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Bolivie : préoccupé par les violences sexuelles et les cas de torture, le Comité des droits de l’homme encourage les efforts de réforme de la justice

Compte rendu de séance

 

Le Comité des droits de l’homme a conclu cet après-midi son dialogue avec la délégation de la Bolivie, qui présentait un rapport périodique sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le rapport a été présenté par le Ministre de la justice et de la transparence institutionnelle, M. Iván Manolo Lima Magne, qui a assuré que l’État plurinational de Bolivie, composé de 36 nationalités, reconnaît, garantit et protège tous les droits civils et politiques dans des conditions d’égalité. Le Pacte, à l’instar d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, jouit d’un statut constitutionnel et a donc un caractère contraignant. Le ministre a aussi reconnu les très nombreuses violations des droits de l’homme commises durant la dictature entre 1964 et 1982. Après avoir également évoqué le coup d’État intervenu à la fin de 2019, M. Lima Magne a déclaré qu’aujourd’hui, la démocratie avait été rétablie et l’État travaille à améliorer ses normes internes, notamment en ce qui concerne la lutte contre la torture et le racisme.

Relevant les nombreuses plaintes pour harcèlement ou violences politiques contre des femmes élues, le taux de féminicides dans l’État partie – l’un des plus élevés d’Amérique du Sud – et l’importance des violences sexuelles, le Comité s’est étonné du faible taux de condamnation des auteurs de tels actes. Les experts se sont aussi interrogés sur les enquêtes et les poursuites contre les auteurs d’actes de torture ou de traitements cruels, ainsi que de lynchages, et sur l’usage excessif de la force au cours de manifestations. Le travail forcé et la servitude dans des zones rurales reculées ainsi que la surpopulation carcérale ont suscité d’autres questions.

Répondant aux interrogations des membres du Comité, la délégation a fait observer qu’elle ne partage pas la responsabilité des graves violations des droits de l’homme commises du temps de la « dictature de Jeanine Añez » entre novembre 2019 et novembre 2020. Tout au long du dialogue avec le Comité, elle a mis en avant les nouvelles mesures et les plans d’action adoptés depuis ou en cours d’élaboration. Un plan national multisectoriel se fondera par exemple sur des actions concrètes pour combattre les discriminations et le Gouvernement travaille actuellement au changement des normes sociales et à la prévention, notamment par la formation des forces de police organisée par la Direction des droits de l’homme. La délégation a aussi fait valoir l’adoption d’une loi de réparation pour les victimes de torture, de détention arbitraire et de disparitions forcées survenues durant la période 1964-1982. Le Gouvernement reconnaît le problème des violences contre les femmes et le Président a mis sur pied une commission de suivi des affaires de féminicide. Il reconnaît aussi le problème de la surpopulation carcérale et des actes de torture et de mauvais traitements commis en prison. Par ailleurs, une unité de protection de l’enfance au sein du ministère de la justice œuvre à l’élaboration d’une politique de lutte contre les châtiments corporels sur enfants.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur l’examen du rapport de la Bolivie, qui seront rendues publiques à l’issue de la session.

 

Le Comité des droits de l’homme doit conclure, demain matin, l’examen en séance publique du rapport du Cambodge, entamé hier.

 

Examen du rapport de la Bolivie

 

Le Comité des droits de l’homme était saisi du sixième rapport périodique rapport de la Bolivie

(CCPR/C/BOL/4) et des réponses à une liste de points à traiter que lui avait adressée le Comité.

Présentation de rapport

M. IVAN MANOLO LIMA MAGNE, Ministre de la justice et de la transparence institutionnelle de l’État plurinational de la Bolivie, a souhaité présenter les principales avancées intervenues en Bolivie en matière de droits de l’homme. Après être revenu sur le cadre institutionnel et la forme politique spécifique de son pays, il a assuré que la norme constitutionnelle bolivienne reconnaît, garantit et protège tous les droits civils et politiques, dans les conditions d’égalité. Les 36 nationalités qui composent l’État plurinational de Bolivie disposent du droit à l’autodétermination et peuvent décider de leur participation politique. Le Pacte, à l’instar d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dispose d’un statut constitutionnel. Il a donc un caractère contraignant et doit être accompagné de mécanismes de suivi.

Le ministre est ensuite revenu sur l’histoire politique de son pays, évoquant la période de dictature entre 1964 et 1982 et le coup d’État du dernier trimestre de 2019. Au cours de ces deux événements, de très nombreuses violations des droits de l’homme ont été commises, notamment des exécutions sommaires, des cas de violence, de discrimination, de restrictions de la liberté d’expression, entre autres. L’État s’est retrouvé dans une situation où l’impunité avait conduit à une violation de la Constitution. La démocratie a été rétablie avec l’élection, par 55% des voix, du président actuel, M. Luis Arce. Ce dernier a notamment signé un décret rétablissant le ministère de la culture, dont la suppression par les anciennes autorités avait mené à de graves conflits raciaux entre différentes populations du pays. Cette suppression est considérée comme la principale cause du coup d’État de 2019, notamment par la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Aujourd’hui, le ministère de la culture et de décolonisation intègre des structures de lutte contre les discriminations raciales et autres.

Dans le cadre de ses obligations, la Bolivie travaille aujourd’hui à améliorer ses normes internes, notamment en ce qui concerne la lutte contre la torture et sur la base des différentes recommandations du Comité contre la torture et d’autres organes indépendants. Le racisme et la torture sont deux fléaux qui sont liés entre eux, a estimé le ministre. Le crime de torture, même lorsqu’il mène à mort d’homme, est puni de peines relativement faibles, a déploré le ministre, qui a affirmé que son pays s’efforçait d’adapter son cadre juridique. Il a également assuré que la loi sur l’amnistie n’avait pas été utilisée de manière erronée. De grands défis ont par ailleurs été identifiés en matière d’accès à la justice, dans un contexte où il n’existe pas de procureur dans plusieurs endroits reculés. Le Gouvernement travaille donc à la mise en place de services numériques transparents pour répondre à cette situation.

Par ailleurs, le système judiciaire a fait l’objet de cas de corruption de la part de groupes criminels. Au cours des semaines passées, cela a mené à la détention de six juges pénaux pour des délits graves à l’encontre de femmes. De plus, des efforts importants sont menés au sein du tribunal constitutionnel pour garantir les droits des personnes LGBTIQ+ et pour parvenir au mariage pour tous. Cette année a été déclarée année de lutte contre le patriarcat, a encore fait valoir le chef de la délégation.

Questions et observations des membres du Comité

Le Comité a observé que les informations fournies par la délégation étaient complètes et bien organisées. S’agissant de la mise en œuvre du Pacte, il a accueilli avec satisfaction les informations sur les décisions du Tribunal constitutionnel faisant référence au Pacte, tout en souhaitant en avoir d’autres exemples émanant cette fois de juridictions nationales de rang inférieur. De plus, par quels moyens et mécanismes les dispositions du Pacte, de même que les constatations et conservations du Comité sont-elles mises en œuvre au quotidien, a-t-il été demandé par une experte du Comité.

Concernant l’article de la Constitution qui permet d’établir le régime de l’État d’urgence, une experte a voulu savoir s’il existe une norme clarifiant cet article, rappelant une recommandation précédente du Comité suggérant à la Bolivie d’adopter une loi spécifique concernant l’État d’urgence.

Le Comité a également rappelé sa déclaration d’avril 2020, relative à la question de la suspension, par les États parties, de leurs obligations découlant du Pacte en lien avec la pandémie de COVID-19. Le Comité note que la Bolivie avait informé le Secrétariat général de l’Organisation des États américains des mesures adoptées par le Gouvernement pour lutter contre la pandémie, mais pas le Secrétaire général des Nations Unies. Cela aurait permis au Comité de mieux comprendre la situation des droits de l’homme en Bolivie, a regretté une experte.

Le Comité a relevé l’information fournie dans les réponses de la délégation selon laquelle il était prévu de modifier le code pénal de manière à abroger mettre fin à la prescription s’agissant du crime de disparition forcée. À ce stade, où en est ce projet et quelles sont les modifications envisagées au code pénal, a interrogé un membre du Comité. Il a également souhaité connaître le nombre total d’inculpations et de jugements, voire les condamnations prononcées, suite aux enquêtes ouvertes pour toutes les violations des droits de l’homme commises durant la période de dictature (1964-1982).

Le Comité a relevé que l’État partie avait adopté, pour la période 2016-2020, un «Plan multisectoriel en faveur de l’élimination des schémas patriarcaux et du droit des femmes à vivre bien». Il a demandé un bilan complet dudit plan. De plus, le Gouvernement prévoit-il un nouveau plan et a-t-il consulté la société civile à cet égard, a aussi interrogé l’expert.

Sur le plan politique, le Comité a relevé que, bien que les femmes fassent de bons scores lors des élections nationales, seules 20 des 341 municipalités du pays sont gérées par des femmes, soit 6%. De Plus, sur les 17 ministère, seulement trois sont occupés par des femmes et on ne compte aucune femme parmi les gouverneurs. Elles sont en outre peu représentées dans les instances judiciaires. Dans ce contexte, il a été demandé à la délégation de dire quelles mesures sont envisagées pour augmenter la représentativité des femmes, et en particulier des femmes autochtones et d’ascendance africaine dans les sphères de prise de décisions publique et privée et dans le secteur judiciaire.

La question de la violence politique à l’égard des femmes élues a également été évoquée : selon les chiffres reçus par le Comité, l’association des conseillères municipales de Bolivie a enregistré 117 cas de plaintes pour harcèlement ou violences politiques. Entre 2017 et 2019, il y a eu plus de 500 cas de démission pour les mêmes motifs. Il a été demandé à la délégation de dire combien d’enquêtes, de poursuites et de condamnations ces cas avaient entraîné, en application de la loi n°243 de 2012 relative à la lutte contre le harcèlement et la violence politique à l’égard des femmes, alors que 34% des élues disent avoir subi une forme ou une autre de harcèlement.

La Bolivie connaîtrait l’un des taux les plus élevés de féminicides d’Amérique du Sud, a-t-il été noté. Plus de 900 ont été commis entre 2013 et octobre 2021, soit une femme tuée tous les trois jours et demi. Par ailleurs, quatre jeunes filles sur cinq subiront des violences sexuelles. Dans le même temps, le taux de condamnation des auteurs de ces actes reste l’un des plus bas d’Amérique latine. Ces violences « physiques, morales, sociales, patrimoniales » n’ont fait qu’augmenter pendant la période de la pandémie, a relevé une experte, avant de demander à délégation de dire les mesures envisagées par la Bolivie. Entend-elle par exemple réformer la prescription du viol et incriminer le viol entre époux, a demandé l’experte. Elle a également souhaité des informations sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites et de condamnations prononcées.

L’experte est également intervenue sur la question de la santé sexuelle et reproductive des femmes. En raison des « obstacles très lourds » sur le plan administratif et judiciaire, plus de 72 000 avortements clandestins ont été pratiqués entre 2014 et 2021, et les données sont très probablement en dessous de la réalité, a-t-elle dit. Dans ce contexte, quelles mesures efficaces et concrètes les autorités envisagent-elles pour éliminer ces obstacles qui continuent à exister en pratique, pour réduire le taux de mortalité maternelle et permettre des avortements sûrs pour les femmes et jeunes filles qui veulent avorter. Elle a aussi souhaité des informations à jour sur le nombre de femmes poursuivies et condamnées au pénal pour des faits d’avortement.

Le Comité a dit avoir noté les efforts déployés par le gouvernement dans la lutte contre les discriminations, notamment avec la loi n°45 de 2010. Mais au-delà des lois, ce sont les résultats qui nous intéressent. Dans ce contexte, la délégation a été priée de chiffrer le budget annuel alloué spécifiquement à cette lutte, pour la période 2014-2022. Quels sont les mécanismes publics, les instances créées et les objectifs du Gouvernement, ou encore l’impacts de la réglementation en matière de lutte contre le racisme et les discriminations, a interrogé une experte. Elle a également été intéressée de connaître le niveau de mise en œuvre et l’impact social du plan multisectoriel pour la lutte contre le racisme et la discrimination couvrant la période 2016-2021, ce dernier étant arrivé à terme. Elle en outre souhaité des chiffres sur le nombre total de cas de personnes frappées par la discrimination et le racisme, en particulier dans le contexte de la crise post-électoral de 2019.

Toujours sur le sujet de la discrimination, le Comité a souligné l’importance de la loi n°807 de 2016, relative à l’identité de genre, mais a souhaité avoir plus d’information sur les moyens déployés pour garantir le respect des droits des personnes LGBTIQ+, qui constituent une communauté très vulnérable. Le Comité est par exemple curieux de connaître les mesures mises en place pour la reconnaissance des enfants nés d’hommes transgenres, ou les droits accordés aux mariages entre personnes de même sexe, a dit une experte. Plus globalement, quelles mesures la Bolivie prend-elle pour prévenir les discours de haine contre cette population.

La délégation bolivienne a été priée de donner des renseignements sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des recommandations formulées par le Sous-Comité pour la prévention de la torture et sur l’utilisation du Guide pour l’application du Protocole d’Istanbul ainsi que celles du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants mis en place fin 2019. Un expert a également demandé si l’État envisageait toujours d’amender l’article 295 du Code pénal afin qu’il intègre tous les éléments figurant à l’article 1er de la Convention contre la torture et que les délits soient punis par des peines tenant compte de la gravité des actes. Il s’est interrogé sur les enquêtes diligentées à la suite de plaintes pour torture, sur leur indépendance, sur l’établissement des responsabilités des auteurs de ces crimes et sur l’accès des victimes à réparation.

Le Défenseur du peuple a enregistré 3017 cas de torture, traitements cruels, inhumains et dégradants au niveau national entre 2013 et août 2021, a relevé le Comité, et, en 2019, 80% des cas de torture sur lesquels le Service pour la prévention de la torture (SEPRET) enquêtait désignaient des policiers et avaient été commis en cellules ou dans des centres pénitentiaires. L’expert s’est donc inquiété du transfert de compétences entre le SEPRET, perçu comme organe non indépendant, et le Défenseur du peuple, ainsi que des mesures nécessaires pour que les personnes privées de liberté puissent porter plainte sans risque de représailles.

Préoccupé par les cas de lynchages, le Comité a demandé s’ils avaient donné lieu à des poursuites pénales et quelles mesures l’État adoptait pour les prévenir.

La question de la modification des normes pénales militaires afin d’exclure de la compétence de la juridiction militaire les cas d’atteintes aux droits de l’homme a de nouveau été posée à l’État partie. L’indépendance de la justice et le système de nomination des juges ont suscité des inquiétudes, le Comité s’interrogeant sur une réforme urgente du système judiciaire afin de garantir son indépendance, des procès équitables et un meilleur accès à la justice, en particulier pour les personnes en situation vulnérable. Il a aussi évoqué les graves cas de corruption dans diverses instances judiciaires et l’ingérence politique, s’inquiétant d’une faiblesse institutionnelle.

Bien que la Bolivie ait indiqué avoir pris des mesures pour interdire les châtiments corporels des enfants et des adolescents, le Comité s’est inquiété des informations selon lesquelles ils étaient toujours pratiqués et a demandé quelles étaient les mesures de sensibilisation en place, notamment dans le cadre de la justice autochtone.

Au sujet des personnes privées de liberté et des conditions de détention, le Comité s’est dit préoccupé par le taux de 65% de détentions préventives et a demandé quelles mesures alternatives étaient envisagées, telles que la caution, le bracelet électronique ou l’interdiction de sortie du territoire. En outre, le nombre de défenseurs publics assurant une assistance gratuite aux détenus a été réduit et certains prévenus n’y ont plus accès. Le Comité a également demandé des précisions sur les mesures prises pour veiller à ce que la présence de mineurs dans les établissements pénitentiaires avec l’un de leurs parents reste exceptionnelle et seulement dans les cas où cela correspond à l’intérêt supérieur de l’enfant. De même, leurs conditions de vie et d’éducation ont suscité des interrogations. Par ailleurs, la délégation a été priée de faire le point sur les solutions apportées à la surpopulation carcérale et pour garantir les droits des détenus conformément aux normes internationales, y compris la séparation entre prévenus et condamnés.

Revenant sur les graves violations des droits de l’homme et l’usage excessif de la force durant les manifestations et les grèves de la fin 2019, le Comité s’est étonné qu’aucune condamnation n’ait encore été prononcée, demandant quelles mesures étaient prises pour accélérer les enquêtes, sanctionner les responsables et fournir une réparation intégrale aux victimes. Par ailleurs, l’usage excessif de la force a été dénoncé lors de violents affrontements entre des cultivateurs de feuilles de coca et la police en septembre 2021 à La Paz et en novembre 2021 dans le cadre d’un appel à la grève : là encore, la délégation a été priée de donner des informations sur les enquêtes en cours et sur la conduite de la police dans ces situations. Le Comité a demandé s’il existait un mécanisme garantissant le droit de manifester pacifiquement et un mécanisme de reddition de comptes pour les forces de sécurité.

Le Comité a pris note des mesures prise au sujet du travail forcé et de la servitude, notamment les inspections dans les régions les plus reculées pour faire en sorte que les membres de la communauté guaranie en particulier ne soient plus soumis à la servitude. Une experte a néanmoins demandé des chiffres précis sur le nombre de personnes vivant encore dans un système de servitude, le nombre de plaintes déposées pour travail forcé ou servitude, de poursuites et de condamnations. Le rôle de l’Institut de la réforme agraire sur ce sujet a suscité des interrogations.

La délégation a été priée de fournir un bilan de la mise en œuvre du plan national de lutte contre la traite et le trafic de personnes, sur le programme de réinsertion, sur le rapatriement des victimes et sur leur accueil dans des centres spécialisés. Un expert s’est interrogé sur les enquêtes engagées pour poursuivre et juger les auteurs, sur les peines prononcées et sur les réparations accordées aux victimes. Des cas de corruption de la part des autorités chargées de mettre en œuvre les mesures de lutte contre la traite ont été signalés.

Concernant le travail des enfants, la délégation a été priée de fournir des informations sur les mesures prises pour réduire le nombre élevé d’enfants qui travaillent, y compris dans des activités dangereuses, et sur les résultats du plan quinquennal pour la prévention et l’éradication des pires formes de travail des enfants et la protection des travailleurs adolescents.

À la lumière des rapports sur le nombre croissant de cas d’exploitation sexuelle des mineurs au cours des deux dernières années et alors que peu de ces cas se sont soldés par une condamnation, la délégation a été appelée à informer le Comité de tout progrès concernant l’élaboration et la mise en œuvre du programme global de lutte contre la violence sexuelle envers les enfants et les adolescents, ainsi que de toute autre mesure visant à assurer la protection des mineurs et la poursuite des auteurs de violations. Le Comité s’est en particulier inquiété d’informations indiquant que les adolescents victimes de viol se voient souvent privés d’accès à la justice et a demandé quelles mesures ont été prises pour réformer l’article 309 du code pénal.

Faisant référence au décret suprême d’août 2021 sur la procédure exceptionnelle pour la régularisation des personnes entrées illégalement sur le territoire, le Comité s’est étonné que de nombreux réfugiés et demandeurs d’asile soient exclus de l’« amnistie migratoire » prévue par ce décret, étant donné qu’ils n’ont souvent pas de documents d’identité ou sont incapables de les renouveler. Il a attiré l’attention sur la situation des réfugiés vénézuéliens. Une experte s’est inquiétée de la violation du principe de non-refoulement et du manque d’information sur la procédure d’asile pour les personnes arrivant aux frontières.

L’attention du Comité a été attirée par les restrictions excessives de l’ espace civique par le harcèlement et l’intimidation contre les journalistes, les leaders civiques, les syndicalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Certains journalistes couvrant les manifestations pacifiques en 2019, 2020 et 2021 ont été arrêtés et détenus arbitrairement par la police et les manifestants ont fait l’objet d’une répression brutale. Une experte a demandé des explications à ce sujet et comment est protégé le pluralisme démocratique et l’espace civique.

En ce qui concerne les peuples autochtones, le Comité a demandé des informations sur la constitution de gouvernements autonomes autochtones paysans et sur la réduction prévue de la compétence de la juridiction autochtone. Le Gouvernement s’étant engagé à consulter au préalable les peuples autochtones ainsi que les communautés afro-boliviennes sur toutes les mesures législatives ou administratives susceptibles d’avoir une incidence sur leur vie, le Comité s’est étonné qu’aucune loi cadre n’ait été adoptée pour garantir ce droit au consentement préalable, libre et éclairé, par exemple pour des projets miniers ou des constructions de routes sur leurs territoires.

Réponses de la délégation

Répondant aux questions des experts, la délégation a commencé par déclarer que, bien qu’elle représentait l’État plurinational de Bolivie, elle ne partageait pas la responsabilité des graves violations des droits de l’homme commises du temps de la «dictature de Jeanine Áñez».

La délégation bolivienne a assuré le Comité que la jurisprudence du Tribunal constitutionnel concernant le Pacte était contraignante pour tous les tribunaux de rang inférieur. Les décisions dudit Tribunal sont reprises par l’ensemble des juridictions ordinaires, mais aussi par la Cour suprême.

En ce qui concerne l’État d’exception liée à la pandémie, la loi 1341 a été approuvée en octobre 2020 pour règlementer, conformément au droit international, l’État d’exception lié à la pandémie. Le projet de loi avait été bloqué pendant le régime de Jeanine Áñez, comme beaucoup d’autres projets du parlement. En outre, c’est à son gouvernement qu’il revenait de notifier aux Nations Unies la situation d’État d’exception. La délégation a précisé que, sous la présidence actuelle, la vaccination n’est pas obligatoire et les quarantaines ne sont plus exigées.

S’agissant des questions relatives à la discrimination et au racisme, la délégation a dit ne pas non plus vouloir assumer l’héritage de la «dictature Áñez». La structure actuelle dédiée à la lutte contre les discriminations compte plusieurs ministères – tous occupés par des femmes – en charge de la culture, de la décolonisation et de l’élimination du patriarcat. Elles militent ensemble pour élaborer un plan national multisectoriel qui se fondera sur des actions concrètes pour combattre les discriminations. Pour l’heure, le Gouvernement œuvre au changement des normes sociales et à la prévention, notamment par la formation des forces de police. La Direction des droits de l’homme a ainsi organisé entre 2019 et 2021 environ 275 sessions de formations destinées aux droits humains à 3000 officiers de police dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. Un protocole de collecte des plaintes a également été mis en place. Selon la loi, les faits de discrimination sont considérés comme des délits pénaux et traités comme tels, a ajouté la délégation.

En ce qui concerne la population LGBTIQ+, la délégation a dit être, tout comme le Comité, préoccupée par le temps que prend le Tribunal constitutionnel pour rendre une décision sur l’enregistrement de deux mariages de personnes de même sexe. Un appel lui a été lancé afin qu’il rende au plus vite sa décision, a assuré la délégation.

Répondant aux questions sur les cas de disparitions forcées, un membre de la délégation a assuré qu’un travail important avait été fait pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission vérité. Cette dernière, créée en 2006, avait pour mandat d’élucider les cas de torture, de détentions arbitraires et de disparitions forcées survenus durant la période 1964-1982. Le rapport de cette commission, désormais dissoute, a largement été partagé, y compris auprès du grand public. Une de ses recommandations appelaient à des réparations. Le Gouvernement a, par le biais de la loi 2640 de 2004, décidé de ses réparations et déjà identifié les potentiels bénéficiaires. Une maison de la mémoire a également été créée en coopération avec le ministère de la culture et de la décolonisation.

La délégation a reconnu des difficultés à mettre en œuvre les décisions concernant les réparations, notamment les dommages couvrant des préjudices matériels. L’État souhaite mettre en place des normes garantissant cette réparation intégrale, allant au-delà de compensations économiques, et incluant des œuvres de mémoire. Ces mécanismes sont interinstitutionnels et bénéficient de l’appui du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

Pour ce qui est des droits de la femme et de sa représentativité, la délégation a reconnu que, même si la Bolivie ne comptait pas de femmes dans les rangs des gouverneurs de régions, une femme avait été proposée à la tête du Gouvernorat de Santa Cruz, le plus grand du pays. Ce qui prouve qu’il y a une volonté de les voir progresser à ce genre de postes. De plus, des élections judiciaires devraient se tenir l’an prochain, avec en tête l’idée d’atteindre 50% de femmes dans les 26 plus grandes instances, tel que garantit par la Constitution, qui prévoit cette parité.

La délégation reconnu le phénomène de la violence politique subie par les femmes. Les mesures actuelles ne sont pas suffisantes, mais le dossier est suivi de très près, a assuré un membre de la délégation. Elle a indiqué que toutes les plaintes font l’objet d’un suivi et que certaines ont donné lieu à des poursuites, y compris pénales.

Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Luis Arce, 113 cas de féminicides ont été enregistrés, 24 condamnations définitives prononcées et des décisions sont pendantes concernant 15 autres cas. Les peines prononcées vont jusqu’à 30 ans de prison. Huit auteurs de ces crimes se sont suicidés. Le ministère public a rejeté 15 affaires. Récemment et pour preuve de l’intérêt que porte le Gouvernement pour ce sujet, le Président Arce a créé une commission de suivi des affaires de féminicide. Composée de représentants du bureau du Procureur, du président de la Cour suprême et des ministres de la justice et de l’intérieur. Elle vise à veiller à ce qu’aucun auteur de féminicide ne soit relâché, a fait valoir la délégation.

Revenant sur le transfert du Service pour la prévention de la torture vers le Défenseur du peuple, la délégation a indiqué que la loi prévoit que les organes exécutifs comme le SEPRET doivent dépendre d’un ministère. Ceci dit, décision a été prise de transférer ses compétences vers le Défenseur du peuple, qui ne dépend d’aucun ministère et voit son indépendance renforcée. À l’heure actuelle, il agit dans le cadre des normes les plus élevées en matière de prévention de la torture, a assuré la délégation. Concernant les inquiétudes sur les représailles contre ceux qui portent plainte pour torture, des mesures ont été prises en faveur des personnes privées de liberté, puisque c’est en prison qu’il y a le plus de plaintes pour torture et mauvais traitements. Les membres de la famille d’un détenu alléguant de mauvais traitements disposent aussi d’un service téléphonique pour porter plainte. Des sanctions ont déjà été prises et le Défenseur du peuple disposera de l’indépendance nécessaire pour examiner tous les cas de torture.

Le ministère de la justice s’est penché sur la question de la question de la définition de la torture, et un projet d’amendement doit être examiné à ce sujet. Le code pénal et le code de procédure pénale seront dûment modifiés et un mécanisme de suivi sera mis en place pour veiller à l’efficacité de ces mesures.

Répondant aux questions sur le phénomène du lynchage en Bolivie, la délégation a fait savoir que tous les cas de pertes de vie dans ce type de circonstances deviennent une affaire d’État et n’échappent pas à la procédure pénale. La peine de mort n’existe pas dans le cadre juridique national. Des mesures de prévention ont été mises en place cette année et la police dite communautaire a été renforcée afin d’éviter que ces faits ne se répètent car cette forme de violence peut parfois être considérée comme faisant partie de la justice autochtone. Le ministère public a ouvert des procédures pénales lorsque des plaintes pour lynchage ont été déposées.

S’agissant de l’accès à la justice, le ministère public et la police ont été renforcés et leurs effectifs augmentent à nouveau, avec un renforcement des capacités, dans l’objectif d’avoir autant de procureurs que nécessaire dans le pays, a fait remarquer la délégation. L’accès à l’aide juridictionnelle gratuite est insuffisant en raison d’un manque de budget, a reconnu la délégation, ajoutant que l’accès à la justice fait partie du programme de réforme lancé dans le pays. Le ministère de la justice a pris des mesures pour pouvoir destituer les conseils de la magistrature qui travaillaient de manière déficiente, et ce dans l’objectif de parvenir à un organe judiciaire sain et avec des juges bien formés. La délégation s’est étonnée des renseignements du Comité sur une ingérence politique dans la justice et a assuré que le nécessaire serait fait pour identifier le problème.

Les civils ne sont en aucun cas jugés par la justice militaire. Le code pénal militaire est par ailleurs en cours de révision. Les conscrits ne sont pas non plus soumis à la justice militaire lorsque leurs droits sont violés.

Concernant les châtiments corporels sur enfants, la délégation a reconnu qu’une campagne de sensibilisation à l’école et auprès des leaders d’opinion et religieux est nécessaire. Une unité de protection de l’enfance au sein du ministère de la justice élabore une politique en la matière, considérant que la violation des droits des enfants constitue un problème important, notamment les mauvais traitements des enfants à l’école, au collège et dans la société. Les enseignants peuvent faire l’objet de sanctions très graves en cas d’abus contre un enfant ou un adolescent. Il existe un consensus national sur la protection de l’enfance, a assuré la délégation. Elle a indiqué que le nombre d’enfants se trouvant en prison avec leur mère a considérablement baissé et le Gouvernement travaille à une solution pour qu’il n’y en ait plus du tout.

La surpopulation carcérale a également baissé, se situant actuellement à 140%, grâce aux nouvelles infrastructures mises sur pied et à l’ouverture de nouveaux centres pénitentiaires dans les provinces. Des décrets présidentiels ont bénéficié à plusieurs détenus vulnérables, qui ont été libérés. Le Président bolivien, Luis Arce, s’est engagé à résoudre le problème d’infrastructure et une nouvelle loi va permettre la construction de nouveaux complexes carcéraux, qui permettront notamment d’assurer la séparation entre les prévenus et les condamnés.

Abordant la question de l’usage arbitraire de la force, la délégation a reconnu qu’une amnistie avait été accordée par le Gouvernement de Jeanine Añez aux responsables de tels comportements. De nouvelles normes sont en cours de rédaction. Le ministère de la justice assure le suivi concernant les allégations d’exécutions extrajudiciaires durant le Gouvernement de facto précédent mais l’opposition politique bloque les poursuites contre certains auteurs.

Concernant le travail forcé et la servitude dans les zones rurales, l’institut de la réforme agraire a procédé à un assainissement et l’État peut reprendre les terres aux exploitants agricoles lorsqu’il y a des cas de travail forcé, de servitude ou de mauvais traitements. La servitude et l’esclavage dans certaines régions n’existent plus, a assuré la délégation. Des bureaux mobiles ont aussi été mis en place afin de vérifier les conditions de travail dans les zones rurales et de constater les infractions aux lois sociales.

Dans le domaine de l’éducation, un programme de bourses solidaires a été lancé, principalement à l’intention des Afro-boliviens, et la culture et les savoirs ancestraux de cette communauté sont pris en compte. Quant aux régions autonomes autochtones, elles sont en cours de constitution. Le Parlement se veut respectueux de la notion de Terre-mère et les projets miniers doivent la respecter. Un tribunal agro-environnemental a été créé pour s’occuper de ces questions et un code est en cours d’élaboration. Tout ce qui pourrait violer les droits des populations autochtones est suivi de près par l’État, a assuré la délégation, ajoutant que le Gouvernement consulte régulièrement les communautés autochtones et rappelant que l’ancien président Evo Morales en était issu.

Un conseil a été créé dans le cadre de la loi contre la traite des personnes pour formuler la politique plurinationale en la matière, a expliqué la délégation. Ce cadre juridique est actuellement en cours d’examen. La Bolivie a aussi mis sur pied une équipe pour lutter contre la traite des personnes et des migrants, en collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations. Le pays a adhéré à plusieurs instruments internationaux et traités bilatéraux sur cette question et est en contact avec d’autres pays dans ce domaine. La délégation a voulu souligner que le pays avait élaboré plusieurs mesures pour la gestion des frontières afin d’identifier les cas de traite et de prendre des mesures conjointes avec d’autres pays comme l’Argentine et le Brésil. S’agissant de la prévention, 58 ateliers ont été organisés sur la prévention de la traite et de la violence et une formation a été offerte aux policiers.

Pour répondre aux inquiétudes sur les réfugiés et demandeurs d’asile, la délégation a fait observer que le rôle de l’Institut pour les réfugiés est inscrit dans la Constitution. Aucune personne demandant asile ne peut être refoulée sans possibilité de déposer sa demande, a assuré la délégation. Les réfugiés reçoivent un permis de séjour temporaire le temps que leur demande soit examinée. Ceux qui ne remplissaient pas les critères parce qu’ils étaient migrants économiques ont eu la possibilité de régulariser leur situation en vertu du décret suprême d’août 2021. Les Vénézuéliens constituent la majorité des personnes qui en ont bénéficié.

Aucune plainte n’a été reçue pour atteinte à la liberté d’expression de la part de journalistes sous le Gouvernement actuel, a fait valoir la délégation, assurant que le droit de la presse et la liberté d’expression sont de nouveau garantis.

Conclusions

M. Iván Manolo Lima Magne, Ministre bolivien de la justice et de la transparence institutionnelle, a indiqué avoir pris bonne note de toutes les questions et s’est engagé à compléter toutes les informations demandées par le Comité. La Bolivie est attachée à l’application des normes les plus élevées dans le domaine des droits de l’homme et est prête à procéder à toutes les modifications nécessaires.

La présidente du Comité, Mme Photini Pazartzis, a salué les efforts de la Bolivie pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays et son ouverture aux recommandations des membres du Comité.

 

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