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Iraq : le Comité des droits de l'homme encourage ses efforts pour punir les violences à l'égard des femmes mais s'interroge sur la manière de concilier les principes de la charia avec le Pacte

Compte rendu de séance

 

Le Comité des droits de l'homme a examiné, hier et ce matin, le rapport périodique soumis par l'Iraq en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans sa présentation du rapport, la délégation iraquienne, conduite par son Ministre de la justice, a tenu à affirmer la volonté de son gouvernement de préserver les droits de l'homme dans un contexte où le pays continue de subir des actes terroristes. Le ministre a assuré ne pas vouloir prendre la situation comme prétexte pour justifier les manquements du Gouvernement, mais a rappelé que cette situation «entravait largement ses efforts et ses capacités à remplir ses obligations».

Les membres du Comité se sont interrogés sur la référence à la charia dans la Constitution de l'Iraq. Il a été relevé que les principes tels que la consécration de l'inégalité entre les hommes et les femmes et le traitement de la question de la peine de mort, étaient en contradiction avec les dispositions du Pacte. Le Comité s'est aussi intéressé à la situation dans les prisons iraquiennes, marquée par une surpopulation ; aux définitions de la torture et de la peine de mort qui, selon lui ne correspondent pas à celles du Pacte. Les lois sur le terrorisme, parfois utilisées abusivement, en particulier dans le contexte des manifestations pacifiques, ont également fait l'objet des interrogations du Comité. Les experts se sont aussi alarmés des chiffres sur les disparitions forcées. Les questions sur le sort et la situation des personnes déplacées et réfugiées, de même que l'indépendance du judiciaire ou les violences et discriminations faites aux femmes ont également été abordées.

Répondant aux questions, la délégation a notamment invité le Comité à considérer la Constitution iraquienne dans son ensemble, il pourra ainsi constater qu'elle respecte les normes internationales des droits de l'homme et le Pacte. Elle a aussi expliqué que la peine de mort n'était prononcée que pour les crimes les plus atroces et offrait aux condamnés des moyens de recours et des possibilités d'amnistie ou de grâce. Elle a par ailleurs indiqué que les enquêtes concernant les violences issues des manifestations de 2019 avaient mené à de nombreuses condamnations et à la libération de manifestants. Les disparitions forcées, bien que phénomène connue en Iraq, ne porte plus que sur 511 personnes. Afin de réduire la surpopulation carcérale, l'Iraq a construit de nouvelles prisons et en a réhabilité d'anciennes. Le pays ne compte par ailleurs aucune prison secrète, a assuré la délégation.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur l'examen du rapport de l'Iraq, qui seront rendues publiques à l'issue de la session.

Le Comité des droits de l'homme procède, à partir de cet après-midi, à l'examen du rapport de la Bolivie, qui se poursuivra demain après-midi.

Examen du rapport de l'Iraq

Le Comité des droits de l'homme était saisi du sixième rapport périodique de l'Iraq (CCPR/C/IRQ/6) et des réponses de l'État partie à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.

Présentation du rapport

M. ABDUL KARIM HASHEM MUSTAFA, Représentant permanent de l'Iraq auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a déclaré que son pays respectait et s'engageait pleinement à mettre en œuvre ses obligations internationales, en particulier les pactes et chartes internationaux relatifs aux droits de l'homme auxquels il est partie. Sa conviction est qu'il est important de réaliser les droits de l'homme, au premier rang desquels les droits civils et politiques, en raison de leur impact direct sur la vie des gens.

En dépit des défis sécuritaires et économiques auxquels elle a été confrontée – et est toujours confrontée – en raison des attaques des gangs terroristes de l'EIIL (État islamique en Iraq et au Levant) et de leur impact sur les efforts de promotion et de protection des droits de l'homme, la République d'Iraq s'est engagée à mettre en œuvre ses engagements et ses obligations.

M. SALAR ABDULSATTAR MOHAMMED, Ministre de la justice de l'Iraq, a réaffirmé le souci de son gouvernement de respecter ses obligations internationales et d'interagir positivement avec les organes conventionnels, les procédures spéciales et les experts des Nations Unies dans le domaine des droits de l'homme. Afin de rédiger ses rapports relatifs aux droits de l'homme et aux traités internationaux, le Gouvernement a mis en place un comité national de haut niveau. S'exprimant de suite sur la question du terrorisme et de la reddition des comptes, il a expliqué que le contrôle exercé par des groupes terroristes sur certaines provinces et régions d'Iraq et les violences sur les populations, notamment les meurtres, de déplacements de populations, viols de femmes et de filles équivalent à des violations du droit international des droits de l'homme, du droit international humanitaire et du droit pénal international touchant les Iraquiens en général, et en particulier les groupes ethniques dont les chrétiens, turkmènes et yézidis.

Face à tous ces « crimes systématiques » commis par les « gangs » de l'État islamique les tribunaux d'instruction compétents ont fait de gros efforts pour enquêter sur les personnes accusées et les a déférés, sur la base de preuves suffisantes devant les tribunaux compétents. De nombreux jugements ont été rendus. Dans la cadre d'allégations et de plaintes à l'encontre les membres des forces de sécurité ayant commis des actes illégaux pendant les opérations de libération, un tribunal d'instruction spécialisé a été créé pour examiner ces plaintes, basé dans le gouvernorat de Ninive. De plus, l'Iraq a cherché à coopérer avec l'équipe d'enquête internationale créée en vertu de la résolution 2379 (2017) du Conseil de sécurité des Nations Unies de 2017 dans le but de recueillir, de stocker et de présenter des preuves à la justice irakienne, qui a la compétence initiale d'enquêter et de poursuivre ces crimes, a indiqué le ministre.

Le chef de la délégation a ensuite expliqué qu'à la suite des manifestations populaires qui ont éclaté à Bagdad et dans de nombreuses provinces iraquiennes, le gouvernement a approuvé un ensemble de réformes, notamment une nouvelle loi électorale dans le but d'organiser des élections anticipées et équitables et transparentes. Le Conseil des ministres a également approuvé le Plan national des droits de l'homme couvrant la période 2021-2025, et destiné à servir de guide à toutes les institutions et à la société civile dans le but de mettre en pratique les recommandations de la communauté internationale en matière de droits de l'homme. Un comité de juges retraités a en outre été constitué pour étudier la législation iraquienne et rédiger des amendements au Code pénal pour qu'il tienne compte de l'évolution du droit international.

Parmi les autres mesures adoptées par le Gouvernement iraquien, le ministre a cité la création d'un Comité central de lutte contre la traite des personnes et la mise en place de foyers de soins pour les victimes. L'Iraq prépare aussi un plan national de mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, qui fournit notamment un cadre physique et juridique pour la protection des femmes dans les conflits armés. Un document « décisionnel » sur la politique nationale de protection de l'enfance a également été adopté, de même qu'un projet de loi a été approuvé par le Conseil des ministres et renvoyé à la Chambre des représentants dans le but de légiférer sur la protection de l'enfance. Sur un autre plan, l'Iraq travaille depuis 2021 à l'adoption d'une politique de fermeture des camps de déplacés et de retour volontaire en toute sécurité dans leurs régions.

Le ministre a en outre affirmé que la justice iraquienne représentait un « pilier essentiel » de la protection des droits de l'homme. C'est un organe indépendant loin de toute influence ou menace. Il n'impose la peine de mort que pour les crimes les plus graves. Les accusés bénéficient des garanties prévues par la loi pendant les phases d'enquête, de procès, d'imposition et d'exécution de la peine. Les allégations de torture et de mauvais traitements font toujours partie des sujets d'intérêt pour le Gouvernement. Et en la matière, le Ministère de la justice avec la Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Iraq (MANUI) pour assurer les visites d'inspection des équipes de la mission à toutes les prisons. Les efforts se poursuivent en outre pour résoudre le « dossier important » des disparitions forcées. De nombreuses décisions judiciaires ont été rendues, condamnant notamment les auteurs d'attaques contre des manifestants à Bassorah, Kut et Bagdad. « L'impunité n'existe pas pour ces crimes ni pour d'autres », a conclu le ministre de la justice.

M. DINDAR ZEBARI, Représentant de la région du Kurdistan et coordinateur des recommandations internationales, a affirmé la volonté du gouvernement régional du Kurdistan de remplir ses obligations dans le domaine des droits de l'homme. Il le fait en promulguant des lois, en donnant des instructions et en prenant des décisions, notamment pour la protection de toutes les composantes nationales au Kurdistan iraquien (Turkmènes, Chaldéens, Syriaques, Assyriens et Arméniens), ainsi que les groupes religieux et sectaires chrétiens, Yézidis, Sabéens Mandéens, Kaka'i, Shabaks, Failis et Zoroastriens. Avec 15 000 Roms présent sur le territoire du Kurdistan, ces derniers jouissent de tous leurs droits. Un centre culturel pour les Roms a même été créé afin de préserver les coutumes, les traditions, la culture et l'éducation de la composante rom dans la région. En outre, après les élections, le Conseil national du Kurdistan a été formé. Il comprend une centaine de sièges, avec des quotas de cinq représentants par communautés (chrétiens, Turkmènes, Chaldéens, Assyriens et Syriaques), et un siège pour les Arméniens.

Dans le domaine des droits des femmes, le Parlement régional du Kurdistan a promulgué la loi n°8, destinée à combattre la violence domestique. De nombreuses autres décisions ont par ailleurs prises dans l'intérêt des femmes avec un impact positif. De plus en plus de femmes se voient confier des postes de direction, notamment à la présidence et au secrétariat du Parlement et dans trois ministères. On compte par cinq vice-ministres femmes,48 juges, 65 procureurs de la République, plus de (200) assistants de justice… et Environ (500) femmes enquêtrices de justice. Les femmes représentent en outre 30% des parlementaires, aux côtés de 1500 femmes journalistes, s'est réjoui M. Zebari.

En matière de torture, les autorités s'engagent aussi et « dans la mesure du possible », à protéger et à maintenir les droits de l'homme et à enquêter sur les allégations de torture. Seulement quatre cas ont été relevés. La région fait également toujours « la plus grande part » à l'hébergement de personnes déplacées et de réfugiés. A ce jour, 926 018 déplacés et réfugiés vivent au Kurdistan, dont 241 937 syriens, 8479 réfugiés turcs, 10 548 réfugiés iraniens, 736 palestiniens et 81 autres de différentes nationalités. Pour les accueillir, le gouvernement régional a établi 39 camps, soit 9 pour les réfugiés et 30 pour les déplacés.

Dans le but de documenter les crimes des terroristes de l'État islamique, en coopération avec l'Équipe d'enquêteurs des Nations Unies chargée de concourir à amener Daech/État islamique d'Iraq et du Levant à répondre de ses crimes (UNITAD), le gouvernement régional a documenté les dossiers de milliers de personnes enlevées. Ainsi 5 170 dossiers ont été enregistrés, dont plus de 2 324 ont été transmis aux tribunaux, 2 000 étant toujours en cours d'instruction. Le gouvernement régional procède par ailleurs à l'arrestation des accusés et des suspects conformément aux normes légales. Jusqu'à la décision de leur condamnation, ils jouissent de tous les droits légaux. Les mineurs de moins de 18 ans soupçonnés d'être impliqués avec des groupes ou activités terroristes sont traités comme des victimes. Les moins de onze ans en revanche ne sont même pas poursuivis.

Des mesures ont également été prise contre la traite des êtres humains, notamment la loi créant la Direction de la lutte contre le crime organisé au sein du ministère de l'Intérieur. Elle mène auprès des organisations civiles et religieuses et des centres de recherche, des entreprises des campagnes de sensibilisation et d'éducation sur les dangers de la traite des êtres humains. S'agissant enfin de la peine de mort, M. Zebari a dit que les exécutions sont suspendues depuis 2008 dans la région du Kurdistan, sauf dans les rares cas qui touchent l'opinion publique. Récemment six personnes condamnées à la peine capitale, ont vu celle-ci être commuée en réclusion à perpétuité, a-t-il conclu.

Questions et observations des membres du Comité

Les experts du Comité ont relevé que la constitution iraquienne reconnaissait et appliquait les postulats et principes de la loi islamique, la charia. Dans ce contexte, il a été demandé à la délégation de dire comment l'Iraq s'efforçait de concilier ces principes de la charia avec le Pacte, s'agissant notamment de la manière dont l'Iraq applique la peine de mort ou traite inégalement les hommes et les femmes.

De plus, s'il est vrai, selon la délégation, que la charia est mise en œuvre selon le principe de la nationalité, comment l'Iraq s'efforce-t-il de mettre en œuvre la liberté de religion dans le contexte où la loi stipule aussi que l'islam s'applique à tous en Iraq. Un expert a relevé que la loi unifiée sur la carte d'identité de 2015, prévoit entre autres, qu'un homme musulman peut se marier à une femme qui ne l'est pas, mais que l'inverse n'est pas vrai. En outre, un enfant né de parents dont l'un n'est pas musulman ne peut pas se convertir à l'Islam. Et un enfant né de parents musulmans mais convertis au christianisme reste enregistré comme musulman et est obligé d'étudier le coran à l'école. Comment la délégation explique-t-elle cela, a-t-il demandé.

Des questions ont été posées sur la commission nationale des droits de l'homme de l'Iraq, dont le statut, selon le rapport, est conforme aux principes de Paris. Le Comité a souhaité savoir si les modalités de désignation de ses membres garantissaient véritablement son indépendance, dans le contexte où l'organe qui en désigne les membres est composé de représentant de partis politiques. De plus, selon les informations dont dispose le Comité, la commission a fait l'objet de pressions politiques émanant du gouvernement ou de milices. Il a aussi été remarqué que les femmes et les minorités ethniques et religieuses n'y sont pas bien représentées.

Le Comité a relevé que la torture était mentionnée et sanctionnée aux articles 37 de la Constitution, et 332 et 333 du code pénal. Elle est même qualifiée de crime contre l'humanité. Néanmoins, sa définition dans la législation iraquienne ne correspond pas à celle du Pacte. Dans ce contexte, il a été demandé à la délégation de dire si la nouvelle loi censée en tenir compte sera bientôt promulguée. Adoptera-t-elle par ailleurs une définition conforme au Pacte, a-t-il été demandé.

Les experts ont souhaité connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour permette au Haut-Commissariat aux droits de l'homme de visiter les centres de détention, en particulier dans la mesure où la question de la surpopulation carcérale reste une préoccupation en Iraq. Les experts ont voulu savoir si des mesures alternatives à la détention sont envisagées pour réduire cette surpopulation. Le Comité a été alerté par des informations selon lesquelles 25 personnes sont récemment décédées dans la prison de Kut, a déclaré un expert. Il a souhaité des données statistiques ventilés par âge et par sexe sur le nombre de morts dans les prisons ces derniers temps et sur le nombre d'enquêtes effectuées pour en connaître l'origine.

La délégation a été interrogée sur les intentions du Gouvernement en matière de définition du concept de terrorisme, alors qu'il apparaît que la question du terrorisme peut être abusivement utilisée, notamment pour réprimer les manifestations pacifiques, comme c'est le cas en particulier d'une loi de 2006. De plus, comment l'Iraq fait-il pour s'assurer que les droits des personnes soupçonnées de terrorisme sont pleinement respectés, notamment s'agissant de l'accès à un avocat, de recevoir des membres de leur famille et le droit de ne pas subir de violences. La délégation peut-elle aussi développer la question des prisons secrètes, qui sont totalement interdites par le droit international, a rappelé un expert.

Selon les informations connues du Comité, c'est en Iraq que l'on trouve le plus grand nombre de disparitions forcées dans le monde. Selon les sources, les chiffres varient entre 250 000 et un million. Mais alors que la délégation chiffre pour sa part à seulement 512, le nombre de personnes disparues, des membres est estimé que « peu importe le chiffre. Ils sont élevés ». Le Comité est en outre informé que les familles hésitent à signaler la disparition de leurs proches, de peur que les autorités ne considèrent ces personnes comme étant en lien avec Daech… « ce qui peut expliquer vos chiffres », a ajouté une experte. Dans ce contexte, le Comité a souhaité des réponses sur les mesures prises pour que tous les cas fassent l'objet d'une enquête rapide. Existe-t-il par ailleurs une procédure unique et simplifiée qui permette aux familles de signaler une disparition forcée, a-t-il été demandé. Le Gouvernement iraquien coopère-t-il avec le Comité des disparitions forcées ?

S'agissant des questions liées à l'orientation sexuelle et d'identité de genre, le Comité a été informé par des organisations de la société civile que les personnes LGBTIQ+ sont victimes de discriminations, de campagne de violences, de viols ou parfois d'assassinats. Un jeune homme de 14 ans aurait été assassiné parce qu'il avait l'air trop féminin, s'est alarmé un membre du Comité. Dans ce contexte, la délégation a été invitée à donner des chiffres sur ces allégations et dire quelles mesures sont prise par le Gouvernement iraquien pour mener des enquêtes sur ces violences et les réprimer. L'État partie est-il prêt à condamner les violences sur les personnes sur la base de leur orientation sexuelle et identité de genre ?

Sur la question des personnes déplacées, hormis dans la région du Kurdistan iraquien, le Comité est informé que les derniers camps de réfugiés en Iraq ont été fermés en 2011. Des questions ont donc été posées à la délégation, notamment pour obtenir des réponses sur le sort de ces personnes depuis la fermeture des camps. S'agissant des camps dans la région du Kurdistan, le Comité a reçu des informations selon lesquelles les réfugiés soupçonnés de lien avec Daech faisaient l'objet de harcèlement et de discriminations.

L'Iraq a été encouragé dans sa volonté de punir les violences et discriminations à l'égard des femmes, au travers d'une loi sur la violence domestique. Un membre du Comité a souhaité savoir si le parlement avait déjà adopté cette loi et si les taux de violences domestiques avaient baissé. Il a aussi été demandé si la ligne téléphonique mise en place par le gouvernement pour permettre aux femmes d'alerter sur ces violences fonctionnait. Le Comité dispose d'informations faisant état d'un taux très élevé de violences intrafamiliales, dont des viols conjugaux. Le gouvernement a-t-il mené de campagne de sensibilisation pour mieux faire connaître aux femmes leurs droits ? Il a par ailleurs été demandé à la délégation des données sur les atteintes aux droits des femmes yézidis, notamment en matière de violences sexuelles, commises par les groupes terroristes. Ces données devraient inclure le nombre de poursuites et les condamnations prononcées.

Le Comité a relevé qu'en Iraq, la peine de mort pouvait être imposée pour un large éventail de crimes, y compris le vol, le viol, l'appartenance à un groupe terroriste armé ou l'enlèvement. Elle est donc applicable à des actes allant au-delà des domaines prévus à l'article VI du Pacte, a observé un membre, qui en conséquence, a voulu connaître les mesures prises par L'État partie pour limiter l'application aux champs stipulés par l'article VI du Pacte. Le Comité a en outre souhaité obtenir des statistiques, avec des données ventilées par âge et genre, concernent les condamnations et les exécutions.

Il a aussi été demandé à la délégation de fournir de plus amples informations sur le système judiciaire, notamment le mode de désignation des juges, les moyens de garantir leur indépendance, et les sanctions prévues en cas de mauvaise conduite. Par ailleurs, comment l'Iraq définit-il une mauvaise conduite judiciaire, a-t-il été demandé. Des questions ont également porté sur les tribunaux tribaux, qui jouent un rôle central dans le système de justice iraquien. Il a par exemple été demandé si les personnes qui ont recours à la justice peuvent en second ressort saisir les tribunaux classiques en cas de non satisfaction du verdict. Un expert a relevé qu'il est exigé des juges de croire en Allah. Mais est-ce une garantie d'indépendance de croire en Dieu, a-t-il interrogé.

Sur d'autres points, le Comité a souhaité savoir si l'Iraq entendait ratifier le Premier protocole facultatif se rapportant au Pacte, sur l'examen de plaintes. Il a également été demandé si les violations les plus graves des droits de l'homme faisaient l'objet d'une priorisation du gouvernement, et si oui, par quels moyens.

Le comité a également interrogé la délégation sur la liberté d'expression, notamment dans le contexte des manifestations de 2019, qui ont fait de « nombreuses victimes ». Le Gouvernement a-t-il prévu d'indemniser les victimes de ces violences, si oui combien l'ont été, et combien de membres de leurs familles, a entre autres demandé un expert.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des membres du Comité, la délégation iraquienne a commencé par expliquer que les principes et postulats de la charia repris dans la Constitution concernent la dignité de Dieu et sa reconnaissance. Par conséquent, aucune loi ne peut entrer en contradiction avec ces principes. De plus, tout ce qui dépend du statut personnel n'est pas soumis à la charia. En clair, toute personne qui n'est pas susceptible, par son statut, d'y être soumise, ne l'est pas, a expliqué la délégation, ajoutant que, de son point de vue, la loi islamique est conforme aux normes des droits de l'homme et donc au Pacte. En Iraq, l'islam est la religion de l''État. La charia y a donc la suprématie sur les lois. Mais l'article 2 de la Constitution stipule aussi que l'Iraq respecte la liberté de conscience et toutes les religions. Cette situation n'est pas unique à l'Iraq, mais courante dans le monde arabe. De fait, charia et normes internationales « s'équilibrent », a insisté la délégation, appelant le Comité à lire la Constitution dans son ensemble et son esprit.

S'agissant de la peine de mort, la délégation a dit reconnaître l'opposition de principe du Comité contre cette sentence. Mais le législateur estime qu'il y a des crimes qui la méritent, s'est justifié un membre. En Iraq, où elle est exécutée par pendaison, la peine de mort n'est prononcée que pour les crimes les plus graves, les plus « atroces », commis contre la société, comme les actes de terrorisme. Les proches des victimes souhaitent que justice soit rendue et que les coupables soient punis « comme il se doit », a justifié la délégation. Pour autant, les prévenus jouissent de leurs droits et de systèmes de garanties : ils ont droit à un avocat, à une enquête impartiale, un procès équitable et peuvent saisir toutes les instances judiciaires iraquiennes, y compris la Cour suprême. La personne condamnée peut également obtenir un second procès et jouit de la garantie que son exécution ne peut avoir lieu qu'après un décret présidentiel. Le Président de la République dispose par ailleurs d'un pouvoir discrétionnaire d'amnistie, prévu dans le code pénal mais aussi dans la Constitution. Cela dit, les crimes de terrorisme, de corruption ou de malversations administratives ne sont pas couverts par les lois d'amnistie, a-t-il été précisé. La délégation a par la suite précisé qu'environ 663 personnes condamnées à la peine de mort ont été graciées, dont 140 cas d'amnistie spéciale.

Répondant à des questions au sujet de la répression violente des manifestations de 2019, la délégation a assuré que la liberté d'expression était garantie en Iraq, notamment par la Constitution de 2005. Cependant, toutes les manifestations ne sont pas pacifiques, s'en prennent parfois aux biens publics et ne sont pas toujours préalablement déclarées aux autorités, comme l'exige la loi. Suite aux vagues d'arrestation, le Conseil supérieur de la magistrature avait ordonné la remise en liberté de toute personne n'ayant commis aucun acte illicite ou illégal. Mais ordre avait été donné d'arrêter toute personne ayant commis des actes de violences contre les biens publics. La délégation a ajouté que certains membres des forces de sécurité qui avaient commis des actes de violence contre les manifestants ont été transférés devant les tribunaux. Certains ont écopé de peine de prison à vie, d'autres d'amendes pécuniaires. Huit officiers gradés ont été arrêtés pour s'expliquer sur les faits. Les unités judiciaires spéciales qui avaient été créées pour connaître de ces faits sont toujours actives aujourd'hui et deux fugitifs ont été récemment condamnés par contumace.

Par ailleurs, l'article 383 du Code pénal stipule que les aveux obtenus sous la force ou la contrainte ou la torture ne seront pas pris en compte par un tribunal, à moins qu'une autre preuve ne vienne corroborer. Un projet de loi est en outre devant le Conseil d'État pour examen, qui devrait intégrer une nouvelle définition de la torture, sur la base des observations de la Mission d'assistance des Nations Unies pour l'Iraq (MANUI).

Aux questions sur les cas de disparitions forcées, la délégation a reconnu qu'il s'agissait bien d'une réalité en Iraq, tout comme l'est le terrorisme. Mais les chiffres donnés par le Comité, de 250 000 à un million de disparus, remontant à avant 2003, a insisté la délégation, ajoutant que de nombreux efforts ont été faits depuis. Aujourd'hui les chiffres sont moins élevés. L'Iraq connaît actuellement 511 cas de disparitions forcées qui recouvrent différentes situations. Aussi, pour lutter efficacement contre le phénomène, le Gouvernement a adopté des lois répressives. Des centaines de personnes ont déjà été condamnées pour des faits de disparitions forcées. Le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi d'un grand nombre de plaintes, qui ont été déférés à d'autres instances judiciaires. Des centaines de personnes condamnées pour ces actes ont été condamnés et les victimes libérées. Les chiffres les plus récents portent sur 4426 personnes libérées. Depuis 2018, la disparition forcée est considérée comme un crime imprescriptible. Un projet de texte est actuellement examiné par le Conseil des ministres aux fins d'adoption. Il vise à amender les lois existantes sur le sujet, a dit la délégation.

Concernant les questions relatives au terrorisme, le gouvernement fédéral et le gouvernement régional du Kurdistan travaillent ensemble afin d'élaborer un cadre juridique pour la création de tribunaux spéciaux qui pourraient opérer aux niveaux local et fédéral, tel que recommandé par les Nations Unies. Ce projet de loi a fait l'objet d'une analyse méticuleuse des meilleurs juristes et est débattu en première lecture au Parlement. L'inclusion des actes de génocides de crimes de guerre y est envisagée. La délégation rejette par ailleurs l'assertion selon laquelle la définition du terrorisme en Iraq n'est pas conforme aux dispositions du Pacte. Elle a notamment souligné que le terrorisme est beaucoup plus grave que l'homicide ou l'assassinat. Il faut dire que le terrorisme vise la paix et les communautés, a argumenté un membre de la délégation, affirmant que la définition iraquienne est bel et bien conforme aux normes internationales.

Concernant la Commission nationale des droits de l'homme, la délégation a reconnu un retard dans le choix des commissaires. Les désignations attendent la tenue de la session du Parlement et la fin des différents processus de désignation du Président de la République et du Président du Conseil des ministres. La délégation a également rejeté les allégations de pressions exercées sur les membres actuels de la commission. Celle.ci a même joué un rôle majeur lors des manifestations de 2019. La délégation a d'autre part indiqué que l'Iraq n'a pas encore modifié ses lois pour envisager d'adhérer au Premier protocole facultatif relatif au Pacte, concernant l'examen par le Comité de plaintes de particuliers.

Sur la question des discriminations et de la violence à l'encontre des femmes, un projet de loi sur la violence domestique a été transféré au Parlement en 2020. Un comité spécialisé a été créé sous les auspices du Premier-ministre. Il est chargé de la coordination entre différents ministères sur ce thème. De plus, un tribunal spécial, compétent pour connaître des cas de violence domestique a également été créé. Le règlement intérieur de ce tribunal a été amendé pour tenir compte de l'égalité entre les genres. Il existe également des numéros de téléphone gratuits que les femmes peuvent appeler pour obtenir une aide en cas de violences répétées. Ces cas répétés sont traités comme cas prioritaires et transférés directement devant les tribunaux. Les femmes peuvent également communiquer sur les réseaux sociaux. Les procédures de plaintes ont été simplifiées. En 2020, des séminaires sur l'égalité entre les genres ont aussi été organisés. Le Haut-Conseil judiciaire a amendé une loi portant sur la discrimination concernant les femmes. L'article 41 a été abrogé, d'autres dispositions amendées.

En ce qui concerne plus particulièrement les femmes yézidies, une loi a été adoptée reconnaissant que les actes de violence dont elles ont été victimes relèvent du crime de génocide et du crime contre l'humanité.

Concernant le système judiciaire, la délégation a expliqué que la nomination des juges se fondait sur une formation deux ans ainsi qu'un examen, sur la base d'une loi de 1967. L'institut de la magistrature en Iraq est lié à la présidence du Conseil supérieur de la magistrature. Un comité composé entre autres du président de la Cour d'appel de Bagdad et le directeur de l'institut nomme les juges, sur la base des critères stipulés à l'article 7 de ladite loi. Les candidats doivent avoir fait des études de droit, être iraquiens, avoir travaillé dans le domaine du droit depuis au moins trois ans. Ils doivent en outre être croyants, avoir un casier judiciaire vierge et les membres de leur famille n'avoir jamais été condamnés pour faute morale. De plus, les juges, bien qu'indépendants, travaillent sous le contrôle et la supervision des autorités. Les juges ne peuvent pas aller au-delà de la loi, au risque d'être poursuivis pour « inconduite judiciaire». Les cas d'inconduite judiciaire peuvent concerner notamment les retards dans la libération d'un prisonnier ou la corruption d'un juge.

Concernant les centres de détention et la surpopulation carcérale, la délégation a assuré que toute personne, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, les diplomates et la MANUI peuvent avoir accès et visiter les lieux et centres de détention. La MANUI et le Comité international de la Croix Rouge (CICR) ont visité des centres de détention en 2019 et 2020. Quatre autres visites de la MANUI sont programmées cette année. Afin de réduire la surpopulation carcérale, le Gouvernement a ouvert de nouvelles unités de prisons et fait des travaux de réhabilitation dans les centres existants. À titre d'exemple, la prison centrale de Kut, bâtie en 2020, peut accueillir 3000 personnes, celle de Bagdad jusqu'à 9000. La délégation a en revanche nié l'existence de prisons secrètes. Il n'y en a pas en Iraq. «Si vous avez des informations, veuillez nous les fournir», a dit un membre de la délégation. En réponse à la question d'un expert, la délégation a indiqué qu'il y avait 14 prisonniers français détenus en Iraq, dont 11 condamnés à la peine de mort.

Au sujet des allégations relatives aux atteintes aux journalistes, les autorités ont eu connaissance de cinq cas seulement. Mais à chaque fois que les autorités sont alertées, des enquêtes sont systématiquement ouvertes. Il en est de même pour toutes les informations relatives à des actes de violence dans le cadre de manifestations. Les enquêtes ont été ouvertes et les policiers mis en cause ont été condamnés, certains mis à pied, d'autres radiés ou emprisonnés.

Concernant la question de l'orientation et de l'identité de genre, l'Iraq ne pratique aucune discrimination pour les personnes qui ont une orientation sexuelle différente. Les crimes dont elles sont victimes relèvent d'autres causes, a assuré la délégation. Tous les crimes, quels qu'ils soient, font l'objet d'enquêtes et de poursuites a assuré la délégation.

Concernant les camps de déplacés et réfugiés, la délégation a déclaré que l'Iraq avait fait face à un afflux de déplacés, ayant fait augmenter sa population de 23%. Ce sont les autorités locales qui sont responsables de la gestion de ces camps, et en l'occurrence les autorités régionales du Kurdistan iraquien. La délégation a assuré qu'à ce jour, il n'y aucun cas de violences sexuelles dans ces camps. De plus, les autorités ont identifié 300 familles ayant en effet des liens avec Daesh. Le Gouvernement, avec les organisations internationales, tente de réinsérer ces familles et leur permettre un retour, non forcé, a insisté la délégation. Elle a affirmé qu'aucune plainte pour viol n'a été déposée. Elle a d'autre part indiqué que le nombre de personnes déplacées ayant le droit de vote s'élève à 120 000, dont un peu plus de 61 000 femmes. Plus de 170 000 personnes réfugiées sont retournées chez elles.

Conclusions

M. MOHAMMED, Ministre de la justice de l'Iraq, a remercié le Comité pour ces échanges fructueux. Ils ont permis d'évaluer la situation et les progrès en matière de droits de l'homme en Iraq. Toutes les observations seront utilisées pour améliorer les cadres, a-t-il assuré. Il a aussi déclaré que son gouvernement ne prennait pas prétexte de la situation pour justifier ses manquements, mais a souligné que la situation en Iraq entravait largement les efforts et les capacités du Gouvernement à s'acquitter de ses obligations.

Le Représentant permanent de l'Iraq, M. HASHIM MOSTAFA, a expliqué que la délégation s'était efforcée de répondre à toutes les questions du Comité avec transparence. «Nous attendons les recommandations du Comité, qui permettront la mise en œuvre les droits civils et politiques pour nos concitoyens». L'Iraq est partie au Pacte depuis 1969 et a toujours présenté ses rapports dans les délais, a-t-il rappelé.

La Présidente du Comité, MME PHOTINI PAZARTZIS, a, elle aussi, qualifié la discussion avec l'Iraq de constructive. Elle a reconnu que la délégation avait consenti des efforts pour répondre à toutes les questions du Comité, notamment sur la mise en œuvre du Pacte, la justice transitionnelle et les mécanismes y afférant, l'indépendance de la justice, la peine de mort ou encore les détentions arbitraires dans le contexte des manifestations de 2019. Les réponses ont été franches, a-t-elle conclu.

 

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