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COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS: AUDITION D'ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DU TURKMÉNISTAN, DE L’AFRIQUE DU SUD ET DE CABO VERDE

Compte rendu de séance

Poursuivant les travaux de sa soixante-quatrième session entamée lundi dernier, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a entendu ce matin des représentants de la société civile du Turkménistan, de l’Afrique du Sud et de Cabo Verde, les trois pays dont les rapports seront examinés cette semaine.

S’agissant du Turkménistan, il a notamment été signalé que la crise économique et financière que traverse le pays avait poussé son Gouvernement à supprimer de nombreuses prestations sociales et autres subventions pour l’accès à des denrées alimentaires de base, alors même que la pénurie règne. Le Comité a été informé de l’existence d’une crise du logement qui sévit partout au Turkménistan. La nomination et la révocation des juges se font au bon vouloir de l’exécutif, a-t-il été indiqué.

S’agissant de Cabo Verde, il a été indiqué que le Pacte reste peu connu non seulement de la population mais aussi des magistrats et avocats. Des problèmes particuliers ou des lacunes ont en outre été signalés en ce qui concerne la protection des droits des travailleuses domestiques ; la durée du congé maternité ; l’accès des personnes handicapées au marché de l’emploi ; le montant des indemnités de chômage et des retraites ; l’accès à l’eau potable dans les campagnes ; ou encore la précarité dans l’île de Boa Vista.
Les droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas bien appliqués à Cabo Verde, ce qui s’explique par la faiblesse de l’économie et par le manque de contrôle et de suivi, a-t-il été affirmé.

En Afrique du Sud, les secteurs de la santé et de l’éducation sont les premiers menacés par la politique de coupes budgétaires, a-t-il été souligné. Une ONG a dénoncé les conditions de travail dans les entreprises du secteur minier. Plusieurs intervenants ont en outre insisté sur l’importance de mieux coordonner les politiques sud-africaines en matière de droit à l’alimentation ainsi que le processus de redistribution des terres qui est en cours. De nombreuses critiques du système scolaire sud-africain ont été faites, notamment eu égard à son incapacité à réaliser le droit à l’éducation des enfants handicapés, dont 600 000 n’étaient pas scolarisés en 2015.

Au début de la séance, Mme Maria Virginia Bras Gomes, Présidente du Comité, a indiqué que le 1er octobre était la Journée internationale des personnes âgées, qui encourage « la participation des personnes âgées à la défense des droits humains, tout en reconnaissant ceux et celles qui, nés au moment de l’adoption de la Déclaration en 1948, ont activement contribué à sa promotion ». Mme Bras Gomes a par conséquent rendu hommage à toutes les personnes nées avant 1948.


Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport du Turkménistan (E/C.12/TKM/2).


Audition d'organisations de la société civile

S'agissant du Turkménistan

L’Initiative turkmène pour les droits de l’homme a déclaré que la crise économique et financière que traverse le pays avait poussé le Gouvernement du Turkménistan à supprimer de nombreuses prestations sociales et subventions pour l’accès à des denrées alimentaires de base, alors même que la pénurie règne. Le fort taux de chômage s’accompagne d’une forte émigration, en particulier vers la Turquie et la Fédération de Russie. La crise du logement sévit partout dans le pays ; les autorités ont procédé à la destruction de nombreuses habitations dans la capitale.

D’autre part, le Turkménistan est un pays relativement fermé sur lui-même, et il est difficile de parler de vie culturelle dans ce contexte, a poursuivi l’ONG. Dans ce pays, l’information est contrôlée et les utilisateurs d’Internet sont fichés, en vertu de lois qui restreignent les droits et libertés, a-t-elle ajouté. Enfin, celles et ceux qui ne font ne serait-ce qu’évoquer les problèmes du pays, comme la corruption, sont victimes de la répression, a insisté l’ONG, indiquant renoncer à fournir ici des noms d’opposants par peur de représailles. Elle a regretté que le Gouvernement soit indifférent aux problèmes que rencontre la population du Turkménistan.

Dans leurs questions, les experts du Comité ont voulu savoir quel était le montant des allocations familiales et si elles avaient été supprimées elles aussi. Ils se sont interrogés sur la base juridique motivant la suppression des prestations sociales ainsi que la destruction de maisons. Un expert a demandé dans quelle mesure la justice était indépendante au Turkménistan.

L’Initiative turkmène pour les droits de l’homme a expliqué que les allocations familiales versées depuis 2011 pour les enfants jusqu’à l’âge de trois ans équivalent à environ neuf ou dix dollars par enfant et par mois. Le nombre d’enfants potentiellement bénéficiaires de ces allocations a fortement augmenté depuis cette date. Les retraits d’argent étant devenus difficiles, la population vit dans une pauvreté assez générale, a expliqué l’ONG. Le Turkménistan ne peut plus vendre son gaz qu’à la Chine, qui a prêté l’argent nécessaire à la construction du gazoduc : les recettes gazières sont donc quasiment nulles. La décision de supprimer les allocations a été prise par des conseillers du Président, sans tenir compte de la réalité et cette suppression sera effective le 1er janvier 2019, a indiqué l’ONG.

Pour ce qui est des questions de logement, l’ONG a expliqué que les Jeux sportifs de 2016 avaient accéléré le mouvement de destruction d’anciens logements. Les autorités n’ont pas prévu suffisamment de logements de rechange pour les personnes ainsi expulsées, lesquelles ne reçoivent aucune indemnité. La construction de logements neufs est insuffisante, a ajouté l’ONG.

Au Turkménistan, la nomination et la révocation des juges se font au bon vouloir de l’exécutif, a en outre indiqué l’ONG. Répondant à des questions sur le dernier recensement effectué au Turkménistan, elle a indiqué que la population du pays était évaluée à 4,7 millions d’habitants.

S’agissant de Cabo Verde

Par vidéoconférence, la Commission caboverdienne de lutte contre la violence sexiste a dénoncé la lenteur de la justice et le manque d’aide accordée aux victimes de la violence sexuelle et sexiste. L’ONG a dénoncé également la discrimination dont les femmes sont victimes au travail et dans la société en général.

L’Organisation des femmes de Cabo Verde a souligné que 53% des personnes au chômage sont des femmes, avec des conséquences importantes sur la vie des familles monoparentales, lesquelles sont en général dirigées par des femmes. Les femmes sont aussi beaucoup plus présentes dans le secteur informel de l’emploi, où les salaires sont moins élevés, a ajouté l’ONG. Elle en outre regretté que les femmes victimes de la violence sexuelle et sexiste éprouvent des difficultés à obtenir justice.

L’Association pour les enfants défavorisés a recommandé que les politiques sociales soient modifiées pour mieux soutenir les familles monoparentales ainsi que leurs enfants en situation d’échec scolaire. L’Association a par ailleurs déploré le manque de qualité des écoles professionnelles ; la cherté des soins prodigués dans les établissements publics ; et un niveau élevé de violence sexuelle contre les jeunes à Cabo Verde.

Enfin, toujours par vidéoconférence, l’Association caboverdienne pour la promotion et l’inclusion des femmes handicapées a regretté que la loi de 2011 sur l’accès physique des personnes handicapées aux services et biens collectifs ne soit ni respectée, ni appliquée. Elle a relevé d’autres carences de prise en charge des personnes handicapées dans les systèmes sanitaire et scolaire caboverdien. L’ONG a regretté le manque de coopération du Gouvernement avec la société civile.

Les experts du Comité se sont enquis de l’invocabilité du Pacte devant les tribunaux caboverdiens. Ils ont en outre voulu savoir quelles politiques publiques répondraient le mieux aux besoins des femmes et des enfants les plus pauvres ; s’il existait un plan national global de lutte contre la pauvreté dans l’archipel ; et de quelle manière les autorités devraient collaborer avec la société civile.

Un expert a recommandé aux organisations de la société civile de communiquer au Comité des renseignements et des données plus concrets, des exemples plus précis, voire des renvois à d’autres études ou rapports déjà publiés en lien avec les préoccupations de la société civile, ce qui aiderait le Comité dans son propre dialogue avec la délégation du Gouvernement caboverdien, prévu pour la fin de cette semaine.

Dans leurs réponses, les organisations non gouvernementales ont fait observer que la loi sur le salaire minimum n’était pas appliquée à Cabo Verde. Elles ont en outre précisé que, selon la loi, les traités internationaux sont incorporés au droit interne après leur publication au Journal officiel. Mais dans la pratique, les dispositions des traités internationaux ne sont pas invoquées dans les décisions de justice, a-t-il été ajouté. Les pouvoirs publics devraient faire davantage confiance dans la capacité des organisations non gouvernementales d’agir sur le plan social, de les aider à nouer des liens avec leurs homologues dans d’autres pays et de leur accorder un soutien matériel pour la réalisation d’objectifs concrets, a-t-il été recommandé. Cabo Verde a adopté un plan d’action à long terme (2007-2022) sur le développement social du pays, a-t-il été rappelé.

La Commission nationale des droits de l’homme de Cabo Verde a indiqué que le Gouvernement allait présenter son premier rapport au Comité, ce qui montre qu’un changement positif est en cours dans l’archipel. Mais le Pacte – au même titre que des sept autres principaux instruments des droits de l’homme ratifiés par Cabo Verde – est peu connu non seulement de la population mais aussi des magistrats et avocats, a regretté la Commission. Des problèmes particuliers ou des lacunes sont à signaler en ce qui concerne la protection des droits des travailleuses domestiques ; la durée du congé maternité, qui n’est que de deux mois ; l’accès des personnes handicapées au marché de l’emploi ; le montant des indemnités de chômage et des retraites ; l’accès à l’eau potable dans les campagnes ; ou encore la précarité dans l’île de Boa Vista.

Les lacunes en termes d’application des droits économiques, sociaux et culturels à Cabo Verde s’expliquent par la faiblesse de l’économie et par le manque de contrôle et de suivi, a poursuivi la Commission, insistant sur la nécessité d’investir dans des moyens de suivi, afin de s’assurer que les lois adoptées sont effectivement appliquées.


S’agissant de l’Afrique du Sud

Section 27, au nom d’une coalition d’ONG, a déclaré que de nombreux progrès réalisés par la société post-apartheid étaient aujourd’hui compromis. L’ONG a déploré notamment la suppression du principal programme de distribution de médicaments antirétroviraux et a regretté que le Gouvernement sud-africain ne consacre pas toutes les ressources disponibles à la protection des droits économiques, sociaux et culturels, dans un contexte où la politique d’austérité dure depuis quatre ans. Les secteurs de la santé et de l’éducation sont les premiers menacés par la politique de coupes budgétaires motivée par une crainte exagérée de la dette, a affirmé l’ONG. Elle a aussi mis en cause la mauvaise gouvernance publique, source selon elle d’un important gaspillage en Afrique du Sud.

Par vidéoconférence, Institute for Poverty, au nom également d’une coalition d’ONG, a relevé les progrès en demi-teinte réalisés dans le domaine de la sécurité alimentaire en Afrique du Sud. L’Institut a aussi regretté le retard pris dans l’application de la politique nationale de restitution des terres prévue par la réforme agraire, un des problèmes à cet égard résidant dans l’évaluation des indemnités à verser.

Également par vidéoconférence, Association for Progressive Communications a recommandé que le Gouvernement sud-africain prenne des mesures pour garantir l’accès universel à Internet en tant que moyen de réaliser les droits économiques, sociaux et culturels, surtout au profit des personnes marginalisées. Le Comité devrait donc demander à la délégation sud-africaine de dire comment les autorités entendent combler la fracture numérique.

Toujours par vidéoconférence, Equal Education Law Center a recommandé que l’Afrique du Sud lutte plus efficacement contre les écoles qui facturent des frais de scolarité illégaux aux Sud-Africains les plus pauvres. Le Gouvernement devrait aussi édicter des directives sur la manière dont les écoles doivent prendre en charge les enfants migrants ; subventionner davantage les transports scolaires ; et limiter la privatisation de l’enseignement.

Amnesty International a dénoncé le creusement des inégalités en Afrique du Sud, qui se manifeste notamment dans l’accès aux services de santé et d’éducation. L’ONG a déploré que le prix des traitements dissuade des femmes enceintes de les solliciter. Amnesty International a aussi regretté que l’Afrique du Sud n’ait pas fait de progrès pour assurer que les avortements pratiqués le soient dans des conditions sûres. L’ONG a d’autre part affirmé que la criminalisation des travailleurs du sexe en Afrique du Sud entraînait des problèmes de santé dans cette catégorie de travailleurs. Elle a également dénoncé les conditions de travail dans les entreprises du secteur minier en Afrique du Sud, en dépit des dispositions de la loi.

Un expert du Comité a relevé que le Gouvernement sud-africain avait procédé assez lentement en matière de réforme agraire ; l’expert a souligné que cette réforme devrait s’accompagner d’un important effort de formation des bénéficiaires, car en l’état, ces derniers n’ont pas la capacité de vivre de leurs terres. L’expert a aussi voulu savoir quels obstacles concrets s’opposent à l’inscription à l’école des enfants de parents migrants ou sans papiers.

Les ONG ont regretté le manque de coordination entre les divers programmes lancés par l’État en faveur de la réalisation du droit à l’alimentation. Cette critique est également portée par les bénéficiaires du programme de redistribution des terres s’agissant de la gestion de programme, qui est aussi marquée par la corruption, a-t-il été souligné, précisant que les terres n’ont pas été données, mais seulement remises à bail pour trente ans.

Les intervenants de la société civile ont en outre aussi précisé que, pour enregistrer un enfant, même migrant ou sans papiers, l’école doit communiquer son numéro d’identification nationale au Ministère de la santé, sans quoi elle ne recevra pas de financement pour cet enfant ; c’est pourquoi les écoles rechignent à inscrire les enfants qui ne disposent pas d’un tel numéro. Les ONG ont par ailleurs estimé que la loi n’encadrait pas suffisamment les écoles privées, qui peuvent par exemple refuser des enfants handicapés ou désinscrire certains autres, sans justification.

Legal Resource Center a prié le Comité de recommander au Gouvernement sud-africain d’appliquer effectivement et de manière cohérente la loi de 2003 qui autorise le changement de sexe. L’ONG a en outre recommandé que l’Afrique du Sud cesse toute discrimination envers les personnes transgenre, des mesures devant être prises pour que l’assurance de santé ne demande pas d’informations de nature discriminatoire à cet égard. L’ONG a aussi fait observer que les femmes sont désavantagées dans l’accès à la terre et au logement. Elle a d’autre part dénoncé les coupes opérées dans les allocations familiales, qui placent de nombreuses familles dans une situation financière délicate.

Human Rights Watch a déploré, pour sa part, l’incapacité des autorités sud-africaines à garantir le droit à l’éducation des enfants handicapés, dont 600 000 n’étaient pas scolarisés en 2015. L’ONG a aussi émis des doutes sur la qualité de l’éducation dispensée aux enfants handicapés.

Dullah Omar Institute, au nom également d’autres organisations non gouvernementales, a attiré l’attention sur le fait qu’un tiers de la population sud-africaine recevait une forme d’assistance sociale. L’ONG a plaidé pour que le Gouvernement sud-africain introduise un revenu universel de base et qu’il veille à ce que l’intégralité des allocations soit effectivement versée aux bénéficiaires, ce qui n’est pas le cas dans le système actuel, où les paiements sont faits par une entité du secteur privé. L’ONG a aussi regretté que le Gouvernement ne se soit pas doté des capacités nécessaires pour réglementer le marché privé du logement, ce qui explique que le marché formel soit inaccessible pour la majorité des citoyens.

La Commission internationale des juristes a insisté pour sa part sur le taux de chômage très élevé en Afrique du Sud – atteignant 37%, et même 67% chez les moins de 25 ans –, ce qui pose la question du respect du droit au travail dans ce pays. L’ONG a recommandé que l’Afrique du Sud se dote d’une stratégie pour faire en sorte, notamment, que les travailleurs bénéficient d’un niveau de vie convenable, y compris en revalorisant le salaire minimum.


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CESR18/016F