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La protection des victimes est une obligation positive pour l’État, rappelle la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains

Compte rendu de séance

 

Le principe de « non-sanction » des victimes de la traite constitue un aspect essentiel de la reconnaissance de la traite des personnes comme une violation grave des droits de l’homme. Le fait de punir une victime marque une rupture avec l’engagement que les États ont pris de mettre en avant les droits des victimes à l’assistance et à la protection, a fait remarquer, ce matin, la Rapporteuse spéciale sur la traite de personnes, en particulier les femmes et les enfants, Mme Siobhán Mullally, en présentant son rapport au Conseil des droits de l’homme.

La Rapporteuse spéciale a en outre insisté sur le fait que punir les victimes compromet les efforts menés pour combattre l’impunité, puisque ce sont les victimes de la traite – et non les véritables coupables – qui sont alors visées. L’obligation de garantir la protection des victimes de la traite est une obligation positive pour l’État, a précisé Mme Mullally – une obligation qui s’applique d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un enfant et que les risques d’exploitation d’une position de faiblesse sont élevés.

De nombreuses délégations** ont pris part au débat qui a suivi cette présentation et qui se poursuivra demain.

Ce matin, le Conseil a par ailleurs achevé son dialogue, entamé hier, avec la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Mme Dubravka Šimonović. Pendant le débat, auquel de nombreuses délégations* ont pris part, il a notamment été souligné que le viol était une violation grave des droits de l'homme, de même qu’une manifestation de la violence sexiste à l'égard des femmes. Il a en outre été regretté que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) fasse l’objet, dans certains pays, de critiques basées sur des informations erronées quant à ses objectifs.

Mme Šimonović, qui présentait son dernier rapport en tant que titulaire du mandat, a insisté sur la responsabilité des États de combattre le viol, de mettre un terme à l’impunité des responsables et de faire en sorte que les victimes aient accès à la justice. Elle a observé que le rejet de la Convention d’Istanbul correspondait à un mouvement de réaction contre les droits des femmes.

 

Cet après-midi, à partir de 15 heures, le Conseil achèvera son dialogue, entamé hier, avec le Groupe de travail sur les entreprises et les droits de l’homme, avant de tenir une réunion-débat à l’occasion du dixième anniversaire des Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

 

Suite et fin du dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences

Aperçu du débat

Plusieurs délégations ont tenu à remercier la Rapporteuse spéciale, Mme Šimonović, pour son travail et son excellente coopération tout au long de son mandat.

Le viol est une violation grave, systématique et généralisée des droits de l'homme, un crime, de même qu’une manifestation de la violence sexiste à l'égard des femmes, ont dénoncé de nombreux intervenants. Ils ont en particulier condamné l'utilisation du viol comme arme de guerre. Plusieurs orateurs ont regretté que les cas de violence contre les femmes et les filles, y compris le viol, ne fassent souvent pas l'objet d'enquêtes rigoureuses, ce qui perpétue l'impunité et entraîne une escalade des féminicides. Mme Šimonović a été priée de dire quelles mesures pratiques les États devraient prendre, selon elle, pour briser les stéréotypes et encourager les victimes à dénoncer les viols.

Il a été souligné que le droit international est sans ambiguïté : chaque État, indépendamment de son système juridique, est tenu de criminaliser et de poursuivre le viol comme une violation grave et systématique des droits de l'homme. L'absence de consentement doit être au cœur de la définition des actes criminalisés de violence et d'abus sexuels, conformément aux normes internationales des droits de l'homme, a-t-on insisté.

Des délégations ont affirmé l’engagement de leur pays à renforcer les cadres juridiques et institutionnels pour éliminer effectivement toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles. Certains intervenants ont fait valoir que le viol conjugal et entre partenaires intimes constituait une infraction pénale dans leur système juridique.

Il faut distinguer clairement entre la violence sexuelle vue comme un crime de guerre et les crimes de même nature relevant du droit commun, a souligné un intervenant, affirmant que la confusion entre ces deux éléments conduit à une érosion du système de droit international.

Des délégations ont recommandé que la Rapporteuse spéciale s’abstienne, dans ses rapports, de recourir à des concepts controversés et non reconnus sur le plan international.

La violence contre les personnes LGBTI a été dénoncée.

Une organisation non gouvernementale (ONG) a regretté l’approche « protectionniste » du rapport de Mme Šimonović et du Conseil, qui nie la capacité d’action et l'autonomie des femmes et des filles en les traitant comme des victimes.

Des délégations ont regretté que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) fasse l’objet, dans certains pays, de critiques basées sur des informations erronées quant à ses objectifs. Un pays a assuré que son retrait de cette Convention ne devait pas être interprété comme un recul dans la protection des femmes, la loi nationale contenant les dispositions nécessaires à cet égard.

Il a été rappelé que le 19 juin est la Journée internationale pour l'élimination des violences sexuelles en temps de conflit.

*Liste des intervenants : Autriche, Maurice, Soudan, Irlande, Pérou, Nigéria, Italie, Timor-Leste, Géorgie, Royaume-Uni, Afghanistan, Croatie, Mauritanie, Guyane, Thaïlande, ONU Femmes, Saint-Siège, Fédération de Russie, Philippines, Îles Marshall, Turquie, Panama, Tunisie, Bangladesh, Macédoine du Nord, Gabon, République de Moldova, Albanie, Malawi, Danemark, Japon, Chypre, Bolivie, Yémen, Djibouti, Iran, République populaire démocratique de Corée, Cambodge, Ukraine, Conseil national des droits de l’homme du Maroc, Commission des droits de l’homme de l’Afghanistan,Advocates for Human Rights, Société pour les peuples menacés,International Lesbian and Gay Association, COC Netherlands, Rutgers, Commission colombienne des juristes, Action Canada pour la population et le développement, Commission internationale de juristes et Right Livelihood Award Foundation.

Réponses et remarques de conclusion de la Rapporteuse spéciale

La Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences,
MME DUBRAVKA ŠIMONOVIĆ, dont le mandat s’achève avec la présentation de ce dernier rapport, a remercié les participants au débat – un débat qui a montré toute la pertinence d’avoir mis la question du viol en tant que violation grave et fréquente des droits humains à l’ordre du jour du Conseil.

La question se pose maintenant de savoir comment favoriser le processus d’harmonisation législative déjà lancé dans plusieurs pays, a poursuivi la Rapporteuse spéciale. De nombreuses références ont été faites à cet égard à la Convention d’Istanbul, qui représente le facteur d’harmonisation le plus important à ce jour, puisque son article 36 est contraignant s’agissant de la mise en conformité des lois nationales, a rappelé l’experte. Le rejet de cet instrument correspond à un mouvement de réaction contre les droits des femmes en général, a noté Mme Šimonović.

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs indiqué qu’en préparant son rapport, elle s’était efforcée de détecter les lacunes dans la criminalisation du viol au niveau des États. Elle a remercié les 46 gouvernements qui ont répondu au questionnaire à ce sujet pour indiquer quelles lacunes restent à combler dans l’action des États pour combattre le viol, mettre un terme à l’impunité des responsables et faire en sorte que les victimes aient accès à la justice.

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la traite de personnes

Le Conseil est saisi du rapport de la nouvelle Rapporteuse spéciale sur la traite de personnes, en particulier les femmes et les enfants (A/HRC/47/34 ).

Présentation du rapport

MME SIOBHAN MULLALLY, Rapporteuse spéciale sur la traite de personnes, en particulier les femmes et les enfants, a présenté son rapport sur l’application du principe de non-sanction, pour lequel elle a tiré profit des contributions d’Etats Membres, de la société civile, d’organisations internationales, des cercles académiques et des praticiens. Elle a jugé tout à fait essentiel de veiller à ce que les survivants et les victimes les plus affectés dirigent et guident les réponses aux graves violations des droits de l’homme dérivant de la traite des personnes.

La Rapporteuse spéciale a expliqué que le principe de non-sanction [à l’égard] des victimes de la traite constitue un aspect essentiel de la reconnaissance de la traite des personnes comme une violation grave des droits de l’homme. Le fait de punir une victime marque en effet une rupture avec l’engagement que les États ont pris de mettre en avant les droits des victimes à l’assistance, à la protection et à des recours utiles, a-t-elle souligné. Le principe de non-sanction vise essentiellement à garantir qu’une victime de la traite ne soit pas punie pour les actes illicites qu’elle a commis en conséquence de la traite, a rappelé Mme Mullally. Elle a expliqué que, comme la personne (victime de traite) a déjà subi un traumatisme et est en proie à la peur de représailles de la part des trafiquants, avoir en plus à craindre des poursuites et des sanctions ne peut que la dissuader davantage de solliciter protection, assistance et justice. Punir les victimes sape les efforts menés pour combattre l’impunité puisque ce sont les victimes de la traite – et non les véritables coupables – qui sont visées, ce qui nuit à l’efficacité des enquêtes et va à l’encontre des engagements pris en matière d’établissement des responsabilités, a insisté Mme Mullally.

De plus, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, le non-respect du principe de non-sanction aboutit à d’autres violations graves des droits de l’homme, notamment à la détention, aux retours forcés et au refoulement, à la privation arbitraire de la citoyenneté, au fardeau de la dette résultant de l’imposition d’amendes, à la séparation familiale et au non-respect du droit à un procès équitable. Au bout du compte, c’est l’accès à la justice qui est nié, a insisté Mme Mullally, avant de rappeler que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières demande aux Etats de faciliter l’accès à la justice sans crainte de détention, de déportation ou de sanction.

Mme Mullaly a également mis l’accent sur le lien entre le principe de non-sanction et plusieurs autres obligations juridiques des États, dont celle de la diligence voulue et plus particulièrement de la diligence voulue dans l’exercice du pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites. Elle a ensuite parlé des Règles de Bangkok concernant le traitement des femmes détenues, soulignant que des femmes victimes de la traite se retrouvent derrière les barreaux pour atteinte à la morale publique, prostitution ou violation des règles migratoires, et ce, alors qu’elles sont elles-mêmes victimes de la pauvreté, de fausses promesses, de coercition et d’exploitation. Mme Mullally a en outre invité les Etats à prendre les mesures appropriées pour garantir la non-discrimination sur la base du handicap. Quant aux enfants détenus pour leur association avec des groupes armés, y compris des groupes désignés comme terroristes, il convient de les reconnaître en tant que victimes de graves violations des droits de l’homme et du droit humanitaire, en accordant la priorité au rétablissement, à la réinsertion et à la réunification familiale, plutôt qu’à la pénalisation/sanction.

La Rapporteuse spéciale a rappelé la résolution 2388 (2017) du Conseil de sécurité, soulignant que tous les Etats devaient s’abstenir de recourir à la détention administrative d’enfants victimes de la traite, notamment pour ce qui est des enfants associés ou présumément associés à des groupes armés non étatiques. Elle a plaidé pour l’adoption de normes de procédures opérationnelles pour veiller à la remise en temps voulu à des acteurs civils de protection de l’enfance des enfants associés à un conflit armé ou à des groupes armés.

L’obligation d’identifier et de garantir la protection des victimes de la traite est une obligation positive pour l’Etat, a conclu Mme Mullally, soulignant que cette obligation s’impose d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un enfant et que sont élevés les risques d’exploitation continue d’une position de vulnérabilité.

Aperçu du débat

Tout en appuyant le mandat de la Rapporteuse spéciale, plusieurs pays ont indiqué qu’ils appliquaient d’ores et déjà le principe de non-sanction, certains précisant l’avoir même inclus dans leur code pénal.

La ratification universelle de la Convention de Varsovie sur la traite des êtres humains, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité organisée et de son Protocole dit de Palerme a été vivement encouragée. D’aucuns ont insisté sur la nécessité de placer les victimes et les survivants au cœur des politiques de lutte contre la traite, dans le plein respect de leur dignité et de leurs droits ; l’accent a également été mis sur la nécessité d’adopter des lois contre toutes les formes de criminalité transnationale organisée, y compris la traite des êtres humains et le blanchiment d’argent.

Reste que la plupart des intervenants ont avoué ne pas savoir comment « concrètement » appliquer le principe de non-sanction et pleinement protéger les victimes, ce qui les a conduits à inviter la Rapporteuse spéciale à fournir des exemples de pratiques optimales en la matière.

La traite, qui est un crime particulièrement humiliant pour l’être humain, a une dimension de genre puisque les femmes et les filles y sont davantage exposées, a souligné un intervenant.

Le principe de non-répétition est crucial dans le contexte de la lutte contre la traite de personnes, a souligné un orateur, affirmant privilégier les échanges et la collaboration avec INTERPOL et d’autres organisations luttant contre ce fléau. Nombre de délégations ont insisté sur l’importance qu’elles accordent à la collaboration avec la police, y compris celle des frontières et les gardes-côtes.

La traite est l’un des crimes les plus graves, a-t-il été souligné. Plusieurs pays ont indiqué avoir alourdi les peines encourues pour ce crime par les auteurs de la traite (trafiquants).

Un pays s’est opposé aux critiques de la Rapporteuse spéciale à son égard, les jugeant fondées sur de fausses informations.

Il a en outre été rappelé que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières contient des recommandations concernant la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et les mesures à prendre en cas d’exploitation par la traite.

L’accent a par ailleurs été mis sur l’importance que revêtent la prévention (de la traite), la protection juridique de toutes les victimes et les réparations. Il est nécessaire de changer « l’angle d’attaque » actuel [de la problématique de la traite] et de prendre en considération les droits des victimes pour mieux reconstruire leur vie, a-t-il en outre été affirmé.

La législation devrait systématiquement prévoir le principe de non-sanction (des victimes de la traite), a-t-on souligné. Certains pays d’entrée de migrants ont fait valoir les centres d’accueil et de rétablissement physique et mental qu’ils ont créés et ont insisté sur la nécessité d’identifier les communautés vulnérables à la traite de personnes.

Une délégation s’est interrogée sur la manière d’assurer une protection contre la cybercriminalité et a fait valoir que sa région avait précisément adopté une convention sur ce thème. Puisqu’il s’agit d’une criminalité qui ignore les frontières, des plans d’action nationaux, mais aussi des échanges et accords bilatéraux, régionaux et multilatéraux s’imposent pour y faire face, a-t-il été souligné.

Un intervenant a rappelé que l’Assemblée générale examinerait son plan d’action mondial de lutte contre la traite à l’occasion de la Journée mondiale de la lutte contre la traite des êtres humains, le 30 juillet, et a voulu savoir si la Rapporteuse spéciale entendait participer à cette réunion et, le cas échéant, quelle serait alors la teneur de sa contribution.

Réponses de la Rapporteuse spéciale

MME MULLALLY a relevé que plusieurs Etats ont communiqué les mesures qu’ils ont prises pour mettre en œuvre le principe de non-sanction des victimes. Elle s’est en outre réjouie de l’adoption de codes de conduite pour les gardes frontière lorsqu’ils sont en présence de victimes de la traite.

Tous les traités relatifs aux droits de l’homme énoncent le principe de non-sanction des victimes, a ensuite souligné la Rapporteuse spéciale.

Pour ce qui est des bonnes pratiques, Mme Mullally a indiqué que beaucoup de propositions existaient, comme la nécessité d’introduire des lignes directrices et d’inclure ce principe de non-sanction dans la législation. Plus encore, il est essentiel que tous les corps de fonctionnaires soient formés à la prévention et aux différentes mesures à prendre lors de la découverte de victimes de la traite. Il s’agit en outre de reconnaître la réalité de la vie des victimes, qui sont soumises à beaucoup d’abus et d’actions forcées.

En ce qui concerne les risques accrus de traite dans le contexte de la pandémie de COVID-19, Mme Mullally a souligné que cette hausse des risques découle de la pauvreté, du chômage, de la fermeture des écoles, de la présence des enfants en ligne, ou encore de l’adaptation rapide des trafiquants en ligne.

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs indiqué qu’il convient de recourir aux plates-formes numériques pour sensibiliser les enfants à leur utilisation à bon escient et contrer la présence des trafiquants en ligne. Elle a attiré l’attention sur le projet BeTech du Haut-Commissariat et sur sa propre réunion avec des représentants des plates-formes numériques.

Mme Mullally a d’autre part indiqué qu’elle prévoyait de participer à l’examen du Plan d’action de la Stratégie mondiale de lutte contre la traite des personnes, ainsi qu’à l’évaluation de l’application du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

**Liste des intervenants : Australie, Union européenne, Egypte (au nom du Groupe arabe), Suède (au nom des pays nordiques), Liechtenstein, Sierra Leone (au nom du Groupe africain), Paraguay, Equateur, Emirats arabes unies, Libye, Ordre souverain de Malte, Israël, Allemagne, Indonésie, Espagne, Cuba, Bahreïn, Monténégro, Fiji, Iraq, Arménie, Chine, Malte, Inde, Maroc, Algérie, Italie, Venezuela, Etats-Unis, Egypte, Jordanie, Grèce, Népal, Arabie saoudite, Malaisie, Afrique du Sud, Autriche, Bélarus, Irlande et Pakistan.

 

Ce débat se poursuivra demain.

 

HRC21.075F