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Cambodge : le Comité des droits de l’homme se félicite que les droits consacrés par le Pacte soient traduits dans la législation, mais les restrictions à la liberté d’expression et aux droits politiques attirent son attention

Compte rendu de séance

 

Le Comité des droits de l’homme a conclu ce matin son dialogue avec la délégation du Cambodge, qui présentait un rapport périodique sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le rapport a été présenté par M. Chin Malin, Secrétaire d’État auprès du Ministère de la justice et Vice-président du Comité des droits de l’homme du Cambodge, qui a fait observer que le pays n’avait trouvé la paix et la stabilité que récemment, ajoutant qu’il accordait la plus grande importance à tous les droits de l’homme, qu’il s’efforce de protéger et de promouvoir. Le chef de la délégation a notamment attiré l’attention sur les mesures mises en œuvre dans son pays contre la pandémie de COVID-19 en garantissant un accès aux services sanitaires et sociaux pour tous, le droit à la vie et les droits socio-économiques.

La liberté d’expression et la liberté de la presse, la liberté d’association et de réunion, ainsi que le droit de voter et de participer à la vie publique sont les sujets qui ont principalement occupé le dialogue avec la délégation cambodgienne. Le Comité s’est fait l’écho d’informations indépendantes faisant état d’une violation systématique de la liberté d’expression au Cambodge, en particulier par la fermeture d’organes de presse, le blocage de sites d’information avant les élections de 2018 et, depuis, l’intimidation de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de citoyens critiques du Gouvernement. Il semble en outre que l’opposition politique ne soit pas tolérée, s’est inquiété le Comité, relevant que le Gouvernement semblait s’efforcer de saper toute tentative d’organiser des élections libres et que le Cambodge est de fait un « État à parti unique ». La vision du pluralisme retenue par les autorités cambodgiennes a soulevé des questions, et la présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a rappelé que les restrictions possibles aux droits civils et politiques sont précisées dans le Pacte.

Liberté d’expression ne veut pas dire liberté de nuire à quelqu’un, de le discréditer ou de diffuser de fausses informations, a dit le chef de la délégation pour expliquer que certains sites d’informations avaient été bloqués car ils enfreignaient la loi ou se livraient à de la propagande. La délégation s’est défendue de toute persécution des journalistes. De même, en réponse aux questions sur le droit de participer à la vie publique, la délégation a affirmé que des militants sont emprisonnés non pas en raison de leur opinion mais de leurs actes, tels que la propagation de fausses informations, les critiques du Gouvernement et de la royauté, et les incitations à se rebeller. Le crime de lèse-majesté vise à préserver le caractère sacré et inviolable de la royauté, s’est justifié la délégation. Elle a néanmoins reconnu les lacunes concernant notamment le cadre légal et juridique, les mesures contre la corruption, l’interdiction de la torture, l’élimination de l’esclavage et de la traite, la liberté d’association, le droit de vote. L’objectif ultime ne peut être obtenu du jour au lendemain, surtout si l’on tient compte du poids du passé, a conclu M. Chin.

Le Cambodge était le dernier État partie devant présenter son rapport au cours de la présente session. Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur l’ensemble des rapports examinés depuis l’ouverture de la session, le 28 février dernier. Elles seront rendues publiques à l’issue de la session, qui se termine le 25 mars.

 

La prochaine séance publique du Comité des droits de l’homme doit se tenir le vendredi 18 mars, à 15 heures, afin d’examiner son rapport sur le suivi des observations finales adressées aux États parties au Pacte, ainsi que son rapport de suivi sur les constatations qu’il a adoptées à l’issue de l’examen des plaintes individuelles qui lui sont adressées en vertu du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

 

Examen du rapport du Cambodge

Le Comité des droits de l’homme était saisi du troisième rapport périodique du Cambodge (CCPR/C/KHM/3) et des réponses de l’État partie à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.

Présentation du rapport

M. AN SOKKHOEURN, Représentant permanent du Cambodge auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que le Cambodge faisait office de champion dans la ratification des instruments des droits de l’homme. Souhaitant un dialogue constructif et équilibré, il a espéré que le Comité tiendrait compte des particularités du Cambodge dans l’examen du rapport.

M. CHIN MALIN, Secrétaire d’État auprès du Ministère de la justice et Vice-Président du Comité des droits de l’homme du Cambodge, a regretté que la délégation cambodgienne n’ait pu se rendre à Genève pour l’examen du rapport en raison de la pandémie et d’une nouvelle vague de COVID-19. Le chef de la délégation a fait observer que le Cambodge était un pays qui a connu une longue guerre civile, des conflits armés internes et le régime Khmer rouge, ne trouvant la paix et la stabilité que récemment. Aussi accorde-t-il la plus grande importance à tous les droits de l’homme, qu’il s’efforce de protéger et de promouvoir. Le pays a adhéré à huit instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, ce qui en fait un des pionniers dans la région en la matière.

M. Chin a attiré l’attention sur les mesures les plus récentes mises en œuvre dans son pays, comme celles visant à lutter contre la pandémie en garantissant un accès aux services sanitaires et sociaux pour tous, à protéger le droit à la vie et à renforcer les droits économiques et sociaux. Le Gouvernement a veillé à garantir la légalité et la proportionnalité des mesures de restrictions dues à la pandémie et les droits des citoyens. Il a aussi promulgué en 2021 une législation de lutte contre la COVID-19 et d’autres maladies contagieuses graves. Le chef de la délégation a fait savoir que les informations selon lesquelles au moins 729 personnes auraient été arrêtées en vertu de cette loi sont incorrectes, précisant que, entre juillet et octobre 2021, la plupart des personnes ayant enfreint cette loi ont écopé d’une amende, ont fait l’objet de cours de réinsertion et sont rentrées chez elles. Sur les cas ayant fait l’objet de poursuites, 30 personnes ont été placées en détention pour violation grave de la loi.

En ce qui concerne la création d’une institution nationale des droits de l’homme, les discussions sont en cours entre le Comité national des droits de l’homme et toutes les parties prenantes à la rédaction de cet instrument. Le premier projet de loi est finalisé et se fonde sur les Principes de Paris, a indiqué le président dudit comité.

S’agissant de l’obligation redditionnelle et de la poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme, M. Chin a expliqué qu’un fonctionnaire ayant violé la loi encourt des sanctions disciplinaires, voire pénales. Les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens sont chargées de faire la lumière sur les tragédies qui se sont déroulées durant le régime khmer rouge dans les années 1970.

Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Gouvernement cambodgien a œuvré d’arrache-pied pour remédier à la surpopulation carcérale, notamment en favorisant des amnisties et des commutations de peine, ainsi qu’en traitant les arriérés dans les tribunaux. Des mesures de surveillance de l’état de santé des détenus à l’entrée et à la sortie de prison ont également été prises.

Il n’y a pas au Cambodge d’atteintes à la liberté d’expression sur internet, a assuré M. Chin, précisant que certains sites ont été bloqués car ils enfreignaient la loi. Liberté d’expression ne veut pas dire liberté de nuire à quelqu’un, de le discréditer ou de diffuser de fausses informations, a souligné le chef de la délégation. Le sous-décret récemment promulgué sur la question n’a pas pour objectif de museler ceux qui fournissent des informations mais de maintenir l’ordre social et de protéger la culture nationale. Aucune disposition de ce décret n’autorise la collecte de données personnelles ou la surveillance individuelle. Si certains militants écologistes ont été poursuivis, c’est pour crime de lèse-majesté ou pour dissémination de fausses informations incitant à la violence.

La législation cambodgienne encadre le droit à la liberté d’association, et les organisations non gouvernementales et associations doivent agir de manière neutre avec les partis politiques. Les organisations de la société civile bénéficient d’un espace où elles peuvent s’exprimer. Quant à la liberté de réunion pacifique et de manifestation, l’ordre public ne doit pas être troublé et le droit à la liberté d’autrui doit être respecté. Les manifestants doivent rendre compte de leurs actes en vertu de la loi.

Évoquant le droit de vote et la participation à la vie politique, le chef de la délégation a souligné que le Cambodge respectait le principe de la démocratie pluraliste et que des élections libres et justes ont été organisées en 2018. Aujourd’hui, 45 partis politiques sont enregistrés.

S’agissant de l’affaire de M. Kem Sokha, le chef de la délégation cambodgienne a indiqué que cette personne avait été arrêtée en septembre 2017 en lien avec une conspiration avec une puissance étrangère visant à renverser le régime légitime du Royaume du Cambodge. Il a été libéré et placé sous contrôle judiciaire et la procédure est toujours en cours de manière transparente. Quant au procès de masse concernant l’événement du 9 novembre, il s’agissait d’une tentative de coup d’État planifiée par des politiciens vivant à l’étranger pour inciter les forces armées à se révolter contre le Gouvernement royal.

Affirmant que le Cambodge œuvrait résolument pour édifier une nation puissante avec une société démocratique, juste et civilisée, M. Chin a encouragé les membres du Comité des droits de l’homme à regarder la situation globale positive, les progrès réalisés et les défis auxquels le pays fait face pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés.

Questions et observations des membres du Comité

Le Comité s’est d’abord félicité que les droits consacrés par le Pacte soient traduits dans la législation nationale du Cambodge et que la formation des juges et des avocats soit en cours. Il a toutefois relevé d’importantes lacunes dans la mise en œuvre, et a souhaité des exemples dans lesquels des dispositions Pacte auraient été invoquées par les tribunaux. La législation nationale prime-t-elle sur le Pacte en cas de conflit entre les textes et comment ces conflits sont-ils résolus ? À cet égard, un membre du Comité s’est interrogé sur les projets de l’État partie pour harmoniser cette législation avec le Pacte, ainsi que sur la participation d’autres parties prenantes dans le processus de réforme législative. Où en est la question de l’adhésion du Cambodge aux deux Protocoles facultatifs se rapportant au Pacte ?

Au sujet de la lutte contre la discrimination, le Comité a reçu des informations détaillant des lacunes dans ce domaine, telles qu’une forte sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilité, la discrimination à l’égard des personnes LGBTI, l’exclusion systématique des Vietnamiens et la ségrégation dont souffrent les personnes handicapées. Il a voulu connaître les lois, politiques et programmes qui ont été mis en place pour éliminer la discrimination à l’encontre des femmes, s’il existe des quotas pour faciliter leur participation au marché du travail, si l’État partie entend s’engager en faveur d’une réforme pour l’égalité salariale entre hommes et femmes et si le droit du travail de 1997 sera amendé pour veiller à ce que les travailleurs domestiques bénéficient d’une protection. La situation précaire des minorités ethniques et raciales, comme les Khmers Krom et les Cambodgiens d’ascendance vietnamienne, a suscité des inquiétudes.

Une experte s’est inquiétée du retard accumulé dans la mise en place d’une institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes de Paris et des doutes émis par les acteurs de la société civile au sujet de l’indépendance et de l’efficacité de l’institution proposée après consultation sur le projet de loi l’année dernière. Elle a demandé si les avis des groupes de la société civile, y compris ceux qui sont critiques, sont pris en considération dans la formulation de ce projet de loi attendu depuis longtemps. L’ indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif a également suscité des interrogations.

Rappelant que la loi sur la lutte contre la corruption de 2010 avait institué une unité d’enquête spéciale, le Comité a souhaité une mise à jour sur les enquêtes contre des fonctionnaires soupçonnés de corruption, sur les poursuites engagées et les peines prononcées, sachant que 330 plaintes ont été déposées en 2019. Une experte s’est inquiétée du harcèlement des défenseurs des droits de l’homme et de l’opposition politique par cette unité de lutte contre la corruption, demandant quelles étaient les mesures prises pour s’assurer que les enquêtes sont légitimes et indépendantes. Elle a aussi voulu savoir pourquoi le projet de loi de 2015 sur les témoins, les experts et les victimes n’a pas été adopté. Il existe également de nombreuses informations faisant état de corruption sur les questions liées à la terre et d’opérations dans des sanctuaires de la vie sauvage. Un ancien secrétaire d’État a obtenu un contrat pour développer le projet ING City dans des zones humides à proximité de Phnom Penh et des milliers de familles ont été déplacées depuis, a relevé une experte, souhaitant davantage d’informations à ce sujet.

Le Comité a pris note d’une loi relative à la gestion de la nation en période d’état d’urgence et une experte a demandé des explications sur le contexte dans lequel cette loi est appliquée, notamment s’agissant des droits et libertés fondamentales qui peuvent être restreints dans ce cadre et dans quelle mesure ces restrictions sont compatibles avec les principes du droit international. Quant à la loi sur les mesures préventives contre la COVID-19, l’experte s’est demandé s’il ne s’agissait pas d’une entrave excessive à la liberté d’expression et de manifestation, évoquant les informations reçues selon lesquelles il s’agirait d’une arme utilisée par l’État partie pour réprimer les opposants au régime en place.

Abordant la question de la lutte contre l’impunité et les violations des droits de l’homme commises dans le passé, un expert a souhaité des informations sur les mesures prises concernant les décès et disparitions survenues dans les années 1990, ainsi que les exécutions extrajudiciaires et d’autres violations des droits de l’homme commises par l’armée ou les forces de sécurité. S’agissant des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, un expert s’est interrogé sur leur pertinence pour lutter contre l’impunité, et sur les mesures prises pour dédommager les victimes.

Le Comité a évoqué les allégations de crimes commis contre des dissidents ou des opposants, s’inquiétant d’informations selon lesquelles ils resteraient impunis et qu’aucune enquête indépendante et impartiale n’aurait été diligentée. Un expert a rappelé l’article 6 du Pacte portant obligation de prévenir, d’enquêter et de punir toute privation de la vie et demandé en particulier quelles mesures avait été prises pour protéger les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes.

Au sujet de la violence contre les femmes, le Comité a salué la mise en place de plusieurs plans d’action à cet égard, demandant quelles étaient les priorités du troisième plan couvrant la période 2019-2023. Un expert s’est dit préoccupé par l’absence de garantie d’une protection adéquate contre la violence domestique pour les couples non mariés. Le Comité s’est également inquiété de l’absence de données précises sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations pour violence contre les femmes dans le rapport de l’État partie.

Au Cambodge, le code pénal prévoit des dispositions applicables en matière de torture mais, s’inquiétant d’un manque de définition dans la loi et d’informations faisant état d’actes de torture en garde à vue par la police, le Comité s’est demandé si l’État partie envisageait de revoir sa position et de promulguer une législation interdisant la torture qui soit plus claire et interdise dans les procédures judiciaires l’utilisation de toute preuve obtenue sous la torture. La délégation a été priée d’informer le Comité sur les résultats obtenus par le Comité national contre la torture créé en 2017 et sur son indépendance réelle.

Le Comité s’est fait l’écho d’informations indépendantes faisant état d’une violation systématique de la liberté d’expression au Cambodge, en particulier par la fermeture d’organes de presse, le blocage de sites d’information avant les élections de 2018 et, depuis, l’intimidation de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme et de citoyens critiques du Gouvernement. Un expert a cité les exemples de journalistes emprisonnés simplement pour avoir exercé pacifiquement et légitimement leur droit d’expression et a demandé des explications à la délégation, notamment sur la compatibilité de la persécution de médias et journalistes indépendants avec les obligations en vertu de l’article 19 du Pacte.

En outre, a déploré un autre expert, la législation relative à la COVID-19 a été utilisée pour faire taire toute critique contre la gestion de la pandémie par le Gouvernement, ce qui a entraîné plus 700 arrestations arbitraires entre mars et octobre 2021, dont celle du journaliste Kouv Piseth, qui s’était interrogé sur Facebook à propos de l’utilisation des vaccins chinois.

Toujours au sujet de la liberté d’expression, une experte s’est dite profondément préoccupée par le recours à des dispositions pénales visant à étouffer la dissidence et à punir l’opposition au gouvernement. Le code pénal au cambodgien contient des termes vagues relatifs à la diffamation, à l’outrage public, à l’incitation et à l’injure, a continué l’experte, rappelant qu’exprimer un désaccord ne pose aucune menace à la sécurité nationale et ne justifie pas des poursuites. Le Comité s’est demandé si le Gouvernement envisageait d’abroger ces dispositions afin de garantir la conformité de la loi avec le Pacte.

Un sous-décret de 2021 relatif à internet qui permet la surveillance de contenus a également soulevé de vives préoccupations sur la liberté d’expression et le respect de la vie privée, et sur sa conformité avec les articles 17 et 19 du Pacte.

S’agissant de la liberté d’association et de réunion, une experte a relevé les restrictions imposées par la loi de 2009 sur les manifestations pacifiques, qui exige une autorisation des autorités. Elle a demandé comment le Gouvernement justifiait l’interdiction de telles manifestations. Le recours à la force pour disperser les manifestants pacifiques a été critiqué. L’experte a également noté les restrictions à la formation d’un syndicat et s’est inquiétée de la protection des droits des syndicats, rappelant l’arrestation d’un syndicaliste pour avoir organisé une grève contre le licenciement massif de salariés au Casino NagaWorld de Phnom Penh. Quant à la législation de 2015, elle permet de refuser l’enregistrement d’organisations non gouvernementales et de surveiller des militants, une experte demandant si cette législation respectait l’article 22 du Pacte.

Au sujet du droit de voter et de participer à la vie publique, un expert est revenu sur la dissolution du principal parti d’opposition en 2017 et la réallocation des sièges de ses élus au parti au pouvoir, qui occupe désormis tous les sièges de l’Assemblée nationale. En 2021, trois partis ont été dissous et l’enregistrement de nouveaux partis a été parfois refusé, selon des informations dont dispose le Comité. Il semble que le Gouvernement essaie de saper toute tentative d’organiser des élections libres et que le Cambodge est un État à parti unique, s’est inquiété le Comité, demandant si la participation libre et équitable sera garantie aux prochaines élections afin qu’elles soient véritablement démocratiques. Selon les informations disponibles, a encore souligné un expert, l’opposition politique n’est pas tolérée, pas plus que le journalisme indépendant. Le harcèlement de membres de l’opposition et de la société civile a été vivement dénoncé.

Sur la question de la privation de liberté, une experte s’est penchée sur le cas des personnes souffrant d’une grave dépendance à la drogue qui sont privées de leur liberté et contraintes de suivre un traitement médical et une réadaptation. La délégation a été priée de fournir des explications sur la procédure d’identification de ces personnes, sur les garanties juridiques pour que leur privation de liberté ne soit pas arbitraire, sur les mesures prises pour changer d’approche, et sur l’impact réel de la mise en application de cette loi sur le contrôle des drogues. Par ailleurs, le Comité s’est inquiété de la détention contre leur gré de personnes sans abri, y compris de personnes souffrant de handicap mental, et d’enfants.

Se félicitant des mesures prises pour régler le problème de la surpopulation carcérale, le Comité est resté préoccupé par les informations faisant état d’une hausse de la population carcérale depuis le début de la campagne de lutte contre la drogue en 2016. Il s’est inquiété d’un taux d’occupation de 300%, qui entraîne une non-séparation entre jeunes et adultes, et entre prévenus et condamnés. Il a demandé des explications sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations suite à des plaintes ou des inspections sur les conditions de détention. Malgré la volonté du Gouvernement de réduire le nombre de prévenus, un expert a constaté le manque de progrès significatifs ces dernières années, rappelant que la détention provisoire est une mesure de dernier recours, conformément à l’article 9 du Pacte.

Le Comité a salué les mesures prises par l’État partie dans le cadre de la riposte contre la COVID-19 en faveur des détenus et a demandé des renseignements complémentaires sur leur accès aux tests de dépistage, aux soins de santé et à la vaccination. Il s’est également félicité de la hausse du budget alloué à l’aide juridictionnelle et a voulu en savoir plus sur les mesures prises pour en assurer la qualité.

Après s’être félicitée des mesures prises par l’État partie afin de réformer le système de justice pour mineurs, une experte a demandé des précisions sur les centres de réadaptation opérationnels pour accueillir les mineurs et sur le nombre de mineurs en détention.

Au sujet de l’élimination de l’esclavage, de la servitude et de la traite des personnes , le Comité a souhaité des données complètes et à jour sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations dans ce domaine. Il s’est également interrogé sur l’accord de coopération avec la Thaïlande relatif à la lutte contre la traite de personnes, et sur ses résultats concrets pour les victimes, en particulier les enfants. Si l’État partie nie la servitude pour dette, un expert a souligné que le Comité a reçu des informations en faisant état, en particulier d’enfants contraints de travailler pour régler leur dette ou celle de leurs parents. La délégation a été priée de fournir des informations sur les mesures prises à cet égard.

Le Comité s’est par ailleurs enquis des projets de développement pour les communautés autochtones et sur la garantie de leur consentement préalable, libre et éclairé sur l’usage et la propriété de terres.

Réponses de la délégation

Pour répondre aux préoccupations et interrogations exprimées par les membres du Comité, le chef de la délégation, M. Chin Malin, a assuré que la loi sur la prévention de la propagation de la COVID-19, adoptée en 2021, ainsi que l’état d’urgence déclaré, respectent les droits de l’homme et les instruments internationaux, estimant qu’il est injuste d’accuser le Cambodge à ce sujet. La loi sur la gestion de l’état d’urgence n’est pas un outil de répression comme le prétendent certains membres de l’opposition, il s’agit au contraire de garantir le droit à la paix et au développement. L’approche du Cambodge est équilibrée et le Gouvernement a étudié les pratiques des pays démocratiques en la matière. En outre, il existe un mécanisme de contrôle parlementaire par l’Assemblée et le Sénat.

Des sanctions sont nécessaires pour faire appliquer la loi et sont réservées à ceux dont les actes ont des conséquences pour la société, par exemple lorsqu’ils infectent volontairement d’autres personnes. M. Chin a affirmé que les chiffres reçus à ce sujet par le Comité de la part d’organisations non gouvernementales étaient exagérés. Par ailleurs, la loi relative à la lutte contre la COVID-19 a permis de pratiquer le dépistage, d’éviter des contaminations et de nouveaux confinements, et de mieux contrôler la flambée de la pandémie.

Concernant la liberté d’expression et la liberté des médias, un représentant du Ministère de l’information a évoqué le projet de loi sur l’accès à l’information pour souligner que le groupe de travail chargé de le rédiger avait consulté de très nombreuses parties prenantes. Quant au harcèlement et à l’intimidation de journalistes, la délégation a souligné que la liberté de la presse était totalement garantie et que le Gouvernement travaillait de la manière la plus constructive possible avec les journalistes professionnels et responsables.

Certains médias et sites internet ont été fermés car ils ne respectaient pas les lois ou se livraient à de la propagande et à la diffusion de fausses nouvelles avant les élections, dépassant ainsi les limites de la liberté d’expression, a insisté la délégation, réfutant toute persécution des journalistes et tout manquement aux dispositions du Pacte et assurant qu’aucun site n’a été fermé pour avoir critiqué le Gouvernement. Le Ministère de l’information a l’autorité pour accorder et révoquer des licences des organes de presse, et il adopte une approche souple à cet égard, a-t-il assuré la délégation.

Par ailleurs, le Gouvernement a supprimé une clause du tribunal suprême pour veiller à ce qu’aucune personne ne soit poursuivie pour avoir exprimé une opinion. Aucun journaliste n’a été tué pour des raisons politiques et le Gouvernement condamne fermement toute atteinte à la liberté de la presse, a affirmé la délégation, expliquant que les assassinats qui ont pu avoir lieu n’avaient pas de lien politique et que les journalistes prennent parfois des risques dans leurs enquêtes et reportages, ne respectant pas les instructions relatives à la sécurité.

La loi sur la cybercriminalité est en cours de préparation et il est prématuré de la critiquer, a par ailleurs estimé M. Chin.

Au sujet de la liberté d’association et de réunion, M. Chin a dit que la loi concernant les organisations non gouvernementales et les associations protègeait leurs intérêts et ceux du public. Il a critiqué au passage les demandes des organisations qui ne voudraient pas rendre de comptes ni fournir d’informations financières alors que ces exigences visent la transparence. Par ailleurs, la législation n’exige pas d’autorisation préalable pour manifester, seulement d’en informer les autorités. À propos de l’appel à la grève concernant NagaWorld, le chef de la délégation a expliqué que les organisateurs avaient visiblement des intentions malveillantes et ont bénéficié de la coopération d’organisations externes que le Gouvernement considère comme illégales.

Les enseignants, les fonctionnaires et les travailleurs domestiques bénéficient de la liberté d’association sans restriction, a affirmé la délégation, précisant que le droit cambodgien garantissait la liberté d’association et d’affiliation à un syndicat, de même que le droit de faire grève.

Quant au droit de voter et de participer à la vie publique , le chef de la délégation a rappelé que des militants sont pris pour cible en raison de leurs actes et non de leur opinion. Ceux qui sont emprisonnés le sont parce qu’ils ont enfreint la loi, a-t-il martelé, citant la propagation de fausses informations, les critiques du Gouvernement et de la royauté, et les incitations à se rebeller. Le Gouvernement s’efforce de respecter les droits de l’homme mais pas de permettre des propos ou agissements qui lui porteraient préjudice, et le crime de lèse-majesté vise à préserver le caractère sacré et inviolable de la royauté. Par ailleurs, une démocratie libérale pluraliste ne veut pas nécessairement dire que tous les partis politiques doivent être représentés à l’Assemblée et au Sénat, a fait observer M. Chin pour rappeler que le Cambodge est une démocratie.

La délégation a évoqué le plan d’action national pour lutter contre la discrimination à l’égard des minorités, qui inclut des mesures de prévention et a défini 131 indicateurs permettant d’établir une feuille de route et afin de s’assurer qu’on ne laisse personne de côté, conformément aux objectifs de développement durable.

Des mesures sont prises pour lutter notamment contre les violences à l’égard des femmes et des filles. Des consultations ont permis de reconnaître que certains groupes de femmes et de filles risquaient davantage que d’autres de faire face au phénomène de la violence. Le Gouvernement a constaté que la violence à l’égard des femmes était en baisse et attend également une amélioration au niveau des mentalités. Un groupe consultatif de riposte à cette violence a été créé au niveau ministériel et un code de travail éthique à l’intention des journalistes a été mis en place, dans l’idée d’éviter une mauvaise information sur les cas de violence à l’égard des femmes et de contribuer à l’évolution des mentalités. La violence à l’égard des femmes dans le couple est interdite et incriminée, et le Gouvernement a relevé son budget alloué à la gestion des risques pour les femmes et les filles. Le Conseil national des femmes a signé un mémorandum d’accord avec le barreau pour accélérer les jugements sur ces questions et une aide juridictionnelle spécialisée est accordée aux femmes et aux filles. La loi de 2005 sur la prévention de la violence domestique est conforme aux dispositions du Pacte, et il est envisagé de la perfectionner et de mieux la mettre en œuvre.

En ce qui concerne les droits des personnes LGBTI, il n’existe pas de législation spécifique mais le Gouvernement a pris des mesures contre les discriminations à leur égard, au moyen d’une campagne de sensibilisation. La loi ne reconnaît pas encore la légitimité des mariages homosexuels, mais ils ne sont pas incriminés. Le Gouvernement souhaite amender cette loi afin de légaliser le mariage entre personnes de même sexe.

La délégation a fait savoir que le Gouvernement avait à cœur de mettre en place une institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes de Paris. Dans ce cadre, le Comité national des droits de l’homme a élaboré un avant-projet de loi en ce sens. Il a été publié en juillet 2021 aux fins de consultation avec toutes les parties prenantes afin de recueillir leur point de vue. Le projet de loi abouti devrait être présenté début 2023.

Pour répondre aux questions sur la situation des migrants, notamment les Vietnamiens, la délégation a indiqué que les Vietnamiens résidant au Cambodge doivent en avoir fait la demande au préalable conformément à la loi sur l’immigration. Les enfants nés de parents vietnamiens au Cambodge sont considérés comme Vietnamiens. Selon la nouvelle loi sur la nationalité entrée en vigueur en 2018, les personnes nées de parents étrangers vivant légalement au Cambodge peuvent demander la naturalisation. En réponse à une autres question, la délégation a précisé que le terme Khmer Krom n’est utilisé que pour situer une zone géographique d’où viennent ces populations et non une nationalité, a précisé la délégation. Il n’existe pas de statistique sur leur nombre.

Le Comité national contre la torture a ouvert 40 affaires et 50 personnes ont été privées de liberté dans ce cadre, a indiqué la délégation. Le Gouvernement n’exclut pas de promulguer une loi spécifique sur la torture et est en train d’examiner si elle est vraiment nécessaire sur le plan technique. Le chef de la délégation a souligné que ce Comité est de plus en plus indépendant et que des agents et responsables de la Gendarmerie royale ont été poursuivis pour avoir eu recours à la violence et avoir battu à mort un suspect. Il a reconnu la mort de détenus et a dit que l’État accorde une grande attention aux conditions de détention et aux droits des détenus. Le Cambodge s’apprête à réaliser une réforme des services carcéraux et le code pénal sera amendé.

S’agissant de la surpopulation carcérale, de nombreuses organisations non gouvernementales ont demandé une libération facilitée de détenus sur fond de pandémie de COVID-19, mais le Gouvernement a estimé que ce n’était pas une mesure appropriée. La libération n’est possible qu’en cas d’amnistie ou lorsqu’une peine est commuée. Des mesures ont été prises afin d’assurer la sécurité des détenus et de limiter la propagation de la pandémie.

Les procédures de détention provisoire qui sont appliquées au Cambodge sont conformes à la loi, a dit le chef de la délégation, soulignant que la durée était de six mois renouvelables, et de vingt-quatre mois pour les crimes graves. Des mesures non privatives de liberté sont à l’examen, comme le travail communautaire.

En ce qui concerne le travail des enfants, le Ministère du travail et de la formation a mené entre 2016 et 2021 des inspections pour veiller au respect des conditions de travail en général, a fait savoir la délégation. Des campagnes de prévention contre le travail des enfants ont été menées, notamment dans les entreprises de production du sucre, chaque année entre 2016 et 2019. Des milliers d’employeurs ont ainsi été informés de l’interdiction du travail des enfants. Il n’existe actuellement pas de cas de travail forcé ou de servitude pour dette, a par ailleurs assuré un représentant du Ministère du travail. Les interventions du ministère se sont poursuivies dans les usines de briques et dans le secteur de l’agroalimentaire pendant la pandémie. Des campagnes de sensibilisation et de prévention ont été menées contre le travail des enfants.

La délégation a expliqué que l’indépendance du pouvoir judiciaire était garantie par la Constitution et par un mécanisme qui encadre les procédures et le fonctionnement général des tribunaux. Le conseil suprême de la magistrature aide le Gouvernement dans sa mission et veille à l’indépendance dans la nomination des juges. Ceux-ci ont le droit de s’affilier à un parti politique mais ils doivent être impartiaux dans l’exercice de leurs fonctions, faute de quoi ils s’exposent à des sanctions disciplinaires. Le Gouvernement est conscient des imperfections du cadre juridique et législatif et tente de les corriger, a déclaré M. Chin.

L’unité de lutte contre la corruption fait office de police judiciaire anticorruption, sans pouvoir de juger. Des politiques ont aussi été adoptées, ainsi qu’une loi de lutte contre la corruption en 2010. La lutte contre la corruption repose sur la prévention et la répression. La loi stipule que toute personne avec des responsabilités dans la fonction publique doit déclarer ses actifs à l’unité de lutte contre la corruption. Si elle ne les déclare pas ou les déclare de manière incorrecte, elle peut être sanctionnée d’une amende et d’une peine d’un an de prison.

Au sujet de la traite des personnes, un représentant du Comité des droits de l’homme du Cambodge a expliqué qu’un plan stratégique avait été lancé, avec des mesures s’appliquant aux différents ministères et institutions pour lutter contre ce fléau. Il vise aussi à empêcher l’abus sexuel des enfants. Les cas de traite ayant été sanctionnés ont fortement augmenté ces dernières années. Il existe aussi des mécanismes à l’échelle provinciale afin de placer les responsables de la traite et de l’exploitation d’êtres humains devant leurs responsabilités. Des milliers de victimes ont bénéficié d’une prise en charge, et des Cambodgiens victimes de traite à l’étranger ont été rapatriés.

Conclusions

M. Chin, chef de la délégation cambodgienne, a remercié le Comité pour l’esprit constructif dans lequel s’est tenu ce dialogue en format hybride – à la fois en présence et à distance. Il a reconnu les lacunes concernant notamment le cadre légal et juridique, les mesures contre la corruption, l’interdiction de la torture, l’élimination de l’esclavage et de la traite, la liberté d’association, le droit de vote. L’objectif ultime ne peut être obtenu du jour au lendemain, surtout si l’on tient compte du poids du passé, a souligné M. Chin. Le Cambodge est un État ambitieux lorsqu’il s’agit des droits de l’homme et de l’application des droits consacrés par le Pacte, a conclu le chef de la délégation, s’engageant à répondre aux obligations de l’État partie dans un esprit de bonne coopération.

La présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a pris note du processus continu de la construction d’une démocratie et des mesures prises pendant la période à l’examen. Le dialogue s’est concentré tout particulièrement sur les droits civils et politiques et Mme Pazartzis a fait observer que le Comité a pour règle, pour tous les examens de rapport, d’échanger avec la société civile et les institutions internationales afin d’avoir une bonne vision d’ensemble. Si le Comité comprend la vision du pluralisme du Cambodge, sa présidente a rappelé à l’État partie que les restrictions prévues dans ce domaine sont précisées dans le Pacte et dans la jurisprudence du Comité.

 

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