Aller au contenu principal

APPRENDRE AUX TRAVAILLEURS À S’ADAPTER À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE TOUT EN SE PENCHANT SUR LA NOTION DE TRAVAIL DÉCENT DANS CE CONTEXTE

Communiqué de presse
Le Forum sur la gouvernance d’Internet débat de l’impact de la transformation numérique dans le domaine socioéconomique

Le Forum sur la gouvernance d’Internet a tenu, ce matin, un débat axé sur la façon de maîtriser l’impact de la transformation numérique dans le domaine socioéconomique et dans le monde du travail.

La première partie de la séance a traité de la manière dont la numérisation affecte la production, le commerce et le développement.

Concernant les spécificités du nouvel écosystème numérique, M. Torbjörn Fredriksson, de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), a notamment attiré l’attention sur le fossé qui existe entre les pays développés et ceux en développement s’agissant de l’accès au commerce numérique. Mme Farzaneh Badiei, du Georgia Institute of Technology, a souligné que nombre de pays en développement sont des fournisseurs de l’économie numérique; ils ont aujourd’hui besoin de meilleures infrastructures numériques et de moins de règlements. Ces pays souffrent par ailleurs des normes archaïques du commerce international, a-t-elle ajouté.

Mme Ankhi Das, de Facebook, a fait observer que certaines économies nationales dépendaient grandement des petites et moyennes entreprises (PME) et que le commerce électronique avait permis à de nombreuses start-up de se développer, notamment en Asie du Sud-Est, avec un impact très important pour les économies de ces pays. Elle a par ailleurs expliqué que les femmes, dans la région, sont de plus en plus victimes de violences et que ces nouvelles technologies leur permettent de développer leurs affaires depuis chez elle.

M. Oscar Gonzalez, représentant du Gouvernement de l’Argentine, a attiré l’attention sur un certain nombre de retombées positives de l’économie numérique. L’apparition des « big data » a notamment amélioré les capacités de production des entreprises, a-t-il souligné. Grâce à Internet, les consommateurs disposent d’une offre bien plus diverse qu’auparavant, a-t-il également fait observer. Le défi est de faire en sorte que l’économie numérique ne réplique pas les disparités de l’économie traditionnelle, a-t-il ajouté.

M. Walid Al-Saqaf, de l’Université de Södertörn en Suède, a souligné l’importance qu’ont prise les données, qu’il a qualifiées de « nouvel or noir », et a fait observer que des recherches sont menées pour étudier la manière dont les personnes qui récoltent les données peuvent améliorer la vie des personnes.

Au cours du débat autour de ces questions, il a été relevé qu’assurer un accès abordable à Internet ne suffisait pas: le monde entier doit également aider les pays en voie de développement à maîtriser l’évolution des technologies, par exemple. D’autre part, le commerce électronique ne dispense pas les entreprises de produire des biens et services de qualité, a-t-il été souligné.

La difficulté ne réside pas seulement dans l’accès aux données: il faut aussi être en mesure de les analyser et d’en tirer parti, a ajouté M. Fredriksson. Il a rejeté la comparaison des données (qualifiées par certains de « nouvel or noir ») avec le pétrole, estimant que plus le marché est inondé de données, plus ces dernières acquièrent de la valeur, contrairement à ce qui se passe avec le pétrole. Mme Badiei a fait remarquer que, paradoxalement, les accords de commerce transfrontaliers pouvaient, grâce à l’application de clauses de sauvegarde, favoriser la protection des données personnelles. Elle a aussi relevé une tendance des États à vouloir empêcher les données de leurs citoyens de franchir les frontières.

S’agissant des contributions des différents types de e-commerce, M. Fredriksson a donné des précisions sur l’importance relative des “e-marchés”, relevant que le e-commerce est toujours fortement concentré dans les pays développés et qu’il se déroule surtout à l’intérieur même des pays; Mme Das a confirmé que la croissance intervient surtout dans les marchés nationaux. Cette stagnation du e-commerce est certainement due aux obstacles douaniers, a pour sa part relevé Mme Badiei, qui a rappelé que ce n’est que depuis 2016 que l’Organisation mondiale du commerce s’efforce d’abattre ces barrières au e-commerce international.

Toutes ces constatations ont poussé M. Gonzalez à recommander de remédier aux problèmes suscités par la confidentialité des données au niveau international. À ce propos, M. Al Saqaf a évoqué les risques que pose la concentration des données dans les mains d’un petit nombre d’entreprises, au détriment notamment des petites et moyennes entreprises, incapables d’y accéder et d’en tirer parti pour améliorer leur chiffre d’affaires. La création de monopoles est en effet l’un des risques du commerce électronique, a-t-il été souligné.

S’agissant des nouvelles technologies, M. Al Saqaf a relevé qu’elles pourraient être mises au service de la distribution plus efficace et plus sûre des aides en espèces et en nature au profit des pays en voie de développement. La blockchain, qui garantit l’intégrité des transactions, est appelée à jouer un très grand rôle dans ce domaine, ce qui pourrait avoir un effet positif contre la corruption, a-t-il été souligné. L’élimination de la petite corruption, celle qui affecte les citoyens au quotidien, est très importante pour le bon fonctionnement des services de l’État, a confirmé une intervenante. Quant à l’intelligence artificielle, il faut encore déterminer dans quels secteurs elle sera le plus utile et le plus rentable, le domaine de la santé venant naturellement à l’esprit.

M. Gonzalez a estimé qu’un consensus existait quant au caractère positif de la contribution des technologies dans le domaine de la production. Il a recommandé que des politiques publiques viennent supprimer les obstacles à l’utilisation positive des nouveaux outils de l’économie numérique, et que les citoyens soient formés à les utiliser. Mme Ana Cristina Amoroso das Neves, représentante du Gouvernement du Portugal, a remis en question les discours alarmistes sur la suppression des emplois à cause des nouvelles technologies. Elle a relevé qu’un grand effort d’éducation et de formation s’imposait.

S’agissant du rôle des organisations internationales et de la communauté internationale dans le développement du commerce numérique, M. Fredriksson a indiqué que la CNUCED avait pour sa part lancé une initiative de commerce pour tous, associant partenaires privés et publics. Cette initiative a permis de rassembler au sein d’une seule plate-forme l’ensemble de l’assistance prodiguée par des différents acteurs dans le domaine du commerce numérique.

Une intervenante a insisté sur la nécessité pour la communauté internationale et les organisations internationales de redoubler d’efforts en faveur de l’harmonisation des législations dans le domaine du commerce numérique. Mme Badiei a souligné qu’il fallait aussi renforcer la coopération avec les organisations de la société civile dans ce domaine.

La deuxième partie du débat portait sur les conséquences de l’«économie du partage» et de l’automatisation sur l’emploi et les droits des travailleurs, compte tenu des différents contextes d’évolution démographique. Mme Paola Pérez, Vice-Présidente d’Internet Society Venezuela et Présidente du Forum sur les politiques publiques du Latin America and Caribbean Network Information Centre, ainsi que Mme Nathalia Foditsch, chercheuse au Cornell College of Business de Washington, en étaient les modératrices.

M. Samuel Ndicho Bambo, du Ministère des relations extérieures du Cameroun, a espéré que le débat permettrait de trouver des solutions pour mieux intégrer l’Afrique dans l’économie numérique.

S’agissant des répercussions des nouvelles technologies sur le marché du travail, M. Hossam El Gamal, représentant du Gouvernement de l’Égypte, a attiré l’attention sur l’urgente nécessité de faire passer les administrations publiques “aux technologies 4.0”. Mme Valentina Scialpi, de la Commission européenne, a estimé que la peur qui entoure l’adoption et l’évolution rapide des nouvelles technologies pouvait être surmontée. M. Edmon Chung, dirigeant de DotAsia, a recommandé de mettre l’accent sur la formation des jeunes aux emplois de l’avenir, une telle formation étant garante de leur mobilité future. « Apprendre à apprendre », « dans un environnement de co-apprentissage homme-machine »: tel devrait être le fondement de l’éducation, a-t-il affirmé.

M. Philipp Jennings, Secrétaire général d’UNI Global Union, représentant 900 syndicats dans 150 pays, a souligné l’importance, en cette ère de transformation et de rupture, de défendre le travail, la justice et la cohésion sociale. Le travail doit être disponible à chacun, pour le bien des personnes mais aussi pour le bien des sociétés, a-t-il souligné. Les profondes inégalités actuelles risquent de s’aggraver encore sous l’effet des violences politiques, économiques et sociales qui s’exercent contre les travailleurs les plus précaires, a-t-il ajouté.

La prise en compte du facteur humain est d’autant plus importante que le recours aux systèmes autonomes intelligents s’intensifie, a fait observer Mme Karen McCabe, de l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE); leur application devra cependant être encadrée pour éviter les déséquilibres trop flagrants, a-t-elle mis en garde. Les systèmes autonomes auront cependant des retombées remarquables dans le domaine du développement, a-t-elle ajouté.

L’expérience des précédentes révolutions industrielles montre que les populations savent s’adapter aux bouleversements dans l’organisation du travail, a pour sa part relevé Mme das Neves. Mais l’histoire montre aussi que le coût humain des révolutions industrielles est généralement élevé, a ajouté M. Jennings, avant d’insister sur la nécessité de garantir que les conditions de la transition soient justes. Actuellement, on ne peut pas laisser aux six entreprises hyper-capitalistes qui sont à la tête de la révolution dans le monde du travail le soin de gérer les relations sociales, a-t-il déclaré.

Certes, la révolution industrielle a montré qu’il fallait veiller au bien-être des travailleurs, a reconnu M. Chung; cependant, a-t-il fait observer, le bouleversement actuel s’inscrit dans un environnement de réseau qui modifie le rapport des hommes aux machines et au capital, et les oblige à se positionner par rapport aux algorithmes et aux réseaux. Il s’agira donc aussi d’apprendre à travailler avec les machines, a insisté l’expert. Mme Scialpi a souligné que l’environnement actuel nécessitait des compétences techniques plus pointues que par le passé.

Concernant l’avenir de la force du travail dans le monde numérique, Mme das Neves a expliqué qu’il fallait être conscient de l’importance de la transformation numérique et de son impact, notamment en matière d’intelligence artificielle, sur le marché du travail. Dans 50 ans le monde sera totalement différent et il faut s’y préparer, a-t-elle déclaré.

M. Jennings a pour sa part dénoncé un sous-investissement chronique dans l’humain de la part des États, en particulier dans le domaine des politiques relatives au travail. Cette situation a pour conséquence que les individus ne sont pas suffisamment préparés à l’évolution du numérique.

M. Chung a affirmé que la plupart des prédictions faites aujourd’hui vont s’avérer fausses et qu’il y avait donc énormément d’incertitudes concernant l’évolution du marché du travail.

Mme McCabe a assuré que de nouveaux emplois allaient être créés grâce à la numérisation. Les technologies donnent la possibilité d’améliorer le bien-être de la société, a-t-elle déclaré. Elles vont être porteuses de nouveaux emplois, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, a-t-elle insisté.

Durant ce débat, plusieurs comparaisons ont été faites avec les Temps modernes de Charles Chaplin pour évoquer l’ampleur du bouleversement que traverse le monde du travail aujourd’hui sous l’effet des nouvelles technologies.

Les programmes d’études doivent changer, a insisté M. Chung; il faut mettre l’accent sur le processus d’apprentissage. Les écoliers et les étudiants devraient être capables de faire des recherches en ligne pendant les cours, tout en écoutant leurs enseignants, a-t-il été affirmé. De nouvelles pédagogies et de nouveaux outils pédagogiques seront nécessaires.

M. Jennings a recommandé de créer des commissions nationales chargées de réfléchir à l’avenir de la notion de travail décent. « Les organisations de résistance à la précarisation n’appartiennent pas à un autre âge », a-t-il déclaré.

Pour l’Égypte, la question de l’outillage est bien avancée, puisque tous les Égyptiens sont connectés au réseau de téléphonie mobile, a indiqué M. El Gamal; les problèmes qui restent à régler sont ceux de la protection des travailleurs des nouveaux secteurs d’activité et de l’instauration de la confiance dans l’économie numérique, en particulier face à la multiplication des « fake news ».

M. Ndicho Bambo a observé que le marché du travail allait changer et que les gouvernements devront donc encadrer ce processus par la loi. Il s’agira aussi de mettre l’accent sur la formation aux nouveaux métiers, avec cette réserve que les nouvelles technologies ne cessent de détruire des emplois: est-il en effet nécessaire d’apprendre à piloter des drones alors qu’ils deviennent autonomes?

Promesses des technologies, mais aussi nécessaire confiance dans les entreprises qui les déploient: il faudra trouver des solutions pratiques à ce dilemme, a pour sa part souligné Mme McCabe.

L’esprit d’Internet, c’est d’«innover sans demander d’autorisation préalable », a souligné M. Chung, avant de recommander aux pouvoirs publics de parallèlement prendre des mesures pour protéger les travailleurs.


Cet après-midi, à partir de 15 heures, le Forum sur la gouvernance d’Internet va clore sa douzième édition après avoir fait le bilan de ses travaux.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

M17/028F