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LE COMITÉ DES DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS TIENT UNE JOURNÉE DE DISCUSSION GÉNÉRALE SUR L’ARTICLE 15 DU PACTE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a tenu, aujourd’hui, une journée de discussion générale sur l’article 15 du Pacte, relatif au droit de bénéficier du progrès scientifique, prélude à l’adoption ultérieure d’une observation générale sur cette question.

Dans ce cadre, le Comité a tenu quatre tables rondes consacrées, successivement, au cadre normatif ; au lien entre le droit à la science et les autres droits : aux limitations éventuelles au droit de bénéficier du progrès scientifique ; et aux obligations des États.

Ces tables rondes ont bénéficié de la participation d’une quinzaine de panélistes essentiellement issus de la société civile, mais aussi de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et de l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD), ainsi que du Ministère espagnol des sciences, de l’innovation et des universités.

Plusieurs représentants de la société civile et membre du Comité ont également pris part à la discussion.

L’article 15 du Pacte dispose que les Etats parties reconnaissent à chacun le droit: de participer à la vie culturelle; de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications; et de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur. Il ajoute que les mesures que les Etats parties prendront en vue d'assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre celles qui sont nécessaires pour assurer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture. Il prévoit en outre que les Etats parties s'engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices. Il stipule enfin que les Etats parties reconnaissent les bienfaits qui doivent résulter de l'encouragement et du développement de la coopération et des contacts internationaux dans le domaine de la science et de la culture.

Introduisant la journée de discussion, M. Mikel Mancisidor, corapporteur du Comité pour le projet d’observation générale, a fait observer que les États, dans leur grande majorité, ne disent pas grand-chose sur la science dans les rapports périodiques qu’ils soumettent au Comité. Il a ajouté qu’il fallait avouer que le Comité avait souvent manqué à ses obligations pour ce qui est d’expliquer aux Etats ce que les experts attendent d’eux et que c’est pour cette raison que le Comité a décidé d’avoir une discussion sur cet article 15.

À l’issue de cette journée de discussion, M. Rodrigo Uprimny, corapporteur du Comité pour ce projet d’observation générale, a expliqué que les experts allaient maintenant s’atteler à finaliser une première mouture du projet d’observation générale avant d’adopter le texte définitif en deuxième lecture, si possible dans le courant de l’année prochaine.


Le Comité doit clore les travaux de cette 64ème session dans l’après-midi de vendredi prochain.


Déclaration d’introduction

M. MIKEL MANCISIDOR, corapporteur du Comité pour le projet d’observation générale, a expliqué que cette journée allait permette de discuter de l’ensemble du contenu de l’article 15 du Pacte. Il a expliqué que les États, dans leur grande majorité, ne disent pas grand-chose sur la science dans leurs rapports périodiques. Il a ajouté qu’il fallait avouer que le Comité avait souvent manqué à ses obligations pour ce qui est d’expliquer aux Etats ce que les experts attendent d’eux. C’est pour cette raison que le Comité a décidé, il y a quelques années, d’avoir une discussion sur cet article 15. Quatre tables rondes vont être organisées avec la participation de plusieurs experts sur les différents sujets abordés, a précisé M. Mancisidor. L’objectif de cette journée est que tous les invités et participants enrichissent les réflexions du Comité, en fournissant des informations complémentaires ou des exemples de bonnes pratiques. Un autre objectif est de faire en sorte que les participants puissent ensuite partager le projet d’observation générale et en discuter à l’extérieur de cette enceinte. M. Mancisidor a expliqué qu’après cette journée de discussion, l’idée est de disposer, au printemps prochain, d’un premier projet d’observation générale suffisamment complet pour pouvoir être adopté lors de la saison d’automne 2019 du Comité.


Première table ronde : le cadre normatif

M. KONSTANTINOS TARARAS, de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), a expliqué qu’il était satisfait des progrès enregistrés depuis près de 10 ans s’agissant du droit à bénéficier des progrès de la science – progrès dont témoigne l’idée d’élaborer un projet d’observation générale sur la question. Il a rappelé que l’UNESCO était l’organe scientifique des Nations Unies et a souligné qu’il y avait un lien clair entre le développement scientifique et la paix. L’UNESCO fait le lien entre le travail scientifique, l’art et l’éducation, a-t-il ajouté. Il a expliqué que le terme « technoscience » décrit au mieux l’évolution à un rythme effréné de la recherche scientifique. Le public a de nouvelles craintes face à l’évolution de la science et il y a un fossé croissant entre les intérêts publics et privés dans ce domaine, a indiqué M. Tararas.

C’est l’UNESCO qui a été à l’initiative de l’article 15 du Pacte, a rappelé M. Tararas. S’agissant de la bioéthique, il a insisté sur l’importance de la promotion d’un environnement porteur et du partage de la connaissance et des bénéfices de cette nouvelle science. M. Tararas a en outre mis l’accent sur la nécessité de promouvoir la participation des citoyens, y compris au sujet de questions complexes, afin de les associer aux progrès scientifiques. Il faut par ailleurs faire tomber les barrières qui bloquent l’accès des femmes à la science, car il existe un véritable clivage dans ce domaine, a ajouté M. Tararas.

MME JESSICA WYNDHAM, de l’Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS), a souligné que la portée du droit d’accès au progrès scientifique doit inclure des bénéfices matériels et non matériels. La science est importante, d’une part parce qu’elle est une branche de la connaissance et, d’autre part, parce que les découvertes scientifiques peuvent permettre des applications concrètes et vitales pour le bien-être humain. La connaissance scientifique permet de prendre des décisions informées lors d’une situation donnée et de savoir, par exemple, quoi manger, quoi boire, quel médicament prendre, ou encore comment s’habiller, a expliqué Mme Wyndham. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, le progrès scientifique peut apporter des connaissances concernant l’existence de galaxies lointaines ou le plus petit des atomes, a-t-elle ajouté.

Le droit de bénéficier des progrès de la science doit inclure l’obligation des gouvernements d’appliquer ces progrès et de communiquer les informations scientifiques y relatives, y compris en les diffusant dans les documents officiels, a poursuivi Mme Wyndham, avant d’insister sur le fait que la notion de participation, dans ce contexte, inclut le droit à l’information et à connaitre les risques associés aux progrès scientifiques. L’article 15 fait état d’une liberté indispensable à la recherche scientifique ; les scientifiques doivent effectivement pouvoir se faire et fournir un avis sans ingérence, mais cette liberté n’est pas absolue et doit être exercée avec la responsabilité qui l’accompagne, a déclaré Mme Wyndham. Il faut promouvoir une culture de la responsabilité scientifique avec une formation déontologique, a-t-elle indiqué.

MME LISSA BETTZIECHE, de l’Institut allemand pour les droits de l’homme, a expliqué que l’Institut avait mené des consultations, à Berlin, avec des experts en matière de sciences ; l’objectif était de leur demander quels étaient selon eux les défis liés à la science et à l’humanité et comment chacun pouvait selon eux se voir garantir l’accès aux progrès scientifiques. Mme Bettziech a fait observer que certains experts n’ont pas perçu la pertinence de développer une observation générale sur la science et les droits de l’homme. Il y a un manque de sensibilisation à la problématique des droits de l’homme dans le contexte de l’article 15 du Pacte au sein de la communauté scientifique, a-t-elle expliqué. Il est donc important de faire un tel travail de sensibilisation, a-t-elle insisté. Il faut en outre présenter aux Etats parties des exemples de bonnes pratiques concernant l’application des droits découlant de l’article 15.

Mme Bettzieche a par ailleurs fait observer que les différentes langues existantes ne donnaient pas la même définition de ce qu’est la « science », notamment pour ce qui concerne la question des « sciences sociales » ; il convient donc de s’accorder sur cette question. La science doit inclure toutes les formes de sciences et doit intégrer une perspective soucieuse des droits de l’homme, a conclu Mme Bettzieche.

M. BRIAN GRAN, de Case Western Reserve University, a présenté une série d’indicateurs dans le domaine du droit à bénéficier des progrès scientifiques et a souligné qu’il ne saurait y avoir de discrimination s’agissant du droit à bénéficier de ces progrès, évoquant dans ce contexte la discrimination à l’encontre des personnes handicapées. Ces indicateurs sont valables pour tout le monde, a-t-il insisté. L’un de ces indicateurs est par exemple celui de la mise en œuvre du droit d’accès à Internet, qui détermine en partie l’accès à la science. Un autre indicateur porte sur l’accès à des journaux ou des publications scientifiques – un accès qui est aujourd’hui assez restreint dans le monde. Un autre indicateur encore a trait à la censure en ligne. Les indicateurs permettant de mesurer la mise en œuvre de l’article 15 et la réalisation de l’objectif de jouir du droit de l’homme à la science doivent notamment permettre de demander des comptes ; d’analyser des situations ; de prendre les bonnes décisions pour les politiques publiques, et de mesurer les performances et des résultats.

Au cours du débat qui a suivi ces présentations, Global Young Academy a déclaré que la caractérisation de la science n’est pas suffisamment précise dans le projet d’observation générale. Il faut en outre que le Comité prenne en considération la violation du droit à la science, notamment pour les plus jeunes. RightsTech Women a souhaité que l’observation générale mette l’accent sur le droit des femmes et des filles aux progrès scientifiques. Le concept de science doit être différencié d’autres processus, car la science a des caractéristiques propres, a en outre souligné l’ONG. Les femmes et les filles sont victimes de stéréotypes dans le domaine de la science, a-t-elle insisté, insistant pour que soit accrue la participation des femmes dans le domaine scientifique. Earthjustice a expliqué que le rôle de la science avait changé et que la science devait être vue non pas uniquement comme une somme de connaissances mais comme un processus. La science est aussi un débat entre différentes sources qui peuvent parfois s’opposer, a rappelé l’ONG. L’Université pour la paix des Nations Unies a expliqué que l’élaboration d’une observation générale sur les dispositions de l’article 15 du Pacte jette des bases pour l’instauration d’un monde plus pacifique où la science est amenée à jouer un rôle fondamental.

Les Pays-Bas ont souligné l’importance du concept de science ouverte au sein d’un environnement porteur. Il est important que la recherche profite à la société dans son ensemble. D’un point de vue concret, la science ouverte apporte beaucoup de bénéfices aux scientifiques et à la population, a insisté la délégation néerlandaise. L’Espagne a fait part de son intérêt pour les travaux relatifs à l’élaboration d’une observation générale sur ces questions et a insisté sur les obligations qui incombent aux Etats en termes de conservation, de développement et de diffusion des progrès scientifiques. Il faut distinguer la science et la « pseudoscience » afin de protéger la population, a ajouté la délégation espagnole.

Deuxième table ronde : le lien entre le droit à la science et les autres droits

MME MYLENE BIDAULT, de l’Observatoire de la diversité et des droits culturels, a fait observer que la proximité, dans le libellé de l’article 15 du Pacte, du droit de participer à la vie culturelle et du droit aux bienfaits de la science ne doit rien au hasard. La science fait partie de la culture et les droits dans ces deux domaines sont indissociables. La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels prévoit ainsi que le champ culturel est très large, englobant valeurs, croyances, convictions, langues, savoirs, arts, traditions, institutions et modes de vie. Dans ce champ culturel très large, il convient néanmoins de définir la spécificité de la science, a ajouté Mme Bidault. Considérer la science comme un droit culturel peut changer l’approche du droit à la science. Il ne faut pas oublier qu’il y a une diversité scientifique comme il y a une diversité culturelle, a rappelé l’oratrice.

MME HELLE PORSDAM, de l’Université de Copenhague, a expliqué que les experts du Comité mais aussi les chercheurs donnent du contenu au droit à la science. Les droits culturels quant à eux sont des droits importants pour tous les autres droits. Tous ces droits permettent de se développer et de mieux vivre. Le bien-être général d’une population dépend d’un esprit et d’une citoyenneté ouverts, a insisté Mme Porsdam. Il faut une citoyenneté éclairée pour lutter contre les idées reçues et les préjugés, a-t-elle en outre souligné. Il n’y a pas de droit à la culture sans un minimum d’éducation ; l’éducation et les droits de l’homme sont donc très étroitement liés, a-t-elle également rappelé. Prendre part à une société démocratique nécessite d’être informé ; aussi, l’accès aux bénéfices de la science doit-il inclure l’accès à la connaissance.

MME PRACHI BHAVE, de RightsTech Women, a expliqué que les femmes sont sous-représentées dans le domaine de la recherche, avec seulement 28,8% de part. Les femmes diplômées subissent une discrimination dès le début de leur carrière, a-t-elle ajouté, avant de citer un rapport de la Banque mondiale attestant des bénéfices qui résulteraient d’une meilleure représentation des femmes dans la recherche. Il faut agir maintenant pour remédier à cette sous-représentation, faute de quoi l’écart ne fera que se creuser, a insisté Mme Bhave. L’article 15 du Pacte reconnaît le droit de chacun de profiter des bénéfices des progrès scientifiques, a-t-elle rappelé. Il reste néanmoins 262 millions d’enfants non scolarisés et les femmes sont sous-représentées parmi les diplômés de l’enseignement supérieur, a-t-elle fait observer. Pour conclure, Mme Bhave a tenu à rappeler que deux femmes avaient obtenu un prix Nobel la semaine passée.

Au cours du débat qui a suivi ces présentations, Treatment Action Group a expliqué que les dispositions de l’article 15 sont très importantes pour les personnes touchées par le VIH/sida, la tuberculose ou encore l’hépatite C ; aussi, cette journée de discussion générale est-elle très opportune. Les effets de la science sont visibles lorsque les Etats appuient les organes de recherches, a souligné l’ONG. Les innovations sont essentielles pour améliorer les conditions de vie des populations et les scientifiques doivent avoir les moyens de mener leurs recherches, a-t-elle insisté. L’Université pour la paix des Nations Unies a expliqué que sans paix, il ne saurait y avoir de développement ni de recherches scientifiques et a insisté sur l’importance du droit à l’enseignement de la science pour la coexistence pacifique, la tolérance et la paix. Associazione Luca Coscioni a insisté sur l’importance d’assurer la présence des femmes dans le domaine de la recherche sur les cellules souches.

Un membre du Comité a demandé aux panélistes comment le droit allait enfin pouvoir assurer le transfert des technologies vers les pays pauvres.

Troisième table ronde : les limitations éventuelles au droit de bénéficier du progrès scientifique

MME YVONNE DONDERS, de l’Université d’Amsterdam, s’est réjouie que le droit à bénéficier du progrès scientifique – un droit resté très longtemps ignoré – soit enfin pris en compte au sein des organisations internationales. La science peut aussi bien être au service des gens et de la société qu’à leur détriment, a-t-elle souligné ; il est par conséquent logique de discuter aujourd’hui des éventuelles limites de ce droit au progrès. Les scientifiques ont un devoir de faire un travail de recherche responsable et les États doivent protéger les individus contre les abus du progrès scientifique, a poursuivi l’oratrice. Les limites peuvent être envisagées sur des thèmes ou des méthodes de recherche et ces restrictions peuvent aussi prévoir l’interdiction de publier dans les revues scientifiques, notamment. Les restrictions peuvent notamment concerner des dilemmes déontologiques en rapport avec la génétique ou encore les armes biologiques, a indiqué Mme Donders. Les mesures de restriction peuvent aussi viser à répondre à des besoins sociaux urgents, notamment pour protéger les personnes plus vulnérables comme les enfants, les personnes âgées ou les personnes handicapées, qui ne prennent pas toujours des décisions en toute indépendance.

Mme Donders a en outre expliqué que l’observation générale que le Comité envisage d’élaborer devra prévoir et reprendre, aux fins de la mise en œuvre du droit au progrès scientifique, les principes de base que sont notamment la non-discrimination et l’égalité de tous.

M. ANDREA BOGGIO, de l’Associazione Luca Coscioni, a expliqué que la science pouvait être dommageable, notamment lorsqu’elle tombe entre de mauvaises mains ; en outre, la science elle-même peut causer des dommages sans intentionnalité. La science à double usage renvoie à une recherche ayant permis de fournir des technologies qui peuvent ensuite être aussi utilisées à mauvais escient, comme cela est par exemple le cas pour la fission nucléaire, a-t-il précisé. La science a beaucoup évolué depuis les années 70, a-t-il poursuivi. En interne, les scientifiques ont beaucoup appris de leurs erreurs, notamment au regard des problématiques liées à l’eugénisme, aux manipulations génétiques ou encore aux armes nucléaires, a-t-il assuré ; le concept de « science raisonnable » est né de cette prise de conscience, a-t-il rappelé. Lors d’une conférence scientifique, il y a toujours un débat sur les implications sociales et éthiques des avancées scientifiques, a-t-il souligné. Il y a chaque jour plus de 40 articles qui sont publiés par des scientifiques sur l’éthique dans le domaine de l’intelligence artificielle, a-t-il insisté. Pour ce qui est des garde-fous extérieurs, beaucoup de lois régissent la science et s’alignent sur l’article 4 du Pacte, a-t-il ajouté.

Éliminer les risques associés à la science est une chimère, a expliqué M. Boggio, faisant valoir que la science a développé une énorme littérature visant à réduire ces risques. En outre, le droit tend à être toujours en retard par rapport à l’innovation, a-t-il rappelé. La science est imparfaite, comme toute action humaine ; mais le monde a néanmoins plus que jamais besoin de la science pour arriver à nourrir 9 milliards de personnes, lutter contre le changement climatique et contre les pandémies, a conclu M. Boggio.

MME VIVIANA MUÑOZ, de South Centre-Trade, a insisté sur l’importance de promouvoir la cohérence entre le droit à la propriété intellectuelle et les droits de l’homme. Il existe une certaine tension entre le régime du droit à la propriété intellectuelle et l’article 15 du Pacte, a-t-elle fait observer. Il faut se demander dans quelle mesure le droit à la propriété intellectuelle ne constitue pas une barrière à l’accès aux progrès de la science ; en effet, les brevets donnent à un individu le droit de ne pas permettre à d’autres de bénéficier de cet accès. La protection des brevets peut certes être utilisée comme mesure incitative pour engager les scientifiques à mener des recherches scientifiques ; mais la protection des brevets peut, d’un autre côté, entraver le nécessaire accès aux bénéfices découlant de ces recherches. Si les brevets et les secrets commerciaux profilèrent, il est très difficile de savoir ce qui est disponible et ce qui peut être utilisé ou non, a insisté Mme Muñoz, avant de rappeler qu’il n’existe pas d’accord international portant sur les droits de l’homme et la protection des brevets. Selon les normes internationales des droits de l’homme, il y a une limitation aux exigences liées à la propriété intellectuelle lorsque certains droits comme le droit à l’alimentation ou au logement sont en danger, a-t-elle indiqué.

Les États ont l’obligation positive de prévoir un système de brevetage solide mais souple, avec un certain nombre d’exceptions et des sujets qui ne sont pas brevetables. La question du transfert de technologies doit aussi être étudiée, car il s’agit là d’un grand moteur pour le développement de la recherche scientifique, a ajouté Mme Muñoz.

Au cours du débat qui a suivi ces présentations, Rechtswissenschaftliches Institut Universität Zürich a rappelé que l’an dernier, l’UNESCO avait adopté une recommandation révisée sur la condition des chercheurs scientifiques dont il est important de rappeler la valeur alors que son adoption a demandé quatre années de travail. La Loyola Law School a rappelé les discussions qui avaient eu lieu lors de l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948 et qui avaient signifié que la science devait être laissée libre de se développer dans la direction qu'elle voulait et que c’était ensuite aux États de réglementer l'application des progrès scientifiques et technologiques.

Un membre du Comité a notamment demandé aux panélistes si les résultats de la recherche scientifique étaient distribués gratuitement ou s’il fallait payer pour y accéder, notamment par l’achat de revues scientifiques. Les innovations techniques sont plus faciles à financer que les innovations sociales en raison des brevets, a-t-il en outre fait observer. Un autre expert a souligné que souvent, les entreprises veulent pouvoir bénéficier de rapides retours sur investissements et a fait observer que la plupart des avancées scientifiques se produisent dans le domaine militaire, pour être ensuite reprises dans le secteur public. Il conviendra, dans l’observation générale à venir, de souligner que le Comité est contre des résultats d’un progrès scientifique portant préjudice aux droits de l’homme ; telle doit être la devise de cette observation générale, a-t-il également été souligné.

Quatrième table ronde : les obligations des États

M. GONZALES REMIRO, du Ministère des sciences, de l’innovation et des universités de l’Espagne, a expliqué que les citoyens ont besoin que l’État encourage la recherche. L’État doit disposer de mécanismes efficients pour la prise de décision en matière de recherches. Il est important de rappeler que les pays démocratiques doivent disposer de mécanismes qui évaluent la recherche scientifique, a ajouté M. Remiro. L’observation générale à venir devra aborder la question de la non-discrimination s’agissant de la jouissance des bénéfices de la science et de la participation au domaine de la science, a-t-il poursuivi. Il faut par ailleurs tenir compte du principe de précaution et du consensus scientifique lorsque des découvertes scientifiques ont lieu, a-t-il souligné. L’Espagne a de bonnes pratiques à partager s’agissant de l’utilisation des langues dans le domaine scientifique, afin de ne discriminer personne au motif de sa langue d’origine, notamment en Catalogne, a en outre indiqué M. Remiro.

M. JOSE RAMON SANCHEZ, également du Ministère des sciences, de l’innovation et des universités de l’Espagne, a expliqué que l’observation générale à venir devrait inclure une recommandation pour que les États se dotent de comités d’éthique lorsqu’il y a des conflits éthico-juridiques concernant des avancées technologiques. La loi sur la recherche biomédicale en Espagne a permis la création d’un comité de bioéthique chargé de faire rapport sur des questions relatives aux répercussions des avancées scientifiques dans le domaine de l’éthique, a-t-il indiqué. Il a en outre insisté sur l’importance d’assurer la participation de chacun aux progrès scientifiques.

MME LEA SHAVER, de l’Université de l’Indiana, a souligné que le cadre juridique des États ne devait pas créer de barrières lorsqu’il s’agit d’accéder à la recherche et aux technologies. Dans ce domaine, la lutte contre les discriminations est essentielle, s’agissant notamment de l’utilisation des langues. Les États ont négligé leurs responsabilités dans le domaine de la recherche sur les médicaments, ainsi que pour ce qui est d’assurer l’accessibilité à tous aux progrès dans ce contexte ; il faut placer au centre de l’observation générale l’obligation des États de garantir l’accès aux technologies, à la recherche et aux progrès qui en découlent, contre les tentatives du secteur privé de se les approprier. La science et la technologie font partie du bien public, a insisté Mme Shaver ; or, ce sont aujourd’hui les segments les plus riches de la société qui les revendiquent au prix fort, a-t-elle fait observer. Il est par ailleurs indispensable de protéger les êtres humains contre la recherche scientifique qui pourrait mettre en danger leurs droits, a ajouté l’oratrice. Les États ont enfin le devoir de financer la recherche scientifique, l’éducation et l’enseignement universitaire, a-t-elle conclu.

M. ILCHEONG YI, de l’Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD), a fait observer que chaque période historique connaît une définition différente de la science. Lorsque l’on appréhende la science ou le progrès scientifique au sens que leur accorde le Comité, il faut rappeler le contexte : à l’époque des négociations sur le Pacte, il y avait une euphorie s’agissant des innovations scientifiques et c’est pour cela qu’a été ignorée toute éventuelle restriction dans le domaine de la recherche scientifique. Le Pacte doit en la matière être entendu comme prévoyant pour tous un partage des progrès scientifiques et une participation égale à ces progrès. M. Yi a ensuite souligné que la science peut se mettre au service des Objectifs de développement durable. La science n’est pas une fin en soi mais un moyen, a-t-il également déclaré, ajoutant que la science et la technologie sont des outils de transformation.

Suite à ces interventions, l’Université américaine de Paris a expliqué que la technologie fournit à l’individu un moyen d’exercer ses droits et a fait observer que des groupes vulnérables tels que les migrants et les réfugiés sont confrontés à des difficultés lorsqu’il s’agit pour eux d’exercer leur droit à l’accès aux technologies, notamment lorsque leur sont saisis leurs téléphones portables dans les camps et autres centres de rétention.

Une experte du Comité a fait observer que les groupes marginalisés n’étaient pas suffisamment pris en compte dans les débats. Au-delà des lois, que signifie concrètement l’accès aux bénéfices de la science pour des personnes vulnérables comme, par exemple, les personnes handicapées, a-t-elle demandé ? Un autre expert a demandé comment les États pouvaient choisir ce qui doit être ou non financé en matière de recherches et déterminer ainsi les priorités.

Remarques de conclusion

M. RODRIGO UPRIMNY, corapporteur du Comité pour le projet d’observation générale sur l’article 15 du Pacte, a remercié l’ensemble des intervenants de cette journée de discussion générale et les a invités à maintenir le dialogue avec le Comité. Il a expliqué que les experts allaient maintenant s’atteler à finaliser une première mouture du projet d’observation générale avant d’adopter le texte définitif en deuxième lecture, si possible dans le courant de l’année prochaine.


Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

CESCR18/021F