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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU GUATEMALA

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, vendredi matin et cet après-midi, le rapport du Guatemala sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Jorge Luis Borrayo Reyes, Président de la Commission présidentielle de coordination de la politique de l’exécutif en matière de droits de l’homme du Guatemala, a d’abord indiqué que le Congrès guatémaltèque examinerait, en décembre prochain, un projet de loi visant à modifier le Code pénal afin que la définition de la torture ainsi que les sanctions y afférentes soient conformes aux articles 1 et 2 de la Convention, de même qu’à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. M. Borrayo Reyes a ensuite fourni des statistiques sur la composition de la population carcérale au Guatemala et décrit les mesures prises pour garantir le respect des droits des personnes privées de liberté.

Le Président de la Commission a également précisé que le Mécanisme national de prévention de la torture, qui effectue des visites de lieux de détention, est en train de créer, sur son site Web, un système lui permettant de recevoir des dénonciations anonymes, de façon à remédier au problème des représailles [exercées contre les plaignants]. Il a en outre indiqué que le Gouvernement du Guatemala avait proclamé le 8 mars « Journée nationale des victimes de la tragédie du foyer pour adolescents Virgen de la Asunción » [dans l’incendie duquel 41 jeunes filles ont trouvé la mort en 2017] et accordé une rente viagère aux quinze survivantes.

Outre M. Borrayo Reyes et plusieurs de ses collaborateurs, la délégation du Guatemala était également composée, entre autres, de Mme Carla María Rodriguez Mancia, Représentante permanente du Guatemala auprès des Nations Unies à Genève; du Vice-Ministre des hôpitaux au Ministère de la santé et de l’assistance sociale; du Président de la Commission des droits de l’homme; ainsi que de représentants du Ministère des relations extérieures, du système pénitentiaire et de la police.

La délégation a répondu aux questions des membres du Comité portant sur la définition de la torture; le mécanisme national de prévention de la torture; le non-renouvellement du mandat de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG); la prise en charge de la « caravane des migrants »; les suites de l’incendie du foyer Virgen de la Asunción; les violences à l’égard des femmes, y compris les féminicides; les personnes placées en institution de santé mentale; les mineurs en conflit avec la loi; ainsi que la manière dont sont traités et diagnostiqués les cas de torture.

M. Diego Rodríguez-Pinzón, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Guatemala, s’est dit préoccupé que la qualification de la torture au Guatemala n’ait toujours pas été alignée sur les dispositions de la Convention. Il a en outre relevé qu’il était difficile pour les victimes de mauvais traitements et de torture de déposer plainte auprès du Mécanisme national de prévention de la torture et que seules trois procédures judiciaires avaient été ouvertes suite au dépôt de 42 plaintes en 2016. M. Rodríguez-Pinzón a ensuite relevé que l’armée guatémaltèque était très présente dans la gestion de manifestations et d’autres circonstances qui devraient relever de la police civile. Il a en outre demandé à la délégation de réagir aux allégations selon lesquelles le Guatemala procéderait à des expulsions collectives de mineurs non accompagnés sans évaluer, ce faisant, le risque auquel ils sont exposés dans le contexte actuel de la crise migratoire régionale.

Le corapporteur s’est par ailleurs dit inquiet de l’adoption prochaine d’un projet de loi qui pourrait empêcher de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis des délits pendant le conflit armé interne. L’expert a d’autre part souligné que le grand nombre de morts violentes au Guatemala posait la question du contrôle des armes à feu dans ce pays.

Mme Ana Racu, corapporteuse, a pour sa part mis en garde contre la surpopulation carcérale chronique au Guatemala – laquelle, selon certaines informations, atteindrait 333% –, et s’est inquiétée de la détérioration des conditions de détention. Elle a estimé que cette surpopulation carcérale s’expliquait par la politique pénale très répressive du Gouvernement, par le recours excessif à la détention préventive et par les retards dans l’administration de la justice. Mme Racu s’est aussi inquiétée d’une augmentation alarmante des meurtres de défenseurs des droits de l’homme au Guatemala entre 2009 et 2018, dans un climat général de persécution et de harcèlement assimilable à une forme de torture.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Guatemala et les rendra publiques à l'issue de la session, le 7 décembre prochain.


Le Comité se réunira demain matin, à 10 heures, pour entamer l’examen du rapport des Pays-Bas (CAT/C/NLD/7).


Présentation du rapport

Le Comité est saisi du septième rapport périodique du Guatemala (CAT/C/GTM/7), établi sur la base d’une liste de points à traiter préalablement soumise par le Comité.

Présentant ce rapport, M. JORGE LUIS BORRAYO REYES, Président de la Commission présidentielle de coordination de la politique de l’exécutif en matière de droits de l’homme (COPREDEH) du Guatemala, a d’abord indiqué que le Congrès guatémaltèque examinerait, en décembre prochain, un projet de loi visant à modifier le Code pénal afin que la définition de la torture ainsi que les sanctions y afférentes soient conformes aux articles 1 et 2 de la Convention, de même qu’à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture. M. Borrayo Reyes a également indiqué que son pays s’était doté d’un Mécanisme national de prévention de la torture.

M. Borrayo Reyes a ensuite donné des statistiques sur la composition de la population carcérale au Guatemala: il a notamment fait savoir que le nombre de détenus s’élevait, au 30 septembre 2018, à 24 320 personnes, dont 51% en détention préventive. Onze pour cent des détenus sont des femmes; 1,41% des détenus souffrent d’un handicap; 0,7% se revendiquent de la diversité sexuelle et 79% se qualifient eux-mêmes de latins ou métis et 13,64% de maya, a précisé le Président de la Commission. En outre, a-t-il ajouté, 42 morts violentes et 52 décès dus à des causes naturelles ont été enregistrés dans les prisons guatémaltèques en 2018. M. Borrayo Reyes a par ailleurs indiqué que le taux de surpopulation carcérale atteignait 269%.

Des mesures ont été prises pour garantir le respect des droits des personnes privées de liberté, a poursuivi M. Borrayo Reyes. Il a souligné que les besoins alimentaires des détenus étaient entièrement couverts et que des travailleurs sociaux et agents de santé étaient à leur disposition. En particulier, la prise en charge des détenus atteints de la tuberculose et du VIH/sida est assurée, tandis que 542 prisonniers ont reçu en 2018 des soins dans les hôpitaux ordinaires. Par ailleurs, a fait savoir M. Borrayo Reyes, plus de 120 enfants de 0 à 4 ans vivent avec leurs mères détenues dans le Centre d’orientation féminine (Centro de Orientación Femenina, COF), où un pavillon séparé, doté des services spécialisés adéquats, a été construit à leur intention.

M. Borrayo Reyes a ensuite informé le Comité qu’entre 2012 et mars 2018, 188 procédures disciplinaires ont été ouvertes contre des policiers pour violation présumée des droits de l'homme.

Le Président de la Commission présidentielle a également précisé que le Mécanisme national de prévention de la torture, qui compte depuis le mois d’août dernier cinq rapporteurs et cinq rapporteurs suppléants, était actuellement doté d’un budget de 5 millions de quetzals; le Parlement doit se prononcer sur une augmentation visant à porter le budget du Mécanisme à 8 millions de quetzals à partir de 2019. Le Mécanisme, qui effectue des visites de lieux de détention, est en train de créer, sur son site Web, un système lui permettant de recevoir des dénonciations anonymes, de façon à remédier au problème des représailles [exercées contre les plaignants], a ajouté M. Borrayo Reyes.

Le Guatemala a reçu, en février 2018, la visite du Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme, M. Michel Forst; le Rapporteur spécial a contribué à l’élaboration de la Politique publique de protection des défenseurs des droits de l’homme que le Gouvernement s’est engagé à adopter conformément à l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Défenseurs des droits de l’homme et consorts contre Guatemala, a indiqué M. Borrayo Reyes.

Le parquet a recensé, entre janvier et octobre de cette année, quelque 307 victimes de féminicide, a poursuivi M. Borrayo Reyes, avant d’ajouter que la Cour suprême de justice a créé 29 organes de justice spécialisés dans le problème de la violence sexiste, tandis qu’a été inaugurée, en mars 2018, une nouvelle chambre d’appel destinée à se prononcer sur des cas de féminicide.

M. Borrayo Reyes a fourni d’autres informations sur les mesures prises par le Guatemala en matière de lutte contre la traite des êtres humains; de recherche des personnes disparues et d’indemnisation des victimes; et de justice pour les mineurs. Il a en outre informé le Comité de ce que le Gouvernement du Guatemala avait adopté un décret proclamant le 8 mars « Journée nationale des victimes de la tragédie du foyer pour adolescents Virgen de la Asunción » [dans l’incendie duquel 41 jeunes filles ont trouvé la mort en 2017] et accordant une rente viagère aux quinze survivantes.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. DIEGO RODRÍGUEZ-PINZÓN, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Guatemala, s’est dit préoccupé que la qualification de la torture au Guatemala n’ait toujours pas été alignée sur les dispositions de la Convention, comme cela avait été recommandé au pays, en 2006 et 2013 par le Comité et en 2012 par la Cour constitutionnelle guatémaltèque elle-même.

Le corapporteur s’est ensuite enquis des recours disponibles pour assurer le respect des droits de toute personne détenue d’être informée des raisons de sa détention, d’informer ses proches de sa détention, de consulter un avocat et de subir un examen médical indépendant.

Plusieurs questions du corapporteur ont en outre porté sur le processus de nomination des membres du Mécanisme national de prévention de la torture et sur la manière de supprimer les conflits d’intérêts qui semblent entacher le Mécanisme et de remédier aux manquements d’ordre administratif qui y ont été signalés par l’organe de contrôle. M. Rodríguez-Pinzón a par ailleurs relevé qu’il était très difficile pour les victimes de mauvais traitements et de torture de déposer plainte auprès du Mécanisme; seules trois procédures judiciaires ont été ouvertes suite au dépôt de 42 plaintes en 2016, a-t-il en outre fait observer. M. Rodríguez-Pinzón a voulu aussi savoir si le Mécanisme s’était doté d’une stratégie pour prévenir les représailles exercées contre les personnes avec lesquelles les rapporteurs s’entretiennent pendant leurs visites des prisons. Il a d’autre part recommandé que la société civile soit mieux représentée dans le conseil d’administration du Mécanisme.

Le corapporteur a ensuite relevé que l’armée guatémaltèque était très présente dans la gestion de manifestations et d’autres circonstances qui devraient relever de la police civile. Il a voulu savoir si le Gouvernement avait effectivement interdit aux « escadrons de sécurité citadine » de contribuer aux missions des forces de sécurité civile, comme il s’était engagé à le faire en 2017.

Le corapporteur a également prié la délégation de dire ce qu’il en était de la lutte contre l’impunité au Guatemala.

M. Rodríguez-Pinzón a ensuite demandé à la délégation de réagir aux allégations selon lesquelles le Guatemala procéderait à des expulsions collectives de mineurs non accompagnés sans évaluer, ce faisant, le risque auquel ils sont exposés dans le contexte actuel de la crise migratoire régionale. D’autres questions du corapporteur ont porté sur l’application concrète du principe de non-refoulement dans le traitement des demandes d’extradition dont le Guatemala est saisi; sur les pays d’origine des requérants d’asile au Guatemala; et sur le nombre de demandes d’asile acceptées.

M. Rodríguez-Pinzón a insisté sur l’importance qu’il y a à former les policiers aux exigences spécifiques relatives au respect des droits de l’homme et à l’interdiction de la torture. Il a regretté que seulement six personnes au Guatemala aient bénéficié d’une formation sur ces questions depuis 2017.

Le corapporteur a aussi rappelé la nécessité d’accorder une réparation suffisante aux victimes de la torture. Il a regretté, à cet égard, que l’État guatémaltèque n’ait pas assumé ses obligations de réparation envers la famille de Marco Molina Thiessen, victime de disparition forcée en 1981 par quatre ex-membres des forces armées. Toujours au chapitre des réparations, l’expert a déploré l’insuffisance des renseignements fournis dans le rapport pour pouvoir mesurer l’efficacité du programme d’indemnisation des victimes du conflit armé interne qui a secoué le Guatemala. Il s’est en outre dit inquiet de l’adoption prochaine d’un projet de loi qui pourrait empêcher de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir commis des délits pendant le conflit armé interne.

M. Rodríguez-Pinzón a ensuite insisté sur l’importance d’évaluer les mesures qui sont appliquées pour donner effet aux lois. Il a voulu savoir, à cet égard, dans quelle mesure les garanties procédurales fondamentales prévues par la loi sont effectivement appliquées au profit des justiciables.

L’expert a aussi salué les démarches des autorités en vue de séparer les différentes catégories de détenus. Il a recommandé que les organisations de la société civile puissent prendre une part plus active à la surveillance des lieux de détention, en particulier ceux où des mineurs sont détenus.

M. Rodríguez-Pinzón a relevé que la Police nationale civile avait été saisie de seulement trois plaintes pour torture en plusieurs années et a jugé ce chiffre assez dérisoire. Il a voulu savoir si ce faible nombre pouvait s’expliquer par le fait que les actes de torture seraient poursuivis sous d’autres chefs d’inculpation ou par d’autres raisons encore. L’expert a par ailleurs souligné que le grand nombre de morts violentes au Guatemala posait la question du contrôle des armes à feu dans ce pays.

MME ANA RACU, corapporteuse du Comité pour l’examen du rapport du Guatemala, a dénoncé la surpopulation carcérale chronique au Guatemala – laquelle, selon certaines informations, atteindrait 333% –, ainsi que la détérioration des conditions de détention. Elle a estimé que la surpopulation s’expliquait par la politique pénale très répressive du Gouvernement, par le recours excessif à la détention préventive et par les retards dans l’administration de la justice. Elle a regretté que les personnes condamnées et celles placées en détention préventive soient incarcérées ensemble et a souhaité savoir si les tribunaux pouvaient prononcer des peines alternatives à la détention.

Mme Racu a dressé un sombre bilan des conditions de vie et des conditions sanitaires dans les prisons guatémaltèques – prisons dont elle a en outre relevé qu’elles étaient contrôlées par les gangs. Elle a déploré les carences en personnel de santé spécialisé et a fait observer que de nombreux détenus alcooliques et toxicodépendants n’ont pas accès aux traitements adaptés. Mme Racu s’est aussi inquiétée de l’existence d’une grande violence entre codétenus dans les prisons guatémaltèques, ainsi que de la disponibilité d’armes et de drogues dans les lieux de détention.

La corapporteuse a ensuite fait part des préoccupations du Comité s’agissant de la violence contre les femmes au Guatemala: d’après l’institut national de la statistique, sur 51 000 plaintes pour violence sexiste, 205 concernaient des féminicides. En particulier, a ajouté l’experte, les gangs criminels utiliseraient le féminicide comme un moyen de pression et d’extorsion. Mme Racu a regretté qu’un grand nombre de plaintes pour violence sexiste ne soient jamais jugées. Elle s’est interrogée sur le statut de l’Organe national de coordination pour la prévention de la violence familiale et de la violence à l’égard des femmes, qui semble paralysé faute de moyens.

La corapporteuse a salué, en revanche, les efforts du Guatemala pour se doter d’un plan national de lutte contre la traite des êtres humains pour la période 2018-2022. Elle a, dans ce contexte, recommandé que le Guatemala renforce l’identification des victimes et améliore le fonctionnement des foyers d’accueil pour enfants victimes de la traite.

Mme Racu a ensuite relevé qu’entre 2012 et 2015, 188 plaintes ont été déposées contre des policiers pour des faits de torture et de mauvais traitements; aussi, s’est-elle enquise des suites données à ces plaintes. Pour la période 2014-2016, le rapport ne mentionne qu’une seule condamnation pour torture, a fait observer la corapporteuse, regrettant la faible proportion de plaintes donnant lieu à des enquêtes pénales.

Le Comité est saisi d’informations selon lesquelles les défenseurs des droits de l’homme des peuples autochtones ainsi que les journalistes sont très exposés à la violence au Guatemala: plus de 2000 plaintes ont ainsi été déposées entre 2013 et 2016, a d’autre part souligné Mme Racu, avant de s’inquiéter d’une augmentation alarmante des meurtres de défenseurs des droits de l’homme entre 2009 et 2018, dans un climat général de persécution et de harcèlement assimilable à une forme de torture. Mme Racu a cité l’assassinat de Sebastián Alonso Juan lors d’une manifestation pacifique contre la construction d’un barrage hydro-électrique dans la région de San Mateo Ixtatán. L’experte a relevé qu’à ce jour, un seul cas de torture d’un défenseur des droits de l’homme a été jugé en voyant son responsable condamné.

Mme Racu a d’autre part fait état d’une discrimination systématique et de violences généralisées contre les personnes LGBTI au Guatemala. Elle a cité des informations émanant d’organisations non gouvernementales selon lesquelles quinze femmes transgenres ont été tuées dans un contexte d’extorsion par le crime organisé. Mme Racu a fait observer que la « loi sur la protection de la vie et de la famille » opère elle-même une discrimination sur la base de l’orientation sexuelle.

La corapporteuse a par ailleurs jugé très élevé le nombre de mineurs incarcérés au Guatemala, soit plus d’un millier.

Mme Racu a ensuite demandé des informations sur l’enquête menée au sujet de l’incendie du foyer Virgen de la Asunción et sur les mesures de prévention prises pour éviter à l’avenir de telles atrocités.

Mme Racu a enfin fait observer que, dans un contexte de déficience des forces de l’ordre et de la justice, de grande violence criminelle et d’impunité, la justice privée était en train de devenir la norme, sous forme en particulier de lynchages, dans certaines communautés guatémaltèques. Elle a prié la délégation de dire quelles mesures l’État avait prises pour renforcer la police nationale afin qu’elle puisse assumer ses fonctions de sécurité publique.

La corapporteuse a ensuite fait remarquer que, malgré les améliorations apportées au système carcéral, les détenus ne peuvent toujours pas faire appel de leur placement à l’isolement, alors qu’aucun mécanisme ne permet de porter plainte contre les manquements du personnel pénitentiaire. L’experte a prié la délégation de dire ce qui est fait pour faire baisser la violence dans les prisons et pour faire la lumière sur les décès de personnes placées en garde à vue.

Une autre experte du Comité a regretté que des entreprises de sécurité privée soient chargées de missions de sécurité publique.

Un expert a souligné que, selon le Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan Méndez, la mise à l’isolement de patients dans les établissements psychiatriques pouvait constituer une forme de torture.

Une autre question a porté sur la surveillance des centres privés de réhabilitation des usagers de drogues.

Une experte a déploré que le directeur du foyer Virgen de la Asunción soit resté à son poste après l’incendie de ce foyer. Elle a en outre demandé à la délégation d’exposer la position du Gouvernement face au problème des lynchages mentionné par Mme Racu.

Une autre experte s’est dite convaincue de la volonté politique du Gouvernement guatémaltèque de lutter contre la torture et les mauvais traitements, avant de faire observer qu’un très grand nombre de migrants non accompagnés en provenance du Guatemala – qui fuient la violence dans leur pays – ont été interceptés à la frontière avec les États-Unis.

M. JENS MODVIG, Président du Comité, a notamment insisté sur la très grande importance de procéder systématiquement à un examen médical des personnes à leur arrivée en prison.

Relevant que selon le rapport (paragraphe 2), « avec l’adoption du projet de loi relative à l’incorporation du Statut de Rome dans la législation guatémaltèque, la définition de l’infraction de torture sera modifiée pour être mise en conformité avec les dispositions de la Convention », un membre du Comité s’est enquis des mesures prises pour faire adopter ce projet de loi, étant donné que le Parlement n’en a plus débattu en plénière depuis 2016.

D’autres questions des experts du Comité ont porté sur les moyens de réduire la surpopulation carcérale et sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué qu’un projet de loi était actuellement en train d’être rédigé en vue d’aligner la définition de la torture utilisée au Guatemala sur celle de la Convention et de renforcer les peines prévues pour ce crime par la Code pénal. Ce projet doit être présenté au Parlement le mois prochain (décembre 2018), a précisé la délégation.

Le Président de la République a décidé de ne pas renouveler le mandat de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG), car elle a outrepassé son mandat, a ensuite déclaré la délégation. Malgré plusieurs années d’activité, la Commission n’a pas pu remplir son mandat et le Gouvernement ne recommande pas à d’autres États d’instituer un tel mécanisme, a ajouté la délégation. La Commission doit maintenant transférer ses compétences au Ministère de l’intérieur, a-t-elle précisé.

En douze ans d’activité, la CICIG n’a jamais fourni d’outils concrets pour aider les magistrats guatémaltèques à lutter contre l’impunité, a par la suite insisté la délégation, avant de déplorer que la Commission ait publié des rapports contenant des informations non étayées et que son président jouisse, en tant que diplomate, d’une totale impunité; la délégation a qualifié les membres de la Commission de « mercenaires ». Les vices de procédure dont la CICIG est responsable suscitent beaucoup de crainte, de nombreuses personnes au Guatemala ayant peur d’être accusées à tort, a ajouté la délégation.

Le Guatemala a créé, en janvier dernier, un registre national des personnes condamnées pour agression sexuelle, a poursuivi la délégation, ajoutant que l’institut de la défense publique pénale avait inauguré une permanence et un abri destinés aux femmes victimes de violence. La délégation a en outre précisé qu’entre 2015 et 2018, 12 050 sentences avaient été prononcées en vertu de la Loi contre le féminicide et contre la violence envers les femmes, avec 9089 condamnations

La Commission nationale de situation des droits de l’homme a lancé sans attendre un train de mesures et adopté une stratégie pour prendre en charge la « caravane des migrants », a indiqué la délégation. Le Guatemala coordonne son action dans ce domaine avec les pays voisins et avec les États-Unis, a-t-elle précisé. Les autorités mettent l’accent sur la protection des droits de l’homme des migrants les plus vulnérables, parmi lesquels figurent les femmes, les enfants et les personnes handicapées. Plusieurs migrants mineurs non accompagnés venant du Honduras, notamment, ont bénéficié d’une aide personnalisée.

La délégation a ensuite expliqué que le Président du Guatemala avait décidé, il y a peu, de retirer à l’armée son mandat de police intérieure pour la cantonner à la surveillance des frontières, afin qu’elle puisse contribuer à réprimer la traite de personnes et le trafic de drogue. Les militaires reçoivent des formations adaptées à ces nouvelles missions. Ils sont formés, en particulier mais pas exclusivement, à la prise en charge des migrants mineurs non accompagnés.

Le drame du foyer pour adolescents Virgen de la Asunción a été suivi d’un changement du mode de prise en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes, a par ailleurs fait savoir la délégation. Le Guatemala a en effet renoncé aux grands établissements centralisés pour passer à un modèle de structures plus petites et dotées d’un meilleur encadrement. Quant aux survivants de l’incendie, ils bénéficient actuellement d’un accompagnement individualisé.

La délégation a par la suite précisé que le versement des rentes viagères octroyées aux jeunes survivants du foyer commencerait très bientôt, le décret nécessaire ayant été adopté très récemment.

Interpelée sur les réparations accordées aux victimes de violations des droits de l’homme pendant la période de conflit armé interne, la délégation a indiqué que le Programme national de recherche a procédé à 329 exhumations entre 2015 et 2018 et accordé un soutien psychologique à 2256 personnes.

Concernant le cas Molina Thiessen, mentionné par les experts, la délégation a assuré que le Gouvernement continuait d’œuvrer à la restitution de la dépouille à la famille, conformément à un arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Le registre centralisé des personnes détenues doit être amélioré, est convenue la délégation. Elle a fait valoir que 186 caméras vidéo avaient été placées dans les centres de détention; que le système pénitentiaire comptait un certain nombre de lieux réservés à la détention préventive, ce qui permet de garantir la séparation des personnes privées de liberté en fonction de leur statut juridique; et que des fouilles étaient menées pour éviter que les visiteurs n’introduisent des armes ou des stupéfiants dans les prisons.

Le Congrès de la République a décidé récemment de doter le mécanisme national de prévention de la torture d’un budget de 8 millions de quetzals [environ 900 000 euros] en 2019, a ensuite indiqué la délégation, précisant que faute de personnel, le mécanisme n’avait jusqu’ici pas été en mesure de remplir toutes ses missions. Elle a ensuite décrit le processus de sélection et d’élection des rapporteurs (les membres du mécanisme) qui a été suivi par le Congrès, précisant que l’objectif des autorités avait été de trouver au moins trois candidatures par poste vacant. L’effectif des rapporteurs étant maintenant au complet, le mécanisme peut mener normalement ses missions: en 2018, il a reçu 99 plaintes, effectué 202 visites de lieux de détention et émis 574 recommandations aux autorités pénitentiaires, a fait savoir la délégation.

S’agissant des soins médicaux prodigués aux détenus, la délégation a notamment indiqué que 695 patients avaient été pris en charge en 2017 par des hôpitaux généraux. Les examens médicaux d’entrée en prison ne sont pas systématiques: ils se font en fonction des symptômes présentés par les personnes, a ajouté la délégation.

Les personnes placées sur décision de justice dans les institutions décentralisées de santé mentale bénéficient d’un traitement et d’un encadrement adaptés à leurs besoins. Ces personnes relèvent toujours de la responsabilité du système national de santé, a précisé la délégation. L’objectif des autorités reste cependant d’éviter tout internement superflu, a-t-elle souligné, avant de préciser qu’il était envisagé d’allouer pour 2019 une enveloppe budgétaire plus importante à l’hôpital national de santé mentale.

La délégation a aussi fait savoir que les autorités allaient achever, d’ici 2019, la création d’un nouveau centre réservé aux adolescents en conflit avec la loi. Les autorités appliquent une approche psychosociale de la prise en charge de ces jeunes, comprenant des ateliers artistiques et misant fortement sur l’alphabétisation. Des mesures sont prises, parallèlement, pour contrôler la compétence et l’intégrité des personnels d’encadrement. La délégation a indiqué à plusieurs reprises que tout était mis en œuvre pour éviter que des mineurs ne soient détenus avec des adultes.

Des organisations de la société civile, la Croix-Rouge ou des organisations religieuses, entre autres, participent activement à certaines missions de la direction des prisons s’agissant des mineurs détenus, a d’autre part indiqué la délégation.

La délégation a aussi indiqué qu’une « unité d’analyse de l’information pénitentiaire » était chargée de recevoir les dénonciations d’acte de torture ou de mauvais traitements déposées par les détenus contre leurs gardiens. Les violations avérées peuvent donner lieu à des mises à pied immédiates de fonctionnaires, a indiqué la délégation.

L’Institut national des sciences médicolégales a été ouvert en 2017; il est notamment chargé de diagnostiquer les cas de torture ou de mauvais traitements, y compris ceux qui sont commis en détention, et procède à plusieurs milliers d’évaluation chaque année (6800 en 2018).

Selon les registres de la Police nationale civile, seules trois plaintes pour mauvais traitements ou torture ont été enregistrées au total entre 2015 et 2018, a indiqué la délégation. Les personnes concernées ont été innocentées par les tribunaux, a-t-elle précisé, avant de décrire la procédure en vigueur pour dénoncer de tels faits à la Police nationale.

La loi en vigueur décrit dans le détail la durée et le contenu de la formation devant être dispensée aux policiers dans le domaine des droits de l’homme. La Police applique, d’autre part, des protocoles pour éviter les lynchages et autres manifestations de justice populaire, a ajouté la délégation.

Remarques de conclusion

M. BORRAYO REYES a assuré le Comité que le Guatemala entendait assumer les responsabilités qui sont les siennes au titre de la Convention et vis-à-vis du système interaméricain des droits de l’homme. Le chef de la délégation a rappelé que le conflit armé interne qui a sévi au Guatemala avait laissé des traces indélébiles et entraîné de nombreuses violations des droits de l’homme. L’ensemble de la société devra s’unir pour surmonter ces épreuves, dont les responsables devront rendre compte. M. Borrayo Reyes a espéré que la communauté internationale aiderait son pays dans ses efforts de développement et d’instauration d’une société plus sûre.

M. MODVIG a remercié la délégation pour ses réponses et l’a informée qu’elle pourrait apporter des éléments de réponse complémentaires par écrit. Il a attiré l’attention de la délégation sur la procédure de suivi des observations finales: le Comité mettra en exergue deux ou trois recommandations très urgentes auxquelles il conviendra pour le Guatemala d’apporter des réponses dans un délai d’un an, a expliqué le Président.


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CAT/18/021F