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Le Conseil des droits de l’homme se penche sur la situation des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles, en Afghanistan

Compte rendu de séance

 

Cet après-midi, la situation des droits de l’homme en Afghanistan était au cœur des discussions au sein du Conseil des droits de l’homme. En début d’après-midi, M. Richard Bennett, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan a présenté son rapport initial. Suite au dialogue qu’il a tenu avec le Rapporteur spécial, le Conseil a ensuite engagé un dialogue renforcé sur la situation des droits humains des femmes et des filles en Afghanistan.

Présentant son rapport, M. Bennett a indiqué avoir effectué, peu après sa nomination, une visite de onze jours en Afghanistan, en mai dernier. Dans ce contexte, il s’est dit encouragé par la volonté des autorités de facto d’échanger des vues. Cependant, l’expert s’est dit gravement préoccupé par la régression stupéfiante dans l’exercice par les femmes et les filles des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels depuis que les Taliban ont pris le contrôle du pays.

La terrible situation humanitaire de l’Afghanistan est très préoccupante et la sécurité alimentaire devient chaque jour plus précaire, a en outre souligné M. Bennett. De plus, la sécurité en Afghanistan se détériore à nouveau, a-t-il regretté, se disant préoccupé par les attaques brutales contre des civils, principalement revendiquées par l’État islamique au Khorasan, qui jettent des doutes sur la capacité des autorités de facto à assurer la sécurité et la protection des personnes. M. Bennett a aussi fait part de sa préoccupation devant le fait que d’anciens membres des Forces de défense et de sécurité afghanes et d’autres responsables de l’ancien gouvernement continuent de faire l’objet de détentions arbitraires, de tortures, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, malgré l’amnistie déclarée par les Taliban. Quant à la situation des minorités ethniques et religieuses, elle ne fait que se détériorer depuis août 2021, s’est aussi inquiété M. Bennett.

Cela étant, a ajouté le Rapporteur spécial, les Taliban peuvent encore redresser la situation ; mais cela exigera un changement d’approche radical. Premièrement, les autorités de facto doivent joindre les actes à la parole et faire preuve d’ouverture à l’inclusion et à la diversité. D’autre part, elles devront mettre fin à la répression des droits des femmes, ouvrir les écoles pour filles, sanctionner les violations des droits de l’homme, faire respecter l’amnistie pour les anciens responsables gouvernementaux, protéger les communautés hazaras, renforcer l’État de droit et enfin dialoguer de manière constructive avec la communauté internationale, a indiqué le Rapporteur spécial.

Pour sa part, la communauté internationale doit assumer son propre rôle et sa responsabilité pour la situation actuelle en Afghanistan et accorder une attention particulière aux appels lancés par les Afghans de tous les horizons en faveur de l’obligation redditionnelle et de la justice, a conclu M. Bennett.

La délégation de l’Afghanistan est intervenue en tant que pays concerné, avant que de très nombreuses délégations* ne prennent part au dialogue avec le Rapporteur spécial.

Le Conseil a ensuite entamé son dialogue renforcé sur la situation des femmes et des filles en Afghanistan, dont Mme Ilze Brands Kheris, Sous-Secrétaire générale des Nations Unies aux droits de l’homme, était la modératrice. Mme Brands Kheris a notamment regretté que si, depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les Taliban n'ont cessé d'affirmer que les droits des femmes étaient protégés dans le cadre de la charia, les édits et décrets qu’ils ont émis ont privé les femmes et les filles de leurs droits fondamentaux, les ont écartées de la plupart des sphères de la vie publique et ont réduit à néant la capacité des femmes d’agir pour le changement.

Ont participé en tant que panélistes à ce dialogue renforcé: M. Bennett ; Mme Bandana Rana, membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ; M. Nasir Ahmad Andisha, Représentant permanent de l’Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève ; Mme Mahbouba Seraj, militant afghane des droits des femmes et journaliste ; Mme Razia Sayad, avocate afghane et ancienne membre de la Commission indépendantes des droits de l’homme d’Afghanistan ; et Mme Zahra Joya, journaliste, représentante du média Rukhshana.

M. Bennett a insisté sur le fait que la négation des droits des femmes et des filles, y compris leur exclusion de la vie publique et politique, était au cœur de l'idéologie des Taliban. M. Andisha a lui aussi dénoncé le règne misogyne des Taliban et le fait qu’ils n’aient tenu aucune de leurs promesses. Mme Seraj, a pour sa part indiqué qu’elle avait décidé de rester à Kaboul malgré l’arrivée des Taliban pour être témoin et dire au monde ce qui se passe ; elle a expliqué avoir vu en 24 heures une démocratie disparaître comme si elle n’avait jamais existé. Mme Sayad a, de son côté, déploré que les institutions qui avaient été créées pour garantir le droit des femmes à la justice aient été démantelées par les Taliban et a déploré la fermeture du Ministère des droits des femmes et l’interdiction d’exercer imposées à des milliers d’avocates. Mme Joya a souligné qu’il n’a certes jamais été facile d’être une femme et une journaliste en Afghanistan, mais que la situation était devenue intenable aujourd’hui. Enfin, Mme Rana, a regretté les directives des autorités de facto qui ont renforcé la domination et le contrôle des hommes sur la vie des femmes.

De nombreuses délégations** ont pris part au dialogue qui a suivi ces présentations.

 

Demain matin, à 10 heures, le Conseil achèvera ce dialogue renforcé avant de tenir un dialogue sur le rapport de la Haute-Commissaire (sortante) concernant la situation des droits de l’homme au Nicaragua, et d’entamer son débat général sur la mise à jour orale de la Haute-Commissaire (sortante) présentée ce matin.

 

Dialogue avec le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan

Le Conseil des droits de l’homme est saisi du rapport initial du nouveau Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan (A/HRC/51/6, à paraître en français).

Présentation

M. RICHARD BENNETT, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, a indiqué avoir effectué, peu après sa nomination, une visite de onze jours en Afghanistan, en mai dernier. Dans ce contexte, il s’est dit encouragé par la volonté des autorités de facto d’échanger des vues.

Cependant, l’expert s’est dit gravement préoccupé par la régression stupéfiante dans l’exercice par les femmes et les filles des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels depuis que les Taliban ont pris le contrôle du pays. Il n’y a aucun pays au monde où les femmes et les filles ont été si rapidement privées de leurs droits humains fondamentaux uniquement à cause de leur sexe, a-t-il insisté. La moitié de la population ne peut continuer à être ignorée et privée de ses droits, a déclaré M. Bennett. Il s’agit d’une question d’intérêt international et une action urgente est nécessaire pour préserver l’interdiction fondamentale de la discrimination par le système international des droits de l’homme, a souligné le Rapporteur spécial.

La terrible situation humanitaire de l’Afghanistan est très préoccupante et la sécurité alimentaire devient chaque jour plus précaire, a poursuivi M. Bennett. L’Organisation mondiale de la Santé et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) avertissent que d’ici novembre prochain, 18,9 millions de personnes seront confrontées à des niveaux aigus d’insécurité alimentaire. Les enfants, en particulier, sont confrontés à une faim extrême et à des risques élevés d’exploitation, y compris par le travail forcé et le mariage.

De plus, la sécurité en Afghanistan se détériore à nouveau, a regretté le Rapporteur spécial. Il s’est dit préoccupé par les attaques brutales contre des civils, principalement revendiquées par l’État islamique au Khorasan, qui jettent des doutes sur la capacité des autorités de facto à assurer la sécurité et la protection des personnes.

M. Bennett a aussi fait part de sa préoccupation devant le fait que d’anciens membres des Forces de défense et de sécurité afghanes et d’autres responsables de l’ancien gouvernement continuent de faire l’objet de détentions arbitraires, de tortures, d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées, malgré l’amnistie déclarée par les Taliban.

Quant à la situation des minorités ethniques et religieuses, elle ne fait que se détériorer depuis août 2021, s’est aussi inquiété M. Bennett. Les lieux de culte, les centres éducatifs et médicaux et les transports publics ont été systématiquement attaqués. Les attaques ont touché les communautés soufies et sikhes avec des effets dévastateurs.

Les communautés hazaras et chiites sont l’un des groupes les plus persécutés : leurs membres sont arrêtés arbitrairement, torturés, exécutés sommairement, déplacés des terres traditionnelles, soumis à une fiscalité discriminatoire et autrement marginalisés, a poursuivi le Rapporteur spécial. Ils sont également victimes d’attaques revendiquées par l’État islamique au Khorasan : ces attaques semblent être de nature systématique et porter la marque de crimes internationaux devant faire l’objet d’une enquête approfondie, a estimé l’expert.

Enfin, le système judiciaire de la République a été pour ainsi dire balayé, les anciens juges, notamment les femmes juges, étant exclus. Les lois et procédures applicables sont incertaines, les affaires étant traitées de manière erratique selon les juridictions et les lieux. Le Rapporteur spécial a aussi dit avoir reçu un certain nombre d’informations faisant état d'attaques et de meurtres de procureurs.

Cela étant, a ajouté M. Bennett, malgré cette évaluation plutôt sombre, les Taliban peuvent encore redresser la situation ; mais cela exigera un changement d’approche radical. Premièrement, les autorités de facto doivent joindre les actes à la parole et faire preuve d’ouverture à l’inclusion et à la diversité. D’autre part, elles devront mettre fin à la répression des droits des femmes, ouvrir les écoles pour filles, sanctionner les violations des droits de l’homme, faire respecter l’amnistie pour les anciens responsables gouvernementaux, protéger les communautés hazaras, renforcer l’État de droit et enfin dialoguer de manière constructive avec la communauté internationale, a indiqué le Rapporteur spécial.

Pour sa part, la communauté internationale doit assumer son propre rôle et sa responsabilité pour la situation actuelle en Afghanistan et accorder une attention particulière aux appels lancés par les Afghans de tous les horizons en faveur de l’obligation redditionnelle et de la justice.

Pays concerné

La délégation de l’Afghanistan a dit ne pouvoir croire au récit d’un prétendu changement des Taliban : ceux-ci, armés de leur programme discriminatoire et autoritaire, poursuivent impitoyablement la voie de l'assujettissement des citoyens. En outre, ces dernières semaines ont été marquées par une insécurité généralisée, des pertes civiles et des explosions au bilan dramatique. Parallèlement, dans les provinces de Panjshir, Parwan, Kapisa, Baghlan, Takhar, Kandahar, Saripul, Nangarhar et Samangan, la torture, les mauvais traitements, les châtiments collectifs, les détentions arbitraires et les déplacements forcés se poursuivent.

Le risque d'atrocités bien pires est imminent, a mis en garde la délégation. En effet, les principaux groupes terroristes internationaux sont à nouveau actifs à l'intérieur du pays ; les menaces d'actes de terrorisme dans le pays, dans la région et au-delà sont indéniables, a insisté la délégation.

S’ils sont louables, les rapports de M. Bennett et de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) ne parviennent pas à saisir toute la nature ni l'étendue des violations des droits de l’homme commises en Afghanistan, a ensuite regretté la délégation afghane. C’est pourquoi elle a plaidé pour la création, par le Conseil, d'un mécanisme de responsabilité solide qui documenterait, de manière indépendante et fiable, les crimes commis en Afghanistan afin d’ouvrir la voie à l'identification des responsables et à leur traduction en justice, de même qu’à l’octroi de réparations aux victimes.

Aperçu du dialogue

Nombre de délégations ont fait part de leur préoccupation face aux violations des droits de l'homme et du droit humanitaire international en Afghanistan. Elles ont insisté sur l'obligation de rendre des comptes et, à cet égard, ont rappelé que l'Afghanistan était partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Il a été jugé inacceptable que les personnes appartenant à des minorités et groupes ethniques et religieux, les personnes LGBTI, les défenseurs des droits de l'homme, les journalistes et autres professionnels des médias soient victimes d'assassinats, de détentions arbitraires, de disparitions forcées, de violences physiques et de torture. De même, le rétrécissement de l'espace de la société civile et les restrictions aux libertés fondamentales restent des préoccupations majeures, ont insisté des intervenants.

Depuis août 2021, les Taliban ont instauré un véritable apartheid entre les sexes, en utilisant la religion et la tradition comme excuse, a dénoncé une organisation non gouvernementale (ONG). La participation pleine, égale et significative de toutes les femmes et filles dans tous les domaines de la vie en Afghanistan, ainsi que leur protection contre toutes les formes de violence, ont été jugées primordiales.

En dépit des engagements que les Taliban ont pris devant la communauté internationale, a regretté une délégation, leurs décisions depuis un peu plus d’un an illustrent leurs violations répétées des exigences fixées par le Conseil de sécurité des Nations Unies, à savoir le départ sûr et sans entrave de tous ceux qui souhaitent quitter le pays, la garantie de l’accès libre et sécurisé à l’aide humanitaire, la rupture totale des liens avec les groupes terroristes et la constitution d’un gouvernement représentatif.

Seul un mécanisme international de responsabilisation doté d'un mandat et de ressources suffisants peut rendre compte de l'étendue et de la gravité des crimes qui continuent d'être commis en Afghanistan, a estimé une ONG.

Plusieurs orateurs ont insisté sur l’importance de poursuivre la coopération et le dialogue avec le Gouvernement afghan provisoire. La disposition des Taliban à recevoir le Rapporteur spécial a été jugée encourageante.

Certains intervenants ont attiré l’attention sur les problèmes que posent les restrictions imposées au secteur bancaire et financier afghan, y compris le gel des avoirs du pays à l’étranger, surtout dans le contexte actuel marqué par une crise sanitaire et humanitaire. Plusieurs pays ont mentionné les aides financières qu’ils continuent de verser en faveur du rétablissement de la situation humanitaire et du développement de l’Afghanistan.

Une délégation a regretté que le rapport de M. Bennett ne situe pas dans leur contexte historique les problèmes rencontrés aujourd’hui par l’Afghanistan. Il a été déploré que les auteurs de la résolution ayant « imposé le mandat » de M. Bennett, « à la fin de l'invasion militaire occidentale dirigée par les États-Unis et le Royaume-Uni », n’aient jamais estimé nécessaire de le faire pendant les vingt années qu’a duré cette « invasion ». Des dizaines de milliers de civils afghans ont été tués pendant cette « intervention désastreuse », a-t-il été rappelé.

*Liste des intervenants : Union européenne, Pakistan (au nom de l’Organisation de la coopération islamique), Danemark (au nom d’un groupe de pays), Qatar, Suisse, France, Inde, Israël, Luxembourg, République de Corée, Australie, Irlande, Japon, Émirats arabes unis, ONU Femmes, Pakistan, Venezuela, Fédération de Russie, Namibie, Chine, République tchèque, Malaisie, États-Unis, Indonésie, Royaume-Uni, Espagne, Kazakhstan, Italie, Monténégro, Belgique, Canada, Nouvelle-Zélande, Iran, Türkiye, Albanie et Malawi.

Des organisations non gouvernementales ont aussi fait des déclarations : Commission internationale des juristes, Organisation mondiale contre la torture, Asian Forum for Human Rights and Development, Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté, Fédération internationale des ligues de droits de l’homme, Sisterhood Is Global Institute, Freedom Now, CIVICUS: Alliance mondiale pour la participation des citoyens, Peaceland Foundation et Shaanxi Patriotic Volunteer Association.

Remarques de conclusion

Dans des remarques de conclusion, la délégation de l’Afghanistan a réitéré sa demande de création par le Conseil d’un mécanisme de reddition des comptes sur les violations des droits de l’homme commises par les Taliban.

Pour sa part, M. BENNETT a d’abord fait part de sa satisfaction de voir que les délégations étaient généralement d’accord avec les constatations de son rapport. Le Rapporteur spécial a souligné que, jusqu’à présent, les autorités de facto avaient accepté de collaborer avec lui. Sa visite en Afghanistan a été appréciée par de nombreuses personnes, notamment par les femmes, qui traversent des moments difficiles et ont besoin de témoignages de solidarité, a ajouté le Rapporteur spécial.

Les autorités de facto, qui contrôlent le territoire, sont tenues de respecter les obligations découlant des traités auxquels l’Afghanistan est partie, a ensuite rappelé M. Bennett.

S’agissant de la reddition de comptes, l’expert a estimé qu’il fallait collecter des preuves et faire, en même temps, tout ce qui est possible pour changer les choses, si peu que ce soit. La forme que prendrait un mécanisme de reddition des comptes est du ressort du Conseil, a ajouté M. Bennett.

Dialogue renforcé sur la situation des droits humains des femmes et des filles en Afghanistan

Dans sa résolution 50/14, le Conseil des droits de l’homme avait prié le Haut-Commissariat d’organiser un dialogue renforcé sur la situation des droits humains des femmes et des filles en Afghanistan.

Déclaration liminaire

MME ILZE BRANDS KEHRIS, Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme, a regretté que si, depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les Taliban n'ont cessé d'affirmer que les droits des femmes étaient protégés dans le cadre de la charia, les édits et décrets qu’ils ont émis ont privé les femmes et les filles de leurs droits fondamentaux, les ont écartées de la plupart des sphères de la vie publique et ont réduit à néant la capacité des femmes d’agir pour le changement.

Les écoles secondaires pour filles restent fermées et rien ne permet de savoir si les filles seront autorisées à poursuivre leur éducation. Les restrictions à la liberté de mouvement des femmes ont également un effet néfaste sur la vie des femmes et des filles : ainsi, l'interdiction de voyager sans un membre masculin de la famille proche entrave gravement l'accès des femmes aux soins de santé, aux moyens de subsistance et à l'aide humanitaire, a fait observer la Sous-Secrétaire générale.

Quant aux femmes appartenant à des groupes ethniques, religieux ou linguistiques minoritaires, notamment les Hazaras, les Tadjiks et les Hindous, elles font l'objet d'actes d'intimidation, de harcèlement et de discrimination particuliers en raison de préjugés historiques et de stéréotypes négatifs. D'autres groupes de femmes, notamment les femmes handicapées, les femmes sans membre masculin de la famille et les jeunes femmes, souffrent également de discrimination intersectorielle.

Les Taliban ont par ailleurs dissous les mécanismes de surveillance des droits de l'homme, y compris la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, et ont démantelé les tribunaux spécialisés dans les violences sexistes ainsi que les services d'aide aux victimes. Les femmes n'ont nulle part où aller pour obtenir justice et réparation dans l'Afghanistan d'aujourd'hui, a constaté Mme Brands Kehris.

Le rôle des femmes journalistes et des femmes défenseuses des droits humains est devenu encore plus crucial, a poursuivi Mme Brands Kehris : elles continuent courageusement à faire leur travail à l'intérieur et à l'extérieur du pays, en dénonçant l'oppression institutionnalisée et généralisée des femmes et des filles par les Taliban.

Mme Brands Kehris a espéré que le présent dialogue se traduirait par des actions concrètes et démontrerait aux militantes très courageuses présentes ce jour que la communauté internationale est vraiment à leurs côtés.

Le Secrétariat du Conseil a ensuite diffusé une vidéo réalisée par ONU Femmes et présentant les témoignages de femmes afghanes confrontées à l’insécurité de même qu’aux restrictions imposées par les Taliban dans les domaines de l’éducation, de l’emploi et de la vie politique et sociale.

Présentations des intervenants

M. RICHARD BENNETT, Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, a insisté sur le fait que la négation des droits des femmes et des filles, y compris leur exclusion de la vie publique et politique, était au cœur de l'idéologie des Taliban. Nulle part ailleurs dans le monde on n'a assisté à un recul aussi généralisé et complet qu’en Afghanistan depuis août 2021, a-t-il déclaré. Des édits ont été imposés qui non seulement restreignent la vie quotidienne des femmes et des filles, mais aussi les privent de leur avenir et les dépouillent de leur dignité, comme en témoignent l'obligation de se couvrir le visage, l'injonction de rester à la maison ou encore la punition des hommes pour les prétendus délits de leurs parentes.

M. Bennett a salué la force et la résilience des femmes et des filles afghanes, qui continuent de mener une campagne non violente pour les droits humains et pour une société inclusive et stable. Il a assuré qu’il continuerait de s’engager en faveur du respect des droits des femmes et des filles en Afghanistan.

M. NASIR AHMAD ANDISHA, Représentant permanent de l’Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève, a cité les mots d’une jeune écolière afghane exprimant sa volonté de résistance face aux politiques répressives des Taliban. Le Représentant permanent a dénoncé le règne misogyne des Taliban et le fait qu’ils n’aient tenu aucune de leurs promesses. La communauté internationale ne doit pas rester spectatrice des violations de la dignité des femmes et des filles afghanes, a-t-il déclaré.

Les restrictions imposées par les Taliban placent de nombreuses femmes dans une situation économique et humaine désespérée, a poursuivi le Représentant permanent. Il a aussi dénoncé les efforts des Taliban pour faire taire les défenseurs et défenseuses des droits humains en Afghanistan.

M. Andisha a appelé à la création d’un mécanisme indépendant pour enquêter sur les violations des droits de l’homme en Afghanistan et pour en traduire les auteurs en justice.

MME MAHBOUBA SERAJ, militante afghane des droits des femmes et journaliste, a indiqué qu’elle avait décidé de rester à Kaboul malgré l’arrivée des Taliban pour être témoin et dire au monde ce qui se passe. Elle a dit avoir vu en 24 heures une démocratie disparaître comme si elle n’avait jamais existé. Elle s’est dite fatiguée de voir l’état de son pays aujourd’hui – un pays qui tombe dans un désespoir profond, notamment eu égard à la situation des droits humains. Elle s’est demandé si quelqu’un allait faire un bilan de ce qui n’avait pas marché pour que l’on en arrive là aujourd’hui. Les femmes et les droits des femmes n’existent pas en Afghanistan ; les femmes sont effacées et ne savent pas quoi faire, a insisté la militante. Elle a indiqué que c’était la dernière fois qu’elle venait témoigner devant le monde car elle était lasse de constater que rien ne change. Elle a appelé le monde à agir pour réparer ce qui a été fait en Afghanistan. Il ne faut pas seulement donner de l’argent et de la nourriture, a-t-elle ajouté, appelant le Conseil à agir pour l’Afghanistan. Il faut un mécanisme de suivi indépendant sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, a-t-elle indiqué.

MME RAZIA SAYAD, avocate afghane et ancienne membre de la Commission des droits de l’homme de l’Afghanistan, a dénoncé les violations manifestes des droits des femmes et des filles par les Taliban, notamment le déni du droit de travailler et d’accéder à l’éducation. Elle a par ailleurs fait observer que les institutions qui avaient été créées pour garantir le droit de femmes à la justice ont été démantelées par les Taliban et a déploré la fermeture du Ministère des droits des femmes et l’interdiction d’exercer imposées à des milliers d’avocates. Le système de justice des Taliban repose sur les décisions personnelles de juges ignorant les statuts de suspect, de prévenu et de condamné, a par ailleurs déploré Mme Sayad. Elle a plaidé pour la création d’un mécanisme chargé de recueillir des informations factuelles sur les crimes commis par les Taliban.

MME ZAHRA JOYA, journaliste, représentante du média Rukhshana, a déclaré que cela fait 13 mois que les citoyens afghans ont perdu leur pays avec l’arrivée des Taliban. Elle a souligné qu’il n’a certes jamais été facile d’être une femme et une journaliste en Afghanistan, mais que la situation était devenue intenable aujourd’hui. De nombreuses femmes journalistes ont quitté le pays. Le régime des Taliban a réduit les femmes à leurs corps et leurs organes sexuels, a-t-elle poursuivi. Les femmes disparaissent du paysage afghan ; de nombreuses directives restreignent leur champ d’action, a-t-elle ajouté. Plus de 500 médias ont cessé leurs activités depuis l’arrivée des Taliban, a-t-elle par ailleurs fait observer. De nombreuses femmes ont dû fuir le pays et recommencer leur vie à zéro. Les minorités, notamment les communautés hazaras, sont persécutées sans qu’aucune mesure de protection ne soit prise par les autorités. Il faut enquêter sur les crimes contre l’humanité et reconnaître le génocide à l’encontre de la communauté hazara. Il faut également continuer à exercer une pression sur les Taliban. En outre, les pays membres des Nations Unies doivent offrir une protection, notamment aux personnes issues des minorités persécutées.

MME BANDANA RANA, membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et coordinatrice du groupe de travail dudit Comité sur l’Afghanistan, a souligné qu’il n’est pas surprenant que l’Afghanistan soit classé dernier sur 156 pays par l’Indice mondial d’écart entre les sexes 2021. En 2022, la situation est encore pire, a-t-elle souligné. Il est interdit pour les filles d’accéder à l’éducation secondaire dans la grande majorité des provinces afghanes, a-t-elle rappelé. En outre, la plupart des emplois sont interdits aux femmes. Les femmes dans les universités sont confrontées à de nouvelles restrictions sévères, a ajouté l’experte. Les fonctionnaires dans la rue appliquent souvent la politique qui consiste à exiger qu’un maharam, un chaperon masculin de membres de la famille, accompagne toute femme quittant sa maison, a-t-elle poursuivi. D’autre part, les femmes doivent se couvrir le visage en public, y compris les femmes journalistes qui font des reportages à la télévision. L’experte a ensuite attiré l’attention sur les lacunes du secteur de la santé, qu’il s’agisse de l’insuffisance des services, de l’accès limité aux soins, ou encore de la pénurie de personnel, d’approvisionnement et d’équipements, sans parler des soins spécialisés limités pour les femmes, en particulier en matière de santé génésique. Quant à la participation des femmes à la vie politique et civile, elle est presque inexistante.

Mme Rana a expliqué qu’elle avait pu observer la situation des femmes et des filles lorsqu’elle s’est rendue à Kaboul avec la Rapporteuse spéciale sur la violence à l’égard des femmes en avril 2022, pour une visite officieuse. L’experte a indiqué qu’elle avait alors perçu une lueur d’espoir avec des récits de femmes qui travaillent pour des ONG, dans des hôpitaux ou des camps de réfugiés, et qui ont ainsi pu poursuivre leur travail après avoir mené de minutieuses négociations avec certaines autorités de facto. Mais de tels cas restaient très rares, a reconnu Mme Rana. Elle a ajouté que certaines des autorités de facto rencontrées avaient également déclaré que la disposition interdisant aux filles d’aller à l’école était temporaire et qu’on pouvait bientôt s’attendre à un décret positif en la matière.

Cependant, a déploré Mme Rana, la situation semble s’être aggravée depuis lors et les directives des autorités de facto ont renforcé la domination et le contrôle des hommes sur la vie des femmes. La décision de désactiver tous les mécanismes des droits des femmes dans le pays et de mettre en place le Ministère de la vertu et de la Prévention du vice envoie un signal clair qu’il n’y a pas de place pour les entités chargées de promouvoir l’égalité des sexes.

Aperçu du débat

Plusieurs délégations se sont dites profondément préoccupées par la détérioration de la situation en Afghanistan depuis l’arrivée des Taliban, y compris les violations continues des droits de l’homme, le manque d’inclusion politique et les besoins humanitaires croissants.

Les promesses faites par les Taliban de respecter les droits de l’homme n’ont pas été tenues, a-t-il été regretté. Cela est particulièrement vrai pour ce qui est des femmes et de filles, dont la vie a radicalement changé pour s’aggraver, ont relevé de nombreuses délégations. Les femmes et les filles afghanes ont été privées des réalisations des deux décennies précédentes, a-t-il été déploré. Un ensemble de mesures liberticides font des femmes les principales victimes d’un obscurantisme que le monde pensait éteint, a insisté un intervenant. Des droits fondamentaux tels que la liberté de circulation et le droit à l’éducation ont été retirés aux femmes et aux filles. De nombreux intervenants ont condamné l’imposition de mesures restrictives pour les femmes et les filles, les excluant du travail, de la politique et de la vie publique. Plusieurs intervenants ont également dénoncé le manque d’accès des femmes et des filles à la santé génésique et sexuelle.

Outre l’aggravation constante de la situation économique et de la crise humanitaire, les femmes et les enfants sont également confrontés à une violence croissante, en particulier à la violence domestique, a-t-il été souligné. Les difficultés économiques ont également fait augmenter le nombre de mariages d’enfants, le travail des enfants et la vente d’enfants, ont relevé certaines délégations.

Les Taliban ont été exhortés à respecter pleinement les normes relatives aux droits de l’homme et le droit international des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes et des filles, et à mettre fin aux politiques et directives discriminatoires qui restreignent indûment les droits et libertés fondamentales des femmes et des filles, en particulier la liberté de circulation, la liberté d’opinion et d’expression, le droit au travail et la participation publique. En outre, les Taliban ont été invités à mettre en œuvre des lois et des politiques qui protègent les femmes et les filles contre toute forme de violence. Les autorités de facto ont été appelées à permettre le retour immédiat des filles et des femmes à l’école et à l’université.

L’Afghanistan ne trouvera jamais la paix et la stabilité si la moitié de la population est laissée de côté, ont insisté plusieurs délégations. Il est temps que les Taliban respectent leurs paroles par des actions concrètes, a-t-il été affirmé.

La communauté internationale doit faire davantage pour soutenir l’appel lancée par les femmes afghanes en faveur de la justice, ont en outre plaidé de nombreux intervenants.

Une délégation a attiré l’attention sur l’impact des sanctions unilatérales sur la jouissance des droits fondamentaux, notamment les droits des femmes et des filles, en Afghanistan.

**Liste des intervenants : Suède (au nom d’un groupe de pays), Union européenne, Pakistan (au nom de l’Organisation de la coopération islamique), Liechtenstein, Monaco, Luxembourg, France, Lituanie, Israël, Qatar, Slovénie, Équateur, Macédoine du Nord, Australie, Irlande, Mexique, Allemagne, Japon, Maldives, Autriche, Chypre, Venezuela, Fédération de Russie, Chine, Pérou, Pays-Bas, Malaisie, États-Unis, Indonésie, Royaume-Uni, Argentine, Espagne, Timor-Leste, Pakistan Croatie, Roumanie, Italie, Ukraine, Monténégro, République de Moldova, Belgique, Finlande, Grèce, Inde, Pologne, Bulgarie, Gambie, Portugal, Fondes des Nations Unies pour la population, Vanuatu, Iran, Türkiye, Bosnie-Herzégovine, Albanie, Malawi, Égypte, Chili.

 

Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.

Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.

 

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