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Grèce : le Comité des disparitions forcées est particulièrement préoccupé par les questions de détention et de refoulement de migrants

Compte rendu de séance

 

Le Comité des disparitions forcées a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport de la Grèce sur les mesures qu'elle a prises en application des dispositions de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Le rapport a été présenté par le Secrétaire général de la justice et des droits de l'homme au Ministère de la justice de la Grèce, M. Panos Alexandris, qui a assuré que depuis l'entrée en vigueur de la Convention, en août 2015, un nouvel article du code pénal a été introduit afin de renforcer la cohérence et l'efficacité de la protection contre les disparitions forcées. Il a également insisté sur le fait qu'en matière de politique migratoire, la Grèce respecte les normes européennes et internationales. Elle a consenti d'importants efforts et obtenu des résultats tangibles. Les allégations de violations du principe de non-refoulement ne correspondent pas aux activités opérationnelles et ne peuvent être assimilées à des disparitions forcées, a également affirmé le chef de la délégation grecque.

Les membres du Comité, notamment les deux rapporteuses, Mmes Carmen Rosa Villa Quintana et Milica Kolaković-Bojović, ont évoqué des informations inquiétantes sur les refoulements sommaires groupés de migrants vers la Turquie. Les membres du Comité ont par ailleurs estimé que définition de la disparition forcée dans la législation grecque n'était pas compatible avec les dispositions de la Convention. Des inquiétudes ont également été émises s'agissant de la prescription du crime de disparition forcée. Les experts ont d'autre part voulu savoir si les autorités avaient l'intention de reconnaître la compétence du Comité en matière d'examen de plaintes qui lui sont adressées. À ce propos, elle a indiqué que le Comité avait reçu des informations selon lesquelles nombre de cas de disparitions forcées étaient imputables aux services de police grecs, en particulier s'agissant de mineurs non accompagnés.

La délégation grecque, également composée de représentants du Ministère de la justice, du Ministère des migrations et de l'asile, de représentants de la police, des garde-côtes et du Ministre des affaires étrangères, a notamment indiqué que le crime de disparition forcée était passible d'une peine allant jusqu'à 15 ans de prison. S'agissant des migrants, les garde-côtes grecs ont pleinement intégré les procédures de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, et la délégation a assuré que des enquêtes sont ouvertes lorsque se produisent des cas de refoulement collectif. La Grèce reste en outre, selon Eurostat, le pays de l'Union européenne où les demandes d'asile sont le plus rapidement examinées, avec un délai de 29 jours en moyenne. De plus, les capacités d'accueil des mineurs non accompagnés ont été augmentées pour atteindre 2500 places, alors que le pays compte 2100 mineurs non accompagnés.

 

Le Comité des disparitions forcées entamera cet après-midi, à partir de 15 heures, l'examen du rapport initial du Niger (CED/C/NER/1).

 

Examen du rapport de la Grèce

Le Comité était saisi du rapport initial de la Grèce (CED/C/GRC/1), ainsi que des réponses à la liste des points à traiter qui lui avait été soumise par le Comité.

Présentation du rapport

M. PANOS ALEXANDRIS, Secrétaire général de la justice et des droits de l'homme au Ministère de la justice de la Grèce, a indiqué que des plaintes pour disparitions forcées avaient été transmises aux autorités de son pays, assurant que celles-ci s'efforçaient de les traiter comme il se doit. Il a rappelé que la Convention avait été ratifiée par la Grèce en 2014, et était entrée en vigueur en août 2015. Depuis lors, le code pénal et le code civil ont été modifiés afin de rendre la législation grecque conforme à la Convention. Ainsi, un nouvel article 322 du code pénal sanctionne le crime d'enlèvement, renforçant la cohérence et l'efficacité de la protection contre les disparitions forcées. Les deux premiers paragraphes de cet article reprennent les trois éléments constitutifs de la disparition forcée tels qu'ils figurent dans la Convention et introduisent une circonstance aggravante lorsque ce crime est commis à l'encontre de certaines personnes issues de catégories vulnérables. L'article 322 contient également des dispositions sur les responsabilités dans la chaîne de commandement concernant certains actes, conformément à la Convention. En outre, le délai de prescription pour le crime de disparition forcée est de longue durée, compte tenu de son caractère continu, ainsi qu'en dispose la Convention.

Le chef de la délégation a ensuite rappelé que la Grèce avait reçu un nombre sans précédent de migrants, réfugiés et demandeurs d'asile, dont un grand nombre d'enfants syriens. Elle déplore le nombre important de personnes qui ont perdu la vie du fait des « activités inhumaines » des réseaux de trafiquants d'êtres humains. La Grèce a, à de nombreuses reprises, toujours condamné « l'instrumentalisation cruelle et immorale d'êtres humains », qui va à l'encontre de l'esprit et de la lettre de la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951. La Grèce a déjà consenti d'importants efforts et obtenu des résultats tangibles, visant notamment à décongestionner les centres d'accueil, à renforcer les transferts vers le continent ou accélérer les procédures d'asile et l'opérationnalisation des nouveaux centres d'accueil et d'identification. Les autorités de contrôle aux frontières s'acquittent de leurs tâches dans leur domaine de compétence conformément aux dispositions européennes et internationales. Les allégations de violations du principe de non-refoulement ne correspondent pas aux activités opérationnelles des agents chargés d'appliquer la loi et, en aucun cas, ne peuvent être assimilées de manière « abusive » à de la disparition forcée, a insisté M. Alexandris, rappelant que la police et les garde-côtes grecs ont sauvé et continuent de sauver des vies de migrants. Le chef de la délégation grecque a également assuré qu'une protection particulière était accordée aux mineurs non accompagnés, qui font l'objet d'une stratégie nationale spécifique. Il a aussi assuré que les ressortissants étrangers avaient le droit de saisir les tribunaux à tout moment d'une procédure d'expulsion.

En ce qui concerne les droits des détenus, des dispositions permettent de garantir que les détenus ne soient pas victimes de disparitions forcées. Ainsi, des registres de détenus sont tenus à jour par les services adéquats et des autorités indépendantes comme le Médiateur grec ou le mécanisme de prévention de la torture peuvent mener des inspections sur les lieux de privation de liberté. Des formations en matière de droits de l'homme, et en particulier sur la Convention, sont dispensées aux agents de l'État, a aussi fait valoir M. Alexandris.

Questions et observations des membres du Comité

MME CARMEN ROSA VILLA QUINTANA, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de la Grèce, a voulu savoir si les autorités grecques avaient l'intention de reconnaître la compétence du Comité pour examiner les plaintes qui lui sont adressées. À ce propos, elle a indiqué que le Comité avait reçu des informations selon lesquelles nombre de cas de disparitions forcées étaient imputables aux services de police grecs. Des organisations non gouvernementales ont recensé 92 cas de disparitions forcées portant sur des enfants, en particulier des mineurs non accompagnés, dont 47 seulement ont été retrouvés. L'experte a ensuite demandé à la délégation de lui fournir de plus amples informations sur la situation de mineurs non accompagnés qui auraient été victimes de disparitions forcées.

S'agissant du cadre juridique en matière de lutte contre les disparitions forcées, la corapporteuse a en outre relevé que l'amendement au code pénal qui définit la disparition forcée comme un crime contre l'humanité n'est pas conforme aux dispositions de la Convention. L'État partie entend-il reformuler cette définition de la disparition forcée, a demandé l'experte. Mme Villa Quintana a souhaité connaître le nombre exact de cas de poursuites pour crime de disparition forcée, ainsi que des précisions sur les minimum et maximum des peines encourues pour des faits de disparitions forcées. L'experte a également relevé que la loi grecque prévoyait des circonstances aggravantes pour le crime de disparitions forcées, mais pas de circonstances atténuantes, comme le prévoit pourtant l'article 7.2 de la Convention elle-même.

MME MILICA KOLAKOVIĆ-BOJOVIĆ, également corapporteuse du Comité pour le rapport de la Grèce, a elle aussi mentionné les informations reçues par le Comité selon lesquelles des cas de disparitions forcées ont lieu lors de refoulements sommaires de migrants. Elle a demandé à la délégation de donner les statistiques officielles sur le nombre de migrants portés disparus, des informations sur les mécanismes existants pour collecter et stocker les données biométriques des migrants et leurs familles ou encore de dire si des mécanismes de sanctions préalables existent au sein de la police ou de l'armée avant toute enquête pour disparitions forcées. À partir de quel moment commence-t-on en Grèce la recherche d'un migrant disparu, a-t-elle aussi demandé au cours des échanges.

Mme Kolaković-Bojović a également relevé que des organisations non gouvernementales qui portent secours aux migrants sont parfois attaquées en justice. Le Comité a été informé que 33 d'entre elles sont poursuivies devant les tribunaux. De quels crimes sont accusées ces organisations, a demandé la corapporteuse.

D'autres membres du Comité, sont revenus sur les allégations de violences à l'encontre des migrants, notamment des téléphones portables détruits pour éviter qu'ils puissent passer des appels. Ces informations dignes de foi émanent d'institutions internationales comme le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a souligné un expert, déplorant que les explications fournies dans le rapport ne soient pas convaincantes.

Une experte a fait état d'informations « inquiétantes » selon lesquelles, en vertu des accords passés avec l'Union européenne, des milliers de personnes sont refoulées vers la Turquie, y compris lorsque certaines d'entre elles courent un risque de disparition forcée dans leur pays. Dans certains cas, ces refoulements sommaires ( push-back), se font de manière collective. Dans ce contexte, elle a voulu savoir s'il y avait en Grèce des garanties de mise en œuvre du principe de non-refoulement. De plus, en cas de renvoi sommaire, existe-t-il des mécanismes d'enquête. Par ailleurs, les personnes sur le point d'être refoulées peuvent-elles exercer des recours et si oui, auprès de qui, dans quels délais à quels frais ? Qu'en est-il en outre de la pratique des expulsions : qui décide d'expulser ou non ? A également été évoqué la question de la détention de migrants et son caractère licite, qui représente un problème important pour le Comité, en raison notamment du « manque cruel » d'informations sur ce qu'il advient des personnes placées en détention, parfois au secret ou dans des « prisons de fortune », comme des anciennes gares ou usines désaffectées. Certains migrants ont été détenus sans mandat de dépôt. Elle a voulu savoir s'il existe une alternative à la détention des migrants, y compris dans l'attente de l'examen de leurs dossiers.

Suite aux réponses fournies par la délégation au sujet des refoulements sommaires, une autre experte a, pour sa part, relevé des contradictions entre les réponses de la délégation et les informations dont dispose le Comité.

La délégation a également été interrogée sur le délai de prescription du crime de disparitions forcées étant donné son caractère « grave et continu ». Le Comité souhaite notamment savoir à partir de quand court ce délai : au lendemain de la commission du crime ou une fois que la personne ou son corps a été retrouvé ? Un membre du Comité a ajouté au cours des échanges que les réponses fournies par la délégation laissent « quelques doutes » sur la conformité de la législation grecque avec la Convention, notamment en ce qui concerne la prescription du crime de disparition forcée et la reconnaissance de son caractère continu.

Les victimes ou leurs proches peuvent-elles obtenir des réparations, et si oui, par quels moyens, dans quels délais, quels montants sont versés et de quelle nature, a voulu savoir le Comité.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué ne pas être en mesure d'informer le Comité de la décision que compte prendre la Grèce s'agissant de la reconnaissance de la compétence du Comité en matière de plaintes.

En ce qui concerne le nouveau code pénal de 2019, il renforce le délit d'enlèvement, le rendant totalement conforme à la Convention, a affirmé la délégation. Son article 322, qui traite de la disparition forcée, sanctionne à la fois la commission du crime, mais aussi l'intention. Si la personne n'a que l'intention de commettre une disparition forcée, elle est passible d'une peine de prison allant d'un à huit ans. La personne qui a commis ce crime est passible d'une peine de cinq à quinze ans de prison. Dans le cas des forces de sécurité, la personne qui donne l'ordre et celle qui l'exécute sont toutes deux sanctionnées, la première l'étant plus lourdement.

Même si l'article 322 ne prévoit en effet pas de circonstances atténuantes, on peut en trouver des éléments dans l'article 84 qui en prévoit pour tout type de crime, a précisé la délégation en réponse aux questions des membres du Comité.

La prescription est, quant à elle, prévue à l'article 17 du Code pénal grec. Elle court à compter du début de l'ouverture de la procédure juridique, c'est-à-dire à la date de la cessation du caractère illégal. Mais étant donné que la disparition forcée est considérée comme un crime « permanent », et la législation prévoit un délai de prescription de 15 ans peut être prorogé de cinq ans supplémentaires. La prescription court à compter de la date où la victime a recouvré sa liberté.

S'agissant des disparitions forcées touchant des migrants, la délégation a souligné que les garde-côtes grecs déploient des efforts constants et mènent leurs opérations dans des conditions difficiles. Elle a ajouté que la Grèce comptait un nombre beaucoup moins important de noyades que dans d'autres pays méditerranéens. Les garde-côtes grecs ont pleinement intégré les procédures de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes. En conséquence, toutes les enquêtes sont rapidement ouvertes et les organisations non gouvernementales sont pleinement intégrées dans les opérations de sauvetage. Ce qui est incriminé dans les cas soulevés par des membres du Comité, ce n'est pas l'activité des organisations non gouvernementales, mais leur ingérence dans les compétences des garde-côtes grecs, a affirmé la délégation. Elle a également assuré que, non seulement une assistance en mer est portée à toute personne, indépendamment de sa nationalité, mais une collecte d'ADN est effectuée en cas de décès.

Les mineurs non accompagnés font l'objet d'une procédure spécifique, conformément aux procédures en vigueur dans les pays de l'Union européenne. Des autorités différentes s'occupent d'eux, une fois pris en charge. Une refonte du système a été réalisée en 2018 en coopération avec le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef). Un mécanisme spécial les accueille dans les cinq différents centres d'accueil et d'identification en Grèce, les identifie et leur assure un logement adéquat. Ils y restent pour un temps limité. À ce jour, quelque 2000 enfants bénéficient de ce système, toujours opérationnel. La pratique de la détention des mineurs a cessé en décembre 2021, et des activités de formation et de sensibilisation aux risques de traite et d'exploitation des enfants sont fournies par des organisations non gouvernementales aux travailleurs sociaux qui sont sur le terrain. De plus, les capacités d'accueil ont été augmentées pour atteindre 2500 places, alors qu'on estime qu'environ 2100 mineurs non accompagnés se trouvent dans ces centres d'accueil et d'identification, a encore indiqué la délégation.

En ce qui concerne l'expulsion de migrants vers la Turquie, la délégation a reconnu que les autorités avaient été alertées sur cette pratique, parfois collective. Pour y répondre, des enquêtes ont été ouvertes et sont menées par des institutions indépendantes comme le Médiateur grec. Si nécessaire, les affaires sont renvoyées vers des instances supérieures. Cela dit, les méthodes utilisées sont conformes aux normes européennes. La Grèce a deux priorités : assurer la sécurité du territoire et défendre les droits de l'homme, a dit la délégation.

Interrogée sur la détention de migrants, la délégation a insisté sur le fait que la police grecque respectait tous les protocoles en vigueur dans les zones sensibles. Il n'existe par ailleurs aucune prison secrète sur le territoire national. La détention peut être imposée à un migrant pour une période nécessaire avant son expulsion. Elle est fixée à six mois, et prorogée de douze mois en fonction de la difficulté à expulser le migrant. Dans ce laps de temps, le migrant a le droit de saisir les tribunaux pour contester la procédure, et il bénéficie dans ce contexte d'une aide juridictionnelle. Les conditions de détention sont revues tous les trois mois et les migrants détenus sont informés de leurs droits et peuvent recevoir des visites de leurs proches. Ces visites ont été limitées pendant l'application des mesures de restriction liées à la pandémie mais ont pu continuer en ligne. Selon les chiffres officiels, la Grèce compte 11 500 migrants détenus.

S'agissant des demandes d'asile, bien qu'elles aient diminué de 53% en 2020, la Grèce reste le pays de l'Union européenne où elles sont le plus rapidement examinées, selon l'agence Eurostat. Il ne faut que 29 jours en moyenne après le dépôt de la demande pour obtenir une réponse. En avril 2021, 8000 demandes d'asile avaient été déposées.

Répondant aux questions sur le droit à réparation, la délégation a indiqué que des indemnisations peuvent leur être versées à la victime et ses proches, y compris au civil, en vertu des articles 914, 917 et 932 du code civil.

La loi grecque s'applique quel que soit pays où un crime a été commis. La justice grecque peut juger d'une affaire de disparition forcée indépendamment de la nationalité de l'auteur du crime, a assuré la délégation.

Conclusions

Le chef de la délégation grecque, M. ALEXANDRIS, a remercié le Comité pour cet « échange d'opinions » et « excellentes réflexions et questions » adressées à sa délégation. Étant donné que c'était la première fois que la Grèce participait à un tel dialogue avec le Comité, M. Alexandris a assuré le Comité que l'exercice avait été très utile et orientera les futures actions de son gouvernement. Il a ajouté que, dans un dialogue animé, il y avait toujours des questions à approfondir. La Grèce est une démocratie très vivante et prend toutes les dispositions pour respecter l'état de droit. La Grèce attend avec intérêt les observations finales et recommandations que lui adressera le Comité. Elles seront transmises aux autorités compétentes et un suivi sera assuré, a affirmé le chef de la délégation.

M. HORACIO RAVENNA, membre du Comité qui présidait les échanges avec la délégation, a qualifié de « fructueux » ce dialogue avec la Grèce, « berceau des valeurs occidentales, au moment même où se déroule une guerre qui entend les combattre ».

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

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CED22.002F