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Examinant le rapport du Luxembourg, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale pointe un manque de données

Compte rendu de séance

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné, hier et aujourd’hui, le rapport présenté par le Luxembourg au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Le manque de données sur les discriminations raciales continue de poser problème au Luxembourg, a souligné le Rapporteur du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du pays, M. Ibrahima Guissé. Il a toutefois salué la récente étude sur le racisme menée dans le pays. Le Comité a reçu des informations attestant d’une montée des crimes et des discours de haine au Luxembourg, notamment dans les médias et en ligne, a-t-il poursuivi. Selon les chiffres à la disposition du Comité, 57% des emplois les moins bien payés sont occupés par les personnes issues de l’immigration, a-t-il également fait observer.

Selon les informations reçues, s’est inquiété un autre expert, la législation luxembourgeoise permet toujours la détention de mineurs non accompagnés. Le Comité est par ailleurs préoccupé par le fait qu’il n’y a pas, au Luxembourg, de loi spécifique concernant l’apatridie, a-t-il été ajouté.

Présentant le rapport du Grand-Duché, M. Jean Asselborn, Ministre des affaires étrangères et européennes du Luxembourg, a notamment souligné que si le Luxembourg garde aujourd’hui une identité nationale affirmée, celle-ci se caractérise par son ouverture sur la pluralité des cultures et par un multilinguisme pratiqué au quotidien. Sur une population totale de près de 635 000 habitants, le Luxembourg compte plus de 47% de ressortissants étrangers, représentant plus de 170 nationalités différentes, a-t-il précisé. Par ailleurs, sur les 450 000 emplois au Luxembourg, plus de 200 000 sont occupés par des travailleurs frontaliers qui franchissent tous les jours la frontière en provenance des pays voisins. Le Luxembourg est conscient de la contribution considérable des différents flux migratoires à son essor économique, a souligné M. Asselborn.

Néanmoins, malgré une identité multiculturelle ancrée dans la société depuis longtemps, le Luxembourg n’est pas épargné par le phénomène du racisme, a reconnu M. Asselborn. Il était jusqu’à présent difficile d’évaluer l’ampleur du phénomène, puisqu’aucune donnée sur ce sujet n’était disponible, a-t-il ajouté, avant de préciser qu’en juillet 2020, afin de combler ce manque d’informations, une enquête nationale a été commanditée visant à étudier le phénomène du racisme au Luxembourg, afin de pouvoir par la suite élaborer une stratégie cohérente de lutte contre les discriminations raciales au niveau national. Les résultats de cette étude ont été publiés le mois dernier, a indiqué le Ministre, avant de passer la parole à Mme Anne Goedert, Ambassadrice itinérante pour les droits de l’homme et par ailleurs Présidente du CIDH, qui, en tant que cheffe de la délégation luxembourgeoise, a notamment indiqué que cette étude a mis en évidence que, malgré les dispositions en place, le droit peine à être appliqué.

Mme Goedert a par ailleurs rappelé que le Luxembourg a adopté la loi du 18 décembre 2015, qui traite de l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, mais aussi de la lutte contre les discriminations. Le pays a aussi introduit des changements notables avec la loi du 8 mars 2017, qui facilite l’accès à la nationalité luxembourgeoise, dans le but de renforcer la cohésion sociale et de lutter contre la discrimination à l’égard des non-ressortissants, a-t-elle ajouté.

Une représentante de la Commission consultative des droits de l’homme du Luxembourg (CCDH) a également fait une déclaration, déplorant que, dans le contexte de la réforme constitutionnelle en cours dans le Grand-Duché, le constituant luxembourgeois ait décidé de maintenir une différence entre ressortissants Luxembourgeois et non-Luxembourgeois.

La délégation luxembourgeoise était également composée, entre autres, de représentants du Ministère des affaires étrangères et européennes ; du Ministère de la justice ; du Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région ; du Ministère de l’éducation nationale, de l’enfance et de la jeunesse ; et de l’Office national de l’accueil.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport luxembourgeois et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 29 avril 2022.

 

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Estonie (CERD/C/EST/12-13).

 

Examen du rapport du Luxembourg

Le Comité est saisi du document valant dix-huitième, dix-neuvième et vingtième rapports périodiques du Luxembourg (CERD/C/LUX/18-20).

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. JEAN ASSELBORN, Ministre des affaires étrangères et européennes du Luxembourg, a indiqué que ce document est le fruit d’une consultation nationale qui a été menée dans le cadre du Comité interministériel des droits de l’homme (CIDH). C’est à travers les travaux de ce Comité, créé en 2015, que le Luxembourg coordonne désormais la préparation des rapports périodiques dus dans le cadre des organes conventionnels du système des Nations Unies. Le Ministre a ensuite présenté « quelques faits sur la réalité sociale luxembourgeoise », en rappelant notamment que le Luxembourg, avant de devenir un pays d’immigration, a été pendant longtemps un pays d’émigration. D’abord un pays rural et peu prospère, le Luxembourg s’est hautement industrialisé et a connu, par la suite, un essor du secteur de services. Géographiquement enclavé, il s’est largement ouvert sur la réalité européenne et mondiale.

Si le Luxembourg garde aujourd’hui une identité nationale affirmée, celle-ci se caractérise par son ouverture sur la pluralité des cultures et par un multilinguisme pratiqué au quotidien, a poursuivi le Ministre. En effet, a-t-il précisé, sur une population totale de près de 635 000 habitants, le Luxembourg compte plus de 47% de ressortissants étrangers, représentant plus de 170 nationalités différentes. Par ailleurs, sur les 450 000 emplois au Luxembourg, plus de 200 000 sont occupés par des travailleurs frontaliers qui franchissent tous les jours la frontière en provenance des pays voisins. Cela signifie que désormais environ 70% de la main-d’œuvre du pays est composée de travailleurs immigrés ou frontaliers. Le Luxembourg est conscient de la contribution considérable des différents flux migratoires à son essor économique, a souligné M. Asselborn. C’est à la fois un défi, mais également une source essentielle d’enrichissement culturel et économique, a-t-il déclaré, ajoutant que depuis les années 1980, le Luxembourg est devenu au fil du temps un État où des citoyens du monde entier vivent ensemble et se côtoient au quotidien.

Néanmoins, malgré une identité multiculturelle ancrée dans la société depuis longtemps, le Luxembourg n’est pas épargné par le phénomène du racisme, a reconnu M. Asselborn. Il était jusqu’à présent difficile d’évaluer l’ampleur du phénomène, puisqu’aucune donnée sur ce sujet n’était disponible, a-t-il ajouté, avant de préciser qu’en juillet 2020, afin de combler ce manque d’informations, une enquête nationale a été commanditée visant à étudier le phénomène du racisme au Luxembourg, afin de pouvoir par la suite élaborer une stratégie cohérente de lutte contre les discriminations raciales au niveau national. Les résultats de cette étude ont été publiés le mois dernier, a indiqué le Ministre, avant de passer la parole à Mme Anne Goedert, Ambassadrice itinérante pour les droits de l’homme et par ailleurs Présidente du CIDH, afin que, en tant que cheffe de la délégation luxembourgeoise, elle élabore davantage sur le sujet.

MME ANNE GOEDERT a assuré que le Grand-Duché a déployé des efforts importants afin d’améliorer sa coopération avec les différents comités et qu’il fait partie des États qui n’ont pas de retard dans la soumission de leurs rapports périodiques. S’agissant de la lutte contre les discriminations raciales, le Luxembourg a également continué, au cours des dernières années, à renforcer son cadre juridique et ses politiques générales. Il a notamment adopté la loi du 18 décembre 2015, qui traite de l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, mais aussi de la lutte contre les discriminations. Le pays a aussi introduit des changements notables avec la loi du 8 mars 2017, qui facilite l’accès à la nationalité luxembourgeoise, dans le but de renforcer la cohésion sociale et de lutter contre la discrimination à l’égard des non-ressortissants, a indiqué la cheffe de délégation.

À cela peut s’ajouter l’adoption d’un nouveau Plan d’action national d’intégration et de lutte contre les discriminations. Élaboré en consultation avec la société civile, les communes, le Conseil national pour étrangers et la Chambre des députés, il prévoit un cadre général, stratégique et durable et vise deux domaines d’action : l’accueil des demandeurs de protection internationale et l’intégration des ressortissants non-Luxembourgeois. Dans le cadre de ce Plan d’action, a notamment été mise en place une vaste campagne de sensibilisation sous l’intitulé « Je peux voter » lors des élections communales de 2017. Cette campagne a entraîné une augmentation importante de l’inscription des étrangers aux listes électorales et a permis de sensibiliser des acteurs clés à l’importance de la participation politique des étrangers.

Afin de répondre à « un afflux massif » de demandeurs de protection internationale à partir de 2015, le Luxembourg a en outre augmenté, « de manière substantielle », les ressources et les effectifs de l’ancien Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (OLAI), dont les compétences ont été partagées en 2020 entre le nouvel Office national de l’accueil (ONA) et le nouveau département « Intégration » du Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région. Le Centre pour l’égalité de traitement (CET), qui a pour objet de promouvoir, d’analyser et de surveiller l’égalité de traitement entre toutes les personnes, sans discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, le sexe, la religion ou les convictions, fournit également un travail important ; le Gouvernement prévoit de l’impliquer davantage dans la prise de décisions concernant la lutte contre les discriminations, a indiqué Mme Goedert. Le Luxembourg a par ailleurs réitéré son engagement à renforcer ses efforts pour combattre toutes les formes de discrimination raciale et de xénophobie lors de son dernier Examen périodique universel (EPU) en 2018, en acceptant 12 recommandations qui lui ont été adressées par d’autres États à ce sujet, a-t-elle ajouté.

L’Ambassadrice itinérante a ensuite expliqué que son pays était bien conscient de ne pas être épargné par les phénomènes de discrimination raciale mais qu’il lui était jusqu’à présent difficile d’en évaluer l’ampleur et la portée, par manque de données. Or, en 2019, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a publié un rapport, intitulé « Being Black in the EU », qui a mis en lumière que les problèmes liés à la discrimination raciale étaient plus importants qu’estimé jusqu’alors au Luxembourg. Suite à la publication dudit rapport et dans le sillage du Mouvement Black Lives Matter, la Chambre des députés a adopté, en juillet 2020, une motion invitant le Gouvernement à élaborer une étude sur le phénomène du racisme au Luxembourg, dans le but de développer par la suite une stratégie de lutte cohérente.

L’étude menée en coopération entre le Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région, le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) et le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER) met en évidence que malgré les dispositions en place, le droit peine à être appliqué. Il n’y a en outre que peu de condamnations pour discrimination. Ceci est dû, entre autres, au faible nombre de plaintes déposées pour discrimination, à la croyance que cela ne changerait rien, ou aux craintes de représailles, selon les personnes interrogées. Or, ce faible taux de signalements, qui s’ajoute au peu de données disponibles, contribue « indirectement » à l’invisibilité du racisme et rend impossible la mesure de l’ampleur des phénomènes ou l’objectivisation des groupes à risque, a indiqué la cheffe de délégation.

Dans ce contexte, a précisé Mme Goedert, l’étude recommande en particulier de sensibiliser et d’améliorer la connaissance du phénomène en adoptant une approche sectorielle, notamment dans les domaines clés que sont le logement, l’emploi et l’éducation. L’étude suggère également de renforcer les systèmes d’assistance judiciaire, en renforçant notamment le CET. L’étude relève en outre que 68% des résidents réclament de nouvelles décisions politiques, afin de lutter plus efficacement contre les discriminations systémiques. Désormais, le Gouvernement luxembourgeois entend s’en inspirer, afin d’élaborer de nouvelles campagnes de sensibilisation, de nouveaux projets dans le cadre du Plan d’action national d’intégration, et ce dans une approche cohérente et coordonnée, impliquant tous les ministères concernés, a indiqué l’Ambassadrice itinérante.

S’exprimant également en tant qu’institution nationale des droits de l’homme, la Commission consultative des droits de l’homme du Luxembourg (CCDH), par la voix de MME RHÉA ZIADÉ, a fait des commentaires sur le cadre législatif au Luxembourg, dans le contexte de la réforme constitutionnelle en cours dans le Grand-Duché. Ainsi, Mme Ziadé a-t-elle déploré que le constituant luxembourgeois ait décidé de maintenir une différence entre ressortissants Luxembourgeois et non-Luxembourgeois, en dépit du fait que la Cour constitutionnelle luxembourgeoise n’opère pas cette différence, que le droit international l’autorise et qu’un certain nombre de personnes, d’instances internationales ou nationales, comme la CCDH, le recommandent. Par ailleurs, le pays continue de manquer de données en ce qui concerne les discriminations au Luxembourg. Cette situation ne permet pas de mener des politiques ciblées. Le CCDH appelle le Gouvernement à prendre des mesures pour renforcer la collecte de données sur ce sujet. Le CET dispose de peu de moyens pour accomplir sa mission, a par ailleurs constaté la représentante de la CCDH.

Commentaires et questions des membres du Comité

M. IBRAHIMA GUISSÉ, Rapporteur du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du Luxembourg, a noté que le Luxembourg est passé près d’une dizaine de fois devant le Comité, la dernière fois en 2014, témoignant de la bonne coopération dont le Grand-Duché fait preuve. Il l’a félicité pour l’étude sur le racisme menée dans le pays, affirmant que cette initiative est à « l’honneur » du Luxembourg, qui a tenté, avec cette étude, de comprendre un phénomène avant de le résoudre.

La collecte et la disponibilité de données sur les discriminations raciales continuent de poser problème au Luxembourg, a poursuivi M. Guissé. Il a souhaité connaître, dans ce contexte, les mesures prises par le pays pour renforcer la collecte de données, se demandant par ailleurs si la loi du 1 er août 2018, censée faciliter cette collecte, le permet sur la base de l’origine ethnique.

Le Rapporteur s’est également enquis de l’intégration et de l’applicabilité de la Convention dans le droit interne luxembourgeois, dans le contexte de la réforme constitutionnelle en cours. Qu’en est-il des mesures prises pour interdire explicitement la discrimination raciale, conformément à l’article premier de la Convention, a-t-il demandé ? Qu’en est-il également de l’éventuelle adoption de mesures temporaires spéciales ou encore de l’interdiction d’organisations incitant à la haine et à la discrimination raciale ? Le Comité a reçu des informations attestant d’une montée des crimes et des discours de haine au Luxembourg, notamment dans les médias et en ligne, a souligné le Rapporteur.

M. Guissé a ensuite demandé si le profilage racial était explicitement interdit au Luxembourg et a souhaité en savoir davantage sur la formation des policiers. L’État partie dispose-t-il d’indicateurs et de données lui permettant d’évaluer l’impact des politiques menées sur les personnes issues de l’immigration, a également demandé l’expert ? Selon les chiffres à la disposition du Comité, 57% des emplois les moins bien payés sont occupés par ces personnes, a-t-il fait observer. De plus, les filles migrantes seraient faiblement représentées dans l’enseignement supérieur et les enfants de migrants quitteraient l’école plus tôt que les autres. Dans ce contexte, l’expert a souhaité connaître les raisons de cette situation et s’est enquis des mesures envisagées pour éliminer ces disparités. Il a également souhaité avoir des informations sur les mesures prises par l’État partie pour que l’histoire du colonialisme, de la colonisation, de l’esclavage et de leurs conséquences fasse partie des programmes scolaires. Enfin, que fait le Luxembourg dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine, qui doit se terminer en 2024, a demandé M. Guissé ?

M. BAKARI SIDIKI DIABY, également membre du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport du Luxembourg , a, pour sa part, relevé que le Luxembourg compte un nombre important d’organes et de structures destinés, selon la délégation, à lutter contre les discriminations – notamment le Centre pour l’égalité de traitement (CET), le Comité pour les étrangers, l’Office national de l’accueil (ONA), ou encore le Médiateur. Dans ce contexte, il s’est interrogé sur la pertinence de tous ces organes et a souhaité savoir si le Luxembourg dispose de mécanismes de coordination. Il s’est en outre enquis de l’évolution des ressources financières et humaines mises à disposition de ces organes.

M. Diaby a par ailleurs relevé qu’alors qu’il dispose d’un statut consultatif, seuls trois avis ont été demandé au CET ; il apparaît dès lors que l’instance est peu utilisée et que ses avis et recommandations sont peu suivis. De plus, le Gouvernement entend-il suivre la recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme visant la création d’un organe national et indépendant chargé spécifiquement de la lutte contre la discrimination raciale, a-t-il demandé ? Il a également demandé à la délégation de fournir des chiffres sur le nombre de plaintes déposées devant la police ou d’autres organes judiciaires et d’informer le Comité du suivi donné à ces plaintes.

Selon les informations en possession du Comité, les conditions d’accueil des demandeurs et bénéficiaires de protection internationale à l’ONA peinent à répondre aux normes de salubrité, a poursuivi l’expert. Il manquerait des cuisines et l’on ne privilégierait que l’accueil collectif, a-t-il notamment souligné. M. Diaby a souhaité obtenir des informations détaillées, ventilées par nationalité, sur le nombre de demandeurs d’asile et sur les motifs de rejet des demandes. Selon les informations reçues, la législation luxembourgeoise permet toujours la détention de mineurs non accompagnés, s’est inquiété l’expert, avant de s’enquérir des mesures envisagées pour faire cesser cette pratique.

Le Comité est préoccupé par le fait qu’il n’y a pas, au Luxembourg, de loi spécifique concernant l’apatridie, alors que le pays est partie aux Conventions de 1954 et 1961 relatives à l’apatridie. Dans ce contexte, comment l’État partie définit-il l’apatridie et combien de personnes apatrides sont-elles recensées au Luxembourg ? Ces personnes peuvent-elles obtenir la nationalité luxembourgeoise et, si oui, dans quelles conditions ? Le Gouvernement entend-il par ailleurs ratifier la Convention n°189 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, a également demandé M. Diaby ?

M. GUN KUT, Rapporteur pour le suivi des observations finales, a regretté qu’en dépit de ce qu’il lui avait été demandé dans les observations finales de 2014, le Luxembourg n’ait jamais soumis de rapport de suivi à mi-parcours dans les délais prévus. Attendu en 2017, ce rapport n’est arrivé qu’en 2020 et avec des lacunes, a observé l’expert. Aussi, le Comité continue-t-il d’attendre des informations sur un certain nombre de questions, notamment sur le nombre de plaintes et de condamnations pour motifs de discrimination raciale, en particulier depuis 2018, a indiqué M. Kut.

D’autres membres du Comité ont eux aussi insisté sur le besoin de données statistiques, en particulier en ce qui concerne les plaintes déposées et leur aboutissement devant la justice. De plus, la délégation a été invitée à définir clairement les différences entre les concepts de « demandeurs de protection internationale », « demandeurs de protection temporaire », « migrants », « immigrés » et « étrangers » que l’on retrouve tous dans le rapport.

Relevant que les « étrangers » peuvent participer aux élections communales, une experte a souhaité savoir si cela concernait tous les immigrés, y compris ceux en situation irrégulière. Par ailleurs, comment acquiert-on la nationalité luxembourgeoise et qu’en est-il des enfants nés de parents étrangers, a-t-il été demandé ? S’agissant toujours des migrants, un expert a souhaité savoir si, dans le contexte international européen actuel, le Luxembourg reçoit un afflux de demandeurs d’asile ukrainiens et comment le Gouvernement gère la situation.

Les experts se sont également interrogés, entre autres, sur l’impact réel du nombre important d’organes destinés à la lutte contre les discriminations.

Une experte a relevé qu’avec un taux d’abandon scolaire de 13%, le Luxembourg connaît l’un des taux les plus élevés dans ce domaine parmi les pays développés. Dans ce taux, quel est la part des élèves étrangers et comment le Gouvernement évalue-t-il leur niveau scolaire, a-t-elle demandé ?

Des questions ont également été posées s’agissant de la traite des êtres humains et de l’accès aux soins pour les non-Luxembourgeois.

Réponses de de la délégation

S’agissant de la collecte de données, la délégation a expliqué que le Luxembourg ne collectait pas de statistiques à caractère ethno-racial, en raison notamment de la sensibilité historique et politique provenant du fait d’avoir été occupé par l’Allemagne nazie. Il n’existe donc pas de collecte de données ventilées par origine ethnique, mais uniquement par nationalité. Sur ce point, le pays reste intéressé de recevoir de la part du Comité des conseils et des exemples de bonnes pratiques, a indiqué la délégation.

De plus, ni la police ni la justice ne disposent de statistiques ventilées par genre, race ou origine, mais uniquement par type ou motif d’infraction, a indiqué la délégation, avant de souligner que le Code pénal (article 454 et suivants) répertorie 17 motifs de discrimination punis par la loi. C’est sur cette base que les enquête s’ouvrent. En outre, au Luxembourg, il n’y a pas de statistiques sur les circonstances aggravantes, car ce concept, tout comme celui de crime à caractère raciste, n’existe pas encore dans la législation ; un projet de loi visant à les introduire est en cours d’élaboration, a ajouté la délégation.

S’agissant du nombre de plaintes pour faits de discrimination raciale, sur la base des articles 454 à 457-4 du Code pénal relatifs au racisme, au révisionnisme et au négationnisme, la Police a recensé 55 plaintes en 2019 et 92 en 2020, les chiffres de 2021 n’étant pas encore parvenus. Dans la période 2015 à 2020, entre 200 et 300 signalements de racisme, de révisionnisme et de contenus discriminatoires ont été faits sur la plate-forme en ligne Be Secure. Après analyse, les signalements sont transmis aux autorités judiciaires et policières de façon automatique, a indiqué la délégation, avant de préciser qu’en 2015, environ 240 de ces signalements ont été transmis aux autorités judiciaires.

En ce qui concerne les condamnations, on en recense moins de dix par an, en raison notamment de la longueur des procédures et de la difficulté de l’administration de la preuve en matière de discrimination, a poursuivi la délégation. La discrimination n’est juridiquement pas simple à prouver, a-t-elle insisté.

La délégation a par ailleurs fait observer que le droit luxembourgeois prévoit une définition très large de la victime – qui regroupe toute personne qui se sent lésée et peut, de ce fait, ester en justice.

D’autre part, a souligné la délégation, les policiers reçoivent une formation générale sur les droits de l’homme, dispensée par des professionnels du droit.

Concernant l’applicabilité directe de la Convention, il a été rappelé que le Grand-Duché est un pays à tradition moniste qui reconnaît la primauté du droit international sur le droit interne.

S’agissant des différentes structures dédiées à la lutte contre les discriminations, la délégation a reconnu qu’il y avait en effet un risque de « chevauchement » dans leurs mandats respectifs et de « confusion » pour l’usager qui ne saurait pas vers qui se tourner. Mais les mandats sont clairement définis et ces structures sont regroupées en un seul bâtiment (la Maison des droits de l’homme) ouvert il y a trois ans, a fait valoir la délégation.

En ce qui concerne l’obtention de la nationalité luxembourgeoise, la loi du 8 mars 2017 en règlemente l’acquisition [conformément à ce qui est indiqué aux paragraphes 91 et suivants du rapport].

En vertu de la loi actuellement en vigueur, avant de pouvoir voter aux municipales, les étrangers doivent résider légalement cinq ans au Luxembourg. Un projet de loi est en cours d’élaboration afin de raccourcir ce délai, a indiqué la délégation.

Les apatrides peuvent également prétendre à la nationalité luxembourgeoise, sous condition de résidence de cinq ans sur le territoire. Les enfants nés de parents apatrides sont citoyens luxembourgeois à leur naissance, a ajouté la délégation.

De plus, on ne parle pas au Luxembourg de migrants ou d’immigrés, mais de ressortissants de pays tiers, lorsque ces personnes ne sont pas issues de pays membres de l’Union européenne, a expliqué la délégation.

La délégation a en outre reconnu qu’avec la crise en Ukraine et pour faire face à un afflux massif de personnes venues de ce pays, indépendamment de leurs nationalités, l’Office national de l’accueil (ONA) a créé 2300 lits d’accueil supplémentaires, dans un contexte où le réseau d’accueil était déjà saturé à 95%. Depuis de nombreuses années, le Gouvernement investit de nombreuses ressources, tant en termes de terrains et de bâtiments que de personnels, pour créer des espaces de vie digne, en partenariat avec Caritas Luxembourg et la Croix-Rouge internationale. En raison de la crise du logement, la priorité est en effet donnée à des structures d’accueil collectif, a reconnu la délégation.

S’agissant de la détention de mineurs non accompagnés, des évolutions sont en cours, a indiqué la délégation. L’accord de coalition de l’actuel Gouvernement prévoit la création d’une structure semi-ouverte permanente pour servir d’alternative au centre de rétention, qui tiendra compte des besoins de différents groupes de personnes dont les mineurs, ainsi que d’une structure spécifique pour le placement en rétention de femmes, de familles et de personnes vulnérables. Une fois cette structure spécifique créée, la législation en matière de rétention sera adaptée afin de garantir que les enfants ne soient plus placés au centre de rétention.

S’agissant de la lutte contre la pandémie de COVID-19, la délégation a souligné que la priorité des autorités avait été de préserver les personnes les plus vulnérables, celles qui se trouvaient dans les centres d’accueil ayant été relogées. Les nouveaux arrivants sont installés dans des structure d’accueil et d’isolement pendant sept jours, pour être testés avant d’intégrer les structures d’hébergement. Des messages de sensibilisation, y compris sur la vaccination, ont été traduits dans dix langues différentes.

S’agissant de l’accès à l’éducation, tout enfant est soumis à l’obligation scolaire de 4 à 16 ans, a rappelé la délégation, avant d’indiquer qu’il est envisagé d’étendre l’obligations scolaire jusqu’à 18 ans, dans le but de lutter contre le décrochage scolaire qui touche particulièrement les élèves de la tranche d’âge des 16 à 18 ans.

Quant à la question touchant à la réussite scolaire des enfants issus de l’immigration, la délégation a notamment fait référence au projet d’éducation plurilingue de la petite enfance qui permet aux jeunes enfants à partir de l’âge d’un an de bénéficier de 20 heures gratuites dans une structure de la petite enfance offrant ce programme dont l’objectif est notamment de familiariser les enfants avec les langues de la société et de l’école luxembourgeoises (le luxembourgeois comme langue d’intégration et le français comme langue véhiculaire importante de l’enseignement luxembourgeois).

Les manuels scolaires pour les élèves de l’enseignement secondaire sont gratuitement mis à disposition depuis la rentrée 2018-2019 et à partir de la rentrée 2022, les enfants issus de familles à revenus faibles ou modestes se verront offrir des repas gratuits dans les cantines scolaires dès le primaire. L’encadrement extra-scolaire dans les structures de l’éducation non formelle sera également gratuit durant les périodes scolaires.

La délégation a indiqué qu’au vu des nombreuses questions qui lui ont été adressées et de leur technicité, elle fournirait des réponses par écrit, notamment pour ce qui est du CET, de l’interaction du Gouvernement avec la société civile, de la formation des policiers stagiaires, du profilage racial, ou encore des données chiffrées sur les demandes de protection internationale.

Remarques de conclusion

M. GUISSÉ s’est dit « très satisfait » du dialogue « très fructueux » et des réponses « très détaillées, fournies, et précises » de la délégation. Le Luxembourg est un « bon client », qui a toujours tenu à jour sa présentation de rapport, a-t-il souligné.

MME GOEDERT a remercié le Comité et a assuré que sa délégation ferait en sorte qu’il reçoive les réponses complémentaires écrites dans les délais. Elle a reconnu que le Luxembourg connaît encore quelques défis, liés notamment aux discours de haine en ligne ou à la lutte contre la COVID-19. Le pays est également conscient de ses responsabilités en faveur des demandeurs et bénéficiaires de la protection internationale et de la protection temporaire, a-t-elle ajouté.

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

 

CERD22.003F