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La Conférence du désarmement tient un débat thématique sur les garanties négatives de sécurité

Compte rendu de séance

 

La Conférence du désarmement a tenu aujourd’hui, sous la présidence de l’Ambassadeur Salomon Eheth du Cameroun, un débat thématique sur le point 4 de l’ordre du jour, consacré aux arrangements internationaux efficaces pour garantir les Etats non dotés d’armes nucléaires contre l’emploi ou la menace de ces armes.

Le débat de ce jour a compté avec la participation de deux panélistes invités par M. Eheth :
M. Usman Jadoon, Directeur général pour les Nations Unies au Ministère des affaires étrangères du Pakistan et M. Marc Finaud, expert chargé des questions de prolifération des armements au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP).

M. Jadoon a expliqué qu’un traité sur les garanties négatives de sécurité négocié et conclu au sein de la Conférence du désarmement pourrait s’avérer bénéfique à de multiples égards, notamment pour la sécurité ; pour la non-prolifération ; pour des motifs éthiques et moraux ; et pour le rétablissement de la confiance internationale dans le mécanisme de désarmement et la revitalisation de ce dernier en mettant fin à l’impasse dans laquelle la Conférence se trouve depuis longtemps.

Selon M. Jadoon, si la volonté politique et la détermination de forger un accord sur les garanties sont bien arrêtées, les divergences qui demeurent entre les Etats sur cette question peuvent être aplanies car leurs positions ne sont pas aussi ancrées et politiquement chargées que pour d’autres questions fondamentales.

M. Finaud a quant à lui expliqué que la question des garanties négatives de sécurité revêt une importance et une urgence nouvelles avec la reconnaissance croissante du fait que le risque d’emploi d’armes nucléaires n’a jamais été aussi élevé depuis la guerre froide. Si tous les États qui ont renoncé de manière vérifiable aux armes nucléaires sont protégés contre l’emploi ou la menace de l’emploi de telles armes, cela contribuera grandement à cet objectif de réduction du risque d’une guerre nucléaire, a-t-il insisté.

De plus en plus d’experts et de décideurs s’accordent à dire que la garantie négative de sécurité la plus complète serait une politique de non-recours en premier, c’est-à-dire l’engagement de tous les États dotés d’armes nucléaires de limiter le cas de l’utilisation d’armes nucléaires à des représailles contre une attaque à l’aide d’armes nucléaires, a par ailleurs souligné M. Finaud.

Suite à ces interventions, les délégations des pays ci-après ont pris part au débat : Kenya (au nom du groupe des 21), Iraq, Egypte, Etats-Unis, Argentine, Indonésie, Chine, Ukraine, Espagne, Syrie, France, Royaume-Uni, Pakistan, Allemagne, Fédération de Russie, République de Corée, Inde, Algérie, Brésil, Iran.

Israël, l’Iran, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont intervenus sur motion d’ordre et les Etats-Unis pour un droit de réponse.

 

La prochaine séance publique de la Conférence se tiendra mardi 15 juin, à 10 heures, et sera consacrée à un débat thématique sur le point 5 de l’ordre du jour relatif aux « nouveaux types et systèmes d’armes de destruction massive ; armes radiologiques ».

 

Présentation des panélistes

M. Usman Jadoon, Directeur général pour les Nations Unies au Ministère des affaires étrangères du Pakistan, a rappelé que la question des garanties négatives de sécurité est à l’ordre du jour international depuis 55 ans et que depuis 1990, le Pakistan présente chaque année une résolution sur cette question à l’Assemblée générale des Nations Unies – une résolution qui est adoptée sans aucun vote négatif et qui demande à la Conférence du désarmement « de poursuivre activement d’intenses négociations en vue de parvenir rapidement à un accord et de conclure des accords internationaux efficaces pour garantir les États non dotés d’armes nucléaires contre l’emploi ou la menace de ces armes, compte tenu du large soutien en faveur de la conclusion d’une convention internationale ».

Au fil des ans, bien que la Conférence du désarmement n’ait pas été en mesure de répondre à cette attente, les assurances ont été étendues sous différentes formes, notamment des déclarations unilatérales, des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, et des protocoles aux traités portant création de zones régionales exemptes d’armes nucléaires, a expliqué M. Jadoon. Cependant, ces arrangements n’ont été ni homogènes, ni uniformes, a-t-il constaté ; ils ont généralement été assortis de diverses conditions, qui changeaient même avec le temps et les circonstances, de telle sorte qu’ils n’ont pas été en mesure de satisfaire pleinement les bénéficiaires visés.

M. Jadoon a ensuite expliqué qu’un traité sur les garanties négatives de sécurité négocié et conclu au sein de la Conférence du désarmement pourrait s’avérer bénéfique à de multiples égards, notamment pour la sécurité ; pour la non-prolifération ; pour des motifs éthiques et moraux ; et pour le rétablissement de la confiance internationale dans le mécanisme de désarmement et la revitalisation de ce dernier en mettant fin à l’impasse dans laquelle la Conférence se trouve depuis longtemps.

Si l’on cherche à identifier le principal point de convergence sur cette question, on peut dire qu’il existe un accord général sur la nécessité de garantir de manière crédible aux Etats non dotés qu’ils ne seront pas menacés ou attaqués par des armes nucléaires, a fait observer M. Jadoon. Les points de vue différent en revanche sur trois questions essentielles pour conclure un traité multilatéral sur les garanties négatives de sécurité, a-t-il ajouté. Premièrement, la question de déterminer qui donnerait ces assurances (garanties) : les Etats dotés de l’arme nucléaire au sens du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ou tous les Etats ayant des armes nucléaires. Deuxièmement, la question de savoir qui serait éligible pour recevoir ces garanties. Et enfin, la question de savoir où serait négocié ce traité. Sur ce dernier point, si certains préfèreraient que cela se fasse dans le cadre du TNP, le fait est que le document final de la Conférence d’examen du TNP de 2010 note que tous les Etats parties sont d’accord pour mener un travail de fond sur les garanties négatives de sécurité au sein de la Conférence du désarmement.

Selon M. Jadoon, si la volonté politique et la détermination de forger un accord sur les garanties sont bien arrêtées, ces divergences peuvent être aplanies car les positions des États Membres sur cette question ne sont pas aussi ancrées et politiquement chargées que pour d’autres questions fondamentales.

M. Marc Finaud, expert chargé des questions de prolifération des armements au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), a attiré l’attention sur la diversité de positions des États dotés d’armes nucléaires s’agissant des garanties négatives de sécurité, et en particulier la variété des conditions qu’ils exigent pour les donner et les mettre en œuvre. En ce sens, la demande des États non dotés d’armes nucléaires de pouvoir compter sur une formule claire, unique et juridiquement contraignante pour que de telles garanties leur soient fournies par tous les États dotés d’armes nucléaires est plus que jamais pertinente, a estimé M. Finaud. Il est par ailleurs grand temps d’examiner cette question des garanties négatives de sécurité dans le contexte de la réduction des risques nucléaires, a-t-il ajouté. Cet objectif de prévention de tout nouvel emploi d’armes nucléaires, qu’il soit intentionnel, résultant d’une escalade dans un conflit conventionnel, d’un mauvais calcul ou d’une mauvaise perception, ou accidentel, est partagé par tous les États.

Aujourd’hui, cette question revêt une importance et une urgence nouvelles avec la reconnaissance croissante du fait que le risque d’emploi d’armes nucléaires n’a jamais été aussi élevé depuis la guerre froide, a poursuivi M. Finaud. Si tous les États qui ont renoncé de manière vérifiable aux armes nucléaires sont protégés contre l’emploi ou la menace de l’emploi de telles armes, cela contribuera grandement à cet objectif de réduction du risque d’une guerre nucléaire, a insisté l’expert.

De plus en plus d’experts et de décideurs s’accordent à dire que la garantie négative de sécurité la plus complète serait une politique de non-recours en premier, c’est-à-dire l’engagement de tous les États dotés d’armes nucléaires de limiter le cas de l’utilisation d’armes nucléaires à des représailles contre une attaque à l’aide d’armes nucléaires. Cette politique proclamée par la Chine et l’Inde, a fait l’objet de discussions sous l’administration Obama, et est maintenant reprise dans un projet de loi au Congrès soutenu par des groupes de réflexion et des experts de premier plan. Ce serait une avancée majeure si l’administration Biden adoptait cette politique et que la Fédération de Russie lui rendait la pareille. En effet, il n’y a aucune preuve qu’une attaque non nucléaire, qu’elle soit conventionnelle, chimique, biologique ou cybernétique, pourrait menacer les intérêts vitaux des États dotés d’armes nucléaires ou leur existence même et justifier une réponse nucléaire.

Avant qu’une telle politique ne soit adoptée par tous les États dotés d’armes nucléaires, la nécessité de clarifier les conditions dans lesquelles les États non dotés d’armes nucléaires peuvent bénéficier de garanties négatives de sécurité demeurera, a conclu M. Finaud.

Aperçu du débat

Plusieurs délégations ont expliqué que l’objectif principal de la Conférence était d’aboutir à un monde exempt d’armes nucléaires, comme le prévoit l’article VI du TNP. En attendant la réalisation de cet objectif, la Conférence doit entamer dès que possible la négociation d’un traité contraignant sur les garanties négatives de sécurité, ont affirmé de nombreuses délégations. Un sous-comité devrait être créé au sein de la Conférence afin de rédiger ce projet de traité, a-t-il été indiqué. Ce projet de traité doit prévoir ces garanties sans aucune condition ni réserve, a-t-il été affirmé. Les Etats non dotés d’armes nucléaires ne seront jamais en totale sécurité tant que les Etats qui en sont dotés n’accepteront pas d’adhérer à un traité contraignant sur les garanties négatives de sécurité, ont insisté plusieurs délégations.

Certains intervenants ont affirmé que les garanties négatives de sécurité jouent un rôle essentiel dans le cadre du renforcement du TNP. C’est pourquoi il est important de lancer au plus vite les négociations sur un traité juridiquement contraignant (concernant de telles garanties) dans le contexte de la Conférence d’examen du TNP qui doit avoir lieu cette année, « un objectif à la portée de la Conférence qui devrait faire l’objet d’une attention prioritaire lors de la prochaine période », a estimé une délégation.

Plusieurs délégations ont fait observer que les esprits avaient évolué au sein de la Conférence concernant cette question des garanties négatives de sécurité et qu’il y avait une certaine convergence entre les Etats, notamment pour reconnaître que de telles garanties permettent d’éviter que de nouveaux pays se dotent de l’arme nucléaire, participant ainsi à l’effort de non-prolifération. D’autre part, les Etats semblent d’accord pour négocier cet accord au sein de la Conférence, a-t-il été souligné.

C’est un droit des pays non dotés d’armes nucléaires, qui ont choisi de renoncer à ces armes, que d’exiger d’être protégés contre l’utilisation ou la menace d’utilisation de ces armes de la part des Etats qui en sont dotés, ont insisté plusieurs délégations. Les garanties actuellement fournies par les Etats nucléaires ne sont pas suffisantes, ont souligné de nombreuses délégations.

Certaines délégations se sont par ailleurs réjouies de la création de plusieurs zones exemptes d’armes nucléaires qui regroupent plus d’une centaine d’Etats dans le monde et plusieurs intervenants ont appuyé la création d’une telle zone au Moyen-Orient, conformément aux nombreuses résolutions pertinentes de l’Assemblée générale des Nations Unies. Ces zones sont très importantes pour respecter l’objectif de non-prolifération, ont souligné plusieurs délégations. Toutefois, la création de ces zones n’est pas suffisante car elles ne reposent sur aucun texte contraignant, a rappelé une délégation.

Plusieurs représentants d’Etats dotés de l’arme nucléaire ont expliqué avoir offert des garanties négatives de sécurité juridiquement contraignantes à de nombreux pays au sein de ces zones. Une délégation a souligné que l’octroi de telles garanties dans un cadre régional constitue une voie importante pour le désarmement et la non-prolifération nucléaires.

Une délégation a expliqué que le principe de « non-emploi en premier » de l’arme nucléaire ne fait pas partie de la doctrine de son pays. Il faut se garder de tout regard simpliste dans ce domaine, a-t-elle indiqué, en insistant sur le fait que ce principe ne participe en rien à l’objectif du désarmement nucléaire. Un autre pays a quant à lui défendu ce principe, en insistant sur le fait qu’il participe à l’amélioration de la sécurité globale.

 


DC21.028F