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Conseil des droits de l’homme : la Rapporteuse spéciale sur les défenseurs des droits de l’homme fait état d’au moins 281 défenseurs tués en 2019 dans 35 pays

Compte rendu de séance

 

Le Conseil achève par ailleurs ses dialogues sur la liberté de religion et sur la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste

 

En 2019, au moins 281 défenseurs des droits de l'homme, dont 38 femmes, ont été tués dans 35 pays, a indiqué ce matin la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, Mme Mary Lawlor, devant le Conseil des droits de l’homme. La moitié des défenseurs tués en 2019 travaillaient avec les communautés sur des questions de terre, d’environnement, d’impact des activités d’entreprises, de pauvreté et de droits des peuples autochtones, des personnes d'ascendance africaine et d'autres minorités, a-t-elle précisé.

Mme Lawlor s’est dite choquée de constater qu'entre 2015 et 2019, au moins 1323 défenseurs des droits de l'homme avaient été tués dans 64 pays, ce qui représente près d'un tiers des États Membres des Nations Unies.

L'impunité explique en grande partie la multiplication des assassinats, a expliqué la Rapporteuse spéciale. Aussi, a-t-elle ajouté, les États devraient-ils non seulement mettre fin à l'impunité, mais aussi saluer publiquement la contribution essentielle des défenseurs des droits de l'homme à l'édification de sociétés justes, fondées sur l'état de droit.

Mme Lawlor a par ailleurs rendu compte de la visite effectuée en janvier 2020 au Pérou par son prédécesseur, M. Frost. La délégation du Pérou ainsi que le Défenseur du peuple de ce pays ont ensuite fait des déclarations, avant que le Conseil n’engage le dialogue avec la Rapporteuse spéciale en entendant les interventions de nombreuses délégations***.

Ce matin, le Conseil a également achevé – en entendant les interventions de plusieurs délégations*/** – ses dialogues, entamés hier, avec le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, M. Ahmed Shaheed, et avec la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Mme Fionnuala Ní Aoláin.

A l’ouverture de la séance ce matin, le Conseil a par ailleurs décidé d’annuler la présentation, par le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée, de son rapport thématique annuel et de ses rapports de visite de pays, de même que le dialogue interactif avec le titulaire du mandat, qui devaient avoir lieu pendant la présente session. Le Rapporteur spécial est prié de soumettre ses rapports de visite en suspens avant le 15 avril prochain. Le Bureau se réunira à nouveau après cette date limite pour décider des prochaines étapes.

La Présidente du Conseil, Mme Nazhat Shameem Khan, a expliqué cette décision en indiquant qu’après des discussions approfondies, le Bureau a exprimé un fort mécontentement quant au manquement du Rapporteur spécial à son obligation de faire rapport au Conseil dans les délais prévus. Depuis le début de cette année, a précisé Mme Khan, le Rapporteur spécial a présenté trois rapports de pays – Argentine, France et États-Unis. La semaine dernière, le Rapporteur spécial a également présenté le rapport de pays pour sa visite au Royaume-Uni. Toutefois, le Royaume-Uni doit disposer d'un minimum de quatre semaines pour examiner ce rapport et formuler des observations à son sujet. Les rapports de l'Allemagne et de la République de Corée sont, eux, toujours en retard.

Autour de cette décision du Bureau, s’est noué un débat procédural auquel ont pris part les délégations des pays membres du Conseil ci-après : Fédération de Russie, Venezuela, Royaume-Uni, Allemagne, Danemark, République de Corée, Argentine, Chine, Japon, Pologne, Autriche, France et Fidji.

La Fédération de Russie a estimé que le Rapporteur spécial sur le droit à la vie privée avait perdu tout crédit et que son attitude menaçait la crédibilité des procédures spéciales ; elle a demandé que le dialogue prévu ait lieu, comme prévu par le programme de travail. Au contraire, des pays concernés par les visites du Rapporteur spécial ont soutenu la position du Bureau, estimant qu’ils devaient avoir le temps de consulter les rapports à l’avance. À la fin du débat, Mme Khan a indiqué constater que la décision du Bureau n’avait pas fait l’objet d’une demande de mise aux voix.

Dans une motion d’ordre, la Fédération de Russie – affirmant qu’elle avait demandé la parole avant l’adoption de la décision du Bureau – a estimé que la décision du Bureau ne saurait être considérée comme adoptée ; « si le format virtuel de tenue de la session ne permet pas aux délégations de pouvoir jouir pleinement des règles de procédure, nous demandons de reporter la séance tant que la question n’aura pas été réglée », a déclaré la délégation russe.

 

A la reprise de ses travaux à 15 heures, cet après-midi, le Conseil doit achever son dialogue avec Mme Lawlor avant de tenir son débat annuel sur les droits des personnes handicapées. Le débat avec le Rapporteur spécial sur la torture, qui était prévu cet après-midi, a été repoussé à lundi prochain.

 

Dialogue avec le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction

Suite et fin du dialogue

Une organisation non gouvernementale (ONG) a demandé ce matin à la France de s'élever au-dessus des tendances islamophobes et de cesser de faire des communautés religieuses musulmanes des boucs émissaires. Il a été remarqué que l'islamophobie, lorsqu'elle se manifeste dans des pays où les musulmans forment une minorité, est souvent liée à des récits nationalistes. D’autres ONG ont fait part de leur préoccupation devant la montée de la haine contre les musulmans en Europe et dans plusieurs pays d’Asie.

Une organisation a estimé que la lutte contre la haine à l’encontre des musulmans – et, plus généralement, contre les discours de haine, en ligne et hors ligne – nécessite une approche de l'ensemble de la société avec une coopération entre les différentes parties prenantes : Etat, société civile, médias sociaux. Il est essentiel de s'engager avec le secteur privé sur ces questions cruciales, a-t-il été souligné.

Il a par ailleurs été indiqué qu’en 2020, au moins 80 artistes dans le monde ont dû faire face à la détention, aux poursuites et à l'emprisonnement sous le couvert de la lutte contre le terrorisme, contre le blasphème ou contre l'indécence.

* Liste des intervenants : Federatie van Nederlandse Verenigingen tot Integratie Van Homoseksualiteit - COC Nederland , Coordination d’associations et de particuliers pour la liberté de conscience, British Humanist Association,World Evangelical Alliance, Universal Rights Group,Minority Rights Group et Freemuse - The World Forum on Music and Censorship.

Réponses et remarques de conclusion du Rapporteur spécial

M. AHMED SHAHEED, Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, a recommandé aux États de mettre les lois nationales en conformité avec le cadre international, y compris par la mise au point de définitions de l’islamophobie qui respectent les droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression et la liberté de croyance. Le Rapporteur spécial a aussi plaidé pour le dialogue interreligieux et pour davantage de coordination et de coopération contre la discrimination.

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l'homme dans la lutte antiterroriste

Suite et fin du dialogue

Plusieurs organisations non gouvernementales ont regretté les conséquences disproportionnées du terrorisme sur les femmes. L’une de ces ONG a déploré que de nombreuses femmes soient arrêtées et punies de manière disproportionnée pour les actes terroristes de leur conjoint.

Une organisation non gouvernementale a dénoncé les abus des lois antiterroristes qui visent à faire taire les journalistes et à restreindre la liberté artistique.

** Liste des intervenants : Maroc, Amnesty International, Fédération internationale des Pen clubs, Freemuse - The World Forum on Music and Censorship, Organisation mondiale contre la torture et Lawyers' Rights Watch Canada.

Réponses et remarques de conclusion de la Rapporteuse spéciale

MME FIONNUALA NÍ AOLÁIN, Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a souligné que le rôle de la société civile était primordial dans le cadre de la réinsertion communautaire des personnes rapatriées.

La Rapporteuse spéciale a par ailleurs souligné que les artistes devaient être considérés comme faisant partie intégrante de la société et ne devaient pas être poursuivis en vertu de lois antiterroristes.

Elle a en outre rappelé l’importance d’inclure la question du genre dans toutes les politiques liées à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.

Les atteintes aux droits de l’homme favorisent le terrorisme violent, a-t-elle également déclaré. Elle a notamment indiqué qu’il fallait lutter contre la stigmatisation des communautés musulmanes.

La Rapporteuse spéciale a en outre insisté sur l’importance d’englober les droits des victimes de terrorisme dans les processus de paix. Les jeunes ont un rôle positif à jouer pour lutter contre le terrorisme et mobiliser l’action pour une paix durable, a-t-elle affirmé.

Dialogue avec la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme

Le Conseil est saisi du rapport de la nouvelle Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme (A/HRC/46/35 et Add.1) – intitulé « Ultime mise en garde contre les menaces de mort reçues par les défenseurs et défenseuses des droits humains et contre les exécutions dont ils font l’objet » –, ainsi que du rapport sur la visite au Pérou effectuée en janvier 2020 par son prédécesseur, M. Michel Forst (A/HRC/46/35/Add.2).

Présentation du rapport

MME MARY LAWLOR, Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l'homme , a d’abord évoqué les conclusions de la visite au Pérou de son prédécesseur, M. Forst, indiquant qu’un grand nombre de défenseurs des droits de l'homme dans ce pays, et en particulier les défenseurs des droits des peuples autochtones, ne peuvent pas opérer dans un environnement sûr et favorable. Ce rapport de visite détaille des tendances inquiétantes, parmi lesquelles la criminalisation des défenseurs et l'absence de mesures de protection efficaces pour ceux qui sont en danger, a ajouté Mme Lawlor.

S’agissant de son propre rapport, la Rapporteuse spéciale a indiqué qu’il contenait des informations recueillies par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et étayées par des sources crédibles. En 2019, a-t-elle poursuivi, au moins 281 défenseurs des droits de l'homme, dont 38 femmes, ont été tués dans 35 pays. À moins que des mesures radicales ne soient prises, les assassinats se poursuivront, a-t-elle ajouté.

Mme Lawlor a jugé très choquant qu'entre 2015 et 2019, au moins 1323 défenseurs des droits de l'homme aient été tués dans 64 pays, ce qui représente près d'un tiers des États Membres des Nations Unies. Ces derniers mois ont vu une augmentation dramatique des attaques et des assassinats de défenseurs des droits de l'homme en Afghanistan, y compris de plusieurs membres de la Commission nationale des droits de l'homme nommée par le Gouvernement, a-t-elle notamment souligné.

L'impunité explique en grande partie la multiplication des assassinats, a expliqué la Rapporteuse spéciale. Aussi, a-t-elle ajouté, les États devraient-ils non seulement mettre fin à l'impunité, mais aussi saluer publiquement la contribution essentielle des défenseurs des droits de l'homme à l'édification de sociétés justes, fondées sur l'état de droit.

Mme Lawlor a indiqué avoir parlé à des centaines de défenseurs des droits de l'homme, dont beaucoup lui ont montré les menaces de mort qui leur sont adressées, souvent en public. Les États manquent à leur obligation d'empêcher l’assassinat de défenseurs des droits de l'homme, même lorsque ces meurtres sont clairement signalés à l'avance. Hier marquait le cinquième anniversaire de l'assassinat de la défenseuse des droits de l'homme Berta Caceres au Honduras – un meurtre qui avait lui-même été précédé de menaces –, a rappelé Mme Lawlor, avant de faire observer que la moitié des défenseurs tués en 2019 travaillaient avec les communautés sur des questions de terre, d’environnement, d’impact des activités d’entreprises, de pauvreté et de droits des peuples autochtones, des personnes d'ascendance africaine et d'autres minorités.

Pays concerné

Le Pérou a notamment fait état de la création dans le pays, en octobre 2020, du Registre des situations à risque pour les défenseurs des droits de l'homme. Cet instrument de prévention permet de recueillir des informations sur les types de violations auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits de l'homme. Il existe aussi un « défenseur public des victimes », qui garantit l'accès à la justice pour les défenseurs des droits de l'homme en fournissant notamment une assistance juridique technique gratuite, a indiqué la délégation péruvienne. Elle a assuré que le Pérou est conscient de l'importance des défenseurs des droits de l'homme pour la construction d'une société démocratique.

Le Défenseur du peuple péruvien a déclaré qu’il avait pour tâche, entre autres, de suivre l’action des défenseurs des droits de l’homme en faveur, notamment, de la paix et des droits économiques, sociaux et culturels. Il a recommandé que les normes qui régissent la protection des défenseurs des droits de l’homme au Pérou soient renforcées par l’adoption d’une loi y relative.

Aperçu du dialogue

Les défenseurs des droits humains jouent un rôle clé pour la promotion et la protection des droits de l’homme partout dans le monde, notamment en cette période de pandémie où les droits sont remis en question, a-t-il maintes fois été souligné.

Des préoccupations ont été exprimées face aux conclusions – jugées « alarmantes » - du rapport de Mme Lawlor, qui indiquent que de nombreux Etats échouent à protéger correctement les défenseurs. Il ne peut y avoir d’impunité en cas de meurtres ; les Etats ne peuvent fermer les yeux sur ces attaques dont sont victimes les défenseurs des droits de l’homme, ont insisté de nombreuses délégations.

Il est inacceptable que les défenseurs, mais aussi leurs familles, fassent encore l’objet de menaces, qu’elles soient en ligne ou hors ligne, a-t-il été affirmé. De nombreuses délégations ont dénoncé le harcèlement, les menaces de mort et les assassinats dont sont victimes ces personnes. Ont également été dénoncées les menaces sexistes contre les défenseurs des droits des femmes et des personnes LGBTI.

Plusieurs pays ont dénoncé les risques accrus pesant sur les défenseurs des droits environnementaux et sur ceux qui travaillent avec les communautés locales.

A par ailleurs été soulignée l’importance de respecter les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme.

Plusieurs délégations ont mentionné les situations préoccupantes des défenseurs des droits de l’homme dans certains pays spécifiques, tandis que d’autres ont insisté sur l’importance de respecter le principe de non-ingérence dans les affaires internes des Etats.

Une délégation a affirmé que la notion de « menace » n’était pas définie de manière claire dans le droit international, ce qui – selon elle – peut poser des problèmes quant à son interprétation. A par ailleurs été dénoncée l’utilisation de l’étiquette « défenseurs des droits de l’homme » par certains pour s’adonner à des activités terroristes ou illicites.

Plusieurs pays ont présenté les mesures qu’ils ont prises pour protéger les défenseurs des droits humains, y compris en accueillant chez eux des personnes menacées dans leur pays d’origine ou en leur apportant une protection diplomatique.

*** Liste des intervenants : Honduras, Union européenne, Islande (au nom des pays nordiques et baltes), Bélarus (au nom d’un groupe de pays), Liechtenstein, Canada, Allemagne, Brésil, Etat de Palestine, Australie, Slovénie, France, Philippines, Mauritanie, Libye, Equateur, Fédération de Russie, Iraq, Indonésie, Suisse, Arabie saoudite, Arménie, Colombie, Pays-Bas, Îles Marshall et Venezuela.

 


HRC21.028F