Examen de la Lettonie au Comité des droits de l’homme : sont notamment évoqués la situation des non-ressortissants et les questions linguistiques, ainsi que la situation à la frontière avec le Bélarus et les décès en prison
Le Comité des droits de l’homme a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport soumis par la Lettonie au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation lettone venue soutenir ce rapport, ont notamment été salués l’engagement de la Lettonie à appliquer non seulement les droits protégés par le Pacte mais aussi les observations générales du Comité et ses constatations au titre du premier Protocole facultatif au Pacte ; les progrès « continus et substantiels » accomplis par l'État dans le renforcement de son cadre de lutte contre la corruption ; ou encore l'adoption en 2020 de la loi qui accorde automatiquement la citoyenneté lettone aux enfants de non-citoyens qui ne sont pas ressortissants d'un autre État.
Cependant, a fait observer un membre du Comité, cette dernière loi ne s'applique qu'aux enfants nés après le 1 er janvier 2020 : plus de 3000 enfants de moins de 18 ans n'étaient pas éligibles à la citoyenneté automatique lorsque la loi est entrée en vigueur, et 1580 enfants restent non citoyens en 2025, a-t-il relevé. Il a par ailleurs noté que le taux de naturalisation restait faible en Lettonie, représentant en 2024 seulement 0,4% de la population non citoyenne totale.
Une experte a relevé qu'environ 10% de la population lettone est composée de résidents non citoyens, principalement d'origine russe, et que ces personnes ne peuvent généralement pas participer aux élections, à l'exception des élections au Parlement européen. Aussi, a-t-elle voulu savoir si l’État letton pouvait envisager de donner aux résidents de longue date l'accès aux élections municipales, par exemple.
Cette même experte a en outre fait part de la crainte du Comité que la loi sur l'immigration, qui oblige les citoyens russes à passer un test de letton pour renouveler leur permis de séjour permanent, ne crée une grande insécurité pour les résidents de longue date et ne conduise finalement à des expulsions. Les objecteurs de conscience originaires de pays tels que la Fédération de Russie, l'Ukraine et le Bélarus, où le droit de refuser le service militaire n'est pas suffisamment protégé, constituent un groupe particulièrement préoccupant, a-t-elle souligné.
Le Comité comprend par ailleurs que les tensions ethniques se sont accrues depuis la guerre en Ukraine, de nombreux russophones indiquant que les Lettons ont des attitudes plus hostiles à leur égard, a poursuivi l’experte. De plus, a-t-il été ajouté, le Comité est informé que, pour des raisons de sécurité nationale, à compter du 1 er janvier 2026, tous les contenus des médias publics devront être en letton ou dans une langue de l'Union européenne. L’experte a prié la délégation de dire comment l’État justifiait l'interdiction de la langue russe dans les programmes publics comme une mesure nécessaire et proportionnée au regard des droits linguistiques des minorités consacrés à l'article 27 du Pacte. Elle s’est enquise des mesures prises pour promouvoir le respect mutuel entre les groupes linguistiques. Cette même experte a par ailleurs exprimé des préoccupations s’agissant de l’adoption de la loi imposant le letton comme langue exclusive d'enseignement et supprimant le russe comme deuxième langue dans les écoles et les établissements préscolaires.
Les Roms restent un groupe très vulnérable en raison du manque d'éducation, des mauvaises conditions de logement et du chômage, en particulier pour ce qui est des femmes roms, lesquelles sont victimes de multiples formes de discrimination, a par ailleurs fait remarquer cette même experte.
Plusieurs questions des experts ont porté sur l’état d'urgence décrété à la frontière avec le Bélarus d'août 2021 à août 2023 : un expert a demandé ce qui justifiait la prolongation du « régime frontalier renforcé » bien au-delà de l’urgence de l’été 2023 à cette frontière et a souligné que le Comité avait reçu des informations crédibles indiquant que des réfugiés ont été victimes de mauvais traitements graves, et que vingt personnes seraient mortes de part et d’autre de la frontière cet été-là. Le Comité est particulièrement préoccupé par la détention d'enfants qui demandent l'asile, ainsi que par les informations faisant état de soins inadéquats dans les centres de détention, a ajouté cet expert.
Un autre expert a relevé que 141 décès avaient été enregistrés dans les prisons lettones entre 2020 et 2024. Il a regretté que la Lettonie ne fournisse pas de données ventilées sur les causes ou circonstances de ces décès et ne précise pas si certains d'entre eux sont liés à la dynamique interne des prisons, notamment la politique d'autogestion des détenus.
Présentant le rapport de son pays, M. Hosams Abu Meri, Ministre de la santé de la République de Lettonie, a souligné que son pays, voisin de la Fédération de Russie, avait de plus en plus de raisons légitimes de craindre pour sa sécurité, son intégrité territoriale et son ordre démocratique. C’est pourquoi les autorités ont redoublé d’efforts pour défendre la démocratie, la sécurité nationale et appliquer les droits et libertés protégés par le Pacte, a-t-il indiqué.
M. Abu Meri a précisé que, conformément à la Constitution du pays, les obligations en matière de droit international des droits de l'homme qui lient la Lettonie font partie intégrante de son ordre juridique interne. Les tribunaux lettons ont fait référence aux observations générales et aux avis émis par le Comité dans de nombreuses affaires, a-t-il ajouté. Le Ministre a par ailleurs attiré l’attention sur les mesures prises pour renforcer le système judiciaire letton, citant notamment l’augmentation régulière des ressources financières allouées aux tribunaux.
Le Ministre a par ailleurs indiqué que la Lettonie faisait de l'égalité des sexes une priorité et qu’elle avait renforcé les protections juridiques contre la violence sexiste, tout en élargissant les services d'aide aux victimes et en organisant des campagnes de sensibilisation pour lutter contre les normes sociales qui perpétuent la violence.
La délégation lettone était également composée, entre autres, de M. Ivars Pundurs, Représentant permanent de la Lettonie auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de représentants des Ministères des affaires étrangères, de la justice, de la défense, de la santé, des affaires sociales, de l’éducation et des sciences, et de la culture. La police et les services du Procureur général étaient aussi représentés.
Durant le dialogue avec le Comité, la délégation a insisté sur le fait que la situation ukrainienne n’était pas abordée, en Lettonie, sous l’angle ethnique : il s’agit d’une question de principe, qui a aussi trait au passé de la Lettonie comme pays colonisé. Les personnes qui soutiennent l’agression russe en Ukraine peuvent être poursuivies non pas parce qu’elles parlent russe ou sont d’origine russe, mais parce qu’elles défendent cette agression, a-t-elle expliqué.
De plus, étant donné la campagne de russification du pays pendant la période d’occupation par l’URSS, et le fait que la langue russe reste très répandue, les autorités actuelles jugent nécessaire de renforcer le statut de la langue lettone en tant que langue de l’État letton, a souligné la délégation. Cela étant, a-t-elle ajouté, plusieurs mesures pratiques ont été prises pour assurer l’enseignement, à l’échelle locale, dans les langues maternelles des minorités.
La délégation a d’autre part expliqué qu’en 2023, la Lettonie avait été confrontée à un afflux massif de migrants orchestré par le Bélarus, qui cherchait ainsi à déstabiliser l’Union européenne et la Lettonie. Dans ce contexte, les gardes frontière lettons ont retenu quelque 4000 migrants originaires notamment du Moyen-Orient et d’Afrique, qui avaient été encouragés (à traverser la frontière) par les autorités de Minsk, a indiqué la délégation. C’est dans ce contexte que la Lettonie a décrété un état d’urgence qui ne concernait que la zone frontière avec le Bélarus et qui a cessé après la mi-août 2023, pour être remplacé par un régime frontalier renforcé qui a eu cours jusqu’en 2024, a-t-il été précisé. Une évaluation a montré que le droit des personnes concernées de demander une protection internationale en Lettonie avait été respecté, a affirmé la délégation. Les autorités n’ont pas connaissance du décès de vingt personnes à la frontière avec le Bélarus mentionné par un expert, a par ailleurs affirmé la délégation. Elle a par ailleurs insisté sur le fait que la levée du « régime frontalier renforcé » dépendrait de la coopération avec les autorités du Bélarus dans la gestion des passages et la sécurité de la frontière.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de la Lettonie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 17 juillet.
Cet après-midi à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Espagne.
Examen du rapport de la Lettonie
Le Comité est saisi du quatrième rapport de la Lettonie (CCPR/C/LVA/4), ainsi que des réponses du pays à une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.
Présentation
Présentant le rapport de son pays, M. HOSAMS ABU MERI, Ministre de la santé de la République de Lettonie, a d’abord souligné que son pays était voisin de la Fédération de Russie qui, depuis 2008, a envahi certaines parties de la Géorgie et ensuite lancé une agression militaire à grande échelle contre l'Ukraine. Le Ministre a fait remarquer que, en raison de ces événements, la Lettonie avait « de plus en plus de raisons légitimes de craindre pour sa sécurité, son intégrité territoriale et son ordre démocratique ». C’est pourquoi les autorités ont redoublé d’efforts pour défendre la démocratie, la sécurité nationale et appliquer les droits et libertés protégés par le Pacte, a souligné le Ministre.
M. Abu Meri a précisé que conformément à la Constitution du pays, les obligations en matière de droit international des droits de l'homme qui lient la Lettonie font partie intégrante de son ordre juridique interne. Les tribunaux nationaux lettons ont fait référence aux observations générales et aux avis émis par le Comité dans de nombreuses affaires, a-t-il ajouté. Le Ministre a par ailleurs attiré l’attention sur les mesures prises pour renforcer le système judiciaire letton, citant notamment l’augmentation régulière des ressources financières allouées aux tribunaux.
Le Ministre a ensuite relevé que le Médiateur letton avait toujours obtenu la note maximale, c’est-à-dire le statut A, s’agissant de son accréditation auprès de l’Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l’homme. En 2024, les autorités ont appliqué 194 recommandations émises par le Bureau du Médiateur, a-t-il ajouté. Le Médiateur fait aussi office de mécanisme national de prévention de la torture et, depuis 2024, dispose d'un nouveau département chargé de la prévention de la discrimination, a également indiqué le Ministre.
S’agissant de la naturalisation des non-citoyens, M. Abu Meri a d’abord tenu à souligner que les non-citoyens n’étaient pas des apatrides, car ils jouissent du droit de résider en Lettonie et d'un ensemble de droits et d'obligations qui vont au-delà de ceux prévus par la Convention de 1954 relative au statut des apatrides. Ces dernières années, la Lettonie a connu une baisse du nombre de non-citoyens résidant dans le pays : de 212 814 en 2020, le chiffre est tombé à 173 729 en 2025, a-t-il indiqué. Pour faciliter le processus de naturalisation, les autorités lettones organisent des journées d'information pour expliquer les procédures et les conditions requises ; elles ont aussi mis en place un outil pour aider les personnes à se préparer à l'examen de citoyenneté et à l'acquisition de la langue lettone. De plus, l'adoption de la loi sur la suppression du statut de non-citoyen pour les enfants a constitué une avancée importante dans la réduction du nombre de non-citoyens en Lettonie : depuis 2020, tous les enfants nés dans des familles de non-citoyens se voient en effet accorder la citoyenneté à la naissance, a fait valoir M. Abu Meri.
Le Ministre a ensuite indiqué que la Lettonie faisait de l'égalité des sexes une priorité. L'écart de rémunération horaire moyen entre les femmes et les hommes a été réduit de 2,5 points de pourcentage depuis 2023, a-t-il souligné. La Lettonie se distingue également par la proportion la plus élevée de femmes occupant des postes de direction dans le secteur public, soit 55%, contre une moyenne de 40,8% pour l'OCDE et l’Union européenne. Pour la période 2024-2027, la Lettonie aura pour priorités de renforcer l'égalité des droits et des chances sur le marché du travail et dans l'éducation, de réduire les stéréotypes sexistes et d’intégrer l'égalité des sexes dans la planification politique, a fait savoir le Ministre.
D’autre part, la Lettonie a renforcé les protections juridiques contre la violence sexiste, tout en élargissant les services d'aide aux victimes et en organisant des campagnes de sensibilisation pour lutter contre les normes sociales qui perpétuent la violence, a poursuivi M. Abu Meri. La Lettonie a ratifié en 2023 la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) et a élaboré son premier Plan national pour la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique 2024-2029. De plus, en 2024, des modifications apportées au droit pénal ont introduit une nouvelle infraction qui prévoit des peines plus sévères pour les actes de violence, les menaces de violence et les atteintes à l'intégrité sexuelle commis à l'encontre d'une personne avec laquelle l'auteur a un lien de parenté, d'un partenaire ou d’un conjoint.
M. Abu Meri a également mentionné l’adoption en 2024 de la loi sur le partenariat civil, qui accorde aux couples de même sexe et de sexe opposé des droits et protections auparavant réservés aux couples mariés. Le Ministre a en outre mentionné les modifications apportées au droit pénal en 2021 pour ajouter à la liste des circonstances aggravantes la motivation fondée sur la « haine sociale », qui couvre la haine fondée sur l'orientation sexuelle, ainsi que l’alourdissement depuis l’an dernier des sanctions pénales en cas d'incitation à la haine et à l'hostilité sociales si celles-ci sont liées à des violences ou à des menaces de violence, ou si elles sont commises au sein d'un groupe organisé.
Questions et observations des membres du Comité
Le Comité avait chargé un groupe de travail composé de quatre de ses membres de procéder à l’examen du rapport de la Lettonie :
M. Laurence R. Helfer, Mme Yvonne Donders, M. Ivan Šimonović et M. Bacre Waly Ndiaye.
Rapporteur de ce groupe de travail, M. HELFER a salué l’engagement de la Lettonie à appliquer non seulement les droits protégés par le Pacte, mais aussi les observations générales du Comité et ses constatations au titre du premier Protocole facultatif au Pacte (instituant la procédure de plainte individuelle devant le Comité). L’expert a demandé si les avis (constatations) du Comité avaient force de loi en Lettonie et ce qui était fait pour informer le public, y compris les personnes qui ne lisent ni le letton ni l'anglais, de leurs droits au titre du Pacte et de la possibilité de soumettre des plaintes au Comité.
M. Helfer a par ailleurs demandé quelles avaient été les activités du Département de la prévention de la discrimination, qui a été ajouté au Bureau du Médiateur en 2024. Il a voulu savoir, en outre, quelles recommandations du Médiateur n’avaient pas été acceptées par le Gouvernement.
L’expert a ensuite salué les progrès continus et substantiels accomplis par l'État dans le renforcement de son cadre de lutte contre la corruption, notamment grâce au Plan d'action pour la prévention et la lutte contre la corruption et à d'autres initiatives. Toutefois, a-t-il relevé, certaines évaluations récentes révèlent que l’application de ces mesures est inégale. En particulier, plusieurs indicateurs de performance suivis par le Bureau de la prévention et de la répression de la corruption (ou KNAB) n'ont pas été atteints en 2024. L’expert a demandé des explications au sujet des poursuites engagées contre des hauts fonctionnaires et des membres du pouvoir judiciaire ; ce qui était fait pour assurer l’indépendance financière du KNAB ; et quelles garanties étaient en place pour que les organismes de lutte contre la corruption n'abusent pas de leurs pouvoirs d'enquête pour restreindre la liberté de la presse et l'indépendance des médias.
M. Helfer a par ailleurs demandé ce qui justifiait la prolongation du « régime frontalier renforcé » bien au-delà de l’urgence de l’été 2023 à la frontière avec le Bélarus. Le Comité, a indiqué l’expert, a reçu des informations crédibles indiquant que des réfugiés ont été victimes de mauvais traitements graves, et que vingt personnes seraient mortes de part et d’autre de la frontière cet été-là. Le Comité est particulièrement préoccupé par la détention d'enfants qui demandent l'asile, ainsi que par les informations faisant état de soins inadéquats dans les centres de détention, a ajouté M. Helfer.
M. Helfer a salué l'adoption en 2020 de la loi qui accorde automatiquement la citoyenneté lettone aux enfants de non-citoyens qui ne sont pas ressortissants d'un autre État. Cependant, la loi ne s'applique qu'aux enfants nés après le 1 er janvier 2020 : plus de 3000 enfants de moins de 18 ans n'étaient pas éligibles à la citoyenneté automatique lorsque la loi est entrée en vigueur, et 1580 enfants restent non citoyens en 2025, a relevé l’expert. Il a par ailleurs noté que le taux de naturalisation restait faible en Lettonie, représentant en 2024 seulement 0,4% de la population non citoyenne totale (qui est d’environ 170 000 personnes).
MME DONDERS a pour sa part félicité l'État d'avoir créé une unité spéciale chargée d'enquêter sur les crimes motivés par la haine et d'avoir modifié le droit pénal afin d'y inclure l'hostilité sociale et « toute autre caractéristique » de manière à couvrir l'orientation sexuelle et l'identité de genre. Elle a voulu savoir quelles autres mesures concrètes l'État avait prises pour sensibiliser la population aux crimes et aux discours motivés par la haine, en particulier à l'encontre des personnes LGBT. L’experte a en outre demandé si les forces de l'ordre étaient formées pour faciliter le signalement des incidents de violence à l’égard des LGBT.
Mme Donders a ensuite relevé que la loi sur l'immigration qui oblige les citoyens russes à passer un test de letton pour renouveler leur permis de séjour permanent avait été approuvée par la Cour constitutionnelle, qui a estimé que le renforcement de la sécurité nationale était un objectif légitime et a conclu que des garanties suffisantes étaient en place, telles que le temps de préparation et la possibilité de passer le test plusieurs fois. Cependant, le Comité craint que cette loi ne crée une grande insécurité pour les résidents de longue date et ne conduise finalement à des expulsions. Les objecteurs de conscience originaires de pays tels que la Fédération de Russie, l'Ukraine et le Bélarus, où le droit de refuser le service militaire n'est pas suffisamment protégé, constituent un groupe particulièrement préoccupant, a-t-elle estimé.
Le Comité comprend par ailleurs que les tensions ethniques se sont accrues depuis la guerre en Ukraine, de nombreux russophones indiquant que les Lettons ont des attitudes plus hostiles à leur égard, a poursuivi l’experte. De plus, le Comité est informé que, pour des raisons de sécurité nationale, à compter du 1 er janvier 2026, tous les contenus des médias publics devront être en letton ou dans une langue de l'Union européenne. L’experte a prié la délégation de dire comment l’État justifiait l'interdiction de la langue russe dans les programmes publics comme une mesure nécessaire et proportionnée au regard des droits linguistiques des minorités consacrés à l'article 27 du Pacte. Elle s’est enquise des mesures prises pour promouvoir le respect mutuel entre les groupes linguistiques.
Les Roms restent un groupe très vulnérable en raison du manque d'éducation, des mauvaises conditions de logement et du chômage, en particulier pour ce qui est des femmes roms, lesquelles sont victimes de multiples formes de discrimination, a par ailleurs fait remarquer Mme Donders. Il existe des pratiques prometteuses, telles que les médiateurs roms, mais ceux-ci ne bénéficient pas d'un soutien suffisant et leur statut professionnel est précaire, a-t-elle regretté.
D’autre part, a indiqué Mme Donders, le Comité a reçu plusieurs informations indiquant qu'un état d'urgence a été décrété à la frontière avec le Bélarus d'août 2021 à août 2023, dans le cadre duquel un régime spécial a été mis en place pour empêcher le franchissement de la frontière et bloquer l'accès au territoire. Aussi, l’experte a-t-elle demandé si la délégation pouvait confirmer que la Lettonie n'a pas dérogé à ses obligations au titre du Pacte pendant cette période.
Mme Donders a relevé qu'environ 10% de la population lettone est composée de résidents non citoyens, principalement d'origine russe, et que ces personnes ne peuvent généralement pas participer aux élections, à l'exception des élections au Parlement européen. L’experte a demandé si l’État pouvait envisager de donner aux résidents de longue date l'accès aux élections municipales, par exemple. Enfin, Mme Donders a exprimé des préoccupations s’agissant de l’adoption de la loi imposant le letton comme langue exclusive d'enseignement et supprimant le russe comme deuxième langue dans les écoles et les établissements préscolaires.
M. ŠIMONOVIĆ a voulu savoir pourquoi certaines cibles du Plan letton pour la promotion de l'égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes 2021-2023 avaient été transférées au nouveau Plan 2024-2027. Il a demandé à la délégation de dire quelles mesures avaient été les plus utiles pour combler, même partiellement, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes.
S’agissant de l’application de la Convention d’Istanbul, l’expert a demandé si la Lettonie tenait la statistique des féminicides et des violences sexistes commis dans le pays et s’est enquis des mesures prises pour prévenir la violence en ligne à l'égard des femmes, y compris les femmes journalistes et les femmes occupant des fonctions politiques ou d'autres postes de direction.
Plusieurs questions de M. Šimonović ont ensuite porté sur la politique menée par la Lettonie en matière de lutte contre la traite des êtres humains et sur l’effet du conflit en Ukraine sur ce problème.
La procédure pénale concernant les blessures graves infligées au journaliste et éditeur Leonids Jākobsons a été classée sans suite le 19 février 2025, les autorités n'ayant pas été en mesure d'identifier les auteurs, a d’autre part relevé M. Šimonović, avant de demander comment l’État letton entendait éviter que des incidents similaires ne se reproduisent et, surtout, que les auteurs ne restent impunis.
Le « concept de sécurité nationale » de 2023, qui exige que tous les contenus créés par les médias publics soient en letton ou dans une langue appartenant à « l'espace culturel européen », interdit de fait la production de contenus télévisés et radiophoniques publics en russe, a par ailleurs fait remarquer l’expert.
M. NDIAYE a quant à lui relevé que 141 décès ont été enregistrés dans les prisons lettones entre 2020 et 2024. La Lettonie, a-t-il regretté, ne fournit pas de données ventilées sur les causes ou circonstances de ces décès, ne précise pas si certains d'entre eux sont liés à la dynamique interne des prisons, notamment la politique d'autogestion des détenus, et ne dit rien non plus des mauvais traitements infligés aux détenus vulnérables par des détenus dominants ou des chefs informels. Les hiérarchies informelles entre détenus ne doivent pas compromettre le contrôle officiel ou les droits des détenus les plus vulnérables, a insisté l’expert.
M. Ndiaye a par ailleurs demandé si la définition de la torture figurant à l'article 130 du Code pénal était conforme aux exigences du Pacte et de la Convention contre la torture, notamment en ce qui concerne les actes commis avec le consentement implicite d'agents de la fonction publique et entraînant des souffrances mentales sévères.
L’expert a par ailleurs voulu savoir quelles garanties existaient pour que le placement volontaire dans des établissements psychiatriques soit véritablement volontaire et ne résulte pas de la contrainte, de l'absence d'alternatives ou d'informations insuffisantes.
M. Ndiaye a ensuite regretté que la Lettonie ne tienne pas de statistique sur la fréquence et la durée de la détention avant procès, et que l’on ne dispose d’aucune information sur la manière dont les détenus sont informés de leurs droits ni sur l'utilisation d'enregistrements audiovisuels des interrogatoires de police. L’expert a voulu savoir si les justiciables avaient accès à des conseils juridiques de qualité dès les premières heures de la détention.
M. Ndiaye s’est en outre interrogé sur l’existence de mécanismes pour éviter toute ingérence politique dans la nomination des juges de la Cour suprême, ainsi que pour combattre la corruption au sein du système de justice.
Réponses de la délégation
La délégation a indiqué que, pour la Cour constitutionnelle lettone, les avis, observations générales et opinions du Comité n’ont pas force contraignante mais doivent être pris en compte et respectés de bonne foi par les tribunaux nationaux. Quelque 300 jugements ont fait référence aux avis du Comité de 2014 à 2024, a-t-il été précisé. Par ailleurs, a-t-il été ajouté, le site web du Gouvernement donne des explications relatives à la possibilité de déposer une plainte individuelle devant un organe conventionnel, en particulier le Comité des droits de l’homme.
Il a été proposé de modifier la loi pour que la nomination du Médiateur et des membres du Bureau [du Médiateur] se fasse par le Président de la République et dix membres du Parlement, a poursuivi la délégation. cette institution du Médiateur est complètement indépendante de l’influence des partis politiques, a insisté la délégation.
Le Bureau du Médiateur s’est doté d’un service de cinq personnes chargées des affaires de discrimination, a d’autre part précisé la délégation. Le Médiateur a déjà mené des inspections dans des lieux de détention en sa qualité de mécanisme national de prévention de la torture, a-t-elle ajouté.
Le Bureau de la prévention et de la répression de la corruption (KNAB), qui est chargé d’évaluer le degré d’application du Plan national de prévention de la corruption, a constaté que certains objectifs n’ont pu être atteints en raison d’un manque de moyens financiers, a poursuivi la délégation. Cela étant, le délit de corruption est poursuivi de manière efficace ; au moins dix affaires étaient ouvertes en 2024 et deux ont été finalisées depuis, a fait valoir la délégation, avant de signaler qu’une annexe au rapport contient les statistiques relatives aux procédures en cours.
Le Bureau de la sécurité intérieure est compétent pour prendre des mesures de détection de la corruption parmi les agents de l’État (administration, police et prisons) et de mener des enquêtes indépendantes à ce sujet. Les enquêtes sont supervisées par la justice, le Ministère de l’intérieur, dont dépend le Bureau, ne pouvant intervenir dans leur déroulement, a indiqué la délégation.
La loi sur la transparence, qui régit les activités des groupes d’intérêts, ou lobbies, entrera en vigueur en 2028 ; d’ici là, une liste des groupes d’intérêts et de leurs activités sera alors rendue publique, a par ailleurs fait savoir la délégation.
La délégation a ensuite indiqué que les autorités avaient organisé des formations aux droits des victimes de discours de haine, y compris quant à la façon de mener des enquêtes sur ces faits de manière conforme aux normes européennes. Le Ministère de la culture gère plusieurs plates-formes (tels que podcasts) de sensibilisation à la prévention des discours de haine et des crimes motivés par la haine, y compris ceux visant les personnes LGBTI. Tout est fait pour bien informer le grand public sur ces problèmes, a insisté la délégation. S’il y a peu d’affaires pénales par année – une dizaine –, cette question préoccupe néanmoins beaucoup les autorités, qui mènent des activités transversales de prévention et de prise en charge des victimes de violence.
Les membres des forces armées suivent une formation aux droits de l’homme, a-t-il été souligné en réponse à une autre question.
Les autorités ont conscience de la diversité de la société lettone, a poursuivi la délégation. La question des droits des minorités figure dans toutes les lois ainsi que dans les actes du Gouvernement, qui s’efforce de célébrer la diversité de toutes les minorités, a-t-elle insisté. Des organisations non gouvernementales, y compris des organisations de Roms, encouragent la participation citoyenne, renforcent la cohésion et comblent les disparités régionales, avec l’aide financière de l’État, a ajouté la délégation.
Les autorités appliquent une stratégie nationale d’intégration des Roms axée en particulier sur l’éducation et le logement, a d’autre part fait savoir la délégation. Elles travaillent à une meilleure communication entre cette communauté et les institutions de l’État, avec l’aide de médiateurs roms, y compris dans le domaine de l’éducation, a-t-elle précisé.
Les autorités accordent aussi une grande importance à la lutte contre désinformation, a poursuivi la délégation. Un élément important à cet égard est une compréhension partagée de l’histoire, en particulier s’agissant de l’indépendance du pays et des difficultés pendant l’époque soviétique, a-t-elle précisé. La prévention des discours de haine contre les journalistes, qui peuvent faire connaître la vérité, est une autre priorité des autorités et de la police, a souligné la délégation.
La délégation a par la suite insisté sur l’engagement pris par le Gouvernement de préserver la sécurité des journalistes. Les autorités forment les policiers et les juges à l’importance de tenir compte de la particularité du statut de journaliste, a-t-elle souligné. Une étude approfondie a été menée sur les aspects saillants de la protection de l’activités des journalistes, en particulier s’agissant des procès-bâillons. Une nouvelle loi sur la liberté des médias est en préparation, a précisé la délégation.
L’enquête au sujet du meurtre de Leonids Jākobsons a été menée dans les règles, mais il n’a pas été possible de retrouver le coupable, a par ailleurs déclaré la délégation, avant d’ajouter que l’enquête reprendra si des éléments nouveaux sont portés à la connaissance des autorités.
Il est possible de retirer la licence d’exploitation d’un média dont les activités présentent un risque pour la société ou pour la sécurité de l’État, l’accès à la justice étant garanti dans un tel cas, a dit la délégation. Ainsi, le retrait, mentionné par un expert du Comité, de la licence de diffusion de TV Rain le 6 décembre 2022, a-t-il été contesté devant le tribunal administratif régional, lequel a estimé que l’appel lancé sur cette chaîne à une intervention de l’armée russe était un motif suffisant d’interdiction.
La délégation a par ailleurs précisé que la loi imposait un doublage en langue lettone des chaînes de radio et télévision qui diffusent en anglais et en russe. La loi ne supprime aucune langue, a insisté la délégation. Quelque 82 programmes de radio et télévision sont actuellement diffusés en langue russe, et un quart de la presse la plus lue est en russe, a-t-elle indiqué.
La délégation a par ailleurs estimé que la politique d’intégration des personnes d’origine étrangère en Lettonie était efficace.
Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, la Lettonie accueille de nombreux réfugiés ukrainiens qui bénéficient d’aides pour s’intégrer dans la société lettone, a rappelé la délégation. Les personnes qui soutiennent l’agression russe en Ukraine peuvent être poursuivies non pas parce qu’elles parlent russe ou sont d’origine russe, mais parce qu’elles défendent cette agression, a-t-elle expliqué. La situation ukrainienne n’est pas abordée sous l’angle ethnique : il s’agit d’une question de principe, qui a aussi trait au passé de la Lettonie comme pays colonisé, a insisté la délégation.
La délégation a d’autre part expliqué qu’en 2023, la Lettonie avait été confrontée à un afflux massif de migrants orchestré par le Bélarus, qui cherchait ainsi à déstabiliser l’Union européenne et la Lettonie. Dans ce contexte, les gardes frontière lettons ont retenu quelque 4000 migrants originaires notamment du Moyen-Orient et d’Afrique, qui avaient été encouragés (à traverser la frontière) par les autorités de Minsk, a indiqué la délégation. C’est dans ce contexte que la Lettonie a décrété un état d’urgence qui ne concernait que la zone frontière avec le Bélarus et qui a cessé après la mi-août 2023, pour être remplacé par un régime frontalier renforcé qui a eu cours jusqu’en 2024, a-t-il été précisé. Une évaluation a montré que le droit des personnes concernées de demander une protection internationale en Lettonie avait été respecté, a affirmé la délégation.
Revenant par la suite sur la situation à la frontière avec le Bélarus, la délégation a précisé que les gardes frontière avaient reçu des formations spécialisées sur l’identification des personnes vulnérables et la manière de répondre à leurs besoins, sur la détection des victimes de traite et sur le respect du principe de non-refoulement. Les autorités n’ont pas connaissance du décès de vingt personnes à la frontière avec le Bélarus mentionné par un expert, a par ailleurs affirmé la délégation.
Les requérants d’asile peuvent se prévaloir de l’aide juridique gratuite en Lettonie, a ensuite fait valoir la délégation. Les migrants mineurs de moins de 14 ans ne sont jamais détenus, mais placés dans un établissement spécialisé, a-t-elle précisé.
La délégation a par la suite insisté sur le fait que la levée du « régime frontalier renforcé » dépendrait de la coopération avec les autorités du Bélarus dans la gestion des passages et la sécurité de la frontière. Cette coopération avec le Bélarus était encore bonne il y a trois ou quatre ans, a dit la délégation. En 2024, a-t-elle précisé, on a compté 186 cas de migration irrégulière par cette frontière, un phénomène facilité par des groupes criminels.
En 2022, le Parlement letton a modifié la loi pour soumettre les ressortissants russes qui demandent un permis de résidence en Lettonie à l’obligation de parler le letton et de prouver une résidence d’au moins cinq ans dans ce pays. Quelque 16 000 de ces ressortissants, sur plus de 25 000 demandes, ont reçu depuis lors ce permis de résidence, et d’autres ont bénéficié de permis de séjour temporaire. Des décisions de retour involontaire ou d’expulsion hors de l’espace Schengen ont été prononcées. Chaque dossier est traité au cas par cas et les autorités s’efforcent toujours de trouver des solutions, a dit la délégation.
Les non-ressortissants – qui ne sont pas uniquement russophones, a souligné la délégation – n’ont pas le droit de vote en Lettonie mais sont libres de déposer une demande de naturalisation, a-t-elle insisté à plusieurs reprises. La délégation a regretté que certains non-ressortissants vivant en Lettonie depuis plusieurs décennies refusent de suivre la procédure de naturalisation qui est, a-t-elle assuré, rapide et simple. La citoyenneté lettone est étroitement liée à l’acquisition de la langue lettone, a souligné la délégation.
Étant donné la campagne de russification à grande échelle menée dans le du pays pendant la période d’occupation par l’URSS, et le fait que la langue russe reste très répandue, les autorités actuelles jugent nécessaire de renforcer le statut de la langue lettone en tant que langue de l’État letton, a expliqué la délégation. Cela étant, a-t-elle ajouté, plusieurs mesures pratiques ont été prises pour assurer l’enseignement, à l’échelle locale, dans les langues maternelles des minorités.
La ratification de la Convention d’Istanbul a été précédée de larges consultations qui ont facilité la mise au point du plan d’application de cet instrument, a d’autre part fait savoir la délégation. La ratification a été retardée par l’opposition de certains partis politiques et mouvements religieux effrayés par « l’idéologie du genre », a-t-elle expliqué.
La délégation a par la suite fait état de modifications apportées au Code pénal afin de sanctionner, par des peines de prison, les violences commises au sein de la famille ou sur des proches ou partenaires. Ces violences étant poursuivies d’office, il n’est pas nécessaire que les victimes portent plainte, a-t-elle précisé. Les autorités misent sur la détection en amont des auteurs potentiels de féminicide, afin de prévenir ce crime, a par ailleurs indiqué la délégation.
En 2024, le Ministère de l’intérieur a pris des mesures pour contrer la hiérarchie officieuse dans les prisons, notamment au travers d’une meilleure formation des gardiens, de la construction d’une nouvelle prison moderne de 1200 places – pour remédier au problème de l’infrastructure pénitentiaire obsolète, faite de grands dortoirs – et de l’introduction d’un nouveau concept de sécurité. Les mesures ont bénéficié des conseils du Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe, a indiqué la délégation.
La délégation a par ailleurs indiqué que les autorités sensibilisaient le personnel pénitentiaire aux risques de suicide parmi les détenus aux moments critiques de leur parcours [de détenu]. Entre 2020 et 2024, le nombre de décès en prison est passé de 35 à 29 ; quatre décès en 2024 ont donné lieu à une enquête pénale, a précisé la délégation.
S’agissant des garanties procédurales, il a été précisé que l’avocat d’une personne détenue ne rencontrait aucun obstacle pour consulter son client. L’aide juridictionnelle est assurée par des avocats dont la qualité du travail est contrôlée par le barreau, a par ailleurs souligné la délégation.
La délégation a aussi fourni des explications concernant la durée moyenne des procédures judiciaires en Lettonie, précisant qu’elle se situait dans la moyenne européenne et que des mesures étaient prises pour accélérer les procès en première instance.
La délégation a en outre indiqué que tous les interrogatoires de mineurs par la police étaient enregistrés, mais que tel n’était pas le cas pour tous les [interrogatoires d’] adultes. Quant aux policiers, ils portent tous une caméra sur eux, a ajouté la délégation.
La Lettonie est un pays d’origine pour la traite des êtres humains ; elle est aussi confrontée au problème de l’exploitation de personnes à des fins de travail, de mendicité et de prostitution, a indiqué la délégation. Depuis le début de la crise des réfugiés ukrainiens, a-t-elle ajouté, la police a reçu pour mission de renforcer la surveillance contre le risque de traite et on n’a enregistré qu’une poignée de cas d’exploitation de femmes ou de mineurs ukrainiens en Lettonie.
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