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PLEINS FEUX - Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires : « une base indispensable sur laquelle de nouvelles mesures juridiques et pratiques peuvent être prises »

Hiroshima nuclear arms bomb

Hiroshima après l'effet de la bombe nucléaire

Adopté le 7 juillet 2017 par l’Assemblée générale des Nations Unies, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est entré en vigueur ce 22 janvier 2021, comme le prévoit son article 15, quatre-vingt-dix jours après qu’un cinquantième État – le Honduras – eut déposé auprès du Secrétaire général de l’ONU son instrument de ratification.

Ce Traité comble une lacune majeure, à savoir que les armes nucléaires restaient jusqu’ici les seules armes de destruction massive à ne pas encore faire l’objet d’une interdiction au niveau international. C’est aujourd’hui chose faite grâce à ce nouvel instrument : chaque État Partie s’engage à « ne jamais, en aucune circonstance, mettre au point, mettre à l’essai, produire, fabriquer, acquérir de quelque autre manière, posséder ou stocker des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ».

M. Robert Mueller, Représentant permanent adjoint de l’Autriche auprès des Nations Unies à Genève et chef de la délégation autrichienne auprès de la Conférence du désarmement, nous éclaire sur l’importance de ce Traité, alors que son pays est l’un des rares États occidentaux à l’avoir ratifié.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le processus qui a abouti à l’adoption de ce Traité et sur le rôle de votre pays dans les négociations ?

M. Mueller : L'entrée en vigueur du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) le 22 janvier 2021 a marqué un moment historique. Après des décennies d'impasse dans le domaine du désarmement nucléaire, les armes de destruction massive les plus dévastatrices sont enfin interdites par le droit international. Pour éclaircir le processus qui a conduit au Traité, il faut remonter dans le temps.

En 2007, la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) a été lancée en Australie et en Autriche. En 2010, dans le document final de la Conférence des Parties chargée d’examiner le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), toutes les nations ont exprimé leur profonde inquiétude face aux "conséquences humanitaires catastrophiques" de toute utilisation d'armes nucléaires.

À la suite de cela, trois conférences ont été organisées en 2013 et 2014 sur les conséquences humanitaires des explosions nucléaires. Vienne a accueilli la troisième de ces conférences où “l'engagement autrichien” a été lancé. L'"engagement humanitaire", comme on l'a appelé, a contribué à créer une dynamique et un soutien en faveur de la convocation des négociations.

En 2016, une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies a établi le mandat officiel permettant aux États d'entamer des négociations. Ces négociations ont débuté en mars 2017 aux Nations Unies. Ensemble, avec le Brésil, l'Irlande, le Mexique, le Nigéria et l'Afrique du Sud, l'Autriche constituait un groupe d'États très engagés qui ont joué un rôle important dans le déroulement des négociations et leur succès final.

Finalement, les négociations ont abouti à l'adoption du traité en juillet 2017 et maintenant à son entrée en vigueur. L'Autriche a signé le traité dès le premier jour où cela était possible, le 20 septembre 2017 [le traité était à compter de ce jour-là ouvert à la signature au Siège de l’ONU à New York].

En quoi ce Traité est-il – comme l’a souligné le Secrétaire général de l’ONU en août dernier dans son discours de commémoration du 75ème anniversaire du bombardement atomique de Nagasaki – « important » ? Pouvez-vous éclairer nos lecteurs sur les enjeux ?

Le TIAN complète le TNP en prévoyant une interdiction complète des armes nucléaires, un concept qui a été appliqué dans le passé aux autres catégories d'armes de destruction massive, à savoir les armes chimiques et les armes biologiques. Ainsi, le Traité comble-t-il le vide juridique qui avait permis jusqu’ici aux armes nucléaires d'être traitées différemment des autres armes de destruction massive. Grâce à la base juridique sans équivoque de l'interdiction, nous avons fait un grand pas vers l'élimination totale.

Mais notre objectif commun d'un monde sans armes nucléaires ne sera pas atteint en un jour, une semaine ou un an - ce sera un marathon. L'obligation d'universalisation pour tous les États parties inscrite dans le Traité est donc d'une importance capitale.

Nous devons encourager les autres États à adhérer au Traité. Les conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires sont inacceptables. Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl et Fukushima ont donné au grand public une idée de la dévastation et des conséquences à long terme des radiations.

La survie de l'humanité est constamment menacée par les armes nucléaires. Nous ne pouvons pas fonder la survie de l'humanité sur le hasard.

Que répondez-vous à ceux qui affirment que faute de soutien de la part, en particulier, des cinq pays dotés de l’arme nucléaire tels que reconnus dans le TNP, le TIAN est voué à ne rester, du point de vue de sa contribution à la cause du désarmement, qu’un coup d’épée dans l’eau ?

Le processus qui a conduit au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été accompagné d'un débat international. Au cours de ce débat, outre un soutien fort, un certain nombre d'objections au processus et à son résultat ont été exprimées.

La campagne contre le TIAN est centrée sur l'argument selon lequel ce Traité n'élimine pas la moindre tête nucléaire. Cette critique retombe sur les États dotés d'armes nucléaires eux-mêmes, car aucun traité ni aucun État non doté d'armes nucléaires ne peut détruire les armes nucléaires des États qui en sont dotés à leur place. Tant qu'ils ne le feront pas, le risque pour l'humanité persistera.

Pour cette raison, le TIAN est un traité d'interdiction ciblé qui laisse les procédures détaillées de destruction et de vérification à une réglementation future avec les États possédant des armes nucléaires, une fois qu'ils auront adhéré au Traité. Comme le mandat des négociations l'a déjà exprimé, le TIAN est conçu pour conduire à l'élimination totale des armes nucléaires. Le TIAN crée une base indispensable sur laquelle de nouvelles mesures juridiques et pratiques peuvent être prises.

Peut-on, doit-on s’attendre à une évolution dans les négociations internationales sur le désarmement, suite à l’adoption de ce Traité ?

Le TIAN fait partie de l'architecture du désarmement nucléaire ; il la complète et la renforce. Les promoteurs ce Traité ont toujours souligné l'importance de progresser sur tous les volets du désarmement et de la non-prolifération nucléaires, comme le prévoit notamment le Plan d'action 2010 du TNP [adopté lors de la Conférence d’examen du TNP de 2010].

Certaines de ces questions, comme celle du traité d'interdiction complète des essais nucléaires [TICE, non encore entré en vigueur] sont explicitement mentionnées dans le préambule du TIAN. Non seulement le nouveau Traité ne détourne pas l'attention de ces autres questions, mais il crée un nouvel élan dans les efforts de désarmement nucléaire – un élan qui peut et doit être utilisé pour promouvoir des progrès également sur ces questions.

L’ICAN, que vous avez mentionnée dès le début de cet entretien, s’est vu attribuer le prix Nobel de la paix, l’année de l’adoption du TIAN, pour ses efforts inédits visant à obtenir l’interdiction des armes nucléaires au moyen d’un traité. Chacun se souvient que la Convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel avait déjà été une victoire de la société civile. Avez-vous le sentiment qu’il existe une implication croissante de la société civile dans les affaires mondiales de désarmement ?

Le TIAN n'est pas seulement un signe encourageant de multilatéralisme ; il démontre également que lorsque tous les acteurs travaillent ensemble sans relâche dans le cadre d'un "partenariat public-privé" pour une cause supérieure dans l'intérêt de tous, nous pouvons réaliser des progrès.

L'approche multipartite a déjà été adoptée pour les questions cybernétiques et environnementales et est désormais une approche éprouvée en ce qui concerne les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions. Avec le TIAN, cette approche a atteint le domaine du désarmement nucléaire.

Les questions de sécurité ne sont plus le privilège des militaires et des diplomates. La société civile a joué un rôle décisif dans la mise en place du TIAN. Les scientifiques ont éclairé les négociations. Les ONG et le Comité international de la Croix-Rouge ont apporté une contribution importante tout au long du processus, ce qui a été reconnu par l’attribution du prix Nobel de la paix à l’ICAN en 2017.

"Pleins feux" est une nouvelle rubrique du Service de l’information des Nations Unies à Genève. Elle a pour objectif de mettre en lumière un aspect différent de l’action de l’ONU, au travers de l’interview d’une personnalité de la Genève internationale ou au travers d’un article visant à sensibiliser aux enjeux de la question traitée.