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Examen du rapport initial de Sri Lanka au CED : tout en saluant l’adoption de mesures juridiques et institutionnelles positives, les experts s’inquiètent d’informations faisant état de disparitions forcées au-delà de la période du conflit
Le Comité des disparitions forcées (CED, selon l’acronyme anglais) a examiné aujourd’hui le rapport initial de Sri Lanka concernant l’application par ce pays de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
Au cours du dialogue noué entre les experts membres du Comité et la délégation sri-lankaise venue présenter ce rapport, un certain nombre de mesures positives adoptées par le pays ont été saluées, parmi lesquelles la ratification de la Convention en 2016 ; l’adoption par le Parlement, en 2018, de la loi transposant en droit interne les dispositions principales de la Convention ; ou encore la création du Bureau des personnes disparues.
Après avoir rappelé que le phénomène de la disparition forcée est intervenu à plusieurs périodes de l’histoire du pays – avec des « vagues » en 1971, de 1987 à 1989, en 2002, puis durant toute la phase finale du conflit qui a ensanglanté l’île jusqu’en 2009 – un expert a fait état d’allégations reçues par le Comité selon lesquelles la pratique des disparitions forcées aurait aujourd’hui toujours cours dans une certaine mesure. S’agissant des chiffres, cet expert a relevé que le Bureau des personnes disparues avait recensé 16 966 plaintes ; or, a souligné l’expert, certaines sources dignes de foi estiment ce chiffre très en dessous de la réalité et parlent de plus de cent mille personnes disparues au cours de l’histoire de Sri Lanka, au-delà de la période du conflit. Le Comité est informé de détentions arbitraires ou au secret, voire de disparitions forcées de courte durée, commises à Sri Lanka entre 2017 et 2023, a insisté l’expert.
Les conclusions et recommandations des différences commissions d’enquête sur les disparitions forcées crées à Sri Lanka n’ont souvent pas été appliquées, s’agissant en particulier des recommandations relatives à la poursuite de militaires, a d’autre part fait remarquer ce même expert, avant de faire en outre état d’un harcèlement qui semble systématique à l’encontre des familles qui voudraient porter plainte.
Une experte a ajouté que le Comité avait reçu des allégations de refus des autorités militaires et policières de communiquer des informations sur des membres de leurs forces présumés auteurs de disparition forcée. D’autre part, la police aurait refusé de recevoir des plaintes pour disparition forcée de la part de membres de la communauté tamoule, a indiqué cette experte. Elle a en outre fait observer que la loi de 2018 sur les disparitions forcées ne précisait pas le caractère continu de la disparition ni le fait que le délai de prescription doit commencer lorsque cesse le crime de disparition forcée, comme le stipule l'article 8 de la Convention.
Au cours du dialogue, il a notamment été recommandé au pays de créer une autorité d’enquête sur les disparitions forcées indépendante de l’avocat général, et d’inscrire dans la Constitution le principe d’indérogeabilité de l’interdiction de la disparition forcée.
Présentant le rapport de son pays, M. Harshana Nanayakkara, Ministre de la justice et de l’intégration nationale de Sri Lanka, a indiqué que depuis la ratification de la Convention par Sri Lanka en 2016, aucun cas de disparition forcée n'a été signalé pendant la période couverte par le rapport, soit de 2017 à 2023. La loi de 2018 sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été promulguée pour donner effet à la Convention au niveau national : cette loi interdit absolument les disparitions forcées et n’admet aucune justification ou circonstance atténuante en ce qui concerne la commission d'une disparition forcée, a par ailleurs fait valoir le Ministre.
D’autre part, a poursuivi M. Nanayakkara, la loi de 2016 sur le Bureau des personnes disparues a été adoptée dans un contexte spécifique, comme l’atteste son préambule, qui reconnaît l'existence de cas de personnes disparues, notamment celles qui ont disparu après avoir été enlevées, celles portées disparues au combat ou portées disparues en lien avec le conflit, les troubles politiques et les troubles civils.
La création du Bureau des personnes disparues a marqué une étape importante, a insisté le Ministre. Institution publique indépendante chargée de clarifier de manière transparente le sort des personnes disparues, son approche centrée sur les victimes a reçu un accueil favorable de la part du public, a-t-il souligné. Outre ce Bureau, la Commission des droits de l'homme de Sri Lanka est chargée d'enquêter sur les violations des droits fondamentaux, y compris de surveiller les lieux de détention. Le Gouvernement continue par ailleurs de renforcer les mécanismes de réconciliation nationaux qui, outre le Bureau des personnes disparues, comprennent le Bureau des réparations et le Bureau de l'unité nationale et de la réconciliation, a fait savoir le Ministre.
Le Gouvernement travaille à la création d'un nouveau système d'indemnisation de ces familles qui ira au-delà de l'aide ponctuelle accordée jusqu'à présent, tout en évitant les retards qui se sont produits jusqu'à présent et en garantissant la transparence, a ajouté M. Nanayakkara.
La délégation sri-lankaise était également composée, entre autres, de Mme Himalee Subhashini Arunatilaka, Représentante permanente de Sri Lanka auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de nombreux représentants des Ministères de la justice et de l'intégration nationale, des affaires étrangères, de la défense, de la sécurité publique et des affaires parlementaires, et des affaires féminines et de l’enfance. Étaient aussi représentés le ministère public et la police sri-lankais, le Bureau des personnes disparues, le Bureau des réparations et le Bureau de l'unité nationale et de la réconciliation.
Ce matin, en début de séance, M. Yakouma Jean de Dieu Bambara, nouveau membre du Comité, a prononcé la déclaration solennelle par laquelle il s’est engagé « à exercer ses devoirs et attributions […] en toute indépendance et objectivité, en tout honneur et dévouement, en parfaite impartialité et en toute conscience ».
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de Sri Lanka et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 3 octobre prochain.
Lundi 29 septembre à partir de 10 heures, le Comité tiendra une réunion informelle avec les États parties à la Convention et les organisations de la société civile.
Examen du rapport de Sri Lanka
Le Comité est saisi du rapport initial de Sri Lanka (CED/C/LKA/1) ainsi que des réponses du pays à une liste de points à traiter qui avait été soumise par le Comité.
Présentation
Présentant le rapport de son pays, M. HARSHANA NANAYAKKARA, Ministre de la justice et de l’intégration nationale de Sri Lanka, a d’abord rappelé qu’en 2024, le peuple sri-lankais avait élu un nouveau gouvernement lors d'élections libres et équitables, suivies d'une transition pacifique du pouvoir. Le Gouvernement s'est engagé en particulier à ce que les mécanismes de réconciliation nationaux mis en place pour relever les défis découlant du conflit puissent poursuivre leur travail de manière indépendante, renforcés par des ressources financières et humaines supplémentaires, a souligné le Ministre.
Depuis la ratification de la Convention par Sri Lanka en 2016, a ajouté M. Nanayakkara, aucun cas de disparition forcée n'a été signalé pendant la période considérée [couverte par le rapport], soit de 2017 à 2023. La loi de 2018 sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été promulguée pour donner effet à la Convention au niveau national : cette loi interdit absolument les disparitions forcées et n’admet aucune justification ou circonstance atténuante en ce qui concerne la commission d'une disparition forcée, a indiqué le Ministre.
D’autre part, a poursuivi M. Nanayakkara, la loi sur le Bureau des personnes disparues (loi n°14 de 2016) a été adoptée dans un contexte spécifique, comme l’atteste son préambule, qui reconnaît l'existence de cas de personnes disparues, notamment celles qui ont disparu après avoir été enlevées, celles portées disparues au combat ou portées disparues en lien avec le conflit, les troubles politiques et les troubles civils. Elle reconnaît en outre que les proches des personnes disparues ont le droit de connaître les circonstances dans lesquelles ces personnes ont disparu et leur sort ultime et leur localisation. La loi souligne également la nécessité de créer une institution habilitée à prendre toutes les mesures nécessaires pour rechercher les personnes disparues, protéger les droits et intérêts des personnes disparues et de leurs familles, et contribuer à ce que de tels événements ne se reproduisent pas. À cet égard, la création du Bureau des personnes disparues en 2018 a marqué une étape importante, a insisté le Ministre. Institution publique indépendante chargée de clarifier de manière transparente le sort des personnes disparues, son approche centrée sur les victimes a reçu un accueil favorable de la part du public, a-t-il souligné. Le Conseil des ministres a récemment approuvé l'octroi d'une enveloppe supplémentaire de 375 millions de roupies au Bureau afin d'accélérer les enquêtes sur les allégations de disparitions, que le Gouvernement considère comme une priorité, a-t-il fait valoir.
Le mandat du Bureau comprend la recherche et la localisation des personnes disparues, quelle que soit la période de leur disparition, la clarification et l'enquête sur les circonstances, la formulation de recommandations aux autorités compétentes en matière de réparation et de protection, la création d'une base de données centralisée, ainsi que le soutien et l'information des familles sur leurs droits, a précisé M. Nanayakkara. À ce jour, a-t-il indiqué, le Bureau a réussi à retrouver vingt-trois personnes disparues ; il a délivré des certificats d'absence et a orienté des dossiers vers le Bureau des réparations pour l’octroi de réparations.
Outre ce Bureau, a ajouté le Ministre, la Commission des droits de l'homme de Sri Lanka est chargée d'enquêter sur les violations des droits fondamentaux, y compris de surveiller les lieux de détention. Cela implique des visites sans préavis dans les commissariats de police et prisons, notamment. Le Gouvernement continue par ailleurs de renforcer les mécanismes de réconciliation nationaux qui, outre le Bureau des personnes disparues, comprennent entre autres le Bureau des réparations et le Bureau de l'unité nationale et de la réconciliation, a fait savoir le Ministre.
Le Ministre a souligné que son Gouvernement avait pour principale préoccupation de veiller à ce que la voix des disparus et de leurs familles soit entendue et respectée. Le Gouvernement travaille ainsi à la création d'un nouveau système d'indemnisation de ces familles qui ira au-delà de l'aide ponctuelle accordée jusqu'à présent, tout en évitant les retards qui se sont produits jusqu'à présent et en garantissant la transparence, a-t-il précisé.
Parmi les autres initiatives prises par le Gouvernement figurent l'élaboration d'une politique nationale et d'un plan d'action pour la réconciliation, avec le soutien de l'équipe de pays des Nations Unies à Sri Lanka ; la création d'un parquet indépendant, comme le Gouvernement s'y est engagé dans sa déclaration de politique générale ; et l’adoption d’une nouvelle législation antiterroriste en vue d'abroger l'actuelle « loi sur la prévention du terrorisme », a en outre fait savoir le Ministre.
Questions et observations des membres du Comité
M. OLIVIER DE FROUVILLE, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport de Sri Lanka, a souligné que le pays avait été particulièrement touché par le crime de disparition forcée, le nombre exact de victimes étant incertain mais – de l’aveu même des autorités, au regard des chiffres officiels – élevé. Le phénomène de la disparition est intervenu à plusieurs périodes de l’histoire du pays, avec des « vagues » en 1971, de 1987 à 1989, en 2002, puis toute la phase finale du conflit qui a ensanglanté l’île jusqu’en 2009, a rappelé l’expert. Aujourd’hui, des allégations ont été reçues par le Comité selon lesquelles la pratique des disparitions forcées aurait toujours cours dans une certaine mesure, a fait savoir M. de Frouville.
Certaines mesures positives ont été adoptées, a poursuivi M. de Frouville. Ainsi, a-t-il précisé, Sri Lanka a ratifié la Convention en 2016 ; en 2018, le Parlement a adopté la loi qui transpose en droit interne les dispositions principales de la Convention ; et d’autres mesures positives ont été prises par la suite, comme la création du Bureau des personnes disparues.
M. de Frouville a ensuite rappelé que l’Alliance mondiale des institutions nationales de droits de l’homme avait recommandé que la compétence de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka de visiter des lieux de détention sans notification préalable soit inscrite dans la loi. L’expert a demandé si le Gouvernement entendait reconnaître la compétence du Comité pour recevoir des plaintes individuelles et interétatiques.
S’agissant des chiffres, M. de Frouville a relevé que le Bureau des personnes disparues avait recensé 16 966 plaintes. Cependant, a fait observer l’expert, certaines sources dignes de foi estiment ce chiffre très en dessous de la réalité et parlent de plus de cent mille personnes disparues au cours de l’histoire de Sri Lanka, au-delà de la période du conflit.
Le corapporteur a par ailleurs demandé si le Gouvernement pouvait évaluer les communautés d’origine des victimes de disparition forcée : selon un rapport reçu par le Comité, les disparitions forcées au sein de la communauté musulmane seraient ignorées et sous-estimées, a relevé M. de Frouville.
M. de Frouville a ensuite voulu savoir quels moyens le Gouvernement utilisait pour recouper les restes identifiés dans les charniers avec les informations contenues dans les bases de données nationales relatives aux personnes disparues.
L’expert a estimé que la loi de 2018 sur les personnes disparues transposait bien la Convention dans le droit national. Cependant, a-t-il regretté, la notion de crime contre l’humanité n’est pas intégrée dans le droit national. S’il existe une jurisprudence solide contre l’excuse de l’ordre reçu, a poursuivi M. de Frouville, la question se pose de savoir si un militaire qui refuserait d’exercer un ordre illégal serait protégé.
M. de Frouville a par ailleurs recommandé que les bases de données de personnes disparues à Sri Lanka soient structurées selon les catégories prescrites par la Convention.
Les conclusions et recommandations des différences commissions d’enquête sur les disparitions forcées crées à Sri Lanka n’ont souvent pas été appliquées, s’agissant en particulier des recommandations relatives à la poursuite de militaires, a fait remarquer M. de Frouville. Il a en outre fait état d’un harcèlement qui semble systématique à l’encontre des familles qui voudraient porter plainte, ainsi que d’une mesure de grâce au profit d’un militaire reconnu coupable de huit disparitions forcées. Il a voulu savoir si l’actuel Bureau des personnes disparues avait renvoyé des cas aux autorités chargées des poursuites et avec quel résultat.
M. de Frouville a ensuite recommandé que Sri Lanka crée une autorité d’enquête sur les disparitions forcées indépendante de l’avocat général ; et que le principe d’indérogeabilité de l’interdiction de la disparition forcée soit inscrit dans la Constitution.
L’expert a d’autre part indiqué que le Comité était informé de détentions arbitraires ou au secret, voire de disparitions forcées de courte durée, commises à Sri Lanka entre 2017 et 2023.
M. de Frouville a ensuite demandé si les décisions d’expulsion ou de refoulement à partir de Sri Lanka pouvaient faire l’objet de recours. Il a voulu savoir ce qui était advenu des quelque 116 requérants d’asile du Myanmar arrivés à Sri Lanka en décembre 2024.
L’expert s’est en outre interrogé sur la manière dont les infractions aux règles relatives à la détention étaient sanctionnées. Selon des informations, nombre de demandes en habeas corpus n’aboutissent pas, a-t-il indiqué. Le droit en place relativement aux disparitions forcées s’est beaucoup amélioré et est solide, le problème étant plutôt la façon dont la loi est appliquée en réalité, a-t-il fait remarquer.
S’agissant de la période de conflit, M. de Frouville a fait état d’allégations de disparitions et de recrutements forcés d’enfants par les Tigres de libération de l’Élam tamoul, puis de disparition forcée ultérieure dans les centres de réhabilitation. Ainsi, en 2000, 24 enfants soldats qui avaient été capturés et placés dans un centre de réadaptation ont été assassinés alors qu'ils étaient sous la garde de l'État. De plus, des restes osseux d'enfants ont été découverts et recueillis dans les fosses communes près de Chemmani. Des enfants ont aussi fait l’objet d’adoptions illégales, pour la plupart dans des pays occidentaux, après falsification de leur identité, a ajouté l’expert. Il s’est enquis des mesures prises par le pays pour clarifier le sort de ces enfants.
MME CARMEN ROSA VILLA QUINTANA, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de Sri Lanka, a fait observer que la loi sur les disparitions forcées de 2018 ne précisait pas le caractère continu de la disparition ni le fait que le délai de prescription doit commencer lorsque cesse le crime de disparition forcée, comme le stipule l'article 8 de la Convention.
Mme Villa Quintana a ensuite vouloir savoir comment l'État partie exercerait sa compétence sur un crime de disparition forcée commis à l'étranger et dont l'auteur présumé se trouverait sur le territoire relevant de sa propre juridiction alors que le crime ne serait pas punissable dans l'État où il aurait été commis. Elle a demandé si Sri Lanka avait déjà extradé un auteur présumé de disparition forcée. L’experte a aussi voulu savoir si des normes interdisaient de nommer de présumés auteurs de disparition forcée, ou leurs complices, à des postes à responsabilité au sein du Gouvernement, y compris dans la police.
Le Comité, a poursuivi l’experte, a reçu des allégations de refus des autorités militaires et policières de communiquer des informations sur des membres de leurs forces présumés auteurs de disparition forcée. D’autre part, la police aurait refusé de recevoir des plaintes pour disparition forcée de la part de membres de la communauté tamoule, a ajouté l’experte. Elle a demandé à quelles conditions la police ouvrait une enquête pour disparition forcée.
Mme Villa Quintana s’est par ailleurs interrogée sur les mesures prises par l'État pour renforcer la gestion des frontières et la gouvernance des migrations afin de lutter contre les migrations irrégulières et la criminalité transnationale organisée, et prévenir les disparitions forcées dans ce contexte.
L’experte a en outre indiqué que le Comité était informé d’un refus d’enregistrer les plaintes pour disparition forcée déposées par les femmes tamoules et d’un mépris exprimé à leur égard par la police.
Les personnes incriminées en vertu de la loi antiterroriste seraient détenues pendant des mois et n’auraient pas accès à un avocat, a ensuite fait observer Mme Villa Quintana. Elle a demandé comment, dans la pratique, l’État garantissait le respect des dispositions de l'article 18.1 de la Convention – qui sont reprises à l'article 16.1 de la loi sri-lankaise relative aux disparitions forcées.
D’autres questions de l’experte ont porté sur la portée de la protection accordée aux proches des victimes de disparition forcée ainsi qu’aux personnes qui participent aux enquêtes sur les faits.
Les institutions de l’État, en particulier la police, ne semblent pas jouir de la confiance de la population sri-lankaise, a d’autre part fait remarquer l’experte. Elle a demandé si les principes des droits humains et du droit international humanitaire étaient inscrits dans la doctrine des forces de police et de l’armée de Sri Lanka, s’agissant en particulier de la prévention des disparitions forcées.
Mme Villa Quintana a d’autre part voulu savoir si le Bureau des personnes disparues informait la police et le parquet en cas de disparitions forcées afin que des enquêtes pénales soient ouvertes et, le cas échéant, combien d’enquêtes ont été ouvertes pour disparition forcée. À ce jour, selon les informations dont dispose le Comité, depuis 2018, le Bureau n'a enquêté que sur dix-neuf cas, dont les détails n'ont pas été rendus publics, a indiqué l’experte.
On recense plus de 22 fosses communes dans le nord-est de Sri Lanka, en particulier dans les provinces du Nord et de l'Est, soit les terres ancestrales des Tamouls, ainsi que près du port de Colombo et de Jaffna, entre autres, a poursuivi Mme Villa Quintana. Elle a demandé si des moyens techniques suffisants avaient été affectés à l’exhumation et à l’identification des dépouilles et où se trouvaient actuellement les 240 dépouilles exhumées à Chemmani. En 2016, a relevé l’experte, le Groupe de travail consultatif sri-lankais sur les mécanismes de réconciliation (Consultation Task Force on Reconciliation Mechanisms) avait identifié de « graves lacunes » dans les enquêtes précédentes sur les fosses communes.
Mme Villa Quintana a souhaité en savoir davantage sur le contenu de l’aide apportée aux familles de victimes de disparition forcée par les différents Bureaux mentionnés pendant le dialogue et par d’autres instances de l’État. Nombre de victimes estiment que les réparations qui leur sont accordées sont une forme d’achat de leur silence, étant donné les lacunes dans le système de justice transitionnelle, a indiqué l’experte. Des femmes tamoules ont refusé toute indemnisation aussi longtemps que le Gouvernement ne leur donnera pas d’information sur le sort de leurs proches disparus, a ajouté Mme Villa Quintana. Elle a demandé s’il était prévu d’instaurer une journée de la mémoire des personnes disparues.
Mme Villa Quintana a enfin demandé si le Gouvernement adopterait une politique publique de lutte contre la violence envers les femmes et les filles, ainsi que des mesures pour autonomiser les femmes dans la recherche de leurs proches disparus.
Une autre experte a fait état d’informations parvenues au Comité indiquant que le fonctionnement du Bureau des personnes disparues donnerait lieu à des plaintes et que ledit Bureau ne donnerait pas suite à certaines affaires, s’agissant notamment du comportement d’officiers de la marine impliqués dans des disparitions forcées ou du refus d’entendre des témoins de l’implication alléguée de l’armée dans des fosses communes à Chemmani.
Réponses de la délégation
La délégation a rappelé que la ratification de la Convention avait été suivie de l’adoption, en 2018, d’une loi d’application de l’instrument – adoption elle-même suivie de la création, entre autres, du Bureau des personnes disparues, d’un Bureau de réparations et d’un régime de protection des témoins.
Sri Lanka a déclaré son adhésion à l’article 32 de la Convention relatif à la compétence du Comité de recevoir des plaintes interétatiques, a par ailleurs rappelé la délégation. Quant à la procédure de plainte individuelle, celle instituée pour le Comité des droits de l’homme a été considérée par la Cour suprême comme contraire à la Constitution, a indiqué la délégation, avant d’ajouter que le problème n’est donc pas réglé à ce jour concernant cette procédure tant pour le Comité des droits de l’homme que pour le Comité des disparitions forcées.
Le rapport a été élaboré avec la contribution d’agences du Gouvernement et d’organisations de la société civile, y compris d’organisations de familles de victimes, avec lesquelles le Bureau des personnes disparues a pris contact, a d’autre part fait savoir la délégation.
La Commission nationale des droits de l’homme est un organe indépendant créé en vertu de la loi. Ses membres sont nommés par le Conseil constitutionnel, son budget est voté par le Parlement et le Gouvernement lui accorde des fonds pour assurer son indépendance, a ensuite indiqué la délégation. La Commission peut adresser des recommandations aux autorités si elle constate, au terme de ses enquêtes, des violations de la loi, et les textes obligent les institutions de l’État à appliquer ces recommandations, à défaut de quoi la Commission en prendra note et se tournera vers le Parlement, a expliqué la délégation.
La Commission nationale des droits de l’homme fait en outre office de mécanisme national de prévention prévu par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, a ajouté la délégation. Des amendements à la loi et au Code de procédure pénale ont été apportés pour permettre à la Commission d’exercer son mandat consistant à contrôler les lieux de détention, a-t-elle rappelé.
S’agissant des préoccupations historiques relatives aux personnes disparues, la délégation a souligné que la loi de 2018 [sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées] reconnaissait explicitement que des disparitions forcées ont eu lieu à Sri Lanka. La loi tient compte de la définition que donne la Convention de ce crime, a-t-elle en outre fait valoir.
La délégation a précisé que le Bureau des personnes disparues avait hérité des plaintes déposées, antérieurement à sa création en 2018, auprès d’autres instances. Il a procédé à une consolidation des affaires, étape suivie de la création d’une base de données nationale comprenant des informations sur les ADN retrouvés et sur les charniers, entre autres. La base contenait dans un premier temps quelque 23 000 personnes – et 16 966 après regroupement des doubles entrées. Une liste provisoire par district a été publiée sur Internet, a indiqué la délégation.
Le Gouvernement ne manque pas de volonté politique pour faire la lumière sur les disparitions forcées et y mettre un terme, a assuré la délégation. Le Bureau manque cependant de ressources humaines et techniques pour accomplir son mandat, a-t-elle admis. Des recrutements devraient avoir lieu d’ici à la fin de l’année pour accélérer les enquêtes et les recherches, a-t-elle indiqué. Les mesures prises pour renforcer le Bureau devraient entraîner une meilleure perception de l’instance par le public, a affirmé la délégation.
Le nouveau Gouvernement applique une politique de tolérance zéro contre toutes les disparitions forcées, ce qui est la raison d’être du Bureau des personnes disparues, a insisté la délégation. Le Gouvernement n’encourage aucune affectation d’auteurs de violations à des postes à responsabilité, a-t-elle assuré.
Dans le même temps, l’unité de protection du Bureau des personnes disparues travaille sur une cartographie des nouvelles tendances en matière de disparition forcée, a par la suite ajouté la délégation. L’unité analyse les dénonciations de disparition et, si elles ne relèvent pas du mandat du Bureau, les transmet à l’autorité compétente. Le Bureau peut diligenter des enquêtes et intenter des actions pénales, a-t-il été rappelé.
La délégation a insisté sur le fait que le Bureau des personnes disparues était une bonne institution en soi, mais souffrait de la mauvaise réputation des institutions d’État, qui remonte à plusieurs années. Le Gouvernement a la volonté politique de faire du Bureau une institution efficace, a assuré la délégation.
Le Bureau des personnes disparues travaille avec des partenaires sur dix-sept fosses communes, a poursuivi la délégation. Il a mis en place des formations pour médecins-légistes et pour toute personne amenée à enquêter sur les fosses communes, a-t-il été précisé. Les autorités organisent des visites de sites suspects, a souligné la délégation. L’enseignement porte aussi sur les meilleures pratiques en matière de conservation des preuves, a-t-elle ajouté.
Les citoyens sont informés de ce qui est trouvé dans les fosses communes – dépouilles ou objets – et sont invités, moyennant des précautions, à venir sur place pour observer les travaux, a indiqué la délégation. Les enquêtes sont confiées à des agents spécialisés, y compris des spécialistes attachés aux hôpitaux, des archéologues et des formateurs. Des analyses de restes osseux sont effectuées pour l’identification des dépouilles. Des procédures normalisées sont appliquées pour ce faire, avec la participation du Comité international de la Croix-Rouge, a fait savoir la délégation.
La délégation a fourni d’autres explications relatives au certificat d’absence et de décès, ainsi qu’aux indemnités délivrés par le Bureau des personnes disparues. Elle a également décrit le mécanisme qui a été mis en place pour conserver les dépouilles exhumées des fosses communes et les échantillons d’ADN prélevés.
Quelque 4000 familles de victimes de disparition forcée ont été indemnisées à ce jour, a-t-il été précisé.
La formation de base des forces armées et de la police comprend des enseignements au respect des droits de l’homme fondamentaux, a-t-il été indiqué.
La délégation a fourni d’autres informations sur les suites judiciaires données à l’accusation portée contre des officiers de la marine. Elle a assuré à ce propos que le parquet menait ses investigations en toute impartialité.
La Cour suprême se prononcera sur la grâce présidentielle accordée à un militaire condamné, a par la suite ajouté la délégation, avant de faire observer que la Cour avait déjà, par le passé, cassé des grâces présidentielles et obligé des personnes à purger leurs peines de prison.
La délégation a par la suite indiqué que le Bureau des personnes disparues avait mené des enquêtes sur les charniers de Chemmani de manière conforme aux normes internationales dans ce domaine, y compris les Protocoles de Montréal et du Minnesota, les familles ayant été impliquées dans le processus. Des prélèvements d’échantillons d’ADN seront prélevés avec le soutien d’experts internationaux, a ajouté la délégation.
La loi sur les disparitions forcées prévaut sur les autres lois sri-lankaises, a par ailleurs souligné la délégation. Cette loi prévoit en particulier que l’ordre reçu d’un supérieur hiérarchique ne constitue pas un argument de défense pour un coupable présumé, a-t-elle fait observer. La jurisprudence dans ce domaine est très riche, a assuré la délégation.
S’agissant du cadre juridique et procédural, la délégation a expliqué que les autorités peuvent arrêter une personne sur la base de soupçons raisonnables de commission d’un crime ; mais les tribunaux ont besoin d’une preuve au-delà du doute raisonnable pour prononcer des condamnations, a-t-elle rappelé. Ce dispositif conditionne la réalisation des enquêtes et leur aboutissement.
Il n’est pas nécessaire de déposer une plainte pour que la police ouvre une enquête pour disparition forcée, a d’autre part souligné la délégation. Des enquêtes sur des faits de disparition forcée ont été ouvertes à partir de restes corporels exhumés par la police, a-t-elle indiqué.
Le Gouvernement entend remplacer l’ancienne loi antiterroriste par un texte conforme aux normes internationales et qui ne mettra pas en péril les libertés fondamentales, a fait savoir la délégation.
Une commission de juristes est chargée de créer un poste de « procureur public indépendant », a-t-il par ailleurs été indiqué.
La délégation a par ailleurs évoqué les mesures prises, dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, pour retrouver les personnes victimes de disparition forcée.
S’agissant de l’aide apportée aux victimes et à leurs familles, la loi sur les personnes disparues introduit une stratégie d’appui psychosocial pour les proches, a indiqué la délégation, précisant qu’il s’agissait là de la priorité du Gouvernement. Les autorités dialoguent avec les familles pour évaluer leurs besoins et leur donnent, si nécessaire, une attestation d’absence qui leur donnera accès aux prestations prévues. Le mécanisme de justice transitionnel est chargé de rationnaliser l’aide apportée par le Gouvernement et d’œuvrer à la non-répétition.
Quelque 120 réfugiés en provenance du Myanmar sont actuellement pris en charge par le Ministère des migrations, a ajouté la délégation.
Ayant ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, Sri Lanka applique le principe de non-refoulement et ne renvoie aucune personne vers un pays où elle risquerait d’être soumise à la torture ou à la disparition forcée, a souligné la délégation.
Les tribunaux peuvent interdire une adoption s’ils estiment qu’elle ne répond pas aux conditions fixées par la loi, a d’autre part indiqué la délégation. Le cadre juridique régissant l’adoption internationale a été révisé, afin de mieux encadrer cette pratique, a-t-elle ajouté. Les jeunes Sri-lankais adoptés en Suisse, par exemple, peuvent faire des démarches pour retrouver leurs parents biologiques s’ils le souhaitent, des procédures de recherche ayant été mises en place par les autorités.
Une première journée officielle de commémoration des victimes de disparition forcée avait été célébrée en 2024, dans le cadre d’un processus mémoriel que le Gouvernement poursuivra, a d’autre part indiqué la délégation.
Les autorités réfléchissent en ce moment à la création d’une commission de vérité, justice et réconciliation, a-t-elle ajouté.
Remarques de conclusion
M. NANAYAKKARA a dit avoir pris bonne note des points de vue et recommandations des membres du Comité. Le Gouvernement sri-lankais est convaincu que justice doit être rendue aux familles des victimes afin qu’elles puissent aller de l’avant, a insisté le Ministre.
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Ce document produit par le Service de l’information des Nations Unies à Genève est destiné à l'information ; il ne constitue pas un document officiel.
Les versions anglaise et française de nos communiqués sont différentes car elles sont le produit de deux équipes de couverture distinctes qui travaillent indépendamment.