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LE COMITÉ AUDITIONNE LA SOCIÉTÉ CIVILE AU SUJET DE L’APPLICATION DE LA CONVENTION EN GRÈCE ET AU ROYAUME-UNI

Compte rendu de séance

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a auditionné, ce matin, des intervenants de la société civile au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale en Grèce et au Royaume-Uni – les deux pays dont les rapports seront examinés cette semaine.

S’agissant de la Grèce, les discussions ont essentiellement porté sur la situation des migrants et réfugiés ; la situation des minorités rom, macédonienne et turque ; et la lutte contre les discours de haine.

S’agissant du Royaume-Uni, ont particulièrement été abordées les questions relatives aux conséquences du «Brexit»; à l’attitude à l’égard des communautés musulmane et rom; à la représentation des personnes d’ascendance africaine au sein de la police; à l’existence d’une communauté dalit; et à la situation des Chagossiens forcés à l’exil.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Grèce, qu’il achèvera jeudi matin.


Audition des organisations non gouvernementales

S'agissant de la Grèce

Greek Helsinki Monitor (GHM) a fait observer que très peu de condamnations irrévocables avaient finalement été prononcées en vertu de la Loi 927/1979 sur les crimes racistes. Une amnistie générale a même été décrétée qui a bénéficié à des justiciables en instance de jugement. L’ONG a estimé que cela équivalait à une «décriminalisation des discours de haine» qui étaient susceptibles d’être poursuivis en vertu de l’article 2 de la loi susmentionnée. L’ONG a par ailleurs rappelé qu’en 2013, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait exhorté la Grèce à mettre un terme à la pratique du profilage ethnique de la part de la police à l’encontre de la population rom. L’ONG a enfin évoqué la campagne menée par de nombreuses ONG en faveur de l’abrogation de la loi sur le blasphème.

Minority Rights Group a déclaré que la question des minorités était taboue en Grèce, la présence de communautés macédonienne ou turque y étant niée. L’ONG a mentionné l’existence d’une minorité turque à Rhodes et à Kos, estimée à environ cinq mille personnes. En outre, les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme relatives aux minorités et à la communauté rom ne sont pas appliquées, a poursuivi l’ONG. Par ailleurs, a-t-elle ajouté, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les forces contemporaines de racisme a souligné l’an dernier que les Roms de Grèce, qui, dans leur grande majorité, sont citoyens grecs, continuaient de faire face à la discrimination et demeuraient vulnérables sur les plans économique et social.

Médecins du monde (MDM-Grèce), qui a rappelé que le pays entrait dans sa septième année d’une sévère crise financière, a souligné que la prétendue crise migratoire avait contribué à aggraver les discriminations des groupes les plus vulnérables – migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, Roms et personnes LGBT. Si la Grèce a sa part de responsabilité dans les mauvaises conditions d’accueil, elle n’est pas la seule à devoir être critiquée puisqu’elle met en œuvre les décisions prises au niveau européen. L’adoption de la loi antiraciste de 2014 a permis d’aggraver les sanctions contre des organisations telles que le parti d’extrême droit Aube Dorée, a ensuite relevé l’ONG.

Human Rights Watch a dénoncé le fait que plusieurs milliers de demandeurs d’asile et de migrants étaient confrontés à des conditions d’accueil et de rétention déplorables dans les îles grecques. Les installations d’accueil dans ces îles sont gravement surpeuplées. Depuis l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie, les centres d’accueil sont devenus de véritables camps de détention puisque les nouveaux arrivants y sont systématiquement détenus, sans pouvoir en sortir; le Parlement grec a adopté un texte qui permet d’y retenir les arrivants jusqu’à 25 jours, a précisé l’ONG. Le Comité doit exhorter la Grèce à améliorer les conditions de rétention, notamment en assurant correctement la sécurité des femmes et des mineurs non accompagnés et à transformer en lieux ouverts les «hot spots» (points de contrôle à l’entrée en Europe), a estimé Human Rights Watch.

Dans le cadre de l’échange de vues qui a suivi ces présentations, un membre du Comité a notamment souhaité en savoir davantage au sujet des unités spéciales de la police en charge des faits de violence raciste. Il a fait part de sa préoccupation face au rôle de l’inspection du travail, s’agissant notamment des travailleurs migrants et des Roms. Il a en outre demandé des précisions sur les actions engagées contre Aube Dorée, concernant notamment les finances de cette formation politique. Un autre expert a souligné que les autorités grecques refusaient de considérer comme Macédoniens de souche les Slaves vivant dans le nord du pays. Il a souhaité savoir si la minorité de Thrace disposait d’écoles dans sa langue.

Un autre membre du Comité a souhaité savoir si les ONG avaient été consultées lors de l’élaboration du rapport.

Un membre du Comité s’est demandé si l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie avait constitué un paravent visant à légaliser une situation d’illégalité. Un autre membre du Comité s’est enquis de l’attitude des populations locales à l’égard des réfugiés. Des réfugiés ont-ils été contraints à quitter la Grèce par la mer, retours forcés susceptibles d’avoir provoqué d’autres naufrages?

Un expert a rappelé que l’un des sujets de préoccupation les plus sérieux s’agissant de la crise des réfugiés concernait les mineurs non accompagnés. Un autre expert a souligné que compte tenu de la situation financière de la Grèce, ce pays avait besoin d’une assistance pour assurer un accueil correct des réfugiés, les ONG ayant un rôle à jouer à cet égard, notamment pour plaider la cause de la Grèce. Il a souhaité avoir des précisions sur la situation de la minorité macédonienne et a demandé si les Roms faisaient des efforts pour s’intégrer ou s’ils souhaitaient demeurer à part de la majorité, ce qui dans ce cas ne justifierait pas, selon lui, que l’État partie consacre autant d’efforts en leur faveur.

En réponse à ses interrogations des experts, une ONG a souligné que tous les commissariats de police n’étaient pas informés de l’existence d’unités spécialisées de la police contre le racisme. Par ailleurs, a poursuivi l’ONG, il n’y a pas consensus au sein des minorités quant à l’enseignement des langues vernaculaires, un certain nombre de communautés préférant opter pour le grec. S’il existe en Grèce de nombreuses ONG roms qui représentent les plus de 100 000 Roms considérés comme intégrés dans ce pays, il y a environ le même nombre de Roms non intégrés et non représentés qui vivent dans des camps insalubres dans ce pays. Ceux-ci souhaitent s’intégrer: ils sont capables de le faire et l’ont prouvé, a insisté l’ONG. Toutes les langues minoritaires devraient être enseignées ; or aucune ne l’est, pas même la langue rom, a en outre déploré un intervenant.

La question financière n’est pas le seul problème qui se pose à la Grèce, ce pays étant confronté à une absence de solidarité, en premier lieu de la part de l’Union européenne, a affirmé une ONG. Seules 3000 personnes ont été réinstallées, ce qui constitue un chiffre ridicule par rapport au nombre d’arrivées, a-t-il été relevé.

L’abrogation de la loi sur le discours de haine s’est faite au nom de la liberté d’expression, a expliqué une ONG.

S’agissant du Royaume-Uni

The Runnymede Trust, qui a indiqué représenter une coalition d’organisations, a critiqué le fait que les autorités britanniques se refusent à prendre des mesures spécifiques pour lutter contre la discrimination raciale. Le Gouvernement doit démontrer que sa politique est non discriminatoire, non seulement dans ses décisions mais aussi dans ses effets, a souligné l’ONG. La question n’est en effet pas de savoir si l’État aggrave délibérément les inégalités mais plutôt de savoir si les décisions prises contribuent à les accroître dans les faits, a-t-elle insisté. Le Royaume-Uni doit en outre transposer la Convention dans le droit interne, a ajouté l’ONG. Il faut par ailleurs que le pays définisse une stratégie contre la discrimination raciale, notamment sur le marché du travail.

Friends Families and Travellers a souligné que le Royaume Uni n’avait pas tenu ses engagements envers la communauté rom depuis l’examen du précédent rapport. Il apparaît, selon cette ONG, qu’il y a un manque de volonté politique à l’égard des gens du voyage et des Roms, du fait des préjugés de la population à leur égard et par souci électoraliste de la part de la classe politique.

Race Equality First (Wales) a évoqué les programmes de déradicalisation, relevant que les musulmans étaient dans ce contexte ciblés de manière disproportionnée. De fait, ces programmes visent principalement les musulmans, sous couvert de lutte contre le terrorisme, a insisté l’ONG. Elle a dénoncé le fait que des jeunes musulmans aient pu être soupçonnés de sympathies terroristes à la suite parfois de propos banals mal interprétés. Cela s’inscrit dans un contexte d’islamophobie croissante, a déclaré l’ONG, dénonçant en outre une atmosphère de délation. Le Gouvernement britannique doit fournir une définition claire et explicite de l’extrémisme, sans viser un groupe particulier, a-t-elle ajouté.

Coalition for Racial Equality and Rights (Ecosse) a signalé un nombre disproportionné de crimes racistes en Écosse. L’ONG a appelé le Gouvernement écossais à prendre des mesures pour lutter contre la sous-représentation chronique des minorités dans les instances décisionnelles. On ne peut plus se contenter de promesses, a conclu l’ONG, exigeant des mesures concrètes.

Northern Ireland Council for Ethnic Minorities a exhorté le Comité à appeler les quatre nations composant le Royaume-Uni à fournir des informations dans tous les domaines ayant bénéficié de la dévolution des pouvoirs. Il s’est par ailleurs inquiété des conséquences du «Brexit» (sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne) pour les minorités en Irlande du Nord, où la majorité de la population s’est prononcée en faveur du maintien dans l’Union. Il s’est en outre inquiété des contrôles accrus que cette sortie de l’Union risquait d’entraîner à la frontière avec la République d’Irlande et des risques de profilage racial dans ce contexte.

Global African Congress a affirmé que malgré le fait que la population d’ascendance africaine ait contribué à faire du Royaume-Uni ce qu’il est, un racisme institutionnel perdure, dont atteste la surreprésentation de la population noire dans les prisons. Le Comité n’est pas connu et personne ne sait que l’on peut s’adresser à lui en déposant une plainte individuelle lorsque tous les recours internes ont été épuisés dans l’État partie, a relevé l’orateur. Par ailleurs, les structures médicales et les maternités ne tiennent pas compte des besoins spécifiques des femmes d’ascendance africaine, a-t-il ajouté.

National Black Police Association a estimé nécessaire d’avoir une politique volontariste visant à accroître le nombre de policiers noirs dans les grades supérieurs de la police. L’ONG a en outre fait observer que les policiers étaient victimes de stéréotypes racistes à cause de la violence terroriste. Elle a exhorté le Comité à recommander au Gouvernement britannique de s’inspirer du modèle nord-irlandais ayant permis de diversifier le recrutement de la police de la province.

Dalit Solidarity Network a signalé l’existence d’une minorité dalit au Royaume-Uni et a jugé nécessaire que les autorités britanniques considèrent l’existence des castes comme une composante du racisme: la discrimination au motif de la caste doit être déclarée illicite, a insisté l’ONG. Il est nécessaire et souhaitable que le Gouvernement britannique clarifie la Loi sur l’égalité de 2010 en y incluant la protection contre le racisme et la discrimination fondés sur la caste.

Minority Rights Group a rappelé qu’il militait depuis de nombreuses années en faveur de la reconnaissance des droits des habitants des îles Chagos, archipel dont la population a été déportée à la suite de la location de l’île de Diego Garcia aux Etats-Unis. Le Royaume-Uni viole la Convention en ne permettant pas aux Chagossiens d’obtenir réparation pour leur exil forcé. Leur droit au retour doit être facilité, a insisté l’ONG.

Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, un membre du Comité a souligné la difficulté pour le Comité d’examiner le rapport du Royaume-Uni du fait de la décentralisation du pays. Il a souhaité savoir si les ONG présentes avaient été convenablement consultées lors de la préparation du rapport. Il a en outre souhaité en savoir davantage sur la situation créée par la décision du Royaume-Uni de sortir de l’Union européenne, s’agissant plus précisément des questions qui préoccupent spécifiquement le Comité.

Une experte s’est enquise de la représentation des personnes d’ascendance africaine dans les instances universitaires. Les agents de police noirs sont-ils déployés de manière aléatoire ou sont-ils plutôt affectés dans les quartiers majoritairement peuplés d’Africains et d’Antillais, a-t-elle par ailleurs demandé?

Un autre membre du Comité s’est enquis des effets de l’élection du nouveau maire de Londres, s’agissant en particulier de la communauté musulmane. Est-il établi que l’on a assisté à une hausse des actes racistes à la suite du référendum sur la sortie de l’Union européenne, a-t-il en outre demandé?

Dans leurs réponses, les ONG ont fourni un certain nombre de chiffres relatifs à la représentation des personnes d’ascendance africaine au sein de la police et ont relevé une absence de données ethniques s’agissant du secteur tertiaire.

L’action de lobbying menée à la Chambre des Communes a permis de constater qu’un grand nombre de parlementaires étaient ignorants des dispositions de la Convention et de l’existence du Comité, a-t-il en outre été souligné.

Une ONG active dans la défense de la communauté dalit a indiqué qu’elle s’efforçait de tirer les enseignements de l’expérience américaine, notamment celle du mouvement «Black Lives Matter» (Les vies noires comptent) aux États-Unis.

À la suite du «Brexit», l’un des défis qui se pose tient au fait que les hommes politiques ont créé une atmosphère d’hostilité vis-à-vis des migrants, a affirmé une ONG, déplorant que l’on n’entende guère de déclaration positives s’agissant de l’apport des personnes d’origine étrangère.



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CERD16/013F