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La Conférence du désarmement tient un débat thématique sur un traité d’interdiction de la production de matières fissiles

Compte rendu de séance

 

La Conférence du désarmement a tenu aujourd’hui, sous la présidence de l’Ambassadeur Sterk de la Bulgarie, un débat thématique axé sur la possibilité de tracer une voie vers un accord relatif à la production et au stockage de matières fissiles destinées à la fabrication d'armes nucléaires et d'autres dispositifs explosifs. Avant de tenir ce débat, la Conférence a entendu deux déclarations - de l’Allemagne et de l’Afrique du Sud – dans le cadre du débat qui s’est tenu mardi dernier sur le thème de la réduction des risques nucléaires.

Le débat de ce jour, qui s’inscrivait dans le cadre du point de l’ordre du jour de la Conférence relatif à la prévention de la guerre nucléaire, y compris toutes les questions qui y sont liées, a compté avec la participation de trois experts invités par M. Sterk : Mme Emmanuelle Maitre, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (France) ; Mme Laura Lockwood, Directrice de l’Open Nuclear Network ; et l’Ambassadeur Robbert Gabriëlse, Représentant permanent des Pays-Bas auprès de la Conférence.

Mme Maitre a esquissé le contexte historique relatif à la négociation d’un traité « cut-off », avec notamment l’adoption du « mandat Shannon » par la Conférence en 1995 et les travaux du Groupe d’experts gouvernementaux chargé de l’élaboration d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles. L’experte a ensuite évoqué quelques-uns des principaux obstacles à la négociation d’un tel traité.

Mme Lockwood a, pour sa part, présenté des options possibles pour la structure institutionnelle d'un traité d’interdiction de la production de matières fissiles. En l’état, deux modèles d’organisation ressortent : le premier serait une « organisation du traité d’interdiction de la production de matières fissiles » autonome, dotée de son propre organe de vérification et d’un secrétariat, supervisée par son propre conseil exécutif et sa propre conférence des États parties. Dans l’autre modèle, hybride, la vérification du traité serait assurée par l'Agence internationale de l’énergie atomique, a-t-elle précisé.

M. Gabriëlse a quant à lui présenté les travaux de l’organe subsidiaire n°2 de la Conférence qu’il présidait en 2018 et dont le mandat portait notamment sur l’interdiction de la production de matières fissiles. Il a notamment souligné que malgré des divergences, des positions communes étaient apparues lors des travaux de cet organe subsidiaire, s’agissant notamment du fait qu’un traité devrait être non discriminatoire, multilatéral et vérifiable. La question se pose maintenant de savoir si les travaux de organes subsidiaires peuvent servir de fondement aux travaux de la Conférence, a indiqué M. Gabriëlse.

Suite à ces interventions, ont pris part au débat sur un traité d’interdiction de la production de matières fissiles les délégations des pays suivants : Iraq (au nom du G21), Portugal (au nom de l’Union européenne), États-Unis, Japon, Égypte, Canada, Argentine, Chine, Royaume-Uni, Turquie, République de Corée, Australie, Belgique, Norvège, Inde, Ukraine, Allemagne, France, Iran, Pakistan, Suisse et Fédération de Russie.

 

La Conférence du désarmement doit tenir demain, à 10 heures, une séance publique marquant la fin de la présidence bulgare de la Conférence.

 

Fin du débat sur la réduction des risques nucléaires

L’importance de prendre des mesures utiles et concrètes pour réduire les risques nucléaires dans l’espace cybernétique et dans l’espace extra-atmosphérique a été mentionnée.

Il a également été affirmé que l’élimination totale des armes nucléaires devait rester la priorité absolue. Les réductions qui ont déjà été consenties dans les stocks nucléaires, pour importantes qu’elles soient, ne remplacent pas un désarmement nucléaire vérifiable, a-t-il été souligné. Il a été déploré que certains États souhaitent maintenir de manière indéfinie leurs capacités de destruction, en dépit des engagement pris dans le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Le seul progrès réalisé est l’entrée en vigueur, en janvier dernier, du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.

Débat sur la possibilité de tracer une voie vers un accord relatif à la production et au stockage de matières fissiles destinées à la fabrication d'armes nucléaires

Le Président de la Conférence du désarmement, l’Ambassadeur YURI BORISSOV STERK de la Bulgarie, a rappelé que la possibilité de parvenir à un accord sur un cadre réglementaire international concernant la production de matières fissiles était au centre des préoccupations de la communauté internationale depuis un certain temps. En 1978 déjà, la première session extraordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies consacrée au désarmement avait adopté par consensus une résolution (S-10/2) proclamant que la réalisation du désarmement nucléaire nécessiterait la négociation d'accords assortis de mesures de vérification adéquates sur, entre autres, la cessation de la production de matières fissiles à des fins d'armement.

Une quinzaine d'années plus tard, l'Assemblée générale adoptait une résolution appelant à des négociations sur un traité visant à interdire la production de matières fissiles. Cet appel fut suivi, en 1995, du rapport du coordonnateur spécial de la Conférence sur les matières fissiles, l'Ambassadeur Shannon du Canada, suggérant qu'un comité soit créé au sein de la Conférence pour négocier un traité sur les matières fissiles (« mandat Shannon »). Mais, un quart de siècle plus tard, a rappelé M. Sterk, aucun instrument juridiquement contraignant sur les matières fissiles n’est encore à l’horizon.

Pour comprendre cette situation et alimenter un débat entre les États membres de la Conférence sur la question de savoir s'il serait possible de tracer une voie vers un accord relatif à la production et au stockage de matières fissiles destinées à la fabrication d'armes nucléaires et d'autres dispositifs explosifs, M. Sterk a dit avoir invité ce jour trois panélistes aux perspectives complémentaires : MME EMMANUELLE MAITRE, chargée de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (France) ; MME LAURA LOCKWOOD, Directrice de l’Open Nuclear Network ; et l’Ambassadeur ROBBERT GABRIËLSE, Représentant permanent des Pays-Bas auprès de la Conférence.

MME MAITRE a d’abord relevé qu’il existait peu de données officielles sur les matières fissiles, dont les deux principaux détenteurs restent la Fédération de Russie et les États-Unis. Certains pays favorisent le recyclage de matières fissiles ; d’autres estiment nécessaire d’en produire davantage pour leur arsenal.

Dans ce contexte, la négociation d’un traité sur les matières fissiles a été considérée comme opportune dans les années 1990. Historiquement, les grands jalons de ce débat ont été la résolution 78/57L (1993), qui appelait à un traité non discriminatoire, multilatéral, international et vérifiable interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d'armes nucléaires ou d'autres dispositifs explosifs nucléaires ; ainsi que le mandat Shannon (1995), et la création en 1998 d’un comité spécial chargé de négocier un traité.

De même, la Conférence d’examen du TNP en 2010 avait fait clairement référence à un traité cut-off. En 2014 et 2015, le Groupe d’experts gouvernementaux chargé de l’élaboration d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles avait discuté de recommandations pour faire avancer des négociations sur un traité. Les autres travaux réalisés depuis cette date montrent qu’il existe une volonté de faire avancer le dossier, a dit Mme Maitre.

L’experte a ensuite rappelé quels sont les principaux obstacles à la négociation d’un tel traité. Se posent d’abord des problèmes de procédure à la Conférence, notamment l’impossibilité d’adopter un programme de travail. Face au blocage, certains pays ont demandé des négociations en dehors de la Conférence.

D’autres questions portent sur la qualité pour participer aux négociations ; sur la vérification – certains pays ayant avancé l’idée d’un traité non vérifiable, option plus réaliste selon eux ; et sur les stocks de matières fissiles, le mandat Shannon ayant été généralement interprété comme repoussant à la phase de négociation la définition de la portée du traité à cet égard. Cet élément essentiel reste problématique, a souligné Mme Maitre.

Le champ d’application du traité est, lui, assez consensuel : il concernerait l’uranium hautement enrichi et le plutonium, la question étant de savoir s’il faudrait intégrer d’autres matières.

Pour Mme Maitre, un traité sur les matières fissiles aiderait la cause du désarmement nucléaire en rendant irréversible la tendance générale à la réduction des arsenaux nucléaires. Il officialiserait le moratoire de certains pays sur la production de matières fissiles et limiterait la réserve de matières disponibles pour la fabrication d'armes nucléaires.

MME LOCKWOOD a présenté et comparé des options possibles pour la structure institutionnelle d'un traité d’interdiction de la production de matières fissiles, y compris des modèles de gouvernance et de vérification.

Elle a d’abord rappelé que les membres du Groupe d’experts de haut niveau chargé de l’élaboration d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles s’accordent à dire qu'un tel traité devrait inclure la mise en place de mécanismes de gouvernance et de prise de décision. De même, un traité international et effectivement vérifiable serait un traité qui implique une vérification multilatérale crédible. Les négociateurs du traité devraient déterminer si les responsabilités en matière de vérification devraient être assumées par l'Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ou si elles devraient être autonomes au sein de l'organisation du traité.

En l’état, deux modèles d’organisation ressortent donc : le premier serait une « organisation du traité d’interdiction de la production de matières fissiles » autonome, dotée de son propre organe de vérification et d’un secrétariat, supervisée par son propre conseil exécutif et sa propre conférence des États parties. L’autre modèle serait hybride, rappelant des modèles déjà expérimentés au sein de l’AIEA : la vérification du traité serait alors assurée par l'Agence dans le cadre de ses structures ; la vérification pourrait, alternativement, se faire au sein de l'AIEA mais hors de son processus décisionnel institutionnel habituel.

Mme Lockwood a détaillé les avantages (économies de ressources, par exemple) et inconvénients (chevauchements de compétences, notamment) respectifs de ces modèles et options, avant de décrire d’autres aspects relatifs au financement de la structure qui serait retenue.

Pour sa part, M. GABRIËLSE a présenté les travaux accomplis en 2018 par l’organe subsidiaire n°2 de la Conférence, qu’il présidait, et dont le mandat portait notamment sur l’interdiction de la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires [voir document CD/2139]. Les débats ont porté sur des aspects de fond et non politiques. Le débat sur l’interdiction de la production des matières fissiles a porté sur des définitions et le champ d’application, notamment. Malgré des divergences, des positions communes sont apparues : un traité cut-off devrait être non discriminatoire, multilatéral et vérifiable, et devrait contribuer concrètement au désarmement nucléaire, a indiqué M. Gabriëlse.

La question du champ d’application a suscité des prises de position très divergentes, de même que la question des stocks de matières fissiles ainsi que le rapport Shannon et le mandat qui y figure : certaines délégations ont insisté sur le fait qu'un traité devrait se concentrer sur l'interdiction de la production future des matières fissiles ; d’autres ont affirmé qu'il n'y avait pas besoin d'un nouveau mandat.

Ont aussi été discutés le type d’inspections et l’organe qui devrait être chargé de la vérification. Certaines délégations ont fait des propositions concrètes sur les travaux qui restent à accomplir, s’agissant notamment d’aspects scientifiques et techniques.

En ce qui concerne la réduction des risques, les délégations ont examiné des questions telles que la dissuasion nucléaire, l'équilibre stratégique et la multilatéralisation des mesures de réduction des risques. Elles ont convenu de la nécessité de poursuivre les discussions sur la réduction du risque nucléaire, a ajouté M. Gabriëlse.

La question se pose maintenant de savoir si les travaux de organes subsidiaires peuvent servir de fondement aux travaux de la Conférence, a-t-il indiqué.

Après ces présentations, de nombreuses délégations se sont dites favorables à l’ouverture, à la Conférence, de négociations sur un traité d’interdiction de la production de matières fissiles, sur la base du mandat Shannon. L'ouverture de telles négociations, a-t-il été souligné, est la volonté écrasante de la communauté internationale, comme le montre le plan d'action de la Conférence d'examen du TNP de 2010 et comme le réaffirme la résolution 73/65 (2018) de l'Assemblée générale des Nations Unies.

En outre, de telles négociations ne constitueraient en rien une menace contre les intérêts de certains États, a-t-il été soutenu : ces États pourraient en effet faire part de leurs préoccupations devant la plénière de la Conférence – laquelle prend ses décisions au consensus, a-t-on rappelé.

Les États dotés d’armes nucléaires ont été encouragés à voir dans le début de telles négociations une opportunité unique de discuter d’enjeux sécuritaires, d’établir de nouveaux canaux de communication et de raffermir une confiance mutuelle. Leurs intérêts, a-t-il été affirmé, « ne sont pas servis en continuant à bloquer le début de ces négociations ». Les cinq Etats dotés d’armes nucléaires reconnus par le TNP ont été priés, quant à eux, de faire preuve de leadership en proposant une marche à suivre pour débuter les négociations autour d’un traité « soutenu par la très vaste majorité des États ».

Plusieurs appels ont été lancés en faveur de l’imposition d’un moratoire sur la production de matières fissiles, qui a été considéré comme un préalable à tout accord cut-off ou au désarmement nucléaire en général. Une délégation a cependant déclaré ne pas soutenir les moratoires car ils n’ont aucune force juridique internationale.

Une délégation a déclaré que certains Etats souhaitent uniquement veiller à ce que les stocks ne soient pas couverts par le traité, de manière à garder leur privilège. Cela explique leur insistance à appuyer un mandat (le mandat Shannon) qui n’a plus aucune utilité depuis longtemps, a affirmé cette délégation. Il ne faut plus continuer sur cette voie ; un nouveau mandat doit régler la question des stocks de matière fissiles, a-t-elle insisté, soulignant que le futur traité doit défendre la sécurité pour tous les Etats.

Plusieurs intervenants, estimant que le désarmement devait être la priorité absolue de la Conférence du désarmement, ont demandé l’ouverture rapide de négociations sur cette question au sein de la Conférence. Pour une délégation, si les mesures de réduction des risques et les mesures de confiance peuvent contribuer positivement à la paix et à la sécurité, elles ne doivent pas servir de prétexte pour se soustraire aux obligations juridiques ni pour retarder davantage l'ouverture de négociations sur le désarmement nucléaire. Ont ainsi été rappelées les obligations des États parties au TNP au titre, notamment, de son article VI.

La communauté internationale a par ailleurs été appelée à célébrer la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires, le 26 septembre.

 

CD21.022F