Aller au contenu principal

Conseil des droits de l’homme : le manque de pertinence culturelle des systèmes éducatifs empêche la réalisation du droit à l’éducation, affirme la nouvelle Rapporteuse spéciale

Compte rendu de séance

 

Alors qu’elle présentait ce matin au Conseil des droits de l'homme son rapport, qui traite des dimensions culturelles du droit à l’éducation, la nouvelle Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, Mme Koumbou Boly Barry, a affirmé que le manque de pertinence culturelle des systèmes éducatifs empêche « de façon dramatique » la réalisation du droit à l’éducation.

Les systèmes éducatifs, souvent très centralisés, restent peu adaptés aux besoins des sociétés multiculturelles et organisent une hiérarchie entre les cultures, les visions du monde, a relevé la Rapporteuse spéciale. Ces systèmes sont loin de répondre aux objectifs du droit à l’éducation tels qu’ils sont énoncés dans les instruments internationaux, en plus de perpétuer des discriminations, des exclusions et des ségrégations, a-t-elle insisté.

Pour remédier à cette situation, le rapport de Mme Boly Barry propose notamment de prodiguer un enseignement inclusif et de qualité, qui permette l’épanouissement de la diversité culturelle et des droits culturels de chacun. Il préconise aussi un certain degré de décentralisation en faveur des acteurs locaux ou encore la mise en place d’une certaine autonomie des écoles pour assurer la pertinence culturelle des apprentissages.

Suite à cette présentation, de nombreuses délégations** ont pris part au dialogue avec la Rapporteuse spéciale et ont, pour l’essentiel, partagé ses analyses, reconnaissant que sans éducation pour tous, il n’est pas possible de réaliser les droits de l'homme ou encore que l’école doit mieux intégrer et refléter la diversité culturelle. Mais la diversité culturelle ne doit pas être un prétexte pour bafouer les valeurs universelles, ont mis en garde certains intervenants.

Un appel a en outre été lancé pour que les États, en suivant les recommandations de l’OMS, rouvrent les écoles, dont la fermeture – en raison de la pandémie de COVID-19 – prive près d’un milliard d’enfants d’éducation dans le monde.

Le Conseil a par ailleurs achevé ce matin son dialogue, entamé hier, avec la Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, Mme Tlaleng Mofokeng. De nombreuses délégations ont pris part à ce dialogue*. Ont notamment été condamnés le « nationalisme vaccinal » et la thésaurisation des vaccins par certains pays avancés – des pratiques contraires au principe du droit à la santé.

 

Le Conseil reprendra ses travaux cet après-midi, à 15 heures, pour achever son dialogue avec le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants. Il engagera ensuite ses dialogues avec l'Expert indépendant sur les droits de l'homme et la solidarité internationale et avec l'Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l'orientation sexuelle et l’identité de genre.

 

Suite et fin du dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible

Aperçu du débat

Plusieurs délégations se sont félicitées de ce que le rapport de la Rapporteuse spéciale, Mme Tlaleng Mofokeng, analyse le droit de chacun à jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible à la lumière des concepts de colonialité, de racisme et d'intersectionnalité.

De même, d’autres intervenants ont salué le choix de la Rapporteuse spéciale de se pencher sur les obstacles à la santé sexuelle et procréative, notamment en ce qui concerne les relations entre personnes de même sexe, la contraception et l'avortement. Les droits humains ne peuvent être pleinement réalisés sans la jouissance de la santé et des droits sexuels et reproductifs, a-t-on relevé. Mais, pour de nombreuses femmes et filles d'origine africaine, la réalisation de ces droits reste inégale en raison de nombreux facteurs structurels et systémiques, comme le souligne le rapport de la Rapporteuse spéciale, a-t-il été rappelé ce matin.

Une délégation a pour sa part jugé inapproprié que les minorités sexuelles soient considérées comme une catégorie spéciale et que les systèmes de santé publique leur soient adaptés.

S’agissant de la pandémie de COVID-19, des délégations ont condamné le « nationalisme vaccinal » et la thésaurisation des vaccins par certains pays avancés – des pratiques qu’elles ont jugées contraires au principe du droit à la santé. Les vaccins, en tant que bien public mondial, devraient être disponibles de manière juste et équitable pour tous les pays, a-t-il été affirmé à plusieurs reprises. Plusieurs pays ont indiqué qu’ils allaient fournir des doses de vaccin à l'Alliance du vaccin (GAVI) et effectuer des versements au profit du dispositif COVAX.

Une organisation non gouvernementale (ONG) a recommandé de résister à la tentation de considérer les effets dévastateurs de la pandémie, en particulier dans les pays du Sud, comme relevant d’un ensemble de circonstances exceptionnelles, et d’œuvrer plutôt à la transformation des systèmes de pouvoir qui perpétuent ces inégalités scandaleuses. D’autre part, les mesures coercitives unilatérales illégales imposées à certains pays ont été dénoncées comme autant de « pratiques néocoloniales et génocidaires », qui favoriseraient, entre autres, la ségrégation dans l'accès aux vaccins contre la COVID-19.

Si la vaccination contre la COVID-19 est aujourd’hui au cœur des préoccupation, a fait remarquer une délégation, il ne faut pas négliger pour autant les programmes de vaccination de routine. Il a aussi été recommandé d’accorder l’attention nécessaire à la santé mentale et aux maladies non transmissibles.

Il a en outre été suggéré de créer, avec le concours de l’OMS, une banque de données pour mettre en relation les efforts d’assistance, d’une part, et les besoins identifiés, d’autre part, afin de créer un partenariat entre donateurs et bénéficiaires dans le domaine de la santé.

Enfin, la difficulté de respecter le droit à la santé dans des territoires occupés a été évoquée par plusieurs intervenants.

*Ont participé à ce débat : Bangladesh, Inde, Sierra Leone, Maldives, Maroc, Algérie, Venezuela, Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), États-Unis, Égypte, Jordanie, Népal, Arabie saoudite, Namibie, Malaisie, Afrique du Sud, Azerbaïdjan, Sri Lanka, Soudan, Pakistan, Belgique, Timor-Leste, Géorgie, Royaume-Uni, Tchad, Mauritanie, Thaïlande, ONU Femmes, Djibouti, Fédération de Russie, Ukraine, Organisation internationale de droit du développement, Panama, Tunisie, Cambodge, Bulgarie, Malawi, Iran, Érythrée,Organization for Defending Victims of Violence, Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, Action Canada pour la population et le développement,Al Mezan Centre for Human Rights, The Center for Reproductive Rights, Inc., Swedish Federation of Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Rights , IDPC Consortium, Minority Rights Group, Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII et iuventum e.V.

Réponses et remarques de conclusion de la Rapporteuse spéciale

MME TLALENG MOFOKENG, Rapporteuse spéciale sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, a indiqué avoir transmis, pendant la période couverte par son rapport, 134 communications à des États et entreprises privées s’agissant de violations du droit à la santé pendant la pandémie. L’experte a aussi fait état de sa collaboration avec des instances onusiennes spécialisées, comme Unitaid, et avec la société civile, toujours dans le cadre de la défense du droit à la santé en période de COVID-19. Cette pandémie rappelle que le droit à la santé et les autres droits humains sont interdépendants, a insisté Mme Mofokeng.

Le droit à la santé est fait de libertés et de droits, y compris le droit de ne pas être soumis à des traitements sans son propre consentement, a ajouté l’experte. La pratique de la médecine est en soi une manière de défendre les droits humains, a-t-elle affirmé.

La Rapporteuse spéciale a indiqué qu’elle aurait pour priorité, dans le cadre de son mandat, de se pencher sur les répercussions du racisme sur le droit à la santé. Elle a préconisé l’adoption de cadres juridiques favorisant des politiques de santé inclusives et a recommandé qu’une plus grande attention soit portée aux groupes d’individus souffrant de préjugés historiques.

Pour respecter le droit à la santé, les États doivent faire en sorte que certains groupes marginalisés – comme les personnes détenues – aient effectivement accès aux soins. Ils doivent aussi veiller à ce que des parties tierces ne limitent pas l’accès de certaines personnes aux soins.

Quant aux sanctions et autres mesures coercitives unilatérales, elles empêchent le redressement économique des pays et devraient être levées, a estimé la Rapporteuse spéciale. Elle a plaidé pour la solidarité et les partenariats entre États dans le domaine de la santé.

Mme Mofokeng a aussi recommandé que la prophylaxie avant exposition au VIH soit largement disponible.

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation

Le Conseil est saisi du rapport (A/HRC/47/32) de Mme Koumbou Boly Barry, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, intitulé « Droit à l’éducation : les dimensions culturelles du droit à l’éducation ou le droit à l’éducation en tant que droit culturel ».

Présentation du rapport

MME KOUMBOU BOLY BARRY, Rapporteuse spéciale sur le droit à l’éducation, a souligné que son rapport traite des dimensions culturelles du droit à l’éducation et permet d’appréhender le droit à l’éducation comme un droit culturel à part entière. Selon elle, le droit à l’éducation est le droit de chacun d’accéder aux ressources culturelles nécessaires pour développer librement son processus d’identification, vivre des relations dignes de reconnaissance mutuelle tout au long de son existence, affronter les défis cruciaux auxquels notre monde doit faire face, et de s’adonner aux pratiques qui permettent de s’approprier ces ressources et d’y contribuer. Or, constate la Rapporteuse spéciale, le manque de pertinence culturelle des systèmes éducatifs empêche, « de façon dramatique », la réalisation du droit à l’éducation. Le défi est de prodiguer un enseignement inclusif et de qualité qui permette l’épanouissement de la diversité culturelle et des droits culturels de chacun, reflète cet épanouissement et prenne appui sur celui-ci, a expliqué Mme Boly Barry.

La Rapporteuse spéciale a ensuite constaté que les systèmes éducatifs, souvent très centralisés, restent peu adaptés aux besoins des sociétés multiculturelles et organisent une hiérarchie entre les cultures, les visions du monde et les façons qu’ont les personnes de se concevoir en tant qu’êtres humains. Ils sont ainsi loin de répondre aux objectifs du droit à l’éducation tels qu’ils sont énoncés dans les instruments internationaux, et ils perpétuent des discriminations, des exclusions et des ségrégations allant à l’encontre du principe des objectifs de développement durable de « ne laisser personne de côté ».

Pour remédier à ces problèmes et redonner à l’éducation toute sa pertinence culturelle, le rapport propose, entre autres mesures, d’assurer la capacité d’adaptation des acteurs des systèmes éducatifs à la diversité des ressources culturelles des apprenants. Il préconise aussi une valorisation des ressources culturelles présentes, ainsi qu’un certain degré de décentralisation en faveur des acteurs locaux ou encore la mise en place d’une certaine autonomie des écoles pour assurer la pertinence culturelle des apprentissages. La Rapporteuse spéciale recommande également la mise en place de méthodes d’observation participatives et systémiques, ainsi que le respect des libertés dans le champ éducationnel.

Mme Boly Barry a ensuite expliqué que l’expression « dimensions culturelles » fait référence à la diversité de tous les acteurs qui participent à la vie éducationnelle, à la diversité des savoirs et des disciplines. De ce fait, un droit universel comme le droit à l’éducation qui ne reposerait pas sur une valorisation de la diversité culturelle ne peut être (considéré comme) véritablement universel. Par ailleurs, il ne faut pas limiter la question culturelle aux communautés linguistiques, religieuses ou ethniques. Il faut, au contraire, aborder la diversité culturelle en englobant toutes les diversités – historiques, patrimoniales, sociales, de genre et liées au handicap. Il faut changer de perspective pour comprendre la force des vulnérabilités et s’appuyer sur celle-ci afin de dégager les potentiels culturels des divers groupes de personnes qui se trouvent gravement en situation défavorisée. A cet égard, la Rapporteuse spéciale a souligné l’importance de respecter les Principes d’Abidjan sur le droit à l’éducation, lesquels rappellent les obligations des États de prioriser le financement d’une éducation publique gratuite de qualité et de réglementer la participation du secteur privé dans l’éducation.

Du point de vue de la Rapporteuse spéciale, l'éducation devrait aussi être interdisciplinaire ; les disciplines doivent dialoguer et les savoirs se croiser. Par exemple, le patrimoine culturel immatériel, comme le recommande l’UNESCO, devrait être intégré autant que possible au contenu des programmes scolaires dans toutes les disciplines pertinentes, a suggéré Mme Boly Barry.

Aperçu du débat

Après avoir présenté leurs politiques nationales en matière d’éducation, nombre de délégations ont partagé les points de vue exprimés par la Rapporteuse spéciale. Sans éducation pour tous, il n’est pas possible de réaliser les droits de l'homme, ont-elles rappelé. L’école doit intégrer la diversité culturelle, qui est une réalité caractéristique des sociétés contemporaines, ont-elles souligné. De ce fait, les programmes scolaires doivent refléter, le plus possible, la diversité culturelle, y compris linguistique, dans un contexte où, selon l’UNESCO, 40% de la population n’a pas accès à une éducation dans une langue qu’elle comprend. L’école doit aussi permettre le respect de l’histoire, des valeurs culturelles et religieuses d’autrui, ont plaidé les délégations. La diversité culturelle ne doit cependant pas être un prétexte pour bafouer les valeurs universelles, ont mis en garde un certain nombre d’intervenants.

Depuis le début de la pandémie, environ un milliard d’enfants sont privés d’éducation dans le monde, en raison de la fermeture des établissements scolaires, a­-t-il été observé. Cela met gravement leur avenir en danger – et en particulier celui des enfants qui n’ont pas accès à l’éducation à distance, a alerté une délégation, appelant les États à rouvrir au plus vite les écoles, en suivant les recommandations de l’OMS.

Les délégations ont également posé des questions sur la manière de promouvoir la diversité culturelle et linguistique dans les écoles, de développer la créativité des élèves, de réformer les systèmes éducatifs, de combattre la pauvreté par le biais de l’éducation, de répondre aux besoins des plus marginalisés qui veulent apprendre, de construire une cohésion sociale, de garantir le droit à l’éducation comme droit fondamental dans le contexte de la pandémie de COVID-19 ou encore de parvenir à la pleine réalisation de l’objectif 4 (éducation de qualité) du Programme de développement durable à l’horizon 2030.

**Ont participé à ce débat : Finlande (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Égypte (au nom du groupe des États arabes), Nigéria (au nom d’un groupe de pays), Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), Qatar, Sierra Leone, France, Paraguay, Indonésie, Libye, Portugal, Cuba, Israël, République tchèque, République de Corée, Émirats arabes unis, Sénégal, Bahreïn, Iraq, Arménie, Burkina Faso, Chine, Inde, Maldives, Maroc, Algérie, Venezuela, États-Unis, Égypte, Népal, Arabie saoudite, Botswana, Namibie, Malaisie, Afrique du Sud, Azerbaïdjan, Soudan, Pakistan, Timor-Leste, Géorgie, Royaume-Uni, Salvador.

Réponses de la Rapporteuse spéciale

MME BOLY BARRY a d’abord exprimé sa gratitude aux États qui ont fait part ce matin de leurs expériences et bonnes pratiques pour favoriser la diversité culturelle dans le système éducatif.

La Rapporteuse spéciale a ensuite relevé que de nombreux commentaires interrogent sur la manière de prendre en compte les groupes marginalisés dans le système éducatif. Il importe à cet égard de tenir compte de toutes les formes de diversité – linguistique, ethnique, mais aussi sociale, liée au genre ou au handicap, par exemple. Cette diversité doit en outre couvrir toutes les disciplines, a souligné Mme Boly Barry.

En pratique, a poursuivi la Rapporteuse spéciale, il faut avant tout définir la société que nous voulons – une société juste, qui favorise la résilience des individus. Mme Boly Barry a recommandé que les lois (nationales) décrivent l’articulation de l’éducation avec les droits culturels. Les programmes doivent être construits de manière holistique et pragmatique : chaque acteur, à tous les niveaux, doit être intégré dans le processus de planification de l’éducation. Un enfant qui a faim ne peut apprendre, a en outre rappelé l’experte.

D’autre part, a ajouté la Rapporteuse spéciale, il est nécessaire d’appliquer des pédagogies ouvertes, partant du potentiel de chaque être humain et adaptées à chaque acteur, ce qui permettra de tenir compte des enjeux culturels pour chaque personne.

La première leçon que l’on peut tirer de la pandémie de COVID-19 est que les problèmes existaient déjà, s’agissant notamment des questions d’accès : la pandémie a mis en évidence des inégalités préexistantes criantes, a insisté Mme Boly Barry.

L’intégration des minorités doit commencer par une acceptation (intégration) de leurs langues dans l’enseignement. Cette vérité concerne tous les pays, a souligné l’experte.

Le dialogue avec la Rapporteuse spéciale se poursuivra demain matin, à 10 heures.

 

HRC21.069F