Aller au contenu principal

LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU CANADA

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Canada sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Mme Laurie Wright, Sous-Ministre adjointe principale, secteur des politiques, au Ministère de la justice du Canada, a souligné que les mauvais traitements constituant de la torture aux termes de l’article premier de la Convention sont extrêmement rares au Canada. Elle a par ailleurs indiqué que le Canada avait lancé le processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Mme Wright a ensuite expliqué que le projet de loi (C-83) modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit d’éliminer la « ségrégation administrative et disciplinaire » et de mettre en place un nouveau modèle d’interventions correctionnelles par des « unités d’intervention structurée ». D’autre part, le Service correctionnel du Canada applique un plan national pour les autochtones, comprenant la création de centres d’intervention et de réinsertion des personnes en conflit avec la loi. Le Canada prend aussi des mesures pour renforcer les enquêtes indépendantes visant la police, a ajouté Mme Wright, avant de rappeler qu’au niveau fédéral, la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes du public relatives à la Gendarmerie royale du Canada avait été créée en 2015.

Mme Wright a également assuré le Comité que le Canada prenait des mesures concrètes pour éviter de se rendre complice de torture infligée par des États étrangers ou d’autres organisations à l’extérieur du Canada. Elle a en outre souligné que son pays garantissait aux requérants d’asile une procédure équitable, en particulier lorsque la personne concernée fait valoir à l’appui de sa demande un risque de torture.

La délégation canadienne était également composée de Mme Rosemary McCarney, Représentante permanente du Canada auprès des Nations Unies à Genève et de représentants du Ministère du patrimoine; du Ministère de la sécurité publique et de la Protection civile; du Secrétariat des affaires internationales; du Ministère de la justice; ainsi que de représentants des Gouvernements du Québec et de la Nouvelle-Ecosse.

La délégation a répondu aux questions des membres du Comité concernant, notamment, les violences basées sur le genre; la situation des peuples autochtones, en particulier face aux violences policières et aux stérilisations forcées et au regard de leur surreprésentation dans le système judiciaire; la situation des détenus; le traitement des migrants; la pratique des certificats de sécurité; les assurances diplomatiques; la Gendarmerie royale du Canada; et le processus en cours visant l’adhésion du pays au Protocole facultatif à la Convention.

M. Sébastien Touzé, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Canada, a indiqué que le Comité avait pris connaissance de cinq affaires qui, par certains aspects, sont susceptibles d’avoir reçu un traitement contraire à ce que prévoit la Convention: il s’agit des cas de Omar Khadr, Abdullah Almalki, Ahmad Elmaati, Muayyed Nureddin et Abousfian Abdelrazik. L’expert a suggéré que le Canada reconnaisse le mécanisme du « for de nécessité », qui permet de contourner l’immunité de juridiction des États étrangers, afin de prévenir tout risque de déni de justice pour des actes de torture.

M. Touzé a par ailleurs fait état de l’existence de directives ministérielles qui semblent atténuer le caractère impératif de l’interdiction du recours à des informations obtenues sous la torture comme élément de preuve. Il a relevé que la loi contre le terrorisme de 2015 donnait au Gouvernement la possibilité de refuser de communiquer aux avocats spéciaux (qui ont le droit de consulter des informations classées « secrètes ») des éléments de preuve, pour des motifs de sécurité nationale.

Le corapporteur a ensuite attiré l’attention sur le problème de la durée excessive de la mise à l’isolement préventif ou disciplinaire de certains détenus. Il a en outre mis en garde contre le placement à l’isolement de personnes atteintes de troubles mentaux. Tout en saluant les améliorations apportées, par les différents niveaux de gouvernement au Canada, s’agissant des conditions de détention et du contrôle de l’augmentation du taux d’incarcération, M. Touzé a toutefois regretté que la loi C-9 modifiant le Code criminel soit venue restreindre la possibilité pour le juge de prononcer une peine assortie de sursis et introduise en outre des peines-plancher. Il est à craindre que ces mesures expliquent en partie l’accroissement de la population carcérale depuis dix ans, a-t-il estimé. Il s’est par ailleurs inquiété du recours de plus en plus systématique à la détention préventive, y compris pour des délits mineurs. Il existe d’autre part un problème général de surreprésentation des autochtones dans le système pénitentiaire fédéral, a souligné le corapporteur.

M. Bakhtiyar Tuzmukhamedov, corapporteur pour l’examen du rapport canadien, a regretté que, malgré des recommandations antérieures du Comité, le Canada ait maintenu, dans la loi, un certain nombre d’exceptions au principe général du non-refoulement [de personnes vers des pays où elles risquent de subir la torture ou des mauvais traitements]. L’expert a indiqué que le Comité était saisi d’informations alarmantes s’agissant de la santé psychologique de certains migrants détenus.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Canada et les rendra publiques à l'issue de la session, le 7 décembre prochain.


Mardi prochain, à 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport initial des Maldives.


Présentation du rapport

Le Comité est saisi du septième rapport périodique du Canada (CAT/C/CAN/7), établi sur la base d’une liste de points à traiter préalablement adressée au pays par le Comité.

MME LAURIE WRIGHT, Sous-Ministre adjointe principale, secteur des politiques, au Ministère de la justice du Canada, a indiqué que tous les gouvernements canadiens – fédéral, provinciaux et territoriaux – avaient travaillé ensemble à l’élaboration du rapport. Elle a ajouté que les organisations de la société civile, de même que les collectivités et les organisations autochtones, continuent de jouer un rôle important pour ce qui est de déterminer les points forts et les lacunes du Canada s’agissant de la mise en œuvre de la Convention.

Mme Wright a ensuite souligné que les mauvais traitements constituant de la torture aux termes de l’article premier de la Convention sont extrêmement rares au Canada. La Convention exige toutefois que les États parties veillent à disposer d’une gamme de mesures permettant de prévenir la torture et d’autres formes de mauvais traitements, a-t-elle relevé. Au Canada, a-t-elle indiqué, l’application de la Convention repose sur la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution. Les tribunaux peuvent annuler les lois qui contreviennent aux garanties constitutionnelles, de même qu’ordonner le paiement d’indemnités en cas de violation par le Gouvernement des droits couverts par la Charte, a précisé Mme Wright.

Mme Wright a par ailleurs indiqué que le Canada avait lancé le processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux menant des consultations extensives afin de mesurer l’écart entre l’existant et les exigences du Protocole facultatif.

Mme Wright a ensuite expliqué que le projet de loi (C-83) modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit d’éliminer la « ségrégation administrative et disciplinaire » et de mettre en place un nouveau modèle d’interventions correctionnelles par des « unités d’intervention structurée ». D’autre part, le Service correctionnel du Canada applique un plan national pour les autochtones, comprenant la création de centres d’intervention et de réinsertion des personnes en conflit avec la loi. Mme Wright a mentionné les initiatives prises en Nouvelle-Écosse pour améliorer les conditions de détention et former les gardiens à la détection et à la prévention de la torture et des mauvais traitements.

Le Canada prend aussi des mesures pour renforcer les enquêtes indépendantes visant la police, a poursuivi Mme Wright. Sur le plan fédéral, la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes du public relatives à la Gendarmerie royale du Canada a été créée en 2015: elle a publié de très nombreux rapports, accessibles en ligne et portant sur des questions telles que les arrestations injustifiées et le recours abusif à la force. Des mesures ont également été prises par le Gouvernement du Québec à la suite de critiques formulées par la population à l’égard de la pratique permettant à des policiers d’enquêter sur (les agissements) d’autres policiers: un Bureau des enquêtes indépendantes a donc été créé qui est mandaté pour mener des enquêtes sur l’ensemble du territoire québécois.

Mme Wright a également assuré le Comité que le Canada prenait des mesures concrètes pour éviter de se rendre complice de torture infligée par des États étrangers ou d’autres organisations à l’extérieur du Canada. De manière plus générale, le Canada s’efforce d’améliorer la responsabilisation et la transparence dans les domaines de la sécurité nationale et du renseignement, a-t-elle ajouté.

Mme Wright a enfin assuré que son pays garantissait aux requérants d’asile une procédure équitable, en particulier lorsque la personne concernée fait valoir à l’appui de sa demande un risque de torture. Toutes les demandes sont examinées par un organe quasi-judiciaire: la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Insistant sur le fait que le Canada était reconnu comme un chef de file dans le domaine de l’immigration encadrée, Mme Wright a fait savoir que l’objectif actuel des autorités était d’augmenter progressivement le nombre d’admissions de réfugiés, avec un plan de réinstallation de 31 700 personnes.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. SÉBASTIEN TOUZÉ, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Canada, a indiqué que le Comité avait pris connaissance de cinq affaires qui, par certains aspects, sont susceptibles d’avoir reçu un traitement contraire à ce que prévoit la Convention: il s’agit des cas de Omar Khadr, Abdullah Almalki, Ahmad Elmaati, Muayyed Nureddin et Abousfian Abdelrazik. M. Touzé a regretté, en particulier, la confidentialité qui entoure les réparations octroyées à M. Khadr, citoyen canadien détenu pendant dix ans à Guantánamo et qui a reçu des excuses publiques du Canada. Le corapporteur a voulu savoir quelles poursuites avaient été engagées contre des agents canadiens pour leur rôle joué dans l’arrestation sans fondement de MM. Almalki, Elmaati et Nureddin, qui ont été ensuite victimes d’actes de torture en Syrie et en Égypte; il s’est en outre enquis de l’état d’avancement de la procédure concernant M. Abdelrazik, torturé pendant deux ans au Soudan et qui attend depuis 2018 le déroulement de son procès.

M. Touzé a ensuite fait observer que la loi sur les immunités des États faisait obstacle à plusieurs demandes de réparation présentées devant le juge canadien. Il a demandé à la délégation s’il ne serait pas plus cohérent d’aller dans le sens d’une réparation plus large des victimes d’actes de torture et ainsi leur permettre d’intenter des actions en justice contre les États pratiquant de manière systématique la torture. L’expert a suggéré que le Canada reconnaisse le mécanisme du « for de nécessité », qui permet de contourner l’immunité de juridiction des États étrangers, afin de prévenir tout risque de déni de justice pour des actes de torture.

M. Touzé a par ailleurs demandé à la délégation de dire s’il existait des dérogations à l’interdiction du recours à des informations obtenues sous la torture comme élément de preuve. Il a fait état, en effet, de l’existence de directives ministérielles qui semblent atténuer le caractère impératif de cette interdiction. M. Touzé a aussi relevé que la loi contre le terrorisme de 2015 donnait au Gouvernement la possibilité de refuser de communiquer aux avocats spéciaux (qui ont le droit de consulter des informations classées « secrètes ») des éléments de preuve, pour des motifs de sécurité nationale.

Le corapporteur a ensuite attiré l’attention de la délégation canadienne sur le problème de la durée excessive de la mise à l’isolement préventif ou disciplinaire de certains détenus. Il a en outre demandé des explications sur le fonctionnement des « unités d’intervention structurée » qui doivent mettre un terme à l’isolement cellulaire en le remplaçant par un régime alternatif. L’expert a voulu savoir en quoi ces unités différeraient des cellules d’isolement; quelle serait la durée maximum du placement sous ce régime alternatif; et quels étaient les risques susceptibles d’être invoqués pour justifier le transfèrement dans une telle « unité d’intervention structurée ». M. Touzé a mis en garde contre le placement à l’isolement de personnes atteintes de troubles mentaux.

Le corapporteur a salué les améliorations apportées, par les différents niveaux de gouvernement au Canada, s’agissant des conditions de détention et du contrôle de l’augmentation du taux d’incarcération; M. Touzé a toutefois regretté que la loi C-9 modifiant le Code criminel soit venue restreindre la possibilité pour le juge de prononcer une peine assortie de sursis et introduise en outre des peines-plancher. Il est à craindre que ces mesures expliquent en partie l’accroissement de la population carcérale depuis dix ans, a estimé le corapporteur.

M. Touzé s’est par ailleurs inquiété du recours de plus en plus systématique à la détention préventive (qui représentait 60% de tous les détenus en 2015/2016), y compris pour des délits mineurs, et des répercussions que cela entraîne pour les détenus. Surtout, a insisté l’expert, ce taux élevé de détention préventive engendre un phénomène de surpopulation carcérale, lequel accroît les risques relatifs à la sécurité. M. Touzé a demandé à la délégation de confirmer que les adultes autochtones, qui représentent 3% de la population canadienne, représentent 25% des personnes placées en détention provisoire. Il existe un problème général de surreprésentation des autochtones dans le système pénitentiaire fédéral, a souligné le corapporteur.

M. Touzé a également voulu savoir quelles garanties d’impartialité étaient offertes aux détenus qui transmettent une plainte par l’intermédiaire d’un gardien ou du directeur de leur prison. Il a en outre regretté que ce soit la direction pénitentiaire, et non le personnel médical, qui soit responsable de l’utilisation du matériel de contrainte pour détenus suicidaires.

Le corapporteur a ensuite salué les efforts déployés par le Canada pour faire la lumière sur les disparitions et assassinats de femmes et filles autochtones. Il a voulu savoir, à cet égard, quelles mesures concrètes garantissaient que les enquêtes menées par la Gendarmerie royale du Canada ne soient pas influencées par la partialité d’un officier. L’État canadien envisage-t-il de créer un cadre juridique contraignant pour réprimer et prévenir les actes de violence à l’encontre des femmes autochtones, afin d’assurer le respect de ses obligations découlant de la Convention ?

S’agissant d’autre part du problème de la stérilisation forcée de femmes autochtones, M. Touzé a prié la délégation de préciser quelles dispositions du droit interne permettent d’ériger ce type de violence en infraction pénale; quelles mesures sont-elles en outre prises pour que les victimes disposent de voies de recours effectives ?

D’autres questions du corapporteur ont porté sur le régime de garde à vue, y compris pour ce qui est de l’accès à un avocat et à un interprète et du droit de contacter un proche; ainsi que sur les fouilles et sur les examens médicaux susceptibles d’être réalisés. Est-il fréquent que la personne arrêtée soit présentée à un juge après le délai de 24 heures, a demandé le corapporteur ?

M. Touzé a par ailleurs relevé que, contrairement à ce qu’affirme le Canada, le Comité ne présente pas de plus en plus fréquemment de demandes de mesures (de protection) provisoires (dans le contexte de l’examen des plaintes qu’il reçoit au titre de l’article 22 de la Convention): depuis 2014, 49 plaintes ont été enregistrées par le Comité concernant le Canada et des mesures provisoires ont été demandées dans seulement 24 cas, soit moins de la moitié des plaintes enregistrées.

M. BAKHTIYAR TUZMUKHAMEDOV, corapporteur pour le Canada, s’est enquis des obstacles s’opposant encore à la ratification par le Canada du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Le corapporteur a suggéré que, d’ici à la ratification du Protocole facultatif, le Canada se dote d’un mécanisme de visite des prisons et autres institutions fermées par des organisations non gouvernementales ou des organes indépendants.

M. Tuzmukhamedov a regretté que, malgré des recommandations antérieures du Comité, le Canada ait maintenu, dans la loi, un certain nombre d’exceptions au principe général du non-refoulement [de personnes vers des pays où elles risquent de subir la torture ou des mauvais traitements]. Il a demandé comment le Canada s’assurait du respect des « assurances diplomatiques » qui lui sont données – et sont destinées à garantir que les personnes qu’il extrade ne seront pas torturées ou maltraitées dans les pays de destination. Le corapporteur a rappelé que le Comité s’était déjà montré préoccupé, dans ses dernières observations finales, par le transfèrement de détenus afghans vers leur pays d’origine, où ils ont peut-être été torturés.

M. Tuzmukhamedov a rappelé que le Comité avait précédemment recommandé que le Canada réexamine sa politique consistant à recourir à la détention administrative et à la législation en matière d'immigration pour détenir et renvoyer des non-ressortissants pour des motifs de sécurité nationale. Le Comité avait notamment recommandé que le Canada procède à un examen approfondi du recours aux « certificats de sécurité » (paragraphe 47 du rapport), une procédure appliquée dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'un résident permanent ou un étranger ne peut être admis au Canada au titre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Or, a relevé le corapporteur, des informations obtenues sous la torture auraient servi de base à l'établissement de ces certificats de sécurité

M. Tuzmukhamedov a d’autre part indiqué que le Comité était saisi d’informations alarmantes s’agissant de la santé psychologique de certains migrants détenus. Il s’est interrogé sur la mise à disposition de services d’interprétation et d’avocats au bénéfice des personnes détenues au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le Comité a par ailleurs été informé de plusieurs cas de jeunes migrants détenus dans les mêmes locaux que des adultes, a regretté M. Tuzmukhamedov, constatant des lacunes de protection au détriment des mineurs dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le corapporteur a en outre souhaité savoir comment les centres de détention pour migrants sont surveillés et a relevé, à cet égard, que la loi canadienne ne semble pas autoriser leur contrôle par des instances indépendantes. L’expert s’est enquis des voies de recours dont disposent les migrants détenus qui veulent se plaindre de la durée ou de la licéité de leur détention. Il a souligné qu’il arrive que, faute d’orientation claire dans la loi canadienne, des migrants soient détenus de manière indéfinie ou répétée.

M. Tuzmukhamedov a ensuite fait état d’informations selon lesquelles 65 personnes sont mortes en 2017 dans des interactions avec la police: 29 ont été abattues par des policiers et 18 sont mortes en détention. Le corapporteur a demandé si le Canada pourrait envisager de créer un registre national public des décès imputables à la police. Il a ensuite prié la délégation de donner des renseignements sur les suites – administratives ou pénales – données par les autorités aux 40 cas d’utilisation abusive de la force mentionnés dans le rapport.

D’autres experts du Comité ont regretté la lenteur du système de justice pénale canadien et dénoncé l’insuffisance du financement de l’aide judiciaire, qui empêche certains justiciables d’accéder à la justice. Plusieurs questions ont porté sur les moyens de recours ouverts aux personnes détenues et sur leur efficacité.

Au cours du dialogue, plusieurs experts ont félicité le Canada pour sa pratique exemplaire en matière de présentation des rapports.

Une experte a recommandé que le Canada établisse des statistiques sur les femmes autochtones victimes de violence, en précisant notamment la relation entre les victimes et les auteurs de la violence. L’experte a voulu savoir pour quelles raisons l’enquête nationale lancée par le Gouvernement du Canada sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (paragraphe 155 du rapport) avait pris du retard. Des membres de la Gendarmerie royale canadienne ont-ils été traduits en justice pour avoir failli au devoir d’enquête sur des disparitions de femmes autochtones, a-t-elle demandé ?

Un expert a recommandé que le Canada suspende « l’entente sur les pays tiers sûrs » qui le lie aux États-Unis dans le domaine de la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugié présentées par des ressortissants de pays tiers.

M. JENS MODVIG, Président du Comité, a regretté que le rapport ne contienne pas d’informations sur les moyens déployés par les services pénitentiaires pour prévenir les suicides en détention. Il a voulu savoir si les règles relatives à l’examen médical à l’entrée en prison étaient appliquées. M. Modvig a en outre fait observer que si le dépistage de maladies à l’entrée en détention semblait se faire correctement au niveau fédéral, la situation en la matière était moins bonne dans les prisons provinciales. Surtout, a rappelé le Président, l’examen médical peut permettre au personnel de détecter des signes de mauvais traitements ou de torture.

Réponses de la délégation

La Canada a pris une série de mesures pour lutter contre les violences basées sur le genre, a indiqué la délégation. Une politique nationale de riposte a été adoptée dans ce domaine qui prévoit notamment un système de soutien global pour les victimes. Le centre canadien pour les statistiques judiciaires publie chaque année un rapport sur les violences familiales; depuis 1998, ce rapport fournit des données qui permettent de mesurer l’étendue des violences familiales au Canada. Les femmes et les filles autochtones sont de manière disproportionnée victimes de ce type de violences, a reconnu la délégation. Une commission est en train d’élaborer une étude sur ces violences spécifiques afin que le Gouvernement puisse avoir connaissance de recommandations claires visant à assurer la sécurité des femmes et filles autochtones.

Le Québec a pris des mesures spécifiques pour lutter contre les violences policières à l’encontre des peuples autochtones, notamment les Inuits, a poursuivi la délégation. Une ligne téléphonique gratuite a été ouverte afin de permettre aux populations autochtones de porter plainte en cas de violations de leurs droits.

Le Gouvernement de la Colombie britannique a quant à lui pris des mesures pour soutenir les victimes de violences familiales notamment en finançant des foyers d’accueil pour les femmes et les enfants, a par ailleurs indiqué la délégation.

La délégation a expliqué que le Canada prenait des mesures afin d’améliorer l’accès à la santé pour les populations autochtones, en partenariat avec des associations représentants ces populations. Les autorités prennent des mesures pour lutter contre la stérilisation forcée des femmes des peuples autochtones; en janvier 2017, une enquête indépendante a été lancée après que deux femmes autochtones aient déposé plainte suite à la ligature des trompes qu’elles avaient subie après leur accouchement. Le Gouvernement entend travailler avec les communautés afin de renforcer le système de santé et veiller à qu’il soit approprié du point de vue culturel, a ajouté la délégation.

La délégation a par la suite indiqué que l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a fait l’objet de conclusions intérimaires qui ont permis aux autorités de prendre des mesures immédiates, notamment pour rendre hommage aux victimes.

Les personnes d’origine autochtone sont surreprésentées dans le système judiciaire en tant que victimes et en tant que coupables, a reconnu la délégation, reconnaissant que cette situation était « tragique ».

La délégation a insisté sur un certain nombre de mesures prises par les autorités du pays, évoquant notamment des réformes législatives basées sur la reconnaissance de l’histoire des peuples autochtones et menées en partenariat avec ces derniers. Le Québec a mis en œuvre un programme qui prévoit une plus grande implication des représentants des populations autochtones dans le système judiciaire, a ajouté la délégation.

Des mesures sont par ailleurs prises pour assurer la dignité et la sécurité des détenus, a déclaré la délégation. Les détenus jouissent de tous leurs droits, à l’exception de ceux qui peuvent leur avoir été retirés suite à leur condamnation, a-t-elle ajouté. Le Service correctionnel du Canada (SCC) doit apporter tous les soins nécessaires aux détenus, selon des normes professionnelles reconnues par des professionnels du secteur de la santé. Tous les nouveaux détenus doivent subir un examen pour dépister certaines maladies. Des milliers de détenus ont aussi accès à des soins de santé mentale. Le SCC a répondu à de nombreuses recommandations dans le domaine de la santé mentale; il a notamment mis en place de nouvelles procédures pour les détenus présentant des cas complexes de maladie mentale. Il existe en outre toute une série d’aides pour les détenus handicapés.

En 2015, le Canada s’est engagé à modifier ses outils dans le domaine de l’isolement administratif, a d’autre part indiqué la délégation. De nouveaux critères ont ainsi appliqués afin que les détenus les plus vulnérables ne soient pas soumis à l’isolement. Les cas d’isolement administratif ont fortement diminué ces dernières années, a fait valoir la délégation.

Après avoir rappelé la procédure de plainte qui existe au Canada au bénéfice des détenus qui estiment que leurs droits ont été violés, la délégation a souligné que le bureau de l’Enquêteur correctionnel du Canada a entièrement accès aux institutions et peut s’entretenir avec les détenus; il peut aussi mener des enquêtes lors d’événements graves qui se produisent dans les établissements publics, notamment en cas d’émeutes dans une prison.

Le SCC dispose de directives claires s’agissant des fouilles intrusives, lesquelles doivent être effectuées par une personne du même sexe (que la personne subissant la fouille). Un nouveau projet de loi doit permettre l’utilisation de scanner comme forme de fouille moins intrusive, a indiqué la délégation.

Le Québec a pris de nombreuses mesures pour améliorer la situation des détenus, a ensuite précisé la délégation; entre 2015 et 2018, quelque 250 places ont été créées dans les prisons de la Belle Province. Durant cette même période, le taux d’occupation des prisons a diminué sensiblement. Des mesures spécifiques ont aussi été prises dans le domaine de la formation du personnel des prisons, y compris s’agissant de la santé mentale des prisonniers. En Nouvelle-Ecosse également, des mesures spécifiques sont prises pour les détenus qui ont besoin de soins psychiatriques. L’objectif est d’assurer des conditions de détention sûres pour les détenus ayant des troubles mentaux, a souligné la délégation. L’isolement a été réduit grâce à la mise en place d’un nouveau programme, a-t-elle ajouté.

La délégation a par ailleurs assuré que la détention des mineurs n’était prononcée qu’en dernier recours.

Le Canada doit prendre des mesures pour lutter contre les retards dans l’appareil judiciaire, a d’autre part reconnu la délégation.

Les certificats de sécurité sont rarement utilisés, a ensuite souligné la délégation, rappelant que ces certificats concernent des ressortissants étrangers qui ne peuvent être admis sur le territoire pour des raisons de sécurité nationale. Deux personnes sont actuellement soumises à un certificat de sécurité et sont en liberté conditionnelle, a indiqué la délégation, rappelant que leur situation doit être réévaluée chaque année.

Le programme de rétention de l’immigration prévoit que la détention doit se faire en dernier recours et uniquement après que d’autres alternatives ont été envisagées, a d’autre part indiqué la délégation, ajoutant qu’il est prévu d’élargir ces alternatives à l’avenir et d’améliorer les structures de détention. Ces nouveaux programmes devraient permettre de réduire le temps de détention et d’améliorer la cohérence nationale durant le traitement des dossiers. Les centres de rétention proposent des programmes d’éducation pour les enfants, d’accès à la santé et d’accès à un logement sûr, a fait valoir la délégation canadienne. La Croix-Rouge contrôle la situation dans tous les centres de rétention d’immigrants dans le pays, a-t-elle ajouté.

Le Canada suit de près la situation aux États-Unis et vient de décider, suite à un nouvel examen, que ce dernier pays peut toujours être considéré comme un pays d’accueil sûr, a en outre indiqué la délégation.

La Nouvelle-Ecosse dispose d’un mécanisme de contrôle indépendant qui permet d’enquêter sur des plaintes faisant suite à des comportements de la police. Depuis 2015, ce mécanisme a reçu nombre de plaintes et des enquêtes sont en cours, a indiqué la délégation.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) examine régulièrement sa politique nationale concernant les arrestations et les détentions, lesquelles sont basées sur des indices raisonnables laissant penser qu’un délit peut avoir été commis. Le code interne applicable à la GRC prévoit des sanctions qui peuvent aller jusqu’à la révocation d’un agent en cas d’utilisation abusive de la force, sans compter le fait que les agents peuvent également être poursuivis en justice. La Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP) est une commission externe et indépendante qui est notamment habilitée à recevoir des plaintes du public au sujet de la conduite des membres de la GRC et à effectuer des examens lorsque les plaignants ne sont pas satisfaits de la façon dont la GRC traite leurs plaintes.

La délégation a ensuite expliqué que le processus d’adhésion du Canada au Protocole facultatif à la Convention est en cours. Cette question a été abordée lors d’une réunion des ministres territoriaux, provinciaux et fédéraux ayant des compétences dans le domaine des droits de l’homme – réunion au cours de laquelle l’ensemble des ministres s’est montré favorable à cette adhésion. Les difficultés subsistantes (pour que le Canada puisse se conformer pleinement aux dispositions du Protocole) sont aujourd’hui à l’étude afin que le pays puisse ratifier cet instrument et le mettre en œuvre, a ajouté la délégation, insistant sur les progrès considérables d’ores et déjà réalisés à cette fin. En l’absence de mécanisme national de prévention (de la torture), il existe néanmoins déjà, dans le pays, divers mécanismes d’inspection visant à contrôler la situation dans les lieux de détention, a souligné la délégation.

La loi sur l’immunité des États ne sera pas amendée pour prendre en compte les actes de torture commis à l’extérieur du Canada par des acteurs étrangers, a par ailleurs déclaré la délégation. L’immunité accordée en vertu de cette loi est conforme au droit international, a-t-elle ajouté.

Le Canada s’est engagé à promouvoir l’accès à une réhabilitation pour toutes les victimes de torture présentes sur son territoire, indépendamment de l’endroit où ont eu lieu les actes de torture, a fait valoir la délégation.

La délégation a d’autre part déclaré que les assurances diplomatiques peuvent permettre aux autorités de mettre en œuvre le principe de non-refoulement.

Le code de conduite des forces armées canadiennes stipule que tous les prisonniers doivent être protégés contre les actes de torture, a par ailleurs indiqué la délégation, ajoutant que la question du transfert de détenus à des États étrangers est incluse dans la clause générale de protection des détenus.

La Canada publie en ligne les avis du Comité et explique au Comité ce qu’il a fait suite à ses recommandations, a par ailleurs indiqué la délégation. Tout désaccord concernant les obligations du Canada n’équivaut pas à un rejet, par le Canada, des obligations qui sont les siennes, a-t-elle souligné. Il n’en demeure pas moins que le Canada estime que, selon le droit international, les recommandations du Comité ne sont pas juridiquement contraignantes, a rappelé la délégation.

La délégation a ajouté que le Canada allait continuer à contribuer au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

Remarques de conclusion

MME WRIGHT a remercié les membres du Comité pour ce dialogue constructif. Elle a rappelé qu’il s’agissait du premier rapport remis par son pays dans le cadre de la procédure simplifiée (de présentation des rapports) et a souligné que la liste de points à traiter (préalablement adressée au pays par le Comité) avait permis de mener un processus d’examen du rapport efficient. Les autorités du Canada prêteront une grande attention aux recommandations du Comité, a-t-elle assuré.

M. MODVIG a rappelé que dans le cadre de la procédure de suivi, un rapport de suivi devrait être envoyé par le Canada d’ici un an. Il a conclu en remerciant la délégation canadienne pour ce dialogue constructif.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CAT/18/023F