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Examen de l’Afghanistan au CEDAW : les expertes évoquent une discrimination systémique et profonde envers les femmes qui touche tous les aspects de la vie publique, politique, sociale, économique et culturelle

Compte rendu de séance

 

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW, selon l’acronyme en anglais) a examiné aujourd’hui le rapport soumis par l’Afghanistan au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

Au cours du dialogue qui s’est noué entre les expertes du Comité et une délégation afghane venue soutenir ce rapport, une experte a rappelé que depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les autorités de facto avaient institutionnalisé la discrimination fondée sur le genre, dans la loi et en pratique, en violation directe de l'article premier de la Convention. Systémique et profonde, cette discrimination touche tous les aspects de la vie publique, politique, sociale, économique et culturelle, a-t-elle souligné. Les femmes et les filles sont exclues de l'enseignement secondaire et supérieur ainsi que de la plupart des emplois ; elles sont soumises à de sévères restrictions à leur liberté de circulation et sont privées de toute participation à la vie politique et publique, a-t-elle ajouté.

Le Comité, a poursuivi l’experte, exprime sa profonde préoccupation face à ces violations graves et persistantes qui non seulement constituent une régression pour ce qui est des progrès accomplis en matière d'égalité des sexes, mais marquent aussi l'effondrement des mécanismes juridiques et constitutionnels qui, aussi limités fussent-ils, garantissaient aux femmes et aux filles l'accès à la justice et la protection de leurs droits fondamentaux. De plus, dans le vide juridique induit par l’abrogation de la Constitution de 2004, l'application incohérente et opaque du droit religieux et coutumier renforce les normes patriarcales, en particulier dans des domaines tels que le droit de la famille, l'héritage et la protection des femmes contre la violence.

Le Comité est profondément alarmé par l'érosion des institutions juridiques et de l'accès à la justice en Afghanistan, a insisté l’experte. À cet égard, la dissolution de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, la fermeture des tribunaux familiaux, la suppression des centres de protection pour femmes et la cessation des services d'aide juridique ont démantelé les mécanismes essentiels de responsabilisation pour les victimes de violences sexistes, a-t-elle déploré.

Une autre experte a qualifié le système d'oppression des Taliban d’exemple de persécution fondée sur le sexe. Elle a cité à ce titre, entre autres, la « loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice » – un ensemble de décrets qui effacent délibérément les femmes de la vie publique et contrôlent tous les aspects de la vie des femmes en Afghanistan, de la naissance à la mort – ou encore le « décret sur la lapidation », qui valide explicitement des actes constituant des meurtres, des actes de torture et autres actes inhumains à l'égard des femmes.

Chef de la délégation afghane, M. Nasir Ahmad Andisha, Représentant permanent de l’Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève, a précisé que sa Mission permanente avait été invitée par le Comité à établir le rapport, qui donne suite aux recommandations formulées par le Comité dans ses observations finales sur le précédent rapport périodique, ainsi qu’aux questions soulevées dans une lettre du Comité adressée aux autorités de facto et à leur réponse reçue le 30 janvier 2023. La réponse des autorités de facto des Taliban n'a pas tenu compte des réalités vécues et des perspectives des femmes afghanes, ce qui constitue un nouvel acte visant à les réduire au silence, a déploré le Représentant permanent.

Le rapport a pour but de donner un compte rendu complet et précis de la situation sur le terrain depuis août 2021 ; il comprend aussi des informations postérieures à la date de réception de la réponse des autorités de facto talibanes, démontrant que la situation continue de se détériorer, a indiqué M. Andisha. Le rapport propose des recommandations concrètes, qui visent à offrir une voie à suivre pour la transformation de la société afghane grâce à des moyens concrets de changement dans la vie des femmes et des filles, à un moment où les autorités de facto des Taliban qualifient la situation des femmes et des filles de « question interne ».

Complétant cette présentation, Mme Sima Samar, ancienne Présidente de la Commission indépendante des droits de l'Homme en Afghanistan, a souligné que la situation en Afghanistan était marquée par un véritable apartheid de genre contre les femmes. Tous les mécanismes de protection des droits des femmes en Afghanistan ont été supprimés par les Taliban, a-t-elle insisté, avant de juger très préoccupante la normalisation des violations des droits humains dans le pays.

Pour sa part, Mme Fawzia Koofi, ancienne membre du Parlement d'Afghanistan, a mis en avant le démantèlement par les Taliban de tous les processus qui permettaient aux femmes de participer à la vie publique, évoquant notamment l’élimination des quotas de femmes parlementaires et l’exclusion des magistrates du système de justice. Enfin, Mme Shukria Barakzai, ancienne membre du Parlement d'Afghanistan, a appelé le Comité à reconnaître l’apartheid de genre en Afghanistan et la communauté internationale à venir en aide aux femmes afghanes vulnérables en exil qui risquent leur vie dans des pays voisins.

Outre M. Andisha et d’autres membres de la Mission permanente, la délégation afghane était également composée des ambassadeurs d’Afghanistan en Australie, en Autriche et au Canada, de militantes et militants des droits humains, d’universitaires, ainsi que de nombreux anciennes et anciens membres du Gouvernement, du Parlement, du Sénat et de la Commission indépendante des droits de l’homme d’Afghanistan.

Pendant le dialogue avec le Comité, la délégation a regretté que certains pays voisins de l’Afghanistan relativisent les actions des Taliban. Elle a fait remarquer à ce propos que l’Organisation de la coopération islamique (OCI) avait toujours réfuté l’affirmation des Taliban selon laquelle ils traiteraient les femmes conformément à la loi islamique. Il est clair qu’aucune justification religieuse ne permet de bafouer la Convention, qui a été dûment ratifiée par l’Afghanistan, a affirmé la délégation. Tous les articles de la Convention sont bafoués en Afghanistan, a-t-elle en outre indiqué.

Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Afghanistan et les publiera à l’issue de sa session, le 4 juillet prochain.

 

Demain, à partir de 10 heures, le Comité examinera le rapport de Saint-Marin.

 

Examen du rapport de l’Afghanistan

Le Comité est saisi du quatrième rapport périodique de l’Afghanistan (CEDAW/C/AFG/4).

Présentation du rapport

Présentant le rapport de son pays, M. NASIR AHMAD ANDISHA, Représentant permanent de l’Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève, a rappelé que l’Afghanistan avait ratifié la Convention en 2003 sans réserve, marquant ainsi une avancée historique pour les droits des femmes dans le pays. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l'Afghanistan en 2020 : à cette occasion, la délégation était dirigée par une femme, a-t-il en outre rappelé, avant d’ajouter que les observations finales du Comité avaient alors proposé une feuille de route pour une transformation réelle et durable qui, si elle avait été mise en œuvre, aurait pu changer fondamentalement la vie des femmes et des filles en Afghanistan.

Or, depuis août 2021, les femmes et les filles en Afghanistan sont, dans tous les aspects de leur vie, victimes d'attaques systématiques et généralisées qui visent à les effacer complètement et à les déshumaniser, a déclaré M. Andisha. Les lois, politiques et institutions qui avaient été mises en place pour promouvoir et protéger les droits des femmes ont été remplacées par un édifice oppressif composé d'édits, de décrets, de déclarations et d’ordonnances discriminatoires, qui a abouti à une loi dite « loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice ».

La Mission permanente de la République islamique d'Afghanistan auprès des Nations Unies à Genève a été invitée par le Comité à établir un quatrième rapport périodique, a souligné M. Andisha. Le présent rapport donne suite aux recommandations formulées par le Comité dans ses observations finales sur le troisième rapport périodique, ainsi qu’aux questions soulevées dans la lettre adressée par le Comité aux autorités de facto le 27 janvier 2022 et à leur réponse reçue le 30 janvier 2023. La réponse des autorités de facto des Taliban n'a pas tenu compte des réalités vécues et des perspectives des femmes afghanes, ce qui constitue un nouvel acte visant à les réduire au silence, a déploré le Représentant permanent.

Le rapport a pour but de donner un compte rendu complet et précis de la situation sur le terrain depuis le 15 août 2021 ; il comprend également des informations postérieures à la date de réception de la réponse des autorités de facto talibanes, démontrant que la situation continue de se détériorer, a indiqué le Représentant permanent.

Le rapport s'efforce d’autre part d’obtenir que la communauté internationale prenne des mesures efficaces sur la base d'informations vérifiées : il propose pour ce faire des recommandations concrètes pour l'avenir. Ces recommandations visent à offrir un espoir, une vision et une voie à suivre pour la transformation de la société afghane grâce à des moyens concrets de changement dans la vie des femmes et des filles, à un moment où les autorités de facto des Taliban qualifient la situation des femmes et des filles de « question interne ».

Le comité chargé par la Mission permanente de rédiger le rapport a tenu plusieurs réunions afin de coordonner les efforts avec les défenseurs des droits des femmes et les organisations de la société civile, y compris les groupes de femmes, en vue de la collecte d'informations. Ledit comité a analysé des rapports sur les droits de l'homme et d'autres sources, notamment les médias, les institutions universitaires et politiques, ainsi que les informations fournies par les autorités talibanes de facto elles-mêmes. Pour compléter cette analyse, une enquête a été menée afin de mieux cerner les réalités et les perspectives sur le terrain depuis le 15 août 2021. Elle a constitué un échantillon représentatif de femmes dans toutes les provinces ainsi que dans la diaspora. Le sentiment de défaite totale qui imprégnait chaque réponse était perceptible, ce qui rend l’application des recommandations du rapport d'autant plus importante, a insisté M. Andisha.

Complétant cette présentation, MME SIMA SAMAR, ancienne Présidente de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, a salué la tenue de ce dialogue avec le Comité. Elle a indiqué avoir soumis un rapport parallèle au rapport de la Mission permanente. La situation en Afghanistan est exceptionnelle, marquée par un véritable apartheid de genre contre les femmes qui se commet dans l’impunité, a-t-elle fait remarquer.

Tous les mécanismes de protection des droits des femmes en Afghanistan ont été supprimés par les Taliban, a déploré Mme Samar. La normalisation des violations des droits humains en Afghanistan est très préoccupante et la manière dont les femmes sont traitées ne fait que perpétuer les conflits, a-t-elle mis en garde.

Pour sa part, MME FAWZIA KOOFI, ancienne membre du Parlement d'Afghanistan, a fait remarquer que les femmes afghanes qui feront l’objet du dialogue de ce jour n’avaient pas le droit de s’exprimer, même virtuellement. Elle a mis en avant le démantèlement par les Taliban de tous les processus qui permettaient aux femmes de participer à la vie publique, évoquant notamment l’élimination des quotas de femmes parlementaires, l’exclusion des magistrates du système de justice et leur remplacement par d’anciens détenus. Les Taliban ont aussi demandé explicitement l’exclusion des femmes et des organisations de la société civile des dialogues internationaux à Doha relatifs à l’avenir de l’Afghanistan, a-t-elle souligné.

Mme Koofi a espéré que les Taliban rendraient des comptes pour les violations de la Convention. Elle a regretté, à cet égard, que la Cour pénale internationale n’ait pas été saisie de la situation des femmes en Afghanistan.

MME SHUKRIA BARAKZAI, ancienne membre du Parlement d'Afghanistan, a relevé pour sa part que les autorités de facto interdisaient aux femmes d’exercer leur droit à l’éducation et leur interdisaient de se déplacer sans un chaperon masculin. Les femmes afghanes montrent au monde un exemple de résistance civile et leur courage ne doit pas passer inaperçu, a-t-elle déclaré. Elle a appelé le Comité à reconnaître l’apartheid de genre en Afghanistan et la communauté internationale à venir en aide aux femmes afghanes vulnérables en exil qui risquent leur vie dans des pays voisins.

Questions et observations des membres du Comité

Dans des remarques préliminaires, une experte a souligné que le dialogue de ce jour allait au-delà de la simple procédure, car il se déroule dans le contexte de la réalité dure de l'une des plus graves catastrophes humanitaires auxquelles les femmes et les filles sont confrontées actuellement. L’experte a insisté sur l’importance d’évaluer les obligations de l'Afghanistan au titre de la Convention – un traité qui lie l'Afghanistan indépendamment de tout changement d'autorité politique, a-t-elle fait remarquer.

En préparation de ce dialogue, le Comité a sollicité des informations auprès des autorités de facto au moyen d'une liste informelle exhaustive de questions, transmise par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, a précisé l’experte, avant d’indiquer que cette demande est restée sans réponse.

L’experte a ensuite rappelé que depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les autorités de facto avaient institutionnalisé la discrimination fondée sur le genre, dans la loi et en pratique, en violation directe de l'article premier de la Convention. Systémique et profonde, cette discrimination touche tous les aspects de la vie publique, politique, sociale, économique et culturelle. Les femmes et les filles sont exclues de l'enseignement secondaire et supérieur ainsi que de la plupart des emplois ; elles sont soumises à de sévères restrictions à leur liberté de circulation et sont privées de toute participation à la vie politique et publique. Des restrictions supplémentaires en matière d'habillement et de comportement en public portent encore davantage atteinte à leur dignité et à leur autonomie, a insisté l’experte.

Le Comité, a poursuivi cette même experte, exprime sa profonde préoccupation face à ces violations graves et persistantes qui non seulement constituent une régression pour ce qui est des progrès accomplis en matière d'égalité des sexes, mais marquent aussi l'effondrement des mécanismes juridiques et constitutionnels qui, aussi limités fussent-ils, garantissaient aux femmes et aux filles l'accès à la justice et la protection de leurs droits fondamentaux. De plus, dans le vide juridique induit par l’abrogation de la Constitution de 2004, l'application incohérente et opaque du droit religieux et coutumier renforce les normes patriarcales, en particulier dans des domaines tels que le droit de la famille, l'héritage et la protection des femmes contre la violence.

Le Comité est profondément alarmé par l'érosion des institutions juridiques et de l'accès à la justice en Afghanistan, a insisté l’experte. À cet égard, la dissolution de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan, la fermeture des tribunaux familiaux, la suppression des centres de protection pour femmes et la cessation des services d'aide juridique ont démantelé les mécanismes essentiels de responsabilisation pour les victimes de violences sexistes, a-t-elle déploré.

Le Comité, a ajouté l’experte, se fait l'écho de l'appel urgent lancé par le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en Afghanistan aux États Membres afin qu'ils soutiennent la société civile et les défenseuses des droits humains. À cet égard, les pratiques des donateurs doivent être réévaluées afin de ne pas mettre pas en danger les acteurs locaux ni compromettre leur sécurité, a demandé l’experte.

L’Afghanistan, a aussi fait remarquer l’experte, occupe aujourd’hui la dernière place de l'indice mondial « Femmes, paix et sécurité », reflétant la forte détérioration de l'inclusion des femmes, de leur accès à la justice et de leur sécurité personnelle. Quelque 23,7 millions de personnes en Afghanistan ont besoin d'une aide humanitaire, dont 80% sont des femmes et des enfants, a rappelé l’experte.

La dissolution arbitraire du ministère des affaires féminines et son remplacement par le ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice, en septembre 2021, constituent une violation flagrante de l'article 3 de la Convention, a regretté une autre experte. Elle a rappelé que six États parties à la Convention ont, à la demande de femmes afghanes, saisi le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Afghanistan : c’est la première fois que le Procureur a considéré que de telles accusations étaient recevables, a-t-elle relevé. De même, quatre États parties à la Convention – l’Australie, le Canada, l’Allemagne et les Pays-Bas – ont annoncé leur intention d'engager une procédure devant la Cour internationale de Justice en vertu de l'article 29 de la Convention, étant donné les « violations flagrantes et systématiques des droits humains et les abus commis en Afghanistan, en particulier la discrimination fondée sur le sexe à l'égard des femmes et des filles ».

Pour cette même experte, le système d'oppression des Taliban est un exemple paradigmatique de persécution fondée sur le sexe. Elle a cité à ce titre, entre autres, la « loi sur la promotion de la vertu et la prévention du vice » – un ensemble de décrets qui effacent délibérément les femmes de la vie publique et contrôlent tous les aspects de la vie des femmes en Afghanistan, de la naissance à la mort – ou encore le « décret sur la lapidation », qui valide explicitement des actes constituant des meurtres, des actes de torture et autres actes inhumains à l'égard des femmes.

Le Comité est consterné par le démantèlement, par les autorités de facto, des mesures et programmes qui visaient à éliminer les préjugés sexistes et à promouvoir l'égalité. Le Comité prend note de la décision récente de la Cour de justice de l'Union européenne indiquant que la discrimination systémique à l'égard des femmes en Afghanistan équivaut à une persécution et que, par conséquent, le sexe et la nationalité constituent à eux seuls des motifs suffisants pour que les pays de l’Union européenne accordent l'asile aux femmes originaires d’Afghanistan.

Une experte a relayé des informations alarmantes fournies par ONU-Femmes concernant l’augmentation des incidents de violence sexiste à l'égard des femmes et des filles en raison des restrictions imposées à ce groupe par les autorités de facto ; elle a notamment évoqué la dépendance des femmes à l'égard d'un mahram (ou tuteur, lequel peut être l'auteur de violences sexuelles à l'égard de la femme qu'il accompagne), le refus d'accès aux espaces publics opposé aux femmes et leur confinement à domicile, ainsi que le démantèlement systématique des infrastructures juridiques et de protection.

D’autre part, les nombreux déplacements de population, l’extrême pauvreté et l’insécurité alimentaire ont exacerbé le recours à des mécanismes d’adaptation préjudiciables tels que les mariages forcés et les mariages d’enfants, a relevé l’experte, citant un rapport du Secrétaire général des Nations Unies. Le décret publié par les autorités de facto pour interdire les mariages forcés est resté lettre morte en raison du climat général d’impunité qui entoure ces actes, a-t-elle fait remarquer.

D’autres préoccupations ont été exprimées s’agissant de l’exploitation de femmes afghanes victimes de la traite des êtres humains. Il semble, a dit une experte, que, sous le régime des autorités de facto, ces pratiques se poursuivent, souvent amplifiées au nom de la préservation des valeurs traditionnelles et des normes culturelles. De plus, certaines pratiques qui étaient dans une certaine mesure interdites sous le gouvernement précédent, notamment le mariage forcé des femmes et des filles comme moyen de remboursement de dettes et de règlement des différends, sont devenues courantes. Dans ce contexte, le silence face à l’oppression systémique des femmes équivaut à une complicité, a dit l’experte.

Il a par ailleurs été regretté que la voix des femmes dans les négociations intra-afghanes n’ait été que symbolique, une poignée de déléguées n'ayant exercé qu'une influence minime sur les résultats concrets. Il a également été déploré que les autorités de facto talibanes aient supprimé tous les mécanismes officiels qui permettaient auparavant aux femmes de participer à la prise de décision, notamment la garantie constitutionnelle d'une représentation de 27% des femmes à l'Assemblée nationale, selon la Constitution de 2004 abrogée. Une experte s’est dite alarmée par le fait que les femmes afghanes soient interdites de la fonction publique, empêchées de se présenter à des élections et exclues de toutes les fonctions gouvernementales. Également préoccupante est l'exclusion totale des femmes du pouvoir judiciaire et du service diplomatique afghans, a-t-elle insisté.

Cette même experte s’est en outre dite préoccupée que des avocates se soient vu retirer leur licence professionnelle et que les tribunaux fonctionnent désormais sous la direction de religieux alignés sur les Taliban, sans formation juridique, qui appliquent des interprétations discriminatoires de la charia en adhérant strictement à l'exclusion des femmes.

Une autre experte a déploré la disparition des filles et des femmes dans l’éducation secondaire et supérieure, ainsi que la fermeture des classes qui leur étaient ouvertes et l’interdiction faite aux femmes d’étudier la médecine. De plus, quelque 30% des filles n’ont jamais été scolarisées, même dans le primaire, a fait remarquer l’experte. La déscolarisation des filles s’accompagne de problèmes tels que les mariages précoces et forcés et la dépression, a-t-elle souligné.

Depuis le 15 août 2021, a rappelé une experte, la plupart des fonctionnaires femmes ont été empêchées de reprendre leur travail, à quelques exceptions près dans des secteurs tels que l'éducation, la santé et la sécurité aéroportuaire. Les restrictions se sont intensifiées en décembre 2022, lorsque le ministère de l'économie de facto a interdit aux Afghanes de travailler pour des ONG – une interdiction étendue aux agences des Nations Unies en avril 2023 et en décembre 2024. Parallèlement, l'obligation d'être accompagnée d'un mahram empêche les femmes de se rendre à leur travail. Selon ONU Femmes, la proportion de femmes afghanes sur le marché du travail formel est tombée de 14,7% en 2021 à seulement 5,2% en 2023. Les ménages dirigés par des femmes sont touchés de manière disproportionnée par la pauvreté, le chômage et l'insécurité alimentaire. De nombreuses femmes se sont tournées vers des emplois informels ou précaires, ou ont perdu toutes leurs sources de revenus, a fait observer la même experte.

Une autre experte a relevé que les femmes enceintes ne pouvaient pas bénéficier d'un suivi prénatal, d'une assistance à l'accouchement ou d'un soutien postnatal, ce qui se traduit par des taux de mortalité maternelle et infantile toujours élevés. Dans les zones rurales et reculées, les services de santé maternelle et reproductive sont pratiquement inexistants. Les moyens de contraception sont indisponibles et il n'existe pas de données fiables sur les avortements pratiqués dans des conditions dangereuses ou sur les décès maternels qui y sont liés. Les statistiques disponibles pointent également une importante dégradation de la santé mentale des femmes et des filles en Afghanistan, a souligné l’experte.

L’experte a jugé particulièrement préoccupant que les Taliban aient interdit aux femmes de travailler dans le secteur de la santé et de suivre une formation d'infirmière ou de sage-femme.

Plus de 90% de la population, principalement des femmes et des filles, sont plongés dans la pauvreté et vivent en dessous du niveau de protection sociale minimum de l’Organisation internationale du Travail. Sans mahram , les familles monoparentales dirigées par des femmes n’ont aucun moyen de répondre à leurs besoins de base, a fait remarquer une experte.

Le Comité est particulièrement alarmé par l'effondrement quasi total des soins de santé maternelle et reproductive dans les zones rurales, a mis en garde une experte. Le décret de décembre 2024 interdisant aux femmes de s'inscrire à des formations de sage-femme et d'infirmière a supprimé toutes les possibilités de prestation de soins de santé par des femmes pour les femmes, alors même que le travail des ONG reste interdit, a-t-elle souligné.

Le Comité est très préoccupé par les retours forcés et massifs de ressortissants afghans depuis l'Iran et le Pakistan depuis septembre 2023, a ajouté la même experte. Plus de trois millions de rapatriés, dont de nombreuses femmes et filles, ont été renvoyés dans des conditions d'invisibilité juridique, d'absence de documents et de contrôles sociaux discriminatoires, sans qu'aucun cadre de réintégration tenant compte des spécificités de genre ne soit mis en place, a-t-il été observé.

D’autres préoccupations ont été exprimées par les expertes s’agissant de violations persistantes et graves du droit des femmes afghanes à la nationalité et aux documents d’identité ; de l’exclusion des femmes et des filles du monde du sport ; de la marginalisation culturelle et économique des femmes afghanes dans certains pays où elles sont réfugiées ; ou encore de formes croisées de discrimination dont sont victimes les groupes de femmes marginalisées et défavorisées, y compris les femmes handicapées.

Réponses de la délégation

Réagissant aux préoccupations exprimées par les expertes, la délégation a d’abord regretté que certains pays voisins de l’Afghanistan relativisent les actions des Taliban. Elle a fait remarquer à ce propos que l’Organisation de la coopération islamique (OCI) avait toujours réfuté l’affirmation des Taliban selon laquelle ils traiteraient les femmes conformément à la loi islamique. Il est clair qu’aucune justification religieuse ne permet de bafouer la Convention, qui a été dûment ratifiée par l’Afghanistan, a déclaré la délégation.

La délégation a déploré que les autorités talibanes instrumentalisent leur conception de la religion islamique et de la culture afghane contre les femmes.

Depuis 2021, les autorités talibanes ont publié plus de cent décrets instituant des pratiques misogynes aboutissant à l’exclusion des femmes et des filles, qui constituent un véritable apartheid de genre, en violation complète de l’article 3 de la Convention. L’apartheid de genre est une réalité que vivent des millions de femmes, et à laquelle il faut mettre fin a insisté la délégation.

La délégation a par ailleurs fait observer que les Taliban avaient démantelé les services et abris pour femmes victimes de violence et de traite des êtres humains. Elle a aussi fait état de harcèlement en ligne à l’encontre de femmes et de filles qui utilisent Internet.

Il n’y a plus non plus de recours juridique ouvert aux femmes victimes de violence et de discrimination, a souligné la délégation.

La délégation a rappelé que la part réservée aux femmes dans les instances de gouvernance était tombée d’environ 35% avant août 2021 à zéro sous les Taliban.

La délégation a déploré à plusieurs reprises l’absence totale des femmes dans les délégations afghanes prenant part aux dialogues internationaux , y compris dans les discussions à Doha : l’acceptation de cette situation risque de normaliser le régime des Taliban, a-t-il été souligné.

Toute collaboration avec les autorités talibanes devrait être conditionnée au respect des droits de toutes et tous en Afghanistan, et à la participation des femmes aux prises de décision, a recommandé la délégation.

Les agences des Nations Unies en Afghanistan doivent donner aux femmes l’espace qui leur est dénié par les Taliban, a demandé la délégation.

Le droit à l’ éducation est à l’avant-garde des revendications des femmes, a ensuite souligné la délégation, qui a rappelé que la Constitution de 2004 garantissait ce droit jusqu’à l’enseignement supérieur. Depuis deux ans, il n’existe plus d’espoir que les Taliban ouvrent de nouveau les classes pour les femmes et les filles. L’espoir réside peut-être dans l’organisation de cours à distance, par Internet.

La délégation a par ailleurs attiré l’attention sur le risque que constitue la prolifération des écoles religieuses, qui ne forment que des « hommes taliban ». L’éducation moderne est interdite aux hommes comme aux femmes, a fait remarquer la délégation.

Dans le contexte des restrictions à l’éducationdes filles, on observe un problème de radicalisation de certaines jeunes, ce qui est un grave problème pour l’avenir de l’Afghanistan, a insisté la délégation. Quelque 80% des jeunes femmes ne vont plus à l’école, a-t-il été rappelé.

S’agissant des questions liées à l’emploi, la délégation a indiqué qu’avant août 2021, un tiers environ des fonctionnaires étaient des femmes. Depuis lors, la grande majorité des femmes afghanes ont été exclues des activités génératrices de revenus. Leur indépendance financière a été démantelée, leur influence dans la prise de décision réduite. En conséquence, les femmes continuent de faire face à des difficultés économiques croissantes et sont de plus en plus vulnérables à la violence domestique, à l'exploitation, aux abus et aux mariages forcés, a souligné la délégation.

La délégation a par ailleurs affirmé que les Taliban restreignaient l’accès des femmes à la santé, en particulier à la santé procréative, pour éviter qu’elles ne s’autonomisent et ne soient ainsi en mesure de choisir leur vie. Ces restrictions contribuent elles aussi au problème des mariages précoces et forcés des filles, et induisent de graves problèmes de santé. La loi qui interdisait le mariage avant 16 ans a été abrogée, a d’autre part fait observer la délégation.

De plus, les politiques des Taliban attaquent directement la santé mentale des femmes et des filles, ce dont témoigne la montée du taux de suicide parmi elles. Enfin, la vaccination étant interdite, on compte des cas de polio en Afghanistan, a-t-il été ajouté.

La délégation a précisé que selon les données qui étaient disponibles le mois dernier, moins de 6% des femmes afghanes participent à la vie économique du pays. Les femmes non mariées n’ont plus accès à certains financements, dans un contexte où les services bancaires ont disparu, tout comme les microcrédits. La délégation a plaidé pour l’instauration de mécanismes destinés à aider les femmes entrepreneuses à se reconstruire.

Les femmes n’ont pas non plus le droit de participer à la vie sociale et culturelle , et la censure a effacé les noms des femmes poétesses, a ajouté la délégation.

La délégation a enfin attiré l’attention sur la négation de la capacité juridique des femmes par les Taliban et sur l’inégalité entre les sexes inscrite dans la loi.

Remarques de conclusion

MME NAHLA HAIDAR, Présidente du Comité, a assuré la délégation de la solidarité des membres du Comité avec les femmes afghanes.

De même, MME BANDANA RANA, rapporteuse du Comité pour l’examen du rapport de l’Afghanistan, a insisté sur le fait que le Comité ferait tout ce qui est en son pouvoir pour venir en aide aux femmes afghanes.

MME SAMAR a remercié le Comité pour son engagement en faveur des droits des femmes partout dans le monde. Le cas de l’Afghanistan est particulièrement difficile, en ce qu’il est le seul pays à avoir placé la femme dans un statut inférieur, inhumain et subordonné. Tous les articles de la Convention sont bafoués en Afghanistan, a déploré l’ancienne Présidente de la Commission indépendante des droits de l'homme en Afghanistan.

Enfin, M. ANDISHA a recommandé que les États créent un mécanisme international d'enquête et de responsabilisation tenant compte des questions de genre. Les femmes et les filles sont privées de leur libre arbitre, mais elles sont des actrices du changement et des combattantes intrépides pour la liberté, a insisté le Représentant permanent.

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