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Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar appelle à une « coalition d'urgence » pour réduire la capacité de la « junte » à s'en prendre à ses citoyens

Compte rendu de séance

 

Au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis que le Gouvernement du Myanmar a été renversé par un coup d'État illégal, nous avons été témoins de ce qu’il advient en l'absence d'une action internationale forte et coordonnée. Nous savons donc avec une quasi-certitude que si la communauté internationale poursuit la politique actuelle, les choses continueront de se détériorer pour le peuple du Myanmar, car il existe des preuves irréfutables que la voie actuelle mène à une impunité encore plus grande, à un désastre humanitaire et à un État défaillant, a mis en garde cet après-midi, devant le Conseil des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, M. Thomas Andrews.

Il est temps d'essayer une autre voie, a affirmé le Rapporteur spécial. Il a estimé à cet égard qu’une « coalition d'urgence pour le peuple du Myanmar », composée de nations désireuses de soutenir le peuple du Myanmar par une action significative et coordonnée, pourrait réduire la capacité de la « junte » à s'en prendre à ses citoyens et sauver la vie des personnes en situation de crise aiguë.

Pour atteindre ces objectifs, a poursuivi le Rapporteur spécial, une telle coalition pourrait notamment réduire considérablement les revenus dont la junte a besoin, en interrompant les revenus des secteurs pétrolier et gazier ; interdire l'exportation d'armes vers les militaires du Myanmar ; mettre en accusation, en vertu du principe de compétence universelle, de hauts responsables de la sécurité du Myanmar ; et augmenter considérablement l'aide humanitaire pour le peuple du Myanmar en travaillant avec le Gouvernement d'unité nationale. La coalition pourrait également travailler ensemble pour refuser toute légitimité à la « junte », notamment la fausse affirmation selon laquelle elle serait reconnue par les Nations Unies.

De nombreuses délégations* ont ensuite participé au dialogue avec le Rapporteur spécial. Des années d'inaction de la part de la communauté internationale ont permis aux Tatmadaw (forces armées du Myanmar) de renverser les représentants civils en février de cette année, entraînant une nouvelle escalade de la violence, a-t-il été déploré. Les détentions arbitraires massives, les intimidations et la répression systématique des droits civils et politiques doivent cesser immédiatement, ont demandé les délégations, appelant à ce que les auteurs de ces actes soient traduits en justice. La résolution sur la situation au Myanmar que l’Assemblée générale a adoptée le 14 juin dernier montre que la communauté internationale ne tolère pas les actes de la « junte », a-t-il en outre été souligné.

La Chine a exercé son droit de réponse en fin de séance.

 

Demain matin, à partir de 9 heures, le Conseil entamera l’adoption des documents finals résultant de l'Examen périodique universel (EPU) de treize pays : Micronésie, Liban, Mauritanie, Saint-Kitts-et-Nevis, Australie, Sainte-Lucie, Népal, Oman, Autriche, Rwanda, Géorgie, Nauru et Sao Tomé-et-Principe.

 

Dialogue avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar

Le Conseil est saisi d’un exposé oral du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, concernant la situation des droits de l’homme dans ce pays depuis le 1er février 2021

Exposé oral

M. THOMAS ANDREWS, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, a indiqué qu’au cours des cinq mois qui se sont écoulés depuis que le Gouvernement du Myanmar a été renversé par un coup d'État illégal, deux tendances interdépendantes étaient apparues. D’abord, les attaques généralisées et systématiques de « la junte militaire » contre le peuple du Myanmar – des actes qui, a affirmé le Rapporteur spécial, constituent des crimes contre l'humanité. Ce constat a été décrit avec précision par la Haute-Commissaire dans sa déclaration [faite devant le Conseil hier après-midi], a-t-il rappelé. M. Andrews a ensuite déploré une deuxième tendance, à savoir l'incapacité des acteurs extérieurs au Myanmar à prendre des mesures qui pourraient contribuer à mettre fin au cauchemar. Ainsi, ces cinq derniers mois, a relevé le Rapporteur spécial, « nous avons été témoins de ce qu’il advient en l'absence d'une action internationale forte et coordonnée. Nous savons donc avec une quasi-certitude que si la communauté internationale poursuit cette politique, les choses continueront de se détériorer pour le peuple du Myanmar ».

M. Andrews a donc jugé qu’il était temps d'essayer une autre voie. Il a estimé qu’une « coalition d'urgence pour le peuple du Myanmar », composée de nations désireuses de soutenir le peuple du Myanmar par une action significative et coordonnée, pourrait réduire la capacité de la « junte » à s'en prendre à ses citoyens, sauver la vie des personnes en situation de crise aiguë et acquérir un poids politique afin que la crise au Myanmar puisse trouver une issue juste et permanente.

Une telle coalition disposerait d'options viables pour atteindre ces objectifs, a fait valoir le Rapporteur spécial. D’abord, a-t-il indiqué, elle pourrait réduire considérablement les revenus dont la « junte » a besoin pour poursuivre son règne de terreur ; à cet égard, les revenus des secteurs pétrolier et gazier, qui assurent la survie financière de la « junte », devraient être interrompus. Deuxièmement, une coalition d'urgence pourrait interdire l'exportation d'armes vers les militaires du Myanmar, comme le demande la résolution adoptée par l'Assemblée générale le mois dernier. Troisièmement, les membres de la coalition qui disposent de lois de compétence juridique universelle pourraient mettre en accusation de hauts responsables de la sécurité du Myanmar. Quatrièmement, les membres de la coalition pourraient augmenter considérablement l'aide humanitaire en travaillant avec le Gouvernement d'unité nationale pour que l'aide aille au peuple du Myanmar. Enfin, la coalition pourrait travailler ensemble pour refuser toute légitimité à la « junte », notamment la fausse affirmation selon laquelle elle serait reconnue par les Nations Unies.

Rien ne garantit que cette approche serait couronnée de succès, a admis le Rapporteur spécial. Mais, a-t-il ajouté, il existe des preuves irréfutables que la voie actuelle mène à une impunité encore plus grande, à un désastre humanitaire et à un État défaillant.

M. Andrews a par ailleurs salué la mesure historique prise par le Gouvernement d'unité nationale du Myanmar en accueillant la minorité ethnique des Rohingyas dans le tissu national du Myanmar et en leur garantissant la justice et des droits de citoyenneté complets. Ce Gouvernement mérite d'être considéré comme une ressource et un partenaire précieux par les États Membres, a déclaré le Rapporteur spécial.

Aperçu du débat

Des années d'inaction de la part de la communauté internationale ont permis aux Tatmadaw (forces armées du Myanmar) de renverser les représentants civils en février de cette année, entraînant une nouvelle escalade de la violence, a-t-il été déploré cet après-midi. Les délégations ont de nouveau condamné le coup d'État militaire et toutes les formes de violence et d'abus à l'encontre du peuple du Myanmar. Les détentions arbitraires massives, les intimidations et la répression systématique des droits civils et politiques doivent cesser immédiatement, ont-elles demandé, appelant à ce que les auteurs de ces actes soient traduits en justice.

Si la libération de certains détenus par les autorités militaires du Myanmar a été jugée positive, la libération de tous les dirigeants politiques, journalistes et défenseurs des droits de l'homme a été exigée, de même que la levée des restrictions à l'accès à l'information et à la liberté d'expression au Myanmar.

Les dirigeants militaires du Myanmar ont été appelés à mettre fin à l'état d'urgence, à libérer toutes les personnes détenues arbitrairement, à mettre fin à la discrimination à l'égard des minorités ethniques et à respecter et protéger pleinement les droits de l'homme, les libertés fondamentales et l'état de droit.

Il a été recommandé de ne pas vendre d’armes à une armée qui, a-t-il été affirmé, « les utiliserait contre les civils, plutôt que de les protéger », et de contrôler strictement l'exportation vers le Myanmar de biens à double usage (civil et militaire). De même, a-t-il été ajouté, le monde des affaires et les agences financières et de développement internationales devraient couper les liens avec les Tatmadaw, afin d'éviter de nouvelles atrocités.

L'escalade de la crise de la COVID-19 représente un autre problème de taille pour le système de santé du Myanmar, déjà soumis à une pression immense, a-t-il en outre été souligné. Si des mesures immédiates ne sont pas prises, le coup d'État pourrait avoir des effets négatifs sur les secteurs de l'éducation et de la santé, effets qui pourraient se faire sentir pendant des générations, a mis en garde un représentant.

Les attaques ciblées contre les hôpitaux et les écoles doivent cesser immédiatement, a-t-il par ailleurs été demandé. Les autorités militaires ont en outre été appelées à veiller à ce que les agences humanitaires puissent atteindre tous les civils qui ont un besoin urgent de nourriture et de médicaments.

La violence persistante contre les Rohingyas, de même que la discrimination de longue date dont ils souffrent au Myanmar, ont été dénoncées. La communauté internationale a été priée de faire pression sur le Myanmar pour qu'il respecte les mesures conservatoires de la Cour internationale de justice, applique les recommandations de la Commission consultative sur l'État Rakhine et commence sans délai le rapatriement des Rohingyas réfugiés au Bangladesh.

Des intervenants se sont félicités de la résolution de l'Assemblée générale sur la situation au Myanmar adoptée le 14 juin dernier par une majorité des Etats Membres de l'ONU ; cette résolution montre que la communauté internationale ne tolère pas les actes de la « junte », ont-ils souligné.

M. Andrews a été prié de dire quelle pourrait être la coopération entre son mandat et l'envoyé spécial qui doit être nommé par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), en vertu du « consensus en cinq points » dégagé récemment par les dirigeants de l’ANASE.

*Liste des intervenants : Lituanie (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Pakistan (au nom de l’Organisation de la coopération islamique), Liechtenstein, Canada, Libye, Australie, Bangladesh, République tchèque, Indonésie, République de Corée, France, Japon, États-Unis, Singapour, Malaisie, Belgique, Royaume-Uni, Turquie, Viet Nam, Îles Marshall, Autriche, Philippines, Nouvelle-Zélande, Suisse, Jordanie, Brunéi-Darussalam, Malawi, Cambodge, Timor-Leste, Baptist World Alliance, Centre pour les droits civils et politiques - Centre CCPR, Human Rights Watch, Forum asiatique pour les droits de l'homme et le développement, Fédération internationale des ligues de droits de l’homme, Law Council of Australia, Article 19 - Centre international contre la censure, CIVICUS: Alliance mondiale pour la participation des citoyens, Next Century Foundation et Asian Legal Resource Centre.

Réponses et remarques de conclusion du Rapporteur spécial

M. ANDREWS a expliqué qu’il était disponible pour rencontrer les délégations afin de répondre à leurs questions et interrogations concernant son mandat. Le plus important est d’agir et empêcher l’armement de la « junte militaire », a-t-il déclaré.

La crise des Rohingyas mérite une attention particulière de la communauté internationale, a-t-il poursuivi. Les Rohingyas sont terriblement menacés, a-t-il souligné ; leurs villages sont encerclés par les forces de sécurité et le régime exerce une pression maximale sur eux.

M. Andrews a salué le Bangladesh, qui a ouvert ses portes aux Rohingyas pour leur sauver la vie. Sans le soutien de ce pays, il y aurait eu encore plus de morts dans les « attaques génocidaires », a-t-il déclaré. Les conditions nécessaires pour un retour sûr des réfugiés rohingya au Myanmar n’existent pas et n’existeront pas tant qu’il n’y aura pas de pression internationale dans ce sens.

L’aide humanitaire pour le Myanmar est sous-financée, a d’autre part regretté le Rapporteur spécial, appelant à multiplier les efforts pour fournir l’aide dont a besoin la société civile.

M. Andrews a indiqué qu’il était prêt à coopérer avec toutes les parties prenantes pour trouver une solution au conflit. Les pays qui sont disposés à agir doivent le faire en se concentrant sur des pressions coordonnées et puissantes qui retireront à la « junte » la capacité de poursuivre son règne de la terreur, a déclaré le Rapporteur spécial. Le temps manque et il est temps d’agir, a-t-il conclu.

 

 

HRC21.088F