transmission des savoirs scientifiques et techniques » (A/HRC/51/28) et la visite que le Rapporteur spécial a effectuée au Costa Rica en décembre 2021 (A/HRC/51/28/Add.1).

Présentation

M. JOSÉ FRANCISCO CALÍ TZAY, Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, a rappelé que son rapport thématique portait sur le rôle des femmes autochtones en tant que dépositaires de connaissances scientifiques et techniques, et sur l'importance de continuer à préserver et à transmettre ces connaissances.

Comme l'indique le rapport, a souligné le Rapporteur spécial, les connaissances des femmes autochtones sont essentielles au maintien de l'identité culturelle, à la gestion des risques et des effets des changements climatiques, à la protection de la biodiversité, à la réalisation du développement durable et au renforcement de la résilience face aux pandémies et autres événements extrêmes. Par exemple, dans le monde entier, les femmes autochtones jouent un rôle clef dans la sécurité alimentaire en gérant des banques de semences communautaires : leur rôle de gardiennes renforce ainsi la capacité de résistance aux changements climatiques en préservant les variétés de semences menacées.

Parallèlement, les langues autochtones disparaissent à une vitesse alarmante et, avec elles, des connaissances et une culture inestimables se perdent, a mis en garde M. Calí Tzay. C’est pourquoi les femmes autochtones demandent de toute urgence que des programmes d'enseignement des langues autochtones soient élaborés et appliqués en consultation avec elles, afin de favoriser la transmission intergénérationnelle des connaissances, a expliqué le Rapporteur spécial.

M. Calí Tzay a indiqué que de nombreuses femmes autochtones lui avaient fait part de leur préoccupation face à l'absence de protection juridique et de droits de propriété intellectuelle concernant leurs connaissances. L'art et la culture autochtones sont exploités à des fins touristiques et commerciales et, dans certains cas, les connaissances autochtones sur les plantes sont détournées par des entreprises pharmaceutiques ou agricoles sans autorisation et sans que les détenteurs de ces connaissances soient reconnus ou rémunérés. Le rapport évoque à cet égard plusieurs « bonnes pratiques », comme l'intégration des pratiques médicales autochtones dans des cliniques gérées ou financées par l'État.

Rendant ensuite compte de sa visite officielle au Costa Rica, le Rapporteur spécial a dit avoir observé que les peuples autochtones continuent d’y souffrir d’une forte discrimination et de la pauvreté, qui affectent leur accès à la justice, à l'éducation, à la santé et à la vie politique. Le Rapporteur spécial est aussi préoccupé par les attaques contre les dirigeants autochtones qui défendent leurs terres et leurs ressources naturelles : dans la plupart des cas, la cause en est l'absence de mise en œuvre du processus de démarcation et de restitution des terres prévu par la loi, ce qui se traduit par l'absence de régime foncier pour les peuples autochtones. Aussi, M. Calí Tzay a-t-il prié le Gouvernement du Costa Rica d'assurer un dialogue constructif et de bonne foi avec les peuples autochtones afin de résoudre les problèmes liés aux droits fonciers. Il s’est ensuite réjoui que le Gouvernement costaricien ait adopté un mécanisme de consultation qui cherche à se conformer aux normes internationales en matière de droits humains.

Pour conclure sa présentation, M. Calí Tzay a fait savoir qu’au cours de l'année écoulée, il avait reçu nombre de plaintes concernant des violations des droits des peuples autochtones dans le monde entier commises dans le cadre de mesures de conservation ou liées à des projets de développement, tels que projets d'exploitation minière, de transport et de tourisme ; de même que des restrictions des droits à la liberté d'expression et de réunion. Quant à la pollution de l'environnement, notamment des sources d'eau, elle devient de plus en plus préoccupante, a-t-il ajouté.

Pays concerné

Le Costa Rica a indiqué avoir pris des mesures pour renforcer les mécanismes de dialogue, d'interaction et de participation impliquant les peuples autochtones, en tant qu’étape vers la compréhension et le traitement des problématiques rencontrées par les peuples autochtones – des problématiques qui persistent et entravent leur plein développement économique et social.

Le Costa Rica réaffirme son engagement à garantir le respect des droits territoriaux des peuples autochtones et reconnaît que l'une des principales causes d'insécurité et de violence pour ces peuples provient de l'incertitude quant au régime de propriété qui les régit, a poursuivi la délégation costaricienne. Le pays continuera à relever les défis existants, avec la ferme conviction que la base spirituelle et matérielle de l'identité des peuples autochtones se fonde principalement sur leur relation unique avec leurs terres traditionnelles, qui est en outre essentielle pour leur survie culturelle, leur sécurité individuelle et leur intégrité communautaire. Le Costa Rica a fait des progrès dans le plan de récupération des terres autochtones, a assuré la délégation.

Réitérant l’engagement du Costa Rica à protéger les défenseurs et défenseures des droits de l’homme, la délégation a souligné que l'État costaricien avait condamné au plus haut niveau la mort regrettable de deux leaders autochtones. À ce jour, a-t-elle indiqué, les enquêtes sur ces affaires sont activement poursuivies au niveau judiciaire. Dans le cas de Yehry Rivera, le ministère public a présenté l'accusation devant la Cour pénale de Buenos Aires de Puntarenas, et l'audience préliminaire a déjà eu lieu. Dans le cas de Sergio Rojas, le ministère public a rouvert l'enquête au début de l'année dernière (2021), afin de recueillir davantage de preuves pour établir objectivement la vérité réelle des faits. Avec l’appui des Nations Unies, a été engagé un processus d’élaboration d’une politique institutionnelle d’accès à la justice en consultation avec les peuples autochtones, a d’autre part indiqué la délégation.

Réunion-débat sur les effets négatifs de l’héritage du colonialisme sur l’exercice des droits de l’homme

Conformément à sa résolution 48/7, le Conseil tient cet après-midi une réunion-débat « afin de recenser les difficultés à surmonter pour pouvoir remédier aux effets négatifs qu’a l’héritage du colonialisme sur l’exercice des droits de l’homme et de débattre de la marche à suivre ».

La réunion-débat a été ouverte par M. Villegas, qui a présenté les intervenants.

Déclarations liminaires

MME NADA AL-NASHIF, Haute-Commissaire aux droits de l’homme par intérim, a rappelé que, comme l'ont reconnu les États en adoptant la Déclaration et le Programme d'action de Durban en 2001, le colonialisme avait engendré le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. À titre individuel, certains États ont aussi reconnu que les Africains et les personnes d'ascendance africaine, les personnes d'ascendance asiatique ainsi que les peuples autochtones ont été victimes du colonialisme et de ses conséquences.

En juillet dernier, a ensuite rappelé Mme Al-Nashif, le Haut-Commissariat a présenté au Conseil un rapport sur la justice raciale et l'égalité (A/HRC/47/53), qui a révélé que le racisme systémique à l'encontre des Africains et des personnes d'ascendance africaine persistait en grande partie en raison de l'idée erronée selon laquelle l'abolition de l'esclavage, la fin du commerce transatlantique des Africains et du colonialisme, ainsi que les mesures prises par les États à ce jour, auraient supprimé les structures racialement discriminatoires créées par ces pratiques et engendré des sociétés égalitaires. En réalité, a souligné la Haute-Commissaire par intérim, « aucun État n'a pris en compte de manière exhaustive le passé ni les effets actuels du racisme systémique, notamment la saisissante marginalisation socioéconomique et politique qui détermine encore la vie des personnes d'ascendance africaine dans certains pays ». Si certains États ont pris des initiatives pour réformer les lois et pratiques héritées de l’ère coloniale qui ne sont pas conformes au droit international relatif aux droits de l’homme, dans de nombreux autres États, ces lois continuent d’entraver les libertés fondamentales et le développement économique, a relevé Mme Al-Nashif, avant de faire observer que l’héritage continu du colonialisme a eu des impacts disproportionné sur les droits, les cultures et les langues des peuples autochtones, ainsi que sur leurs opportunités et leur prospérité économiques.

Mme Al-Nashif a également rappelé que le Haut-Commissariat avait à de multiples reprises attiré l’attention sur la montée du racisme, de la xénophobie et de la stigmatisation visant les Asiatiques et les personnes d’ascendance asiatique dans certains pays durant la pandémie de COVID-19.

Pour aborder l’impact durable de l’héritage du colonialisme sur de nombreuses sociétés et ses liens avec les formes contemporaines de racisme, la discrimination raciale et les inégalités de longue date, la Haute-Commissaire par intérim a recommandé d’identifier les structures, lois et politiques qui perpétuent la discrimination, la marginalisation et l'exclusion. S'attaquer aux héritages du colonialisme peut permettre de surmonter les inégalités au sein des États et entre eux et de relever les défis du développement durable au XXIe siècle, a affirmé Mme Al-Nashif.

Au chapitre des recommandations, Mme Al-Nashif a notamment évoqué la construction d’un récit partagé sur l’esclavage, le commerce transatlatique des Africains réduits en esclavage et le colonialisme, ainsi que sur leurs conséquences durables pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine. Elle a également parlé de « réparer des siècles de violence et de discrimination par le biais d’initiatives de grande envergure et significatives, au sein des États et entre eux, notamment par une reconnaissance et des excuses officielles, des processus de révélation de la vérité et des réparations sous diverses formes ».

MME VERENE SHEPERD, Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, a insisté sur le fait que l'indépendance politique et la décolonisation n’avaient pas entraîné la fin du « mal appelé colonialisme ». De fait, la décolonisation a donné aux ex-colonies une liberté d'action, mais rarement l'occasion de l'exploiter pleinement, car la décolonisation économique n'accompagne pas nécessairement la décolonisation politique, a-t-elle fait observer. Par conséquent, la mesure dans laquelle les anciennes colonies ont pu jouir de droits socioéconomiques a été limitée par les effets persistants du colonialisme, en particulier l'idéologie de la suprématie blanche. En d'autres termes, le monde post-colonial a conservé des formes de colonialisme qui s'expriment par la manipulation, l'exploitation, l'expropriation culturelle et les inégalités – même si le colonialisme en tant que phénomène politique appartient pour l'essentiel au passé, a expliqué Mme Sheperd.

Aujourd'hui, a-t-elle poursuivi, les effets du colonialisme se manifestent dans la dégradation de l'environnement qui a conduit aux changements climatiques ; dans le sous-développement économique, dans la discrimination raciale et le profilage racial ; et dans le racisme structurel, qui se traduit par un accès inégal aux soins de santé, à l'éducation et à la justice. Ces problèmes socioéconomiques contemporains ne sont pas sans lien avec le passé, a fait remarquer Mme Sheperd : on sait, par exemple, que l'esclavage aux Caraïbes n'a été profitable qu'aux colonisateurs, qui ont ensuite laissé la région dans un état de sous-développement et d’inégalités socioéconomiques paralysantes. Les séquelles du colonialisme sont profondes et enracinées dans les injustices historiques, a insisté la Présidente du Comité.

La Déclaration et le Programme d’action de Durban, jalon important dans la formulation des méfaits du colonialisme, mettent l'accent sur les formes structurelles du racisme et de la discrimination raciale qui, à ce jour, requièrent une attention urgente. Ils reconnaissent que le colonialisme a conduit au racisme, à la discrimination raciale, à la xénophobie et à l'intolérance qui y est associée, et que les Africains et les personnes d'ascendance africaine, les Asiatiques et les personnes d'ascendance asiatique et les peuples autochtones ont été victimes du colonialisme et continuent d’être victimes de ses conséquences.

Ces injustices, connues depuis longtemps, n'ont pas fait l'objet de mesures concrètes : il est donc temps que les anciennes puissances coloniales admettent les torts du passé et engagent un dialogue sur la justice réparatrice avec les anciennes colonies, a conclu Mme Sheperd.

Pour la modératrice du débat, MME TENDAYI ACHIUME, Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, parler d'« effets négatifs » risque de minimiser ce dont il est réellement question, à savoir des formes profondément ancrées de racisme systémique qui sont le résultat d'héritages persistants de l'esclavage et du colonialisme, et un monde où la race et l'ethnicité déterminent dans une grande mesure la jouissance des droits humains fondamentaux.

Dans une période marquée par plusieurs crises, il peut être tentant pour les États Membres de considérer l'héritage du colonialisme comme une question secondaire pour se concentrer sur ces crises. Or, a insisté Mme Achiume, il ne saurait y avoir de véritable solution aux crises mondiales les plus urgentes sans une prise en compte sérieuse de l’héritage du colonialisme. En effet, les héritages du colonialisme déterminent l’économie mondiale, ainsi que les modes d'extraction, de production et de consommation qui sont au cœur des crises écologiques.

Il ne peut y avoir de justice climatique sans justice raciale et il ne peut y avoir de solution à l'urgence climatique qui ne tienne compte des héritages coloniaux, a insisté la Rapporteuse spéciale. La responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour un avenir juste incombe aux pays qui, par le passé et aujourd'hui, ont bénéficié du colonialisme, a résumé Mme Achiume.

Exposés des panélistes

En tant que Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, M. JOSÉ FRANCISCO CALÍ TZAY a fait observer qu’en vertu du droit international des droits de l’homme, les peuples autochtones jouissent d’un statut spécial qui leur donne droit à une série de droits collectifs – tels que le droit à l’autodétermination, le droit à la terre et aux ressources ou encore le droit au consentement préalable libre et éclairé – dont la reconnaissance implique que soient réparés les actes répréhensibles du passé dus à l’histoire coloniale et aux politiques d’assimilation et qu’il soit tenu compte des spécificités politiques, culturelles et sociales autochtones au sein de la société démocratique.

M. Cali Tzay a insisté sur l' importance de reconnaître le droit des peuples autochtones à l'autodétermination, qui – comme son mandat l’a réitéré à plusieurs occasions – ne constitue aucunement un danger pour l’unité et l’intégrité de l’État, mais qui au contraire constitue un élément central pour la réparation collective des violations historiques et systématiques des droits humains des peuples autochtones. Cette reconnaissance doit être vue comme la base du dialogue pour la construction d'une nouvelle relation entre les peuples autochtones et les États, a insisté le Rapporteur spécial. Il a rappelé les effets négatifs du colonialisme sur les droits des peuples autochtones – effets qui se sont traduits en autres par un racisme systémique, une pauvreté cyclique, des inégalités économiques, la violence, un suremprisonnement, de mauvais résultats en matière de santé, une invisibilité, la dépossession des terres traditionnelles, la perte des langues et des cultures autochtones, la criminalisation des défenseurs des droits humains des autochtones, ou encore l’assimilation forcée, entre autres. C’est pourquoi, il est essentiel de prendre des mesures concrètes pour s'attaquer aux héritages négatifs du colonialisme, afin de protéger et de soutenir les peuples autochtones, a souligné le Rapporteur spécial.

M. MIHIR KANADE, Président du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement, a fait observer que le droit au développement est apparu comme la réponse normative aux impacts négatifs des héritages du colonialisme sur les droits de l'homme. Il a ajouté que « la réticence continue de nombreuses anciennes puissances coloniales à rendre opérationnel le droit au développement est un héritage continu du colonialisme ». En outre, alors que les institutions actuelles de gouvernance mondiale reflètent un héritage colonial, il existe des outils pratiques pour rendre opérationnel le droit au développement et traiter les impacts négatifs de cet héritage continu, a souligné le Président du Mécanisme.

Pour l'avenir, il est clair que l'opérationnalisation du droit au développement est un moyen important de s'attaquer aux impacts négatifs de l'héritage du colonialisme, a insisté M. Kanade, affirmant qu’un instrument juridiquement contraignant contribuera grandement à rendre ce droit opérationnel. M. Kanade a invité le système des Nations Unies à veiller à ce que le droit au développement soit intégré et promu par les équipes de pays des Nations Unies et dans toutes les entités, programmes et fonds des Nations Unies.

M. FABIAN SALVIOLI, Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, a expliqué que les causes profondes de la violence coloniale pouvaient être traitées par les mécanismes propres au processus de justice transitionnelle. L'héritage des violations des droits de l'homme découlant du colonialisme peut être analysé en se penchant sur deux types de contextes : les contextes où les colonies se sont appropriées la terre et les ressources des peuples originels, en les déplaçant et en les dépossédant ; et les contextes où l’empire colonial s’est retiré mais où se perpétuent les structures de pouvoir, la marginalisation de groupes ethniques déterminés ou l’expropriation des terres.

Dans le premier contexte, les composantes de la justice transitionnelle peuvent apporter des contributions importantes : établissement des faits et des conditions qui ont rendu possibles les violations des droits ; reconnaissance des responsabilités et excuses publiques ; réparations individuelles et collectives ; ou encore travail de mémoire et restauration de la dignité des victimes. Dans ce même contexte, les garanties de non-répétition sont d’une grande importance car elles permettent d'identifier et de réformer les normes et les structures étatiques oppressives, ainsi que les conditions matérielles et idéologiques qui maintiennent les injustices structurelles subies par les peuples d’origine.

Dans le deuxième contexte, les mesures de justice transitionnelle mises en place nécessiteront une conversation entre l'ancienne puissance colonisatrice et l'ancienne colonie et leur nature dépendra de l'acteur qui initie le processus et des raisons qui l’animent (demande des victimes et/ou de la société civile). Ici, le devoir de fournir des recours effectifs aux victimes, de garantir la responsabilité, de contribuer à la vérité et à la mémoire, de faciliter l'accès sans restriction aux archives et d'accorder des réparations aux victimes incombe clairement à l'ancienne puissance colonisatrice. L'État devenu indépendant, pour sa part, doit assumer des obligations en tant que nouveau gestionnaire de l'État : ces obligations ne concernent pas la responsabilité des actes commis par la puissance colonisatrice, mais portent sur la réhabilitation, la réintégration socioéconomique et l'accès des victimes à la justice, à l'éducation, à la santé et aux services essentiels, ainsi que sur la recherche de la vérité et la commémoration, a souligné M. Salvioli.

Les processus de recherche de la vérité historique, de reconnaissance des dommages causés dans le passé et de traitement de leurs répercussions dans le présent sont indispensables pour instaurer une justice réparatrice et construire un avenir pacifique et durable, a conclu le Rapporteur spécial, soulignant que les réparations, qui sont également nécessaires, ne doivent pas être masquées derrière des figures telles que l'aide humanitaire, l'assistance ou la coopération au développement, qui éludent les responsabilités des pays concernés.

Aperçu du débat

Nombre de délégations ont déploré que l’héritage du colonialisme, dans toutes ses manifestations – telles que le racisme systémique, l'exploitation économique et l'inégalité entre les États – continue de nuire à la jouissance effective de tous les droits de l'homme.

Il a été affirmé que la communauté internationale devrait intensifier ses efforts afin d’éradiquer le colonialisme et l'occupation étrangère, et s'attaquer aux effets de ces phénomènes sur la mise en œuvre des droits de l’homme, y compris le droit inaliénable des peuples colonisés à l’autodétermination. L’héritage latent du colonialisme entrave la jouissance de tous les droits de l'homme, économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, y compris le droit au développement, a-t-il été souligné.

L’attention de la communauté internationale a été attirée sur la nécessité d’adopter une démarche réaliste pour apporter une réparation aux peuples africains et pour reconnaître les conséquences néfastes du colonialisme sur le « mal-développement » des pays ayant été colonisés. Les États concernés [anciennes puissances coloniales] ont été appelés à assumer leur responsabilité face à l’histoire et à présenter des excuses. Plusieurs intervenants ont dénoncé les pays qui tentent d’échapper à leurs responsabilités historiques.

Il a par ailleurs été rappelé que la période 2021-2030 marquait la quatrième Décennie internationale de l'élimination du colonialisme. Pourtant, le colonialisme perdure dans le monde entier sous diverses formes contemporaines, telles que l’esclavage, le travail forcé, l'exploitation économique, l'inégalité, le racisme systémique, ainsi que la violation des droits des peuples autochtones, a-t-il notamment été affirmé.

Le colonialisme n'est pas seulement un phénomène du passé, a-t-il été constaté, d’aucuns soulignant que l'agression, l'occupation et l'exploitation sont toujours d'actualité.

Par ailleurs, a-t-il été relevé, de nombreux États [décolonisés] appliquent encore des lois héritées des puissances coloniales pour contrôler les populations locales. Ces lois, qui n'ont pas évolué en fonction des normes modernes en matière de droits de l'homme, frappent les personnes pauvres ou sans abri, les migrants, les personnes LGBTQ+, les personnes handicapées, les commerçants informels, les personnes qui consomment des drogues et les minorités raciales et ethniques, entre autres, a-t-il été précisé.

Si les effets du colonialisme demeurent importants, des décennies encore après que la plupart des pays s’en furent libérés, c'est en grande partie parce que l'ordre international actuel a été façonné par le colonialisme: si cet ordre n'est pas déconstruit et remplacé par un système plus équitable, l'héritage du colonialisme continuera de se faire sentir, a mis en garde une délégation.

L’adoption par le Conseil de la résolution sur « les effets néfastes de l’héritage du colonialisme sur l’exercice des droits de l’homme » constitue un signal révélateur de l’attachement des peuples à la liberté et à l’autodétermination – lesquels sont fondamentaux pour la pleine jouissance et la réalisation de tous les autres droits de l’homme, tant collectifs qu’individuels.

Une délégation a pour sa part estimé, au contraire, que la résolution susmentionnée ne reflétait pas la complexité du sujet et a demandé aux panélistes comment le Conseil pourrait contribuer de manière efficace et objective à la discussion de ces questions.

Ont été dénoncés cet après-midi le colonialisme qui se manifeste par une exploitation économique générant une inégalité de fait entre les États, ainsi que ce que d’aucuns ont considéré être des formes contemporaines de colonialisme ou d’impérialisme – dans les territoires arabes occupés, aux États-Unis, dans l’archipel des Chagos, en Arménie et encore contre l’Ukraine.

**Liste des intervenants : Barbade (au nom d'un groupe de pays), Côte d'Ivoire (au nom du groupe des États africains), Union européenne, État de Palestine, Syrie, Maurice, Chine, Arménie, Ukraine, Algérie, Venezuela, Suisse, Afrique du Sud ,International Lesbian and Gay Association, American Civil Liberties Union, Action Canada pour la population et le développement, Fédération de Russie, Pakistan, Togo, Iran, Cuba, Éthiopie, États-Unis, Bolivie, Malawi, Tunisie, Indonésie, Malaisie, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme, Penal Reform International, Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII.

Réponses et remarques de conclusion

MME ACHIUME a relevé que le Conseil lui-même avait adopté en 2020 une nouvelle approche de la question de la traite esclavagiste et du commerce triangulaire. Mais ce changement a mis certains pays mal à l’aise et provoqué un retour de bâton dans certains anciens pays coloniaux, où les militants pour la justice raciale qui veulent s’exprimer sont marginalisés, a-t-elle indiqué.

D’autre part, on ne peut pas uniquement parler de l’héritage du colonialisme : il faut aussi s’intéresser aux projets coloniaux contemporains, comme cela a été relevé par l’État de Palestine et par l’Ukraine durant ce débat, a souligné la Rapporteuse spéciale.

M. KOEN DE FEYTER, membre du Mécanisme d’experts chargé de la question du droit au développement, a affirmé que pour gérer la situation actuelle, le système international des droits de l’homme doit être adapté afin de refléter les préoccupations des détenteurs de droits qui ont été historiquement marginalisés et lésés, notamment les peuples autochtones et les communautés locales.

M. CALÍ TZAY a rappelé que la colonisation avait détruit les structures communautaires des peuples autochtones, un problème dont les effets se font toujours sentir sur les femmes et les filles autochtones, notamment.

M. SALVIOLI a recommandé que les États prennent au sérieux les recommandations figurant dans les rapports des procédures spéciales, et qu’ils sachent tirer les leçons de l’histoire. Les réparations ne sont pas l’assistance humanitaire, a insisté l’expert : il a suggéré que les anciennes puissances coloniales envisagent d’annuler les dettes publiques [des pays ayant été colonisés].

Au terme du débat, M. VILLEGAS a rappelé que tous les mandats du Conseil des droits de l’homme ont la même valeur. C’est pourquoi il a demandé aux États qui n’ont pas participé au débat de ce jour d’envisager de le faire à la prochaine occasion.

 

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