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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DU CAMEROUN

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport du Cameroun sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Anatole Fabien Marie Nkou, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que les efforts de l’État interviennent dans un contexte marqué par les attaques du groupe terroriste Boko Haram, par une situation humanitaire difficile et par des tensions sociales liées aux revendications corporatistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Sur le plan législatif, a-t-il néanmoins fait valoir, le cadre juridique de lutte contre la torture et les autres atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes a été renforcé. Le pays a ainsi ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant qui traite de l’implication d’enfants dans les conflits armés ainsi que les Conventions de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme et sur la protection des personnes déplacées. Quant au Code pénal, il renforce depuis 2016 la protection de l’intégrité morale et physique des personnes, y compris des femmes et des enfants, à travers de nouvelles incriminations contre les mutilations génitales féminines, le harcèlement sexuel et la traite des personnes, notamment. Le Code pénal est en outre favorable à la lutte contre l’impunité des auteurs d’actes de torture en élargissant la qualité des auteurs d’actes de torture aux autorités traditionnelles, a indiqué M. Nkou.

Au niveau institutionnel, a poursuivi M. Nkou, le Cameroun a créé en 2016 une commission chargée d’indemniser les personnes placées de manière abusive en détention ou en garde à vue. D’autre part, des centres d’appel et des cellules spécialisées ont été créés au sein des unités de police pour l’accueil et l’orientation des femmes victimes de violence. Enfin, au niveau judiciaire, de nombreuses décisions sanctionnant les atteintes à l’intégrité physique des personnes ont été rendues par les juridictions à travers le Cameroun.

La délégation camerounaise était également composée de représentants des Ministères des relations extérieures et de la justice, ainsi que de la Délégation générale à la sécurité nationale et de la Gendarmerie nationale.

Elle a répondu aux questions des experts du Comité portant notamment sur la crise dans les régions anglophones ; les allégations d’exécutions sommaires et d’existence de lieux de détention secrets et de charniers, en particulier dans le contexte de la lutte antiterroriste contre Boko Haram ; les tribunaux militaires ; l’incrimination de la torture et la notion de « sanctions légitimes » ; les conditions carcérales ; les violences basées sur le genre ; les mutilations génitales féminines ; l’abrogation de la disposition du Code pénal exemptant de poursuites pénales l’auteur d’un viol qui se marie avec la victime ; la situation des défenseurs des droits de l’homme ; la liberté de la presse ; ou encore la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés.

M. Abdelwahab Hani, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Cameroun, a notamment observé que les procès de personnes accusées de torture n’avaient donné lieu qu’à des sanctions légères, voire à des peines avec sursis, malgré les lourdes peines prévues par le Code pénal. Il a ensuite voulu savoir pour quelles raisons les avocats n’étaient pas systématiquement présents lors des interrogatoires de police, alors même que leur présence est prévue par la loi. M. Hani a en outre relevé que 23 médecins sont employés dans les 87 prisons du Cameroun – un effectif qu’il a jugé clairement insuffisant. Il semble d’autre part que les consultations médicales des personnes détenues soient payantes, s’est-il étonné, avant de s’inquiéter de la forte mortalité dans les prisons camerounaises – deux décès par jour.

La lutte légitime contre le terrorisme de Boko Haram doit se faire avec des moyens légitimes, a ensuite rappelé le corapporteur. Or, des informations fiables font état de rafles et d’arrestations arbitraires opérées par les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte antiterroriste, a-t-il indiqué. Il a prié la délégation de réagir aux allégations émanant d’organisations non gouvernementales selon lesquelles les autorités auraient ouvert des salles de torture et des lieux de détention secrets. D’autres ONG condamnent l’utilisation de la loi antiterroriste comme prétexte pour réprimer les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, a fait observer M. Hani. Il a en outre voulu savoir pourquoi moins d’un tiers des demandes d’aide juridictionnelle sont acceptées. M. Hani s’est en outre dit frappé par le fait que les personnes interpellées lors des troubles sociaux au Cameroun ont été jugées par des tribunaux militaires, et non civils.

S’agissant du principe de non-refoulement [renvoi d’une personne vers un pays où elle risquerait de subir des violations de ses droits fondamentaux], la délégation a été priée d’expliquer pourquoi près de 100 000 Nigérians ont été renvoyés de force dans leur pays sans pouvoir déposer une demande d’asile au Cameroun.

Mme Essadia Belmir, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Cameroun, a relevé que de nombreuses allégations font état de mauvais traitements infligés dans les prisons. Il semble en outre que des gardes à vue soient prolongées dans le seul but de soutirer de l’argent aux justiciables et à leurs familles, s’est-elle par ailleurs inquiétée.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Cameroun et les rendra publiques à l'issue de la session, le 6 décembre prochain.

Le Comité entamera demain matin, à 10 heures, l’examen du rapport de la Bosnie-Herzégovine (CAT/C/BIH/6).

Présentation du rapport du Cameroun

Le Comité était saisi du cinquième rapport du Cameroun (CAT/C/CMR/5), établi sur la base d’une liste de points à traiter établie par le Comité.

Présentant ce rapport, M. ANATOLE FABIEN MARIE NKOU, Représentant permanent du Cameroun auprès des Nations Unies à Genève, a déclaré que ce rapport avait été établi dans une démarche participative, avec la contribution tant des administrations publiques que des partenaires techniques et financiers et de la société civile. Depuis l’examen de son précédent rapport, l’État du Cameroun n’a pas fléchi dans sa politique volontariste de promotion et de protection des droits de l’homme – droits qui demeurent l’une des valeurs structurantes des politiques nationales et politique dont le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi est le creuset, a souligné le chef de la délégation camerounaise.

De cette politique, a poursuivi le Représentant permanent, la lutte contre toutes les formes d’atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes est une dimension non négligeable. Cette préoccupation est d’autant plus actuelle que les efforts de l’État interviennent dans un contexte marqué par les attaques du groupe terroriste Boko Haram, par une situation humanitaire difficile et par des tensions sociales liées aux revendications corporatistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, a souligné M. Nkou.

Sur le plan législatif, le cadre juridique de lutte contre la torture et les autres atteintes à la vie ou à l’intégrité des personnes a été renforcé, a poursuivi le Représentant permanent du Cameroun. Le pays a ainsi ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant qui traite de l’implication d’enfants dans les conflits armés ainsi que les Conventions de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme et sur la protection des personnes déplacées. Quant au Code pénal, il renforce depuis 2016 la protection de l’intégrité morale et physique des personnes, y compris des femmes et des enfants, à travers de nouvelles incriminations contre les mutilations génitales féminines, le harcèlement sexuel et la traite des personnes, notamment. Le Code pénal est en outre favorable à la lutte contre l’impunité des auteurs d’actes de torture en élargissant la qualité des auteurs d’actes de torture aux autorités traditionnelles, a indiqué M. Nkou.

Au niveau institutionnel, a poursuivi M. Nkou, le Cameroun a créé en 2016 une commission chargée d’indemniser les personnes placées de manière abusive en détention ou en garde à vue; cette commission est logée au sein de la Cour suprême camerounaise. D’autre part, des centres d’appel et des cellules spécialisées ont été créés au sein des unités de police pour l’accueil et l’orientation des femmes victimes de violence.

Enfin, au niveau judiciaire, de nombreuses décisions sanctionnant les atteintes à l’intégrité physique des personnes ont été rendues par les juridictions à travers le Cameroun, témoignant de l’impact positif des sessions de renforcement des capacités organisées au profit des acteurs judiciaires, a fait observer le chef de la délégation.

Ces efforts interviennent cependant dans un contexte difficile, a souligné M. Nkou. Outre les attaques du groupe terroriste Boko Haram, qui ont déjà entraîné la mort de 2000 personnes, le Cameroun est confronté à un afflux massif de réfugiés et de personnes déplacées par la situation sécuritaire dans les pays voisins. Pour faire face à ces défis, le Cameroun a pris de nombreuses mesures allant dans le sens de la consolidation de l’application de ses engagements internationaux, a indiqué le chef de la délégation. Ainsi, dans la guerre contre Boko Haram, le Cameroun s’est-il aligné sur la Stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme, le respect des droits fondamentaux étant l’un des vecteurs guidant les actions dans ce domaine. À ce titre, a précisé le Représentant permanent, des sanctions ont été prises contre les membres des forces de l’ordre qui ont commis des actes attentatoires aux droits de l’homme. De même, les poursuites contre les auteurs d’actes présumés de terrorisme se déroulent dans le respect des règles en matière de procès équitable. Cette option engendre des difficultés dans la gestion de la population carcérale, qui a fortement augmenté, a indiqué le chef de la délégation camerounaise. Pour y remédier, a-t-il précisé, l’État a entrepris des travaux d’aménagement de la prison centrale de Maroua, qui contient actuellement environ 1500 détenus – dont plus de 700 en lien avec Boko Haram – pour 300 places.

S’agissant enfin de la crise sociale, M. Nkou a expliqué qu’elle avait pour origine des revendications corporatistes émanant de certains syndicats d’enseignants et d’avocats. Alors que l’État avait engagé le dialogue et adopté un train de mesures pour y apporter des solutions, ces revendications ont été déportées sur le champ politique avec la réclamation violente de la partition du Cameroun par un courant sécessionniste. Les forces de sécurité publique ont dû intervenir pour rétablir l’ordre et les personnes interpellées ont fait l’objet de poursuites devant le tribunal militaire de Yaoundé; certaines procédures se sont soldées par un arrêt des poursuites sur ordre du chef de l’État, a indiqué M. Nkou.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ABDELWAHAB HANI, corapporteur du Comité pour l’examen du rapport du Cameroun, a observé que le Cameroun était partie à la Convention depuis 1986et que sa Constitution de 1996 reconnaissait explicitement l’importance des traités internationaux. L’expert a aussi relevé que le Cameroun avait pris des engagements volontaires pour renforcer le pouvoir judiciaire et avait affirmé son intention d’appliquer les recommandations antérieures du Comité en mettant l’accent sur la prévention de la torture, la sanction contre les responsables et les réparations aux victimes. Le Cameroun s’est aussi engagé pour améliorer les conditions de détention, a relevé l’expert.

M. Hani a demandé quand le Cameroun allait ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention [prévoyant l’établissement d’un système de visites régulières (…) sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté], alors même que le processus interne de validation par le Parlement est achevé depuis plusieurs années.

S’agissant des sanctions pour actes de torture, le corapporteur a observé que les procès de personnes accusées de torture n’avaient donné lieu qu’à des sanctions légères, voire à des peines avec sursis, malgré les lourdes peines prévues par le Code pénal pour ce crime. L’expert a en outre voulu savoir quelles sont les « sanctions légitimes » exclues par le Cameroun du champ de la définition de la torture.

S’agissant de l’équité procédurale, M. Hani s’est interrogé sur l’indépendance de la « police des polices » camerounaise, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme, y compris les actes de torture, commises par les forces de l’ordre. M. Hani a aussi voulu savoir pour quelles raisons les avocats n’étaient pas systématiquement présents lors des interrogatoires de police, alors même que leur présence est prévue par la loi. Le corapporteur a relevé que 23 médecins sont employés dans les 87 prisons du Cameroun – un effectif qu’il a jugé clairement insuffisant. Il semble d’autre part que les consultations médicales des personnes détenues soient payantes, s’est étonné l’expert.

Concernant le droit d’être présenté à un juge dans les plus brefs délais, l’expert a voulu savoir si le Cameroun était parvenu à surmonter les problèmes dans la tenue des registres d’écrou et des dossiers de justiciables qui l’empêchaient, au moment de l’examen du précédent rapport, d’assurer le respect de la règle des 48 heures de garde à vue. M. Hani a aussi souhaité savoir si des contrôles étaient effectués pour éviter que des détenus libérables ne soient maintenus en détention par erreur.

La lutte légitime contre le terrorisme de Boko Haram doit se faire avec des moyens légitimes, a rappelé le corapporteur. Or, des informations fiables font état de rafles et d’arrestations arbitraires opérées par les forces de l’ordre dans le cadre de la lutte antiterroriste, a-t-il indiqué. M. Hani a prié la délégation de réagir aux allégations émanant d’organisations non gouvernementales selon lesquelles les autorités auraient ouvert des salles de torture et des lieux de détention secrets. D’autres ONG condamnent l’utilisation de la loi antiterroriste comme prétexte pour réprimer les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, a fait observer M. Hani.

M. Hani a ensuite voulu savoir pourquoi moins d’un tiers des demandes d’aide juridictionnelle sont acceptées. À cet égard, le Gouvernement devrait peut-être réfléchir à la possibilité de demander à des organisations de la société civile de venir combler un déficit d’avocats au Cameroun, a suggéré l’expert.

S’agissant du principe de non-refoulement [renvoi d’une personne vers un pays où elle risquerait de subir des violations de ses droits fondamentaux], la délégation a été priée d’expliquer pourquoi près de 100 000 Nigérians ont été renvoyés de force dans leur pays sans pouvoir déposer une demande d’asile au Cameroun.

M. Hani s’est en outre dit frappé par le fait que les personnes interpellées lors des troubles sociaux au Cameroun ont été jugées par des tribunaux militaires, et non civils. Dans ce domaine, le Comité recommande systématiquement de réserver les tribunaux militaires aux militaires, a rappelé l’expert. M. Hani a par ailleurs souligné que l’intervention du Chef de l’État dans certaines procédures judiciaires – certes présentée comme une mesure d’apaisement – posait des questions s’agissant de l’indépendance de la justice.

M. Hani a constaté que le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme et le Groupe de travail sur la détention arbitraire n’avaient toujours pas été autorisés à se rendre au Cameroun, malgré leur demande et malgré l’engagement du Cameroun à lancer des invitations ouvertes à tous les titulaires de mandat des Nations Unies.

M. Hani s’est d’autre part dit préoccupé par la forte mortalité dans les prisons camerounaises – deux décès par jour –, laquelle devrait selon lui inciter les autorités à s’interroger sur la pratique de la torture sur les personnes détenues. Il a voulu savoir si des autopsies étaient systématiquement réalisées dans ce contexte.

Le corapporteur a par la suite jugé très faible la peine minimale d’emprisonnement (deux ans) encourue pour des mauvais traitements ou des actes de torture, d’autant plus qu’elle peut s’accompagner de sursis.

L’expert s’est par ailleurs dit frappé de constater que la « crise anglophone » s’est ouverte par des revendications qui recoupent certaines recommandations régulièrement émises par le Comité concernant l’administration de la justice. Il a en outre regretté que des manifestations sociales, communes à de nombreux pays, soient jugées par les tribunaux militaires.

MME ESSADIA BELMIR, Vice-Présidente du Comité et corapporteuse pour l’examen du rapport du Cameroun, a salué les mesures prises par le Cameroun pour remédier aux causes des décès en détention, notamment par l’amélioration de l’hygiène et de la santé des détenus. En revanche, a-t-elle ajouté, les personnes accusées de soutenir Boko Haram sont détenues dans des conditions d’insalubrité et entre six et dix d’entre elles décèdent chaque mois.

Mme Belmir a ensuite attiré l’attention sur les rapports pour le moins délicats qu’entretiennent les pouvoirs judiciaire et exécutif au Cameroun. Elle s’est enquise de la véracité des allégations selon lesquelles, dans la justice camerounaise, la nomination et la révocation des juges dépend du Chef de l’État. D’autres allégations font état de la mainmise de l’exécutif sur la justice : un procureur général à la Cour suprême aurait été ainsi détenu en janvier 2017 en violation du Code de procédure pénale. « La raison d’État prime-t-elle sur la justice au Cameroun ? », s’est interrogée l’experte.

Mme Belmir a d’autre part voulu savoir si le Gouvernement entendait donner suite à des recommandations de confier la gestion des centres de détention provisoire au Ministère de la justice, plutôt qu’au Ministère de l’intérieur. À l’instar de M. Hani, elle a rappelé que les civils ne devraient pas être déférés devant des tribunaux militaires. Elle a prié la délégation de décrire l’articulation du système judiciaire camerounais.

Mme Belmir a par ailleurs relevé que, selon le rapport, les fonctionnaires sont responsables du bien-être des personnes gardées à vue ou privées de liberté. La question est de savoir comment le respect de cette obligation est contrôlé. Il semble que des gardes à vue soient prolongées dans le seul but de soutirer de l’argent aux justiciables et à leurs familles, a indiqué l’experte. Elle s’est aussi interrogée sur le fait qu’une personne privée de liberté doive régler elle-même les frais d’examen médical.

Mme Belmir a en outre relevé qu’un fonctionnaire responsable de la mort d’un détenu au Cameroun pouvait faire l’objet d’une simple sanction administrative – les rares condamnations pénales étant parfois même assorties du sursis. L’experte s’est interrogée sur les raisons de cet état de fait.

La corapporteuse a toutefois salué l’effort consenti par le Cameroun pour former la police et les militaires aux droits de l’homme. Elle a néanmoins regretté que rien de précis ne soit dit dans le rapport sur le contrôle de l’efficacité et de l’impact des formations, car le nombre d’allégations de torture et de mauvais traitements demeure élevé au Cameroun, a-t-elle souligné.

Mme Belmir s’est ensuite enquise des mesures prises pour organiser les visites des lieux de détention camerounais, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Les organisations non gouvernementales n’ont pas le droit de visiter les prisons, a-t-elle relevé. De nombreuses allégations font état de mauvais traitements infligés dans les prisons, a-t-elle poursuivi; et les victimes de torture ou de mauvais traitement ne se pressent pas pour porter plainte, par crainte de représailles, a-t-elle ajouté.

La loi camerounaise ne contient aucune définition du terrorisme, une notion qui peut être interprétée de manière très large, a d’autre part relevé Mme Belmir. Dans ce contexte, elle s’est dite préoccupée par des arrestations systématiques de certaines catégories de personnes, par des violences arbitraires commises par des militaires contre des civils et par le refus de laisser des personnes arrêtées consulter un avocat.

Relevant par ailleurs que les mesures de réparation pécuniaire sont en principe intégrée aux jugements, Mme Belmir a souhaité en savoir davantage sur les attributions et le bilan de l’action de la commission d’indemnisation.

Mme Belmir a fait observer que les sanctions disciplinaires appliquées dans les prisons sur décision administrative ne pouvaient pas être considérées comme des sanctions légitimes échappant à l’incrimination de torture.

Un autre membre du Comité a fait état d’informations selon lesquelles les forces de sécurité camerounaises auraient usé d’une force excessive entre novembre 2016 et février 2017, dans le cadre de la « crise anglophone », ayant fait sept morts et 24 disparus. Selon d’autres allégations, les forces armées auraient commis des violations des droits de l’homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme de Boko Haram, a-t-il ajouté. Un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme rapporte que l’armée camerounaise aurait ainsi tué une soixantaine de personnes, a-t-il précisé. Selon Amnesty International, le Bataillon d’intervention rapide aurait tué sept personnes en décembre 2016. L’expert a voulu savoir si des enquêtes avaient été ouvertes sur tous ces faits.

L’expert a ensuite insisté sur la nécessité pour le Cameroun de prendre conscience du problème du surpeuplement carcéral et de trouver des solutions pour faire évoluer les choses dans ce domaine, en dépit des difficultés économiques du pays. Un autre expert a souligné, à ce propos, que le Gouvernement avait annoncé, en 2015, que le Cameroun comptait au total 20 000 détenus pour 17 000 places. Aussi, a-t-il voulu savoir quelle suite avait été donnée aux propositions émises, la même année, en vue d’introduire des peines alternatives à la détention.

Une experte a cité des informations parvenues au Comité selon lesquelles des filles de moins de 18 ans seraient victimes de mutilations génitales dans certaines régions du Cameroun. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) évalue la prévalence de cette pratique à 1% en ville et à 2% dans les campagnes camerounaises, a précisé l’experte, avant de s’enquérir des mesures prises par le Cameroun contre les mutilations génitales féminines, des jugements prononcés et des sanctions infligées s’agissant de cette pratique.

Des experts ont souhaité savoir ce qu’il en est de l’abrogation, qu’avait recommandée le Comité, de la disposition du Code pénal selon laquelle le viol n’est pas sanctionné si la victime se marie avec le coupable. La délégation a été priée de préciser comment les auteurs de viols – y compris de viols entre époux – sont effectivement poursuivis et sanctionnés.

Un expert s’est enquis des mesures prises au Cameroun pour protéger les personnes réfugiées – et notamment les femmes réfugiées –contre la violence. Il a en outre recommandé au Cameroun de ratifier les principaux instruments internationaux de protection des apatrides. Sur ces questions, Mme Belmir s’est pour sa part enquise de l’application du plan d’action national en faveur des réfugiés et de la possibilité pour ces personnes d’être prises en charge par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés.

M. JENS MODVIG, Président du Comité, s’est quant à lui enquis des moyens humains et financiers alloués aux programmes de rétablissement des victimes de la torture.

D’autres questions des experts ont porté sur les conditions de détention des mineurs au Cameroun; sur les campagnes de sensibilisation à la violence intrafamiliale et la prise en charge des victimes de violence sexuelle et sexiste; et sur la collaboration du Gouvernement avec les ONG dans le domaine de la lutte contre la traite des êtres humains.

Un expert a regretté que la délégation ait dit, au cours du présent dialogue, que les organisations non gouvernementales font de la défense des droits de l’homme leur « fonds de commerce ».

Un autre expert a prié la délégation de dire quelles sanctions avaient été prises contre les personnes responsables de la garde à vue prolongée infligée à plusieurs détenus mentionnés au paragraphe 36 du rapport.

Une experte a insisté pour que la délégation réponde aux allégations des proches de feu Eric Lembembe, militant de la lutte contre le VIH/sida assassiné, selon lesquelles il aurait été torturé avant sa mort et la police n’aurait pas respecté les procédures habituelles durant l’enquête sur ce décès. La même experte a demandé à la délégation de dire quel type d’assistance les autorités camerounaises fournissent à leurs ressortissants victimes de mauvais traitements ou de torture à l’étranger.

Réponses de la délégation

La délégation a indiqué que la crise sociale dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun était de nature corporatiste: les avocats de ces régions réclamaient de pouvoir utiliser l’anglais dans les procédures judiciaires ; ils ont été suivis par un mouvement de six syndicats d’enseignants. Les autorités ont commencé à répondre à ces revendications de nature linguistique, mais la situation a rapidement dégénéré en manifestations violentes. L’État a alors déployé les forces de l’ordre pour garantir la sécurité des personnes et des biens, a expliqué la délégation.

Au début de 2017, a poursuivi la délégation, les manifestations se sont transformées en revendications sécessionnistes accompagnées de pillages. Les revendications sécessionnistes s’accompagnent actuellement d’attaques mortelles contre des gendarmes, dont trois sont décédés. Tel est le contexte de la « crise anglophone », a indiqué la délégation camerounaise.

La réaction des autorités consiste donc à rétablir l’ordre, à poursuivre les auteurs de crimes et à lancer des enquêtes sur les décès enregistrés, a-t-elle poursuivi. Parallèlement, le Gouvernement prend les mesures nécessaires pour rétablir le vivre ensemble dans les deux provinces concernées. En août 2017, 98 personnes ont été interpellées pour troubles à l’ordre public: douze ont été relaxées et les autres ont été condamnées à des amendes. D’autre part, 13 personnes sont en cours de jugement pour des faits de rébellion armée, terrorisme et sécession. Ultérieurement, plusieurs centaines de personnes ont été interpellées après de nouveaux troubles au début de mois dernier (octobre 2017), a ajouté la délégation.

La délégation a par la suite insisté sur le fait que les revendications corporatistes à l’origine de la crise anglophone avaient cédé le pas à une véritable insurrection armée visant la scission du pays et accompagnée de violences contre les personnes et les biens. La délégation a en outre dénoncé le peu de sérieux de certaines organisations non gouvernementales camerounaises qui, selon elle, ont fait des droits de l’homme un fonds de commerce. Sur quelles bases Mme Maximilienne Ngo Mbe, de l’ONG REDHAC, a-t-elle affirmé qu’il y aurait eu cent personnes tuées lors des événements du 1er octobre 2017 au Cameroun, sans publier pour la circonstance ni les noms, ni les prénoms, ni d’autres éléments d’identité des personnes concernées, s’est notamment interrogée la délégation ? Dans ce contexte, la délégation a souhaité attirer l’attention sur la proportionnalité de la réaction des forces de défense camerounaises.

Le Cameroun fait aussi face, dans la région de l’Extrême nord, à la menace de Boko Haram, a poursuivi la délégation: on dénombre, depuis 2016, 29 attaques-suicide et de très nombreuses incursions sur le territoire camerounais, ayant fait plus de deux mille victimes civiles. Contre ce terrorisme, le Cameroun applique une politique calquée sur la Stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme: il engage pour ce faire son armée professionnelle, formée notamment aux exigences du respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Pour contrôler les écarts de conduite des forces de défense dans la lutte contre Boko Haram, chaque unité de combat est accompagnée d’une section de gendarmerie pouvant dénoncer toute violation des droits de l’homme commise par un militaire, a précisé la délégation.

Le choix du Cameroun de mener la lutte contre Boko Haram devant les tribunaux également entraîne de nombreux problèmes de surpopulation carcérale, a ensuite fait observer la délégation. Il est donc paradoxal de prétendre que le Cameroun aurait commis des exécutions sommaires dans le cadre de la lutte antiterroriste, a-t-elle souligné. Le Cameroun est aussi surpris par les allégations d’existence de lieux de détention secrets, a-t-elle ajouté. Suite aux allégations d’Amnesty International, les commandants de camps ont ouvert leurs locaux: l’un des prétendus lieux de détention secret s’est révélé être une boulangerie, a affirmé la délégation. Elle a d’autre part nié que l’on ait trouvé des charniers au Cameroun.

Quant au rapport d’Amnesty International, il faut relever que cette organisation ne donne pas les noms des victimes alléguées, ce qui empêche de mener toute enquête approfondie et claire, a ensuite déclaré la délégation.

Le Tribunal militaire de Yaoundé a prononcé de nombreux acquittements de personnes accusées d’avoir collaboré avec Boko Haram, a ensuite indiqué la délégation camerounaise. En mai 2017, les mineurs encore détenus pour avoir collaboré avec Boko Haram ont été rendus à leur famille, a-t-elle ajouté.

Les tribunaux militaires au Cameroun ne sont pas des cours martiales, ni des tribunaux d’exception, a en outre précisé la délégation. Ils disposent de compétences spéciales qui les autorisent à juger des civils et appliquent les mêmes règles de droit commun que les tribunaux civils – la présence d’un avocat aux côtés de l’accusé étant tout aussi obligatoire devant ces tribunaux que devant une juridiction civile. Les justiciables bénéficient en outre de toutes les garanties procédurales et les magistrats de ces tribunaux suivent les mêmes formations que leurs homologues des tribunaux civils.

Le Cameroun est déterminé à réprimer les actes de torture par les forces de l’ordre: 14 condamnations ont ainsi été prononcées en 2016, a par ailleurs fait valoir la délégation. Le Gouvernement forme les magistrats et les avocats à la prévention la torture, a-t-elle ajouté.

La commission d’indemnisation des victimes de torture et de mauvais traitements est actuellement saisie de demandes pour un montant de 2 milliards de francs CFA, a indiqué la délégation.

La Commission nationale des droits de l’homme et des libertés est dotée d’un effectif de plus de cent personnes, a d’autre part fait savoir la délégation. Cette Commission a reçu, en tant qu’institution nationale des droits de l'homme, le statut « A » de conformité aux Principes de Paris. Ses commissaires sont désignés par le Président de la République. Son budget est d’environ 1,2 milliard de francs CFA, investissements compris. Entre 2013 et 2015, elle a visité 43 lieux de détention et en 2017, elle a rendu visite à des personnes incarcérées dans le cadre de la crise anglophone.

S’agissant de la liberté de la presse, la délégation a indiqué que le Gouvernement camerounais avait fait adopter plusieurs lois instaurant un système libéral d’information dans le pays. Si la censure administrative a été supprimée, les délits de presse n’en restent pas moins poursuivis en vertu du droit pénal, a fait observer la délégation. Les plaintes dans ce domaine sont majoritairement déposées par des particuliers qui estiment leurs droits bafoués par la presse. Ainsi, le harcèlement judiciaire dont se plaignent certains journalistes s’explique par leur empiètement sur les droits d’autres citoyens, a assuré la délégation.

La loi antiterroriste n’oppose aucun obstacle à la liberté de presse, a par la suite souligné la délégation. M. Ahmed Abba, journaliste en possession d’éléments et d’informations ayant justifié son arrestation au titre de cette loi, a été condamné à 10 ans de prison par le Tribunal militaire de Yaoundé, notamment pour non-dénonciation d’actes terroristes, a-t-elle précisé, avant de rappeler que M. Abba avait fait appel de son jugement. Mais d’autres personnes poursuivies par le même Tribunal pour outrage au Chef de l’État ont été acquittées, a ajouté la délégation.

Rien n’est entrepris contre l’intégrité physique des défenseurs des droits de l’homme au Cameroun, a d’autre part assuré la délégation. Les plaintes dans ce domaine font toujours l’objet d’enquête, a-t-elle ajouté. S’agissant du décès d’Éric Lembembe, la délégation a indiqué que le Procureur avait requis dans cette affaire de mort suspecte l’ouverture d’une information judiciaire qui a finalement abouti à un non-lieu, le coupable n’ayant pas été trouvé. Les personnes LGBTI ne font pas l’objet de harcèlement par les pouvoirs publics, a assuré la délégation, même si l’homosexualité reste une infraction punie par la loi.

La délégation a ensuite donné lecture des dispositions du Code pénal relatives à la définition de la torture et aux sanctions prévues en cas de torture. Aucune circonstance ne peut être invoquée pour justifier la torture, a-t-elle souligné. Le Code pénal réprime aussi les actes d’autorités traditionnelles apparentés à la torture. Les sanctions légitimes, telles que la peine de mort et le régime disciplinaire des prisons, ne sont pas assimilées à de la torture par le Code pénal, a précisé la délégation.

S’agissant de la sévérité des sanctions infligées aux auteurs d’actes de torture, la délégation a fait observer que le juge ne doit pas être « un distributeur automatique de peines » et qu’il doit se prononcer compte tenu des faits et de la personnalité des accusés.

Contre la surpopulation carcérale, a indiqué la délégation, l’État s’efforce de limiter la durée des détentions préventives et d’accélérer, grâce à des augmentations d’effectifs de magistrats, l’instruction des dossiers. De nouvelles prisons ont été construites. En outre, le Code de procédure pénale prévoit des peines alternatives à la détention des mineurs, a ajouté la délégation.

Les conditions de vie des détenus se sont améliorées, a assuré la délégation. Le système de santé en prison a été arrimé au système de santé national, parallèlement à une forte augmentation des personnels sanitaires. Les détenus hommes et femmes sont désormais séparés, a en outre souligné la délégation.

Interpellée sur l’interférence de l’exécutif dans le judiciaire, la délégation a précisé que c’était dans un souci d’apaisement, dans le cadre de la crise anglophone, que le Chef de l’État avait donné pour instruction au Ministère de la justice de mettre un terme à certaines poursuites, conformément à la procédure de nolle prosequi connue dans plusieurs systèmes juridiques de common law. Au demeurant, a fait valoir la délégation, l’arrêt de ces poursuites ne met pas fin à l’action civile: les victimes peuvent toujours obtenir réparation devant le juge saisi.

Pour ce qui est des droits des femmes, la délégation a notamment indiqué que la Stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre de 2011 avait été actualisée en 2016. Dans ce cadre, des campagnes de sensibilisation sont menées par le Gouvernement, avec l’appui de la société civile: en 2016, plus de 50 000 personnes ont été ainsi touchées, dont des chefs traditionnels et religieux. D’autre part, selon l’article 297 du Code pénal, le mariage entre l’auteur d’un viol ou d’un enlèvement et sa victime n’exempte plus celui-ci de poursuites pénales, a souligné la délégation.

Les autorités s’emploient en outre à éradiquer les mutilations génitales féminines, en misant en particulier sur la sensibilisation et la reconversion professionnelle des exciseuses, a poursuivi la délégation. L’État camerounais a aussi intensifié sa lutte contre les mariages forcés et contre la traite des personnes, a-t-elle ajouté.

Le Cameroun a par ailleurs pris des mesures pour assurer la prise en charge des réfugiés, aux termes notamment d’un accord de collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Un accord avec le Nigéria et le HCR a été signé en mars 2017 pour encadrer le retour volontaire des Nigérians déplacés au Cameroun. La délégation s’est ensuite dite surprise par la mention de l’expulsion de cent mille réfugiés nigérians du Cameroun; elle a fait observer que 80 000 Nigérians vivent actuellement et paisiblement en tant que réfugiés au Cameroun.

La délégation a enfin indiqué que la procédure de dépôt de l’instrument de ratification du Protocole facultatif à la Convention serait relancée.



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