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LE COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS AUDITIONNE LE MÉDIATEUR ET PLUSIEURS ORGANISATIONS DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE

Compte rendu de séance

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a auditionné, ce matin, des représentants de l’institution des droits de l’homme et d’organisations de la société civile de la Fédération de Russie concernant l'application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels par la Fédération de Russie, en préparation de l’examen prévu cette semaine du rapport de ce pays.

La représentante du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie – le Médiateur pour les droits de l’homme – a attiré l’attention des membres du Comité sur le fait que les cas relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels représentaient entre 80 et 85% des plaintes reçues ; les plaintes en provenance des peuples autochtones sont, elles, extrêmement peu nombreuses. Les plaintes portent principalement sur le non-versement de salaires, sur des allégations de rupture abusive du contrat de travail ou sur des cas d’emplois non déclarés, ainsi que sur l’accès aux logements sociaux et à la santé.

En dépit des sanctions décrétées contre la Fédération de Russie, le versement des retraites et des allocations de chômage n’a pas été affecté, a souligné la représentante du Médiateur. Celle-ci a aussi abordé le rôle du sport, déplorant le fait que l’équipe paralympique russe n’ait pu participer aux Jeux de Rio de Janeiro, considérant que de telles sanctions politiquement motivées étaient particulièrement inacceptables, s’agissant de personnes qui luttent quotidiennement pour surmonter leur condition. La représentante du Médiateur a assuré le Comité que la majorité des recommandations du Médiateur faites au Parlement et aux autorités étaient prises en compte.

Quant aux ONG, elles ont dénoncé la criminalisation des travailleurs du sexe et l’inexistence d’une politique de prévention du VIH/sida, de l’hépatite C et de la tuberculose. La précarité de la situation des travailleurs migrants, qui sont au nombre de plusieurs millions dans la Fédération de Russie, a aussi été soulignée. La violation des droits des peuples autochtones, des Roms et des Tatars de Crimée a été mise en cause. Les personnes LGBT ont en butte à une politique répressive, alors même qu’il n’existe pas de texte de loi réprimant la discrimination en vertu de l’identité sexuelle, ont affirmé plusieurs organisations, qui ont dénoncé une homophobie institutionnalisée dans la Fédération de Russie.

La question de la liberté d’expression a aussi été abordée lors des échanges avec les membres du Comité. Une ONG a mentionné plusieurs licenciements de défenseurs des droits de l’homme en raison de leur activité militante, selon elle. Elle a cité le cas d’un militant contraint de demander l’asile aux États-Unis avec sa famille. Une autre ONG a indiqué que son site Internet avait été bloqué par les autorités après qu’y eut été publiée une recommandation d’un organe conventionnel de l’ONU. Une militante a affirmé avoir fait l’objet d’une convocation en justice après témoigné devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à Genève.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport périodique de la Fédération de Russie (E/C.12/RUS/6).

Audition de la société civile : Fédération de Russie

Institution nationale de droits de l’homme

MME OLGA GONCHARENKO, représentante du Haut-Commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie (le Médiateur), a expliqué que l’institution était dotée de huit départements chargés des droits économiques, sociaux et culturels. Le Médiateur s’appuie aussi sur les avis formulés par les médiateurs régionaux, qui sont au nombre de 85. Une enquête sociologique est réalisée annuellement : elle montre que les droits économiques et sociaux sont particulièrement importants aux yeux de l’opinion russe. La violation des droits des citoyens dans ces domaines fait l’objet d’un rapport annuel du Médiateur. Les cas relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels représentent entre 80 et 85% des plaintes reçues par le Médiateur.

Mme Goncharenko a souligné, par ailleurs, que les peuples autochtones faisaient l’objet d’une attention particulière du Médiateur et de ses antennes régionales en Iakoutie, au Kamtchatka et dans la région de Krasnoïarsk. Les plaintes sont peu nombreuses, l’oratrice indiquant par exemple qu’il n’y avait eu qu’une seule plainte l’an dernier, trois respectivement en 2015, 2014 et 2013, et deux en 2012.

S’agissant du droit au travail des citoyens, le Médiateur a eu à connaître de 500 plaintes l’an dernier : elles portaient sur le non-versement de salaires, sur des allégations de rupture abusive du contrat de travail ou sur des cas d’emplois non déclarés. En dépit des sanctions contre la Fédération de Russie, le versement des retraites et des allocations de chômage n’a pas été affecté, a souligné la représentante du Médiateur. Celle-ci a aussi abordé le rôle du sport, déplorant le fait que l’équipe paralympique russe n’ait pu participer aux Jeux de Rio de Janeiro : de telles sanctions politiquement motivées sont particulièrement inacceptables, a dit Mme Goncharenko, car elles frappent des personnes qui luttent quotidiennement pour surmonter leur condition.

Mme Goncharenko a reconnu, par ailleurs, un certain nombre de difficultés en matière d’accès aux soins de santé par certaines catégories de la population, malgré les efforts accomplis. Le Médiateur s’est aussi penché sur le droit au logement, sa représentante indiquant que près de 30 000 plaintes avaient été reçues au total à ce jour. Le Médiateur a demandé aux autorités d’augmenter la construction de logements sociaux et souligné que la qualité des immeubles bâtis au siècle dernier ne correspondait plus aux normes actuelles.

Lors du dialogue à la suite de cette intervention, une experte du Comité souhaité savoir, au vu du nombre de plaintes en matière de logement, quels étaient les principaux enjeux actuels. Elle a demandé ce qu’il en était des campements roms. Un membre du Comité a demandé s’il était délicat, voire dangereux de déposer une plainte. Il s’est enquis de la réforme du système d’imposition, le système actuel étant particulièrement injuste puisqu’il repose surtout sur la taxe sur les produits et services, et très peu sur l’impôt direct. Un expert s’est dit surpris du faible nombre de plaintes relatives à la toxicomanie.

La représentante du Médiateur a assuré que la majorité des recommandations faites au Parlement et aux autorités étaient prises en compte. Le problème de la corruption et des pots de vin préoccupe 22% de la population, pourcentage qui est en baisse, a-t-elle aussi assuré. Elle a estimé que ces statistiques étaient fiables. Mme Goncharenko a enfin estimé que si les sanctions unilatérales imposées à la Russie étaient inacceptables, les difficultés rencontrées par la population résultaient davantage de la crise économique que des sanctions en elles-mêmes.

Organisations non-gouvernementales

Le Centre Mémorial contre les discriminations a indiqué que la Fédération de Russie acceptait de cinq à dix millions de travailleurs migrants tous les ans qui sont exploités et dont les autorités ne se préoccupent guère. S’il n’existe pas de politique publique envers les Roms, ceux-ci font face à de graves difficultés, notamment la démolition de leurs lieux d’habitation et la discrimination de leurs enfants en matière d’éducation. À la suite de l’annexion de la Crimée, les droits des Tatars ont été bafoués, leur organisation représentative, le Majlis, ayant été interdite pour « terrorisme ». Quant aux Tatars qui ont refusé de prendre la nationalité russe en renonçant à leur citoyenneté ukrainienne, ils sont victimes de discrimination. Par ailleurs, un grand nombre de citoyens ex-soviétiques sont en situation d’apatridie, les autorités ne leur reconnaissant aucun statut juridique alors même qu’aucun autre pays ne peut les accueillir.

Le Groupe de travail international sur les affaires autochtones / International Working Group for Indigenous Affairs a affirmé que les droits des populations autochtones n’étaient pas respectés dans la Fédération de Russie. Les opérations d’extraction à grande échelle sont approuvées sans que les populations concernées ne soient consultées. Les coopératives autochtones voient leurs activités fortement restreintes et leurs membres sont parfois accusés de braconner sur leurs propres territoires.

L’Organisation civique Myski pour la renaissance du peuple chor – un peuple du sud-ouest de la Sibérie – a demandé au Comité de réclamer à la Fédération de Russie de mettre sur pied une commission qui dresserait le bilan de la situation des peuples autochtones, victimes de l’exploitation illimitée des ressources de leurs territoires, sans respect de leurs langues, de leurs sépultures ni de leurs territoires sacrés.

La Coalition LGBT a affirmé que la discrimination était présente dans tous les domaines de la vie des personnes LGBT dans la Fédération de Russie. Il n’existe certes pas de texte de loi réprimant la discrimination en vertu de l’identité sexuelle. Mais la « propagande des relations non traditionnelles en direction de mineurs » est réprimée par la loi et passible de poursuites. L’an dernier, 160 crimes haineux ont été enregistrés envers des personnes LGBT mais le Médiateur ne les répertorie pas. Les autorités policières et judiciaires refusent généralement de les considérer comme crimes de haine, ce qui n’incite pas les victimes à porter plainte. Il y a nécessité d’abroger les lois discriminatoires sur l’orientation sexuelle, a conclu la coalition.

Phénix a dénoncé l’absence de politique de prévention du VIH/sida. Son représentant a expliqué que les homosexuels n’étaient absolument pas pris en compte dans les politiques publiques de santé.

Transgender Legal Defense Project, qui était représentée par une femme transsexuelle, a expliqué la difficulté de faire reconnaître sa nouvelle identité. Or, sans identité, il est impossible de travailler légalement. Elle a appelé à une procédure de reconnaissance légale et transparente.

La Coalition des travailleurs du sexe « Silver Rose » a expliqué que la prostitution était considérée comme une infraction et dénoncé le harcèlement dont les travailleurs du sexe sont la cible dans la Fédération de Russie. L’enregistrement d’une organisation représentative a été refusé à deux reprises. La Fédération de Russie doit dépénaliser le travail sexuel et améliorer l’accès des prostituées aux soins, a demandé l’ONG.

New Life a dénoncé la pénalisation du travail du sexe qui a pour conséquence l’aggravation de l’épidémie de VIH/sida. Elle a appelé à une modification de la loi pour garantir les droits des travailleurs du sexe.

Public Monitoring Mechanism for Drug Policy Reform in Russia a dressé le tableau de la toxicomanie en Fédération de Russie, soulignant qu’à l’origine, 80% des cas de VIH/sida, d’hépatite C et de tuberculose étaient dus à l’usage de l’héroïne en provenance d’Afghanistan. Avec l’arrêt du trafic en provenance de ce pays, de nouveaux stupéfiants sont apparus sur le marché via Internet. Or, la politique répressive de l’État ne permet pas de mener une vraie prévention. La dépénalisation de l’usage présente un caractère d’urgence, l’emprisonnement des toxicomanes aggravant la situation.

Defenders of Human Rights of Women a évoqué le cas d’une mère toxicomane privée de ses droits sur ses enfants. L’ONG a demandé au Comité d’appeler l’État partie à cesser de retirer les droits parentaux aux toxicomanes.

Projet Avril / Project April a évoqué la gravité du problème des surdoses fatales dû à l’absence de politique raisonnée face au phénomène de la toxicomanie. Les médicaments pour lutter contre les surdoses sont dispensés sur ordonnance uniquement, ce qui ne permet pas aux ONG d’y avoir recours. La Fédération de Russie doit absolument mettre l’accent sur la prévention, a conclu l’ONG.

TB Crisis in Russia a souligné que la tuberculose était la cause la plus fréquente du décès des sidéens. Avec la Chine et l’Inde, la Russie figure parmi les trois pays dans le monde où la tuberculose se répand. Les mauvaises conditions d’hygiène en prison constituent un facteur aggravant. Alors que les toxicomanes sont surreprésentés proportionnellement parmi les détenus, il est crucial de dépénaliser l’usage des drogues, a-t-elle aussi affirmé.

La Fondation Timur Islamov a évoqué l’apparition de plus de 500 nouvelles substances psychoactives sur le Darknet. Elles ont des conséquences néfastes sur les plans tant physique que psychologique. L’absence de politique des autorités pour faire face à la situation constitue un facteur aggravant.

Lors du dialogue à la suite de ces interventions, un expert du Comité a évoqué la liste des emplois interdits aux femmes en cours de réexamen par les autorités, souhaitant savoir si Memorial avait des informations sur la nouvelle politique qui pourrait en résulter. Il a aussi abordé la situation des couples homosexuels stables qui ne sont néanmoins pas reconnus. Un expert a demandé s’il existait d’autres causes de la propagation du VIH/sida en Russie, outre la toxicomanie. Un membre du Comité a souhaité avoir une idée de la situation en matière de liberté d’expression des représentants de la société civile. Quelque 180 000 personnes bénéficiant de traitements antirétroviraux, une experte a demandé si certaines personnes en étaient exclues.

La représentante de Memorial a estimé que la liste des professions interdites aux femmes devrait être tout simplement abolie. Une autre ONG a affirmé que la stratégie de lutte contre le VIH/sida chez les travailleurs du sexe était inexistante, ceux-ci étant menacés, d’autre part, par des groupes néo-nazis. Seuls 20% des travailleurs du sexe malade du sida ont accès aux traitements antirétroviraux. Selon une ONG, l’épidémie de VIH-sida est en passe d’être hors de contrôle, en l’absence de mise en œuvre des recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé par la Fédération de Russie. On estime par ailleurs que 80% des toxicomanes sont contaminés par l’hépatite C. Un autre représentant a indiqué qu’il était contraint d’acheter en Inde son traitement contre l’hépatite C.

En matière de liberté d’expression, une ONG a mentionné plusieurs cas de défenseurs des droits de l’homme licenciés à la suite de leur activité militante. Elle a cité le cas d’un militant contraint de demander l’asile aux États-Unis avec sa famille. Une autre ONG a indiqué que son site Internet avait été bloqué par les autorités après qu’eut été publié une recommandation d’un organe conventionnel de l’ONU. Une militante a affirmé avoir fait l’objet d’une convocation en justice après avoir témoigné devant le Comité des droits économiques, sociaux et culturels à Genève.

Un représentant d’organisation non gouvernementale a dit que le Rapporteur spécial de l’ONU sur les peuples autochtones avait appelé la Fédération de Russie à rationaliser sa politique envers les peuples autochtones, ce qu’elle a omis de faire jusqu’à présent. Une ONG a déploré que la discrimination envers les LGBT ne figure pas dans le rapport du Médiateur. Elle a appelé cette institution à se poser en véritable défenseur des droits de l’homme.

Pour sa part, la représentante du Médiateur a rappelé que si l’institution se préoccupait de la situation des peuples autochtones, elle était confrontée, de manière inexplicable, au faible nombre de plaintes. Elle a reconnu que la législation russe devait être améliorée s’agissant du problème de la toxicomanie. Mme Goncharenko a enfin indiqué que le Médiateur s’était rendu en Tchétchénie pour tenter d’éclaircir la question des personnes disparues. Une enquête a été menée en Crimée sur des allégations de violation des droits fondamentaux, qui ne s’est pas révélée concluante.



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ESC/17/23F