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En Colombie, la disparition forcée est une réalité bien présente, souligne une experte du Comité des disparitions forcées

Compte rendu de séance

 

La disparition forcée étant, en Colombie, une réalité non pas du passé mais bien présente, il importe de savoir combien de personnes auraient été soumises à ce crime au sens strict de l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il faudrait disposer d’un tableau exhaustif et réel de l’ampleur du phénomène en Colombie. C’est ce qu’a souligné Mme Carmen Rosa Villa Quintana, membre du Comité des disparitions forcées, alors que cet organe conventionnel examinait – hier et aujourd’hui – un rapport contenant des renseignements complémentaires sur la mise en œuvre de la Convention en Colombie.

Présentant ce rapport, Mme Adriana Mejía Hernández, Vice-Ministre des affaires multilatérales de la Colombie, a souligné que, depuis le précédent dialogue avec le Comité en 2016, son pays avait été confronté au défi colossal du démantèlement des groupes armés ainsi qu’au problème du narcotrafic, qui menace l’état de droit ainsi que les libertés des Colombiennes et des Colombiens.

Le Code pénal colombien sanctionne la disparition forcée et il existe dans le pays un appareil d'État chargé d'enquêter sur les disparitions forcées, d’exhumer les dépouilles, d’accorder un soutien et des réparations aux victimes, et d’offrir des services de protection et de prévention, a ensuite fait valoir la Vice-Ministre.

Outre la Vice-Ministre, la délégation colombienne était composée de Mme Alicia Victoria Arango Olmos, Représentante permanente de la Colombie auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de nombreux représentants de l’Unité de recherche des personnes disparues, du Bureau du Procureur général de la nation, du Centre national de mémoire historique, de l’Institut national de médecine légale et de la police judiciaire, entre autres services et institutions.

Aux fins d’un examen plus approfondi du rapport soumis par la Colombie, le Comité avait désigné comme corapporteurs Mme Villa Quintana, qui a notamment insisté sur l’importance d’appliquer une politique de prévention de la disparition forcée et de réparation aux victimes, et M. Juan José Lopez Ortega, qui a notamment jugé essentiel de connaître le nombre victimes de disparition forcée qui ont droit à une réparation.

Pendant le dialogue, la délégation a notamment indiqué qu’après croisement des bases de données nationales, le Gouvernement recense 84 330 victimes de disparition forcée. Ont été remis aux familles, après recherche, quelque 7732 corps de personnes disparues, a ajouté la délégation. On compte 10 499 enfants victimes de disparition forcée, a-t-elle précisé. Le problème demeure de l’identification de 4935 (dépouilles de) victimes de disparition forcée et on compte alors sur le prélèvement d’échantillons d’ADN pour identifier ces victimes, a également indiqué la délégation.

 

Le Comité entamera demain, à partir de midi, l’examen du rapport initial de la Mongolie (CED/C/MNG/1).

 

Examen du rapport de la Colombie

Présentation

Le Comité était saisi du rapport contenant des renseignements complémentaires soumis par la Colombie (CED/C/COL/AI/1), après l’examen de son rapport initial en 2016.

Présentant ce rapport, MME ADRIANA MEJÍA HERNÁNDEZ, Vice-Ministre des affaires multilatérales de la Colombie, a d’abord indiqué que, depuis le (précédent) dialogue avec le Comité en 2016, son pays est confronté au défi colossal du démantèlement des groupes armés ainsi qu’au problème du narcotrafic, qui menace l’état de droit ainsi que les libertés des Colombiennes et des Colombiens.

La Colombie reconnaît pleinement le droit de toute personne de ne pas être victime de disparition forcée et ses institutions défendent le droit de toute victime à des réparations et aux garanties de non-répétition, a poursuivi la Vice-Ministre. L’ordre juridique interne est conforme à la Convention et offre toutes les garanties de liberté fondamentales, a-t-elle assuré.

Le Code pénal sanctionne la disparition forcée, définie comme la privation de liberté suivie de la dissimulation ou du refus de fournir des informations sur le lieu où se trouve la personne concernée, a indiqué Mme Mejía Hernández, précisant que les circonstances aggravantes s’appliquent quand le coupable est détenteur d’autorité. Les auteurs de disparition forcée ne peuvent pas bénéficier d’amnistie, a-t-elle ajouté. La définition de la disparition forcée en Colombie répond aux besoins des victimes, a-t- elle insisté.

Le Statut de Rome (de la Cour pénale internationale), auquel la Colombie a souscrit, permet de poursuivre les supérieurs de groupes armés réguliers ou irréguliers, a rappelé la Vice-Ministre, avant de souligner que la responsabilité du supérieur hiérarchique est définie par la loi colombienne.

L'article 44 de la Constitution colombienne protège les enfants contre la négligence, la violence physique, l'enlèvement et l'exploitation, a poursuivi Mme Mejía Hernández. La police, l'institution nationale de médecine légale et le Médiateur du peuple collaborent dans un même mécanisme de recherche afin de garantir une réponse rapide à tous les cas d'enfants disparus, a-t-elle indiqué.

Le Gouvernement colombien s'efforce de faire respecter les droits des victimes, ainsi que les droits à la vérité et à la justice. Il existe un appareil d'État chargé d'enquêter sur les disparitions forcées, d’exhumer les dépouilles, d’accorder un soutien et des réparations aux victimes, et d’offrir des services de protection et de prévention. L’Unité de recherche créée dans le cadre de l’accord de paix dispose du budget suffisant pour mener son mandat, a en outre déclaré Mme Mejía Hernández.

S’agissant de la prévention de la disparition forcée, l’Institut national pénitentiaire a mis au point un système unifié d’enregistrement des personnes détenues, a ajouté la Vice-Ministre.

Des mesures interinstitutionnelles ont été aussi prises pour améliorer l'enregistrement des personnes disparues. Le Gouvernement a travaillé avec le système de vérité, justice et réconciliation pour établir le registre national des personnes disparues, qui contient des données remontant à 1988. Cette mesure contribue à l'identification de cadavres grâce au recoupement des données, a indiqué Mme Mejía Hernández.

Questions et observations des membres du Comité

M. JUAN JOSÉ LOPEZ ORTEGA, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de la Colombie, a prié la délégation de dire si la Colombie entendait reconnaître la compétence du Comité pour recevoir des communications (plaintes) émanant de particuliers ou d’États, conformément aux articles 31 et 32 de la Convention. En Colombie, la disparition forcée est une réalité non pas du passé mais bien présente, a souligné l’expert.

Le corapporteur a ensuite demandé quelles mesures avaient été prises par le pays pour appliquer la recommandation que lui avait faite le Comité en 2016 visant à ce que la disparition forcée soit érigée en infraction pénale, et pour tenir compte de la responsabilité particulière qu’encourent des représentants de l’État lorsqu’ils se rendent coupables de disparition forcée. En l’état, a fait remarquer M. Lopez Ortega, les dispositions actuellement en vigueur dans le pays pourraient diluer la responsabilité de l'État à cet égard. En outre, la responsabilité du supérieur hiérarchique devrait être clairement définie dans la loi, a ajouté l’expert.

La société civile a informé le Comité du cas d’une jeune fille disparue et violée par des soldats en juin 2020, a poursuivi M. Lopez Ortega, avant de faire observer que les auteurs ont été jugés pour des motifs disciplinaires et condamnés uniquement à la révocation et à la déchéance, sans peine de prison. La Convention oblige les États à appliquer des peines correspondant à la gravité du crime, a rappelé le corapporteur.

M. Lopez Ortega a demandé si le Code de procédure pénale avait été amendé pour que soit dûment respecté le droit des personnes privées de liberté de communiquer avec un avocat et toute personne de leur choix. En effet, selon les organisations de la société civile, ce droit n’est pas respecté dans la pratique, a fait remarquer M. Lopez Ortega.

Le corapporteur a par la suite jugé essentiel de connaître le nombre de victimes de disparition forcée qui ont droit à une réparation. Le rapport contient des informations divergentes à cet égard, a-t-il relevé.

MME CARMEN ROSA VILLA QUINTANA, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de la Colombie, a demandé si la Colombie avait adopté une politique générale de prévention de la disparition forcée – soulignant que les victimes de disparition sont souvent des militants des droits de l’homme.

La corapporteuse a constaté qu’il existait en Colombie d’autres sources d’information sur les disparitions forcées que le registre national des personnes disparues : aussi, a-t-elle demandé comment les autres bases de données sont croisées avec ledit registre. L’experte a ensuite voulu savoir combien de personnes auraient été soumises au crime de disparition forcée en Colombie au sens strict de l’article 2 de la Convention. Il faudrait disposer d’un tableau exhaustif et réel de l’ampleur de la disparition forcée en Colombie, a insisté Mme Villa Quintana.

La corapporteuse a ensuite constaté un certain flou dans les données concernant les enquêtes sur les disparitions forcées en Colombie. Elle a prié la délégation de fournir à ce sujet des renseignements ventilés par phase d’enquête, base légale, date de la disparition, date de l’ouverture de l’enquête et condamnation prononcée, entre autres critères.

De même, a fait observer Mme Villa Quintana, l’État et d’autres sources diffusent des données différentes concernant les poursuites engagées contre les auteurs d’exécutions extrajudiciaires. La question se pose de savoir lesquelles de ces exécutions sont associées à une disparition forcée et quelles sanctions ont été prises contre des officiers de l’armée impliqués dans ces faits, a souligné la corapporteuse.

La délégation colombienne a par ailleurs été priée de dire quelles mesures sont prises pour garantir que des militaires faisant l'objet d'une enquête pour disparition forcée ne puissent pas influencer les investigations et qu’ils soient dûment sanctionnés le cas échéant.

Mme Villa Quintana s’est en outre interrogée sur les résultats des enquêtes menées concernant les enlèvements de quelque 6200 mineurs par des groupes armés entre 1989 et 2016. Elle a également voulu savoir comment l’État entend lutter contre l’impunité qui entoure les cas de disparition forcée. L’experte s’est notamment dite préoccupée que des officiers et des fonctionnaires auteurs présumés de disparitions forcées aient bénéficié, malgré cela, de promotions.

La corapporteuse a voulu connaître le nombre total d’enfants toujours considérés comme étant victimes de disparition forcée en Colombie.

L’experte a prié la délégation de dire comment les institutions chargées de rechercher les personnes disparues, en particulier pendant le conflit armé, coordonnent leurs recherches. Mme Villa Quintana a demandé si ces institutions appliquaient les Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues publiés par le Comité en 2019 (sous la cote CED/C/7).

L’experte a voulu savoir combien de dépouilles avaient pu être identifiées après avoir été exhumées de fosses communes.

Mme Villa Quintana a rappelé que le Comité attendait des informations écrites de la part de la Colombie sur le nombre de disparitions forcées et d’enquêtes sur ces faits.

La corapporteuse a par ailleurs relevé que, selon des informations en possession du Comité, la coordination entre les mécanismes chargés de la recherche (des personnes disparues) semble insuffisante.

Mme Villa Quintana a en outre insisté sur l’importance d’appliquer une politique systématique de prévention de la disparition forcée et de réparation aux victimes.

D’autres experts membres du Comité ont posé des questions sur la synchronisation des différentes bases de données relatives aux personnes disparues et sur les mesures prises afin de prévenir le recrutement forcé d’enfants par des groupes armés non étatiques.

Réponses de la délégation

La délégation a tout d’abord fait valoir que la Colombie disposait de mécanismes nationaux pour respecter ses obligations internationales en matière de disparition forcée. Le cadre juridique colombien reprend les dispositions de la Convention s’agissant de la disparition forcée. La Colombie dispose en outre de différents mécanismes juridiques pour déterminer la responsabilité des auteurs et les sanctionner, de même que pour accorder une réparation intégrale aux victimes.

La Colombie est également partie à la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées et est membre de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, laquelle a compétence pour connaître de plaintes individuelles ayant trait à des disparitions forcées, a rappelé la délégation, soulignant que le pays est ainsi ouvert à la supervision internationale.

L’article 165 du Code pénal colombien érige déjà la disparition forcée en infraction pénale, a ensuite précisé la délégation. Il prévoit des sanctions contre des particuliers qui se rendraient coupables de ce crime, agissant de leur propre chef ou sur ordre, de même que contre des fonctionnaires qui se livreraient au même crime. L’article 165 reprend toutes les conditions de l’article 2 de la Convention. Il envisage aussi le cas de particuliers qui agiraient sous les ordres ou avec l’assentiment d’une tierce personne. La notion de soustraction d’une personne à la protection de la loi est également présente dans le Code pénal.

En outre, la disparition forcée est considérée comme crime autonome et comme crime contre l’humanité, conformément à ce que prévoit la Convention, a poursuivi la délégation. La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques est aussi prévue par le Code pénal, a-t-elle ajouté.

La Cour constitutionnelle a reconnu, en 2011, que les normes internes sont conformes aux normes internationales, voire qu’elles sont plus exigeantes, a par ailleurs fait valoir la délégation.

Évoquant le cas – mentionné par le corapporteur du Comité – de la jeune fille victime d’un viol l’an dernier, la délégation a précisé que les soldats responsables avaient été mis à pied et poursuivis pour viol aggravé sur mineure. Plusieurs procédures disciplinaires sont en cours, les autorités militaires n’étant saisies du dossier à aucun niveau que ce soit. Le procureur général [civil] a sanctionné en première instance les sous-officiers qui avaient laissé faire les soldats responsables.

La délégation a par la suite précisé qu’un procès était en cours, plusieurs accusés – exclus de l’armée et actuellement en détention – encourant des peines qui peuvent aller de sept à trente ans de prison. Le corapporteur du Comité est alors intervenu pour regretter que ces justiciables soient poursuivis uniquement pour leur agression sexuelle, alors même que la jeune victime avait aussi subi la disparition forcée.

La délégation a d’autre part indiqué que la Commission de recherche des personnes disparues accorde une grande attention aux proches de victimes. Cette Commission poursuit ses recherches en dépit de la situation actuelle de pandémie, a-t-elle souligné.

Quant au Défenseur du peuple, a indiqué la délégation, il gère un système d’alerte précoce pour mobiliser rapidement les services concernés et protéger les personnes menacées de disparition forcée. Ces dernières années, 27 alertes précoces ont été lancées. Le Défenseur a aussi conçu un modèle de prise en charge psychosociale des proches de personnes disparues. Dans ses enquêtes sur des disparitions de mineurs, le Défenseur collabore régulièrement avec différents acteurs et services, dont l’unité spéciale créée par la police à cet effet, avec de bons résultats, a précisé la délégation.

Deux grandes institutions ont été créées pour la recherche des personnes disparues, a indiqué la délégation: le GRUBE, créé en 2007 [voir paragraphe 10 du rapport], et l’Unité de recherche des personnes disparues, prévue lors des négociations de paix avec les FARC. L’Institut national de médecine légale appuie les efforts de ces deux institutions.

Les Principes directeurs du Comité concernant la recherche de personnes disparues sont pris en compte dans la stratégie gouvernementale de recherche des personnes disparues, a indiqué la délégation. Des mesures de protection s’appliquent aux personnes qui apportent des éléments aux recherches et enquêtes, a-t-elle ajouté.

Dans le cadre des enquêtes sur le recrutement forcé de mineurs par les FARC, il a été exigé que les anciens membres et commandants des FARC collaborent avec l’Unité de recherche des personnes disparues afin de mettre en place un plan de recherche. La Colombie poursuit son travail d’identification des victimes de disparition forcée pendant le conflit armé, a indiqué la délégation.

Concernant le processus de lutte contre les exécutions extrajudiciaires, 377 enquêtes concernant des officiers supérieurs sont ouvertes, a en outre fait savoir la délégation.

Quatre journées d’exhumation ont permis de retrouver, dans le cimetière de Las Mercedes (commune de Dabeida), 75 dépouilles de personnes pouvant avoir été victimes de disparition forcée, a-t-elle ensuite notamment indiqué.

Trente-trois fonctionnaires de différentes unités ont été poursuivis, a-t-il été précisé.

La médecine légale a joué un rôle important dans ce contexte, a ajouté la délégation.

Les promotions de généraux et d’autres fonctionnaires qui ont été mentionnées durant ce dialogue avec le Comité sont intervenues dans le cadre légal, a d’autre part expliqué la délégation. Le Congrès a lui-même été appelé à accepter ou à refuser ces promotions.

Le système d’information recense plus de dix mille mineurs victimes de disparition forcée, a indiqué la délégation, précisant que le sort de l’écrasante majorité d’entre eux est inconnu.

Après croisement des bases de données nationales, le Gouvernement recense 84 330 victimes de disparition forcée, a ensuite fait savoir la délégation. Ont été remis aux familles, après recherche, quelque 7732 corps de personnes disparues, a-t-elle indiqué. On compte 10 499 enfants victimes de disparition forcée, a précisé la délégation. Le problème demeure de l’identification de 4935 (dépouilles de) victimes de disparition forcée et on compte alors sur le prélèvement d’échantillons d’ADN pour identifier ces victimes.

Remarques de conclusion

MME MEJÍA HERNÁNDEZ a indiqué que son pays, ouvert au contrôle, disposait, sur son territoire, d’une forte présence d'institutions des Nations Unies, parmi lesquelles le Haut-Commissariat aux droits de l’homme. L'État colombien a pris bonne note des préoccupations et des points soulevés par les membres du Comité et réaffirme que – nonobstant les progrès évidents réalisés depuis le début de ce siècle – il continuera à progresser dans le renforcement des capacités nationales pour relever les défis qui persistent, a assuré Mme Mejía Hernández.

 

CED21.003F