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LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EXAMINE LE RAPPORT DE L’UKRAINE

Compte rendu de séance
La situation des Tatars de Crimée et celle des Roms sont particulièrement discutées

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport présenté par l’Ukraine sur les mesures prises par ce pays pour donner effet aux dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

Présentant ce rapport, Mme Tamara Mazur, Ministre adjointe de la culture de l’Ukraine, a indiqué que son pays se trouvait à une étape très importante de ses réformes dans le domaine des droits de l’homme. La mission la plus importante à l’heure actuelle est la mise en œuvre de la législation pertinente, a-t-elle précisé. L’occupation temporaire de la Crimée et l’agression menée par la Fédération de Russie dans d’autres régions d’Ukraine a entraîné une détérioration de la protection des droits des Tatars de Crimée, des Ukrainiens de souche et d’autres nationalités, a-t-elle poursuivi. Depuis l’occupation du territoire souverain de l’Ukraine, la Fédération de Russie a maltraité les communautés minoritaires d’une manière qui peut être caractérisée comme de la discrimination raciale. Ces maltraitances ont été confirmées par de nombreux rapports, a souligné la Ministre adjointe.

Poursuivant cette présentation, Mme Iryna Strashnenko, du Ministère de la culture, a expliqué que la discrimination était définie dans une loi ukrainienne de 2012 qui fournit des définitions claires de ses principales formes dans une liste indicative que le législateur a veillé à ne pas définir comme exhaustive. Cette définition comprend les critères de race, de couleur, de religion ou autre croyance, de langue et d’ethnie. En mars 2014, le Gouvernement a institué un Commissaire du Gouvernement chargé de la politique nationale et ethnique; il a aussi créé un Conseil pour l’harmonie interethnique. A aussi été créé un poste de Commissaire des Tatars de Crimée, a-t-elle ajouté. Par ailleurs, l’an dernier, un département des droits de l’homme a été mis en place au sein de la police, dont les fonctionnaires ont bénéficié d’une formation du Conseil de l’Europe. Un «Point national de contact pour la lutte contre les crimes de haine» a aussi été mis en place au sein de la police; à celui-ci s’ajoute, au sein du Département d’enquête criminelle de la police, une Unité de lutte contre les groupes radicaux et organisés et contre les organisations criminelles. Un certain nombre de mesures visant à harmoniser la législation nationale en matière de non-discrimination avec les normes internationales et européennes ont été prises, a ajouté Mme Strashnenko. L’État ukrainien résout progressivement la question de la fourniture de documents d’identité aux membres de la minorité rom, a-t-elle en outre fait valoir, avant d’énumérer les mesures prises en faveur des Tatars de Crimée en 2014-2015.

La délégation ukrainienne était également composée de Mme Ganna Onyshchenko, Ministre adjointe de la justice et de M. Yurii Klymenko, Représentant permanent de l’Ukraine auprès des Nations Unies à Genève. Elle comprenait aussi des représentants du Ministère de la culture, du Ministère de l’éducation et de la science et du Ministère de la politique sociale, ainsi que des représentants de la police nationale et du Service d’État des migrations.

La délégation a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de la législation anti-discrimination; des Roms; du conflit interconfessionnel entre les Patriarcats de Kiev et de Moscou; de l’agression de la Fédération de Russie, s’agissant plus particulièrement de l’annexion de la Crimée et de la situation des Tatars; de la police nationale; de la lutte contre les débordements durant les rencontres de football; du droit d’asile; des questions linguistiques; ainsi que des meurtres de masse perpétrés en Volhynie en 1943.

M. Yeung Kam John Yeung Sik Yuen, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l’Ukraine, a relevé que «l’origine nationale» et «l’ascendance» étaient absentes des motifs de discrimination raciale prohibés dans la loi de 2012 relative à la prévention et la répression de la discrimination en Ukraine. Alors que le Commissaire des droits de l'homme du Parlement reçoit un grand nombre de plaintes, on a le sentiment que la justice a tendance, pour sa part, à les requalifier à la baisse, les crimes haineux étant poursuivis pour «hooliganisme» – lorsqu’ils font l’objet de poursuites, ce qui est rare, s’est en outre inquiété le rapporteur. En matière de législation linguistique, M. Yeung Sik Yuen a dit avoir le sentiment d’être confronté à une situation malsaine, s’agissant en particulier du statut de la langue russe. Quant à la loi de 2009 réprimant les crimes fondés sur la discrimination raciale, nationale ou religieuse, elle n’a pas été mise en pratique et, là encore, il y a une tendance à requalifier les faits à la baisse, alors qu’il est de notoriété publique que les cas de discriminations – voire d’agressions – raciales sont légions en Ukraine, y compris à l’encontre de personnes d’ascendance africaine ou à la «peau cuivrée». Le rapporteur a en outre dit avoir le sentiment que l’article 161 du Code pénal relatif à l’incitation à la haine raciale ou religieuse semblait difficile à mettre en œuvre et que les juges en faisaient une interprétation restrictive.

M. Yeung Sik Yuen a en outre souligné que les actes hostiles à l’encontre des Roms étaient fréquents. Il a également dénoncé les atteintes aux droits fondamentaux en Crimée annexée et dans l’est de l’Ukraine, notamment avec l’interdiction du Mejlis (des Tatars) - qualifié d’organisation extrémiste.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Ukraine et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 26 août.


Lundi matin, à 10 heures, le Comité auditionnera les représentants de la société civile au sujet des rapports de Sri Lanka et du Pakistan, qui seront examinés durant la semaine.



Présentation du rapport de l’Ukraine

Le Comité est saisi du rapport périodique de l’Ukraine, ainsi que de la liste de points devant être abordés lors de l’examen, communiquée au préalable à l’État partie. Le Comité est également saisi du document de base de l’Ukraine contenant des renseignements généraux et factuels relatifs à l'application des instruments auxquels cet Etat est partie, à l'intention des organes conventionnels concernés.

Présentant ce rapport, MME TAMARA MAZUR, Ministre adjointe de la culture de l’Ukraine, a expliqué qu’il avait été préparé par son Ministère en collaboration avec plusieurs autres ministères et en étroite concertation avec les organisations de la société civile. Elle a ajouté que son pays se trouvait à une étape très importante de ses réformes dans le domaine des droits de l’homme. La mission la plus importante à l’heure actuelle est la mise en œuvre de la législation pertinente, a-t-elle précisé. L’occupation temporaire de la Crimée et l’agression menée par la Fédération de Russie dans d’autres régions d’Ukraine a entraîné une détérioration de la protection des droits des Tatars de Crimée, des Ukrainiens de souche et d’autres nationalités, a-t-elle poursuivi. Depuis l’occupation du territoire souverain de l’Ukraine, dont le statut est déterminé par la résolution 68/262 de l’Assemblée générale des Nations Unies relative à l’intégrité territoriale du pays, la Fédération de Russie a maltraité les communautés minoritaires d’une manière qui peut être caractérisée comme de la discrimination raciale. Ces maltraitances ont été confirmées par de nombreux rapports, a souligné la Ministre adjointe.

Poursuivant cette présentation, MME IRYNA STRASHNENKO, du Ministère de la culture de l’Ukraine, a expliqué que la discrimination était définie dans une loi ukrainienne de 2012 qui fournit des définitions claires de ses principales formes dans une liste indicative que le législateur a veillé à ne pas définir comme exhaustive. Cette définition comprend les critères de race, de couleur, de religion ou autre croyance, de langue et d’ethnie. À la fin 2015, l’Ukraine a adopté une Stratégie nationale ainsi qu’un Plan d’action des droits de l’homme à l’horizon 2020. Ce Plan constitue «une sorte de catalogue des recommandations des organisations internationales», a précisé Mme Strashnenko.

En mars 2014, le Gouvernement a institué un Commissaire du Gouvernement chargé de la politique nationale et ethnique; il a aussi créé un Conseil pour l’harmonie interethnique qui pourrait avoir pour vocation de devenir un Conseil des nationalités sous l’égide du Ministère de la culture, a poursuivi Mme Strashnenko. A aussi été créé un poste de Commissaire des Tatars de Crimée, poste occupé par M. Mustafa Dzhemilev, par décret présidentiel de 2014, a-t-elle ajouté.

Par ailleurs, l’an dernier, un département des droits de l’homme a été mis en place au sein de la police, dont les fonctionnaires ont bénéficié d’une formation du Conseil de l’Europe. Un «Point national de contact pour la lutte contre les crimes de haine» a aussi été mis en place au sein de la police, avec le soutien de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). À celui-ci s’ajoute, au sein du Département d’enquête criminelle de la police, une Unité de lutte contre les groupes radicaux et organisés et contre les organisations criminelles afin de contrer l’intolérance et la discrimination raciale. Un certain nombre de mesures visant à harmoniser la législation nationale en matière de non-discrimination avec les normes internationales et européennes ont été prises, a ajouté Mme Strashnenko. De 2010 à 2015, les tribunaux ont été saisis de 17 affaires relatives à des violations de l’équité citoyenne en fonction de la race, de la nationalité ou de la religion: sept ont été examinées, quatre menées à terme et cinq renvoyées au parquet pour complément d’enquête, a-t-elle précisé.

La législation garantit la liberté d’association et d’organisation politique, sous réserve de ne pas inciter à la haine raciale ou religieuse et de ne pas fouler aux pieds les libertés et les droits de l’homme, a d’autre part fait valoir Mme Strashnenko. Il existe actuellement plus de 130 000 associations dans le pays, a-t-elle précisé. La police surveille constamment l’Internet, ainsi que la presse écrite et électronique afin d’identifier tout message problématique, a-t-elle souligné.

Ces dernières années, a d’autre part indiqué Mme Strashnenko, la législation nationale a été améliorée de manière significative s’agissant de la réglementation du statut de réfugié, notamment afin de garantir le non-refoulement des personnes menacées dans leur pays. La législation garantit à toute personne, réfugiés compris, un accès égal aux soins de santé. Il en va de même pour l’accès à l’éducation des enfants de réfugiés. Des cours de langue, de culture et d’histoire de l’Ukraine, adaptés à leurs besoins, sont dispensés aux réfugiés et demandeurs d’asile. Un soutien est également fourni en matière de recherche d’emploi. Il existe dans le pays quatre centres d’hébergement pour les réfugiés: un à Kiev, un à Odessa et deux en Transcarpathie. Un système d’allocations a également été mis en place en leur faveur.

Mme Strashnenko a ensuite évoqué la question rom en soulignant qu’elle se trouvait au centre de l’attention du Commissaire des droits de l’homme du Parlement. Au cours de l’année 2013, a-t-elle précisé, le Médiateur pour les droits de l’homme a visité, en compagnie d’associations roms, les grandes régions de peuplement rom du pays, en particulier la Trancarpathie, Odessa et Kirovograd. Ces inspections ont permis de constater des difficultés dans les domaines de l’emploi, de l’éducation, de l’accès à la santé, du logement et de l’hygiène, a-t-elle indiqué. Des recommandations ont été formulées à la suite de ces constats et ces dernières années, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures visant à intégrer la minorité rom, a-t-elle poursuivi. Une feuille de route et un plan d’action pour sa mise en œuvre à l’horizon 2020 ont été adoptés. D’ores et déjà, des progrès sont constatés, notamment en matière de scolarisation des enfants roms. L’an dernier, des manuels ont été édités en langue romani. Par ailleurs, l’État résout progressivement la question de la fourniture de documents d’identité aux membres de cette minorité. Une assistance sociale aux familles nécessiteuses, des terrains et des logements ont aussi été distribués.

Mme Strashnenko a ensuite énuméré les mesures prises en faveur des Tatars de Crimée en 2014-2015. L’Ukraine garantit la préservation et le développement de l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse des Tatars dans une résolution adoptée par la Verkhovna Rada, l’Assemblée nationale, a-t-elle précisé. En vertu de ce texte, le Mejlis des Tatars est reconnu comme l’organe exécutif du Kurultai du peuple tatar, le Kurultai lui-même étant la plus haute instance représentative de cette population. Une loi de 2014 restaure les droits des personnes déportées pour des motifs ethniques pendant la période soviétique, a rappelé Mme Strashnenko. En avril 2016, a-t-elle ajouté, a été créé un Ministère chargé des territoires temporairement occupés et des déplacés internes, autorité qui est notamment chargée des relations avec le Mejlis et le Kurultai, ainsi qu’avec les ONG représentant les Tatars.

Un nombre important de représentants des Tatars de Crimée se sont installés à l’intérieur de l’Ukraine à la suite de la tentative illégale d’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie, a ensuite indiqué Mme Strashnenko, précisant que depuis le début de l’occupation, de 17 000 à 20 000 Tatars avaient quitté la Crimée. L’Ukraine attire l’attention sur les mesures discriminatoires instaurées par la Fédération de Russie et rappelle que le Mejlis des Tatars a été dissous, Moscou alléguant pour justifier cette dissolution des menées «extrémistes», alors que cette initiative a fait l’objet d’une réprobation internationale.


Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité


M. YEUNG KAM JOHN YEUNG SIK YUEN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l’Ukraine, a noté que le rapport avait été soumis avec une année de retard, estimant toutefois que cela était compréhensible compte tenu de la révolution dite de Maidan de novembre 2013. Après la «sécession» de la République autonome de Crimée et l’éclatement d’un conflit armé dans le Donbass, les Nations Unies ont adopté une position claire conformément à la résolution des Nations Unies relative à l’intégrité territoriale de l’Ukraine, a-t-il rappelé.

M. Yeung Sik Yuen a ensuite noté que le document de base sur l’Ukraine, qui remonte à 1998, était en grande partie dépassé. Du point de vue juridique et institutionnel, il a relevé que «l’origine nationale» et «l’ascendance» étaient absentes des motifs de discrimination raciale prohibés dans la loi relative aux principes de la prévention et de la répression de la discrimination en Ukraine, adoptée en 2012. Si l’on ne peut que se féliciter que l’Ukraine ait ratifié les deux principaux instruments internationaux relatifs à l’apatridie, il apparaît toutefois nécessaire d’améliorer la possibilité pour tous les demandeurs d’asile d’avoir accès à des procédures équitables et effectives, sans discrimination aucune.

Le rapporteur a ensuite noté l’importance du poste du Commissaire des droits de l’homme du Parlement, qui est à l’origine d’une Stratégie pour la prévention et la lutte contre la discrimination en Ukraine pour la période 2014-2017. Alors qu’il reçoit un grand nombre de plaintes, on a le sentiment que la justice a tendance, pour sa part, à les requalifier à la baisse, les crimes haineux étant poursuivis pour «hooliganisme» – lorsqu’ils font l’objet de poursuites, ce qui est rare.

En matière de législation linguistique, M. Yeung Sik Yuen a dit avoir le sentiment d’être confronté à une situation malsaine, s’agissant en particulier du statut de la langue russe. Sa reconnaissance dans certaines régions a soulevé une forte opposition parlementaire et une nouvelle rédaction de la loi en la matière est en cours.

Quant à la loi de 2009 réprimant les crimes fondés sur la discrimination raciale, nationale ou religieuse, elle n’a pas été mise en pratique et, là encore, il y a une tendance à requalifier les faits à la baisse, alors qu’il est de notoriété publique que les cas de discriminations – voire d’agressions – raciales sont légions en Ukraine, y compris à l’encontre de personnes d’ascendance africaine ou à la «peau cuivrée». Le rapporteur a en outre dit avoir le sentiment que l’article 161 du Code pénal relatif à l’incitation à la haine raciale ou religieuse semblait difficile à mettre en œuvre et que les juges en faisaient une interprétation restrictive.

Toute en louant la politique d’intégration en faveur de la population rom, M. Yeung Sik Yuen a ensuite estimé que la stratégie en faveur des Roms à l’horizon 2020 souffrait d’un sous-financement. Il a par ailleurs relevé qu’il fallait avoir la citoyenneté ukrainienne pour pouvoir prétendre à un logement social, ce qui est particulièrement discriminatoire pour une minorité dont nombre des membres sont dépourvus de documents d’identité. Le rapporteur a en outre souligné que les actes hostiles à l’encontre des Roms étaient fréquents.

M. Yeung Sik Yuen a d’autre part souhaité avoir des informations sur l’établissement du Conseil de la concorde interethnique et du Commissariat à la politique ethnique et à la politique de la nationalité, s’agissant particulièrement de la composition, du mandat, des ressources et des travaux de ces organes. Quels sont les résultats de la Stratégie 2014-2017 de prévention et de répression de la discrimination raciale, élaborée par le Médiateur pour les droits de l’homme, a-t-il demandé?

Relevant que la délégation avait mentionné, dans sa présentation orale du rapport, l’existence d’un certain nombre d’affaires en justice pour discrimination, le rapporteur a estimé qu’il serait intéressant d’en connaître l’issue: quelles décisions ont-elles été rendues, quelles peines ont-elles été éventuellement prononcées et quelles mesures de réparation ont-elles été ordonnées en faveur des victimes?

Enfin, le rapporteur a dénoncé les atteintes aux droits fondamentaux en Crimée annexée et dans l’est de l’Ukraine, notamment avec l’interdiction du Mejlis (des Tatars) - qualifié d’organisation extrémiste. Les déplacements vers et en provenance de la Crimée sont fortement restreints et soumis à des permis spéciaux, s’agissant particulièrement des étrangers et des apatrides, a souligné M. Yeung Sik Yuen. Le même problème se pose avec le Donbass où on signale en outre des exactions par les deux parties belligérantes, a-t-il conclu.

Un autre membre du Comité a demandé si l’Ukraine comptait s’associer activement à la Décennie de l’ONU pour les personnes d’ascendance africaine. Il a rappelé que des actes racistes visant ces personnes avaient émaillé l’actualité locale. Il a par ailleurs évoqué le cas de la minorité ruthène, relevant sa revendication en faveur d’un statut d’autonomie interne conforme à la décentralisation du pays. Qu’en est-il de la reconnaissance de la langue ruthène, aucune mention à ce sujet n’apparaissant dans le rapport, a demandé cet expert?

Le même expert a ensuite souhaité savoir où en était l’établissement des faits s’agissant des meurtres de masse perpétrés en Volhynie en 1943, rappelant que la Pologne elle-même avait entrepris de faire la lumière sur ces faits historiques. Certains des principaux responsables de ces meurtres – meurtres qui s’apparentent à du nettoyage ethnique – sont considérés comme des héros nationaux en Ukraine, a fait observer l’expert. Il a d’autre part souhaité savoir si l’on tenait compte en Ukraine de la grande diversité culturelle des populations roms, selon les régions où elles habitent. Cet expert a également soulevé la question des conflits d’obédience, parfois violents, pour le contrôle des églises.

Un autre membre du Comité a souhaité que la délégation communique des statistiques sur la scolarisation des enfants roms. Un de ses collègues a affirmé qu’il était difficile de croire que tous les problèmes de l’Ukraine, s’agissant des relations interethniques en particulier, dataient de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et des troubles dans le Donbass, ainsi que le prétend le rapport.

Une experte s’est inquiétée des manifestations haineuses lors de rencontres de football, avec déploiement de banderoles xénophobes et pronazies. Les autorités réagissent-elles face à de telles manifestations chauvines, a-t-elle demandé?

Un autre membre du Comité a demandé si les Tatars étaient considérés comme une population autochtone. Il s’est par ailleurs enquis de l’origine des apatrides mentionnés dans le rapport.

Un expert a mis en garde contre l’illusion que pouvait constituer une baisse des statistiques concernant le nombre de plaintes pour discrimination; cela peut cacher un problème brûlant si les gens considèrent qu’il ne sert à rien de déposer plainte et préfèrent y renoncer. Quelles mesures sont-elles prises afin que la population ait une meilleure confiance dans la police, a demandé un de ses collègues? Est-il par ailleurs exact que certaines émissions en russe aient été interdites?

Une experte s’est interrogée sur les chiffres faisant état d’une délivrance de documents d’identité à 40 000 Roms, alors que les estimations s’agissant du nombre de membres de cette minorité varient, selon les sources, de 200 000 à 400 000; qu’en est-il alors des autres?

Une autre experte a rappelé que les initiatives lancées dans le cadre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine devaient être prises en concertation avec les principaux intéressés – ces personnes elles-mêmes.

Réponses de la délégation

S’agissant de la possibilité d’interdire des partis politiques, la délégation a souligné que s’il est vrai que la loi interdit la création de formations politiques promouvant la discorde et la haine, aucune formation n’a à ce jour été interdite à ce titre et aucun parti ne s’est non plus vu opposer un refus d’enregistrement. Le pays compte quelque 350 formations politiques, a-t-elle précisé.

Une quinzaine de ministères sont impliqués dans la mise en œuvre de la stratégie d’intégration des Roms, aux côtés de 25 administrations territoriales, a ensuite indiqué la délégation. Des représentants de la communauté rom sont associés aux activités à ce sujet, a-t-elle fait valoir. Le pays comptant quelque 130 associations roms, dépourvues de cohésion entre elles, un effort visant à les inciter à se confédérer a été entrepris, a précisé la délégation. Il existe une grande diversité culturelle rom, a-t-elle poursuivi, faisant état de 25 groupes distincts qui se différencient en particulier sur le plan linguistique. Le pays compterait au total quelque 40 000 Roms et dix fois plus selon les Roms eux-mêmes, a ensuite indiqué la délégation; l’administration a donc entrepris d’en établir le nombre exact. Les autorités estiment à 90% la proportion de Roms pourvus de documents d’identité, a en outre indiqué la délégation, reconnaissant toutefois qu’une autre estimation évalue ce pourcentage à 70% seulement.

L’an dernier, plus de 21 000 enfants âgés de huit à douze ans n’étaient pas scolarisés et il s’agissait principalement d’enfants roms, a ensuite souligné la délégation. Compte tenu de la crise démographique que connaît l’Ukraine, les écoles ne manquent pas de places, ce qui signifie que le problème n’est pas d’ordre strictement matériel, mais plutôt socioculturel, a-t-elle expliqué. La loi prévoit l’obligation de scolarisation des enfants, quel que soit le statut des parents dans le pays, a-t-elle rappelé. Ainsi, l’absence de documents d’identité ne constitue pas une entrave pour l’inscription à l’école. La majorité de la population rom comprend la langue ukrainienne, contrairement à ce qui a été affirmé par certains membres du Comité, a en outre souligné la délégation.

L’un des problèmes auxquels se heurte l’Ukraine pour remédier aux difficultés des Roms, notamment en matière de scolarisation, a trait au nomadisme de cette population, a ensuite rappelé la délégation. Par ailleurs, les autorités portent une attention particulière au refus de scolariser les filles, notamment avec l’intervention de psychologues.

Toute communauté religieuse a le droit de manifester son identité et d’en changer, stipule la Constitution ; un tel changement a parfois pu prendre des formes violentes, dans une petite minorité de cas, a indiqué la délégation, expliquant que l’une des sources de conflit résultait alors, selon les cas, du rattachement à l’un ou l’autre des patriarcats orthodoxes de Moscou ou de Kiev. En raison des positions politiques du Patriarcat de Moscou, s’agissant notamment du soutien au séparatisme, certains fidèles ont souhaité changer d’obédience, a précisé la délégation. Elle a souligné que la bénédiction de la marine russe, par exemple, avait suscité de la réprobation au sein des communautés orthodoxes d’Ukraine.

Pour ce qui a trait au conflit interconfessionnel entre les Patriarcats de Kiev et de Moscou, la justice est saisie de 25 affaires, a précisé la délégation. La police n’affiche aucun parti pris dans ces différends, a-t-elle assuré.

La police nationale ne limite pas son recrutement aux Ukrainiens de souche, la mention de la nationalité ayant été supprimée des dossiers de candidature, a par ailleurs affirmé la délégation. Les membres des minorités sont représentés au sein de la police, y compris aux postes de haut niveau dans la hiérarchie, a-t-elle assuré. Le pays s’est doté d’une nouvelle police réorganisée par le Ministère de l’intérieur. Toutes les nouvelles recrues doivent suivre une formation en matière de tolérance et de lutte contre les discriminations, formation qui est sanctionnée par un examen éliminatoire.

La police nationale est de création récente, le pays connaissant un processus de transformation des structures et de l’organisation de la milice pour en faire une force de police moderne, a souligné la délégation. Elle s’est dite convaincue que dans les prochaines années, l’Ukraine pourrait rendre compte au Comité de la qualité du service rendu par les forces de l’ordre par rapport au passé. La délégation a précisé que le taux de confiance envers la police atteignait 46% le mois dernier.

Le problème entre l’Est et l’Ouest du pays est principalement dû à l’agression d’un État tiers, a ensuite rappelé la délégation. Par ailleurs, la Crimée a été annexée et n’a pas fait sécession, a-t-elle souligné. Le Mejlis des Tatars a été dissous et un certain nombre de disparitions de Tatars ont été signalées, a-t-elle ajouté. La délégation a en outre insisté sur la nécessité pour tout un chacun de faire état d’informations vérifiées provenant de sources fiables. L’armée ukrainienne n’utilise pas d’artillerie lourde à l’heure actuelle, contrairement à l’usage qu’en font des bandes armées dans l’est du pays, a-t-elle notamment déclaré. Par ailleurs, contrairement à la Fédération de Russie, l’Ukraine a ratifié les conventions sur l’interdiction des mines antipersonnel et sur les armes inhumaines; de telles munitions sont utilisées par les républiques autoproclamées de Louhansk et de Donetsk, a poursuivi la délégation ukrainienne. La question des minorités nationales est majeure, l’Ukraine étant déterminée à les protéger, a-t-elle déclaré. Une guerre hybride avec l’utilisation de groupes armés est livrée contre l’Ukraine, ce qui a des conséquences s’agissant de la protection des minorités dans les territoires occupés, protection qui incombe à la puissante occupante, a affirmé la délégation.

La justice a ouvert plus d’une centaine d’enquêtes au sujet de violations de droits de l'homme à l’encontre des Tatars de Crimée: outre une dizaine de meurtres et une quinzaine de disparitions, des allégations d’actes de torture ont été signalées, a poursuivi la délégation. La dissolution du Mejlis des Tatars constitue une atteinte à la dignité de cette population, a-t-elle en outre souligné. Des mesures ont été prises en faveur des Tatars de Crimée qui ont dû quitter la péninsule, notamment afin de scolariser leurs enfants, a précisé la délégation.

Un mécanisme spécifique a été mis en place s’agissant de la circulation des personnes avec la Crimée, a ensuite indiqué la délégation. Si la procédure est certes réglementée, elle n’interdit pas aux étrangers de se rendre dans ce territoire et d’en revenir, contrairement à ce qu’a cru pouvoir affirmer un membre du Comité, a-t-elle déclaré.

S’agissant du retard pris dans la présentation du rapport, la délégation a fait valoir que l’Ukraine tenait à présenter des informations actualisées. Elle s’est en outre engagée à respecter les délais prescrits dans l’avenir.

La délégation a ensuite fourni un certain nombre de chiffres concernant les affaires de discrimination raciale instruites en justice, attirant l’attention sur la courbe descendante du nombre de ces affaires.

En matière de discrimination, un décret a été adopté en mai dernier, qui modifie le processus de réception des plaintes par la police; celle-ci doit désormais chercher à voir si la plainte résulte d’un cas de discrimination perçue comme telle par le plaignant. À ce stade, il n’existe aucune discrimination à l’égard des personnes portant plaintes, dont la police n’a pas à s’enquérir de l’origine ethnique, a ajouté la délégation. Des affiches et des brochures énumérant les délits susceptibles de relever de la discrimination et précisant les peines encourues ont commencé à être diffusées dans une dizaine de langues. En outre, une sensibilisation aux questions de discrimination est promue dans les établissements scolaires.

En réponse à une question portant sur l’éventuelle inversion de la charge de la preuve dans les cas de discrimination, la délégation a souligné qu’en vertu de la présomption d’innocence, on ne saurait contraindre un accusé de devoir apporter la preuve de son absence de culpabilité.

La police a pris un certain nombre de mesures pour empêcher tout débordement durant les rencontres de football, a d’autre part fait valoir la délégation. Des contrôles sont effectués afin d’empêcher que soit introduites des bannières contenant des messages provocateurs ou extrémistes. S’agissant des agressions ayant visé des personnes d’ascendance africaine, à Kharkov notamment, il s’agit d’actes isolés, a assuré la délégation.

La notion de réfugié n’est pas restrictive en Ukraine et correspond aux dispositions de la Convention de 1951, a par ailleurs assuré la délégation, faisant notamment valoir que la notion de «protection complémentaire» est désormais prise en compte. En 2015, quelque 1433 personnes ont demandé l’asile et environ 2500 réfugiés ont été enregistrés, a-t-elle précisé, ajoutant qu’ils sont originaires de l’Afghanistan, de la Syrie et de la Fédération de Russie. Environ un demi-millier de personnes ont, en outre, sollicité une protection complémentaire – afin de régulariser le séjour de personnes qui ne sont pas reconnues comme des réfugiés mais pour lesquelles le retour dans leur pays n’est pas envisageable. Les étrangers peuvent déposer des demandes dans leur langue aux services de migration, lequel prend en charge la traduction, a précisé la délégation.

Si l’ukrainien est la langue officielle de l’État, les universités ukrainiennes enseignent dans les principales langues des minorités nationales: le russe, le hongrois et le roumain, a ensuite fait valoir la délégation. En outre, certaines disciplines sont enseignées en anglais, en allemand et en français. Au total, 29 langues sont enseignées en Ukraine. Plus de 63 000 étudiants étrangers sont inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur du pays, a ajouté la délégation. La loi sur la langue peut permettre de considérer le ruthénien comme un idiome régional, même si le nombre de locuteurs est faible. La politique linguistique de l’État repose sur un texte de loi considéré comme globalement satisfaisant. La question d’y apporter d’éventuels amendements relève de la concertation avec les représentants des minorités, a indiqué la délégation.

Si aucun média russophone n’est interdit en Ukraine, les autorités ukrainiennes n’en surveillent pas moins tout contenu susceptible de porter atteinte à la sécurité du pays, une préoccupation qui concerne tous les médias, quelle que soit leur langue, a par ailleurs souligné la délégation.

Les discriminations dans l’emploi sont passibles d’amendes pouvant atteindre dix fois le salaire minimal, a par ailleurs indiqué la délégation.

S’agissant des événements de Volhynie durant la Seconde guerre mondiale, la délégation a expliqué que si l’Ukraine souhaitait avant tout privilégier les aspects positifs de la relation ukraino-polonaise, cela n’empêchait pas de reconnaître les drames du passé. Elle a ainsi rappelé que lors d’une récente visite officielle du Président ukrainien Petro Porochenko à Varsovie, celui-ci s’était recueilli devant le monument aux victimes.

La Pologne estime qu’un génocide a été commis contre la population polonaise locale, l’Ukraine estimant pour sa part qu’il s’agissait d’actes de représailles, a ensuite expliqué la délégation. En tout état de cause, le Président Porochenko a exprimé des excuses aux sujet de ces événements, a-t-elle insisté.

Des efforts ont été faits afin d’identifier les victimes de la traite de personnes, a enfin fait valoir la délégation. Au 11 août dernier, 237 personnes s’étaient vu reconnaître un statut de victime de la traite cette année, contre 83 en 2015. Des mesures ont été prises contre la mendicité des enfants, a par ailleurs fait valoir la délégation. Une campagne de sensibilisation d’envergure a été lancée contre ce fléau qui affecte plusieurs grandes villes du pays.


Remarques de conclusion

M. YEUNG SIK YUEN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de l’Ukraine, a qualifié les échanges d’honnêtes, francs et fructueux.

MME MAZUR, Ministre adjointe de la culture de l’Ukraine, a estimé que le dialogue avait été enrichissant et qu’il contribuerait à éliminer la discrimination raciale dans le pays, en dépit des immenses défis auxquels l’Ukraine est confrontée – l’agression russe notamment – et qui ont de lourdes incidences. Mme Mazur a émis l’espoir que les réponses apportées par sa délégation permettraient aux membres du Comité de mesurer l’ampleur des défis auxquels l’Ukraine est confrontée.

MME ANASTASIA CRICKLEY, Présidente du Comité, s’est félicitée de l’engagement continu de l’Ukraine en dépit des difficultés que ce pays connaît.



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CERD16/020F