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LE COMITÉ CONTRE LA TORTURE EXAMINE LE RAPPORT DE L’ARABIE SAOUDITE

Compte rendu de séance

Le Comité contre la torture a examiné, dans la matinée de vendredi dernier et cet après-midi, le rapport périodique présenté par l’Arabie saoudite sur les mesures qu'elle a prises pour mettre en œuvre la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, M. Nasser bin Rajeh Al-Shahrani, Vice-Président de la Commission des droits de l’homme de l’Arabie saoudite, a indiqué que la stratégie contre la torture adoptée par le Royaume s’appuie sur des principes constitutionnels solides qui découlent de la charia islamique ainsi que des textes de loi adoptés et des conventions ratifiées par le pays. Cette stratégie est impulsée par une volonté politique forte et renforcée par un système de justice pénale efficace comportant des mécanismes de surveillance, de contrôle et de suivi, a-t-il expliqué. Le crime de torture, qui est incriminé depuis un décret remontant à 1958, est passible d’une peine de dix ans de réclusion assortie de l’imposition d’amendes et du versement de réparations. Le Code pénal est en cours de révision pour combattre l’abus de pouvoir, afin d’y inclure une définition de la torture inspirée de la Convention, a-t-il ajouté. La mise en œuvre des textes est effective et efficace, a assuré M. Al-Shahrani. Cela signifie concrètement l’ouverture des enquêtes nécessaires et, le cas échéant, le lancement de poursuites, la tenue de procès, mais aussi l’organisation de programmes de formation pour les personnels concernés, a-t-il précisé.

Un rôle de supervision administrative est assuré par le Département des enquêtes et des poursuites ainsi que par la Commission des droits de l’homme, a en outre indiqué le Vice-Président de cette dernière, insistant également sur le rôle important ici encore joué par la société civile, sans oublier le rôle de supervision joué par le Conseil de la Choura qui surveille les agences gouvernementales. Le nouveau Code de procédure pénale, qui interdit la torture et tout traitement dégradant, exige que tout prévenu soit informé de ses droits, des raisons de son interpellation ou de sa détention, de son droit à un avocat et de son droit à effectuer des appels téléphoniques, a par ailleurs fait valoir M. Al-Shahrani. Par ailleurs, une commission spéciale chargé de la jurisprudence islamique a entrepris de répertorier et de codifier les crimes et peines en vertu de la charia. Le Conseil des ministres a promulgué par décret le nouveau statut de la Présidence générale pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, dont les tâches et les responsabilités ont été revues; sont ainsi déterminées les procédures et mesures nécessaires à son action en coordination avec les forces de l’ordre.

L’imposante délégation saoudienne, qui comptait pas moins de 32 membres, comprenait notamment M. Faisal Bin Hassan Trad, Représentant permanent de l’Arabie saoudite auprès des Nations Unies à Genève. Elle a répondu aux questions qui lui étaient posées par les membres du Comité s'agissant, notamment, de l’incrimination de la torture; des châtiments corporels; de la jurisprudence islamique; de l’irrecevabilité des preuves obtenues sous la contrainte; de l’indépendance de la justice; du droit d’accès à un avocat et de contacter des proches; des conditions carcérales et de l’inspection des prisons; de la formation des personnels de santé; de la violence domestique et sexuelle; des condamnations de défenseurs des droits de l’homme; de la législation sur le terrorisme; ou encore de l’exécution publique des condamnations.

La corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l’Arabie saoudite, Mme Felice Gaer, a fait part de sa préoccupation face aux informations qui font état de condamnations à des peines de prison de défenseurs des droits de l’homme. L’Arabie saoudite ne semble pas prête à abroger les châtiments corporels, qui sont autorisés par la charia mais contreviennent à la Convention, a-t-elle déploré. Mme Gaer a ensuite fait part de son inquiétude s’agissant d’informations en provenance d’ONG sur la pratique de la torture dans les postes de police. Elle a souhaité savoir combien de personnes étaient actuellement privées de liberté sans avoir fait l’objet d’une présentation à un juge et s’est enquise des modalités de contrôle des lieux de détention. La corapporteuse s’est également inquiétée du risque de voir la loi antiterroriste être utilisée pour sanctionner des personnes ayant simplement fait usage de leur droit à la liberté d’expression.

M. Kening Zhang, corapporteur pour l'examen du rapport de l’Arabie saoudite, a relevé que sur les quelque 60 000 détenus dans les prisons saoudiennes, la moitié étaient des étrangers; en outre, la majorité seraient des prévenus (c’est-à-dire qu’il s’agirait de personnes poursuivies mais non encore condamnées), a-t-il fait observer. Selon certaines ONG, s’est-il en outre inquiété, le droit à une assistance médicale, y compris le droit d’être examiné par un médecin indépendant, serait systématiquement refusé – et instrumentalisé comme moyen de punition supplémentaire à l’encontre des détenus. Le corapporteur a relevé que l’on assistait cette année à une augmentation des exécutions capitales.

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Arabie saoudite et les rendra publiques à l’issue de la session, qui doit clore ses travaux le vendredi 13 mai prochain.

Demain matin, à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Turquie (CAT/C/TUR/4).



Présentation du rapport de l’Arabie saoudite

Le Comité est saisi du rapport périodique de l’Arabie saoudite (CAT/C/SAU/2), ainsi que des réponses du pays à la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité (CAT/C/SAU/Q/2/Add.1).

M. NASSER BIN RAJEH AL-SHAHRANI, Vice-Président de la Commission des droits de l’homme de l’Arabie saoudite, a indiqué que le rapport et les documents y associés avaient été élaborés en concertation avec la société civile. Depuis l’an dernier, une commission permanente se consacre à la préparation des rapports relatifs à la mise en œuvre des conventions auxquelles le Royaume est partie, a-t-il précisé. La stratégie contre la torture adoptée par le Royaume s’appuie sur des principes constitutionnels solides qui découlent de la charia islamique ainsi que des textes de loi adoptés et des conventions ratifiées par le pays. Cette stratégie est impulsée par une volonté politique forte et renforcée par un système de justice pénale efficace comportant des mécanismes de surveillance, de contrôle et de suivi, a-t-il expliqué. Le crime de torture, qui est incriminé par la loi depuis un décret remontant à 1958, soit 26 ans avant la Convention, est passible d’une peine de dix ans de réclusion assortie de l’imposition d’amendes et du versement de réparations. Le Code pénal est en cours de révision pour combattre l’abus de pouvoir, afin d’y inclure une définition de la torture inspirée de la Convention, a ajouté le Vice-Président de la Commission des droits de l'homme.

La mise en œuvre des textes est effective et efficace, a assuré M. Al-Shahrani. Cela signifie concrètement l’ouverture des enquêtes nécessaires et, le cas échéant, le lancement de poursuites, la tenue de procès, mais aussi l’organisation de programmes de formation pour les personnels concernés.

Dans le cadre de la coopération technique avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, l’Arabie saoudite prévoit de finaliser très prochainement un Guide national pour la mise en œuvre des conventions internationales auxquelles le pays est partie. Par ailleurs, un séminaire sur la Convention contre la torture s’est tenue en janvier en présence de nombreux experts onusiens, a souligné M. Al-Shahrani.

Un numéro d’appel gratuit a été mis en place pour les victimes de violence domestique, a poursuivi le Vice-Président de la Commission des droits de l'homme. Ce service fonctionne avec une équipe exclusivement féminine, contribuant à des interventions rapides en cas d’abus, en coordination avec les services publics concernés et la société civile, a-t-il précisé.

Un rôle de supervision administrative est assuré par le Département des enquêtes et des poursuites ainsi que par la Commission des droits de l’homme, a en outre indiqué le Vice-Président de cette dernière, insistant également sur le rôle important ici encore joué par la société civile, sans oublier le rôle de supervision joué par le Conseil de la Choura qui surveille les agences gouvernementales.

Le nouveau Code de procédure pénale, qui interdit la torture et tout traitement dégradant, exige que tout prévenu soit informé de ses droits, des raisons de son interpellation ou de sa détention, de son droit à un avocat et de son droit à effectuer des appels téléphoniques, a par ailleurs fait valoir M. Al-Shahrani, ajoutant que tout prévenu a droit à une assistance juridictionnelle s’il n’a pas les moyens de faire appel à son propre avocat. Par ailleurs, une commission spéciale chargé de la jurisprudence islamique a entrepris de répertorier et de codifier les crimes et peines en vertu de la charia.

Parmi les réformes les plus récentes, un décret royal promulgué à la fin de l’an dernier règlemente les institutions et associations de la société civile afin de favoriser le développement et la promotion d’une culture du travail bénévole, a poursuivi M. Al-Shahrani. Par ailleurs, les statuts du Conseil de l’ordre des avocats saoudiens ont été promulgués en avril 2015 par décret ministériel, a-t-il indiqué. Le Conseil des ministres a aussi promulgué par décret le nouveau statut de la Présidence générale pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, dont les tâches et les responsabilités ont été revues; sont ainsi déterminées les procédures et mesures nécessaires à son action en coordination avec les forces de l’ordre. Enfin, le statut de la Commission des droits de l’homme a été amendé le mois dernier par le Conseil des ministres afin de la placer sous l’autorité royale, a indiqué le Vice-Président de cette Commission. Il s’agit de renforcer son indépendance et de lui permettre de remplir pleinement son rôle, a-t-il ajouté.

En conclusion, le Vice-Président de la Commission des droits de l’homme a rappelé que les principes constitutionnels du Royaume étaient basés sur la charia islamique qui interdit, incrimine et sanctionne toute forme et tout auteur d’acte de torture.


Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

MME FELICE GAER, corapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l’Arabie saoudite, a fait part de sa préoccupation face aux informations qui font état de condamnations à des peines de prison de défenseurs des droits de l’homme, exprimant l’espoir que des cas précis pourraient être évoqués avec la délégation. Alors qu’est annoncée la transposition de l’article premier de la Convention dans la loi saoudienne, dans le cadre de l’actuel projet de nouveau code pénal, Mme Gaer a souhaité en savoir davantage au sujet de ce projet et de l’échéance à laquelle il pourrait être adopté.

La corapporteuse a ensuite évoqué le problème posé par les châtiments corporels, citant le cas de Raïf Badawi, condamné à la flagellation. L’Arabie saoudite ne semble pas prête à abroger ce type de peine, qui est autorisée par la charia mais contrevient à la Convention, a déploré Mme Gaer. Le cas Badawi est constitutif du crime de torture, les droits de cette personne étant violés au regard de la Convention, ainsi que l’a relevé le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, a-t-elle insisté. Pour quelle raison, cette personne a-t-elle été condamnée à mille coups de fouet et pourquoi cette peine n’est-elle pas commuée, a-t-elle demandé?

Mme Gaer a ensuite fait part de son inquiétude s’agissant d’informations en provenance d’ONG sur la pratique de la torture dans les postes de police. Qu’en est-il de la possibilité d’avoir accès à un avocat et à un médecin lors de la garde à vue, a-t-elle demandé?


Le Code de procédure pénale ne prévoit apparemment pas la possibilité de contacter des proches et un avocat avant soixante jours et même 90 jours dans les affaires de terrorisme, a par ailleurs noté la corapporteuse. Est-il prévu de permettre à toute personne mise en cause d’avoir accès à un avocat dans des délais raisonnables, a-t-elle demandé? Le délai avant présentation devant une autorité judiciaire peut atteindre six mois, a-t-elle en outre relevé.

Des informations d’ordre médical figurent-t-elles dans les registres de détention et des sanctions sont-elles prévues en cas de lacunes dans la tenue de ces documents, a demandé la corapporteuse, évoquant un cas particulier de détention au secret pendant plusieurs mois? Mme Gaer a demandé combien de personnes étaient actuellement privées de liberté sans avoir fait l’objet d’une présentation à un juge. Qui est chargé du contrôle des lieux de détention, a-t-elle également demandé?

La corapporteuse s’est inquiétée du risque de voir la loi antiterroriste être utilisée pour sanctionner des personnes ayant simplement fait usage de leur droit à la liberté d’expression. Elle a cité nommément de nombreux cas à l’appui de son exposé et a fait observer que certaines de ces personnes avaient été condamnées à des peines très lourdes, certaines ayant également été torturées. Est-il envisagé d’abolir le tribunal pénal spécial chargé des affaires de terrorisme, qui a prononcé des jugements sur la base d’aveux obtenus sous la contrainte, a-t-elle demandé? Des mesures sont-elles prises pour faire en sorte que toutes les personnes jugées par le tribunal pénal spécial bénéficient des garanties juridiques fondamentales et d’un procès équitable?

Combien de plaintes pour torture et pour mauvais traitements ont-elles été reçues par la Commission des droits de l’homme et combien d’entre elles ont fait l’objet d’une enquête; le cas échéant, par qui l’enquête a-t-elle été menée et quelle en a été l’issue? Combien d’enquêtes ont donné lieu à des poursuites et combien de ces poursuites ont abouti à une condamnation? Les autorités saoudiennes ont-elles donné suite aux recommandations de la Commission des droits de l'homme et les rapports de visite de cette Commission sont-ils rendus publics, a demandé la rapporteuse?

Durant son intervention, la corapporteuse a notamment cité les cas de l’avocat Waleed Abu Al-Khair, qui aurait été emprisonné et torturé en 2014 à Riyad et Djeddah; d’Abbas Ali Hassan et de Badr Halal Jasem Al Taleb, arrêtés en 2013 et qui auraient été détenus près de trois avant d’être présentés à un juge qui leur a signifié des charges d’«espionnage» en février dernier; de Suleyman Nasser Abdullah Al-Alouane, qui aurait été emprisonné sans jugement pendant sept ans à la suite de ses critiques envers la politique américaine au Moyen-Orient; Mohammad Salih Al Bajadi, cofondateur de l’Association des droits civils et politiques, arrêté en mars 2011 et qui n’a pu avoir accès à un avocat; le Dr Saud Mukhtar Al-Hashimi, détenu 156 jours au secret, ainsi que Sulaiman Al-Rashoudi, tous deux défenseurs des droits de l’homme, arrêtés par les services de renseignement, les Mabahith, sans avoir pu ni contacter un avocat ni être entendus par un juge; Abdulkareem al-Khoder, militant des droits de l’homme condamné à dix ans de prison et à dix ans d’interdiction de voyager; Alaa Brinji, journaliste, condamné en mars dernier pour terrorisme; Nimr al-Nimr, dignitaire chiite de premier plan condamné à mort pour sédition. Elle a aussi mentionné deux cas de mineurs – Dawoud al Marhoun et Abdullah al Zaher – qui auraient été torturés afin de leur faire avouer leur participation à des manifestations.

Mme Gaer a par la suite insisté pour connaître le nombre de personnes détenues qui ne font pas l’objet d’une inculpation formelle. Elle s’est également enquise de ce qui est constitutif du crime de terrorisme, déplorant une définition relativement floue à cet égard. La défense des droits de l’homme peut-elle entrer dans cette catégorie, a-t-elle demandé, rappelant que les activités terroristes s’accompagnaient généralement d’actes violents, ce qui n’est pas le cas des activités des défenseurs des droits de l’homme? Existe-t-il en Arabie saoudite des centres de détention secrets, a par ailleurs demandé Mme Gaer? Q u’en est-il de la durée maximale de la détention préventive avant d’être présenté devant un juge, a-t-elle également voulu savoir?

La corapporteuse a en outre rappelé que plusieurs rapporteurs spéciaux des Nations Unies s’étaient émus du cas de Raïf Badawi; on ne comprend pas pour quelles raisons il a été arrêté et condamné à une peine qui contrevient à la Convention, a-t-elle souligné. Quelles sont les base juridiques de ce jugement? Dans quelle mesure, la flagellation est-elle, de l’avis de la délégation saoudienne, compatible avec les normes des droits de l’homme?

Au cours du dialogue, Mme Gaer s’est étonnée que la délégation puisse parler d’une indépendance du judiciaire en Arabie saoudite alors qu’il semble que le Roi puisse démettre comme bon lui semble n’importe quel juge, y compris les membres du Conseil de la magistrature. Parlant de «culture de l’impunité», la corapporteuse a dit avoir le sentiment que les plaintes étaient rarement suivies d’effet.

M. KENING ZHANG, corapporteur pour l'examen du rapport de l’Arabie saoudite, a rappelé l’importance du rôle du corps médical dans l’établissement des cas de torture. Les personnels du corps médical bénéficient-ils d’une formation spécifique en matière de détection de la torture, a-t-il demandé? Les agents de la fonction publique, du corps judiciaire notamment, ont-ils eux aussi droit à de telles formations et, dans l’affirmative, sont-elles obligatoires? Le corapporteur a souligné que sur les quelque 60 000 détenus dans les prisons saoudiennes, la moitié étaient des étrangers; en outre, la majorité seraient des prévenus (c’est-à-dire qu’il s’agirait de personnes poursuivies mais non encore condamnées), a-t-il fait observer. Le corapporteur a également soulevé la question de l’accès à un avocat et de la nécessaire confidentialité des échanges avec le client, des ONG indiquant que la plupart du temps, cet entretien (entre le prévenu ou le détenu et son avocat) avait lieu en présence des gardiens.

M. Zhang s’est ensuite enquis de statistiques sur les cas de torture et sur la suite qui leur a été donnée. Il a aussi souhaité obtenir des statistiques sur le nombre de visites effectuées dans les prisons et les centres de détention par le Département des enquêtes et des poursuites. Selon plusieurs ONG, cet organe ne jouit pas de l’indépendance nécessaire par rapport au pouvoir exécutif, a-t-il fait observer. L’Arabie saoudite envisage-t-elle de renforcer l’indépendance de ce Département ou de mettre en place un observatoire des prisons ne relevant pas du Ministère de l’intérieur?

M. Zhang a demandé si des mesures avaient été prises pour faire en sorte que la Commission de la promotion de la vertu et de la prévention du vice agisse conformément à la Convention, que sa compétence soit clairement définie par la loi et qu’elle l’exerce sous le contrôle du judiciaire. Des membres de la Commission ont-ils fait l’objet de mesures disciplinaires ou de poursuites pour abus d’autorité ou violation de la Convention, a-t-il voulu savoir?

S’il est bien dit que les aveux obtenus sous la torture enfreignent la charia et ne peuvent en aucun cas être utilisés lors d’un procès, le Code de procédure pénale, lui, ne semble pas être aussi clair à ce sujet, a par ailleurs fait observer M. Zhang. L’Arabie saoudite envisage-t-elle d’amender la loi afin de faire en sorte qu’aucun aveu obtenu sous la torture ne soit recevable devant un tribunal? Y a-t-il des cas où un juge aurait invalidé le jugement d’un tribunal prononcé sur la base d’aveux obtenus sur la torture, a demandé le corapporteur? Selon certaines ONG, s’est-il en outre inquiété, le droit à une assistance médicale, y compris le droit d’être examiné par un médecin indépendant, serait systématiquement refusé – et instrumentalisé comme moyen de punition supplémentaire à l’encontre des détenus. M. Zhang s’est en outre enquis des taux d’occupation des lieux de détention et des cellules.

Enfin, le corapporteur a relevé que l’on assistait cette année à une augmentation des exécutions capitales, souhaitant savoir si la délégation en connaissait les causes.

Un autre membre du Comité a demandé si l’Arabie saoudite avait l’intention de lever ses réserves à la Convention? Le Royaume serait-il disposé à ratifier le Protocole facultatif relatif à la Convention, ce qui serait un bon moyen de lutter contre la torture, a-t-il par ailleurs demandé?

Une experte, qui a rappelé que l’Arabie saoudite avait vu naître de nombreuses valeurs de l’humanité avec l’islam et son milliard de fidèles, s’est félicitée du nombre important d’instruments internationaux auxquels le pays avait adhéré, saluant également la performance du Royaume lors de l’Examen périodique universel (EPU). Mais la codification juridique dans ce pays n’a pas encore atteint le niveau souhaité pour que les autorités en charge de la loi soient correctement encadrées, a-t-elle ajouté, rappelant que nul ne saurait porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Ainsi, les agents de la Commission de la promotion de la vertu et de la prévention du vice n’ont aucune légitimité pour exercer des voies de fait en frappant les gens que cette Commission considère comme fautifs, a-t-elle déclaré. L’expert a en outre attiré l’attention sur le nombre important d’exécutions capitales, y compris de mises à mort de personnes devenues folles en prison. La même experte a par ailleurs évoqué le cas des quelque quatre millions de travailleurs expulsés du Royaume parce qu’ils ne remplissaient plus les conditions d’emploi en Arabie saoudite. Des règles claires doivent être édictées, car c’est en fin de compte de respect de la dignité humaine dont il est ici question, a-t-elle souligné.

Un autre expert a rappelé la recommandation de plusieurs organes conventionnels en faveur de l’abolition des châtiments corporels, faisant observer que plusieurs pays qui s’inspirent eux aussi de la charia avaient adouci leurs lois à ce sujet. Est-il envisagé dans le projet de révision du Code pénal d’en finir avec des châtiments tels que la flagellation et l’amputation, s’agissant particulièrement des mineurs délinquants, alors que de tels châtiments sont contraires à la Convention? Quant à la peine capitale, elle est appliquée pour des délits dont la gravité n’est pas considérée par la majorité des membres de la communauté internationale comme telle qu’ils puissent mériter la mort: infractions non accompagnées de violences, par exemple, mais aussi infractions relatives à la sorcellerie, à l’adultère ou encore à l’apostasie. Par ailleurs, l’Arabie saoudite envisage-t-elle d’en finir avec les exécutions capitales en public, a demandé l’expert?

Rappelant les engagements souscrits par l’Arabie saoudite en vertu de la Convention, un expert s’est dit troublé que le Royaume rejette sans appel, dans son rapport, l’éventualité de l’abolition des châtiments corporels, ce qui coupe court à tout dialogue et à tout échange constructif avec le Comité à cet égard. Les justiciables ont-ils la possibilité d’invoquer la Convention devant un juge et, le cas échéant, la délégation est-elle en mesure de fournir des exemples d’une telle invocation devant les tribunaux, a par ailleurs demandé cet expert?

Une experte s’est enquise des mesures prises en matière de prévention et de lutte contre la violence à l’égard des femmes et a souhaité savoir si le viol conjugal était incriminé.

Un membre du Comité a souligné que la majorité des recommandations formulées lors de l’Examen périodique universel avaient été acceptées par l’Arabie saoudite, notamment celle relative au renforcement du rôle de la société civile. Quels changements peut-on attendre dans ce domaine, a-t-il demandé? Est-il possible pour des ONG de visiter des lieux de détention? Des médecins peuvent-ils d’ores et déjà les visiter et ont-ils reçu une formation pour détecter les éventuels cas de torture?

Abordant la question de l’asile, une experte a notamment noté l’accueil en Arabie saoudite de Rohingyas et de Syriens. Toutefois, a-t-elle ajouté, des informations font état du renvoi dans leur pays de nombreux ressortissants somaliens, érythréens ou sud-soudanais. L’Arabie saoudite envisage-t-elle de ratifier la Convention de Genève de 1951 sur le statut de réfugié, a-t-elle demandé? Elle s’est par ailleurs inquiété de cas de traite de mineurs exploités comme mendiants dans le Royaume. L’experte a d’autre part relevé que dans ses réponses écrites, l’Arabie saoudite avait précisé que 91 visites de prisons avaient été effectuées par des membres du corps diplomatique et des délégations étrangères entre 2012 et 2016; la Direction générale des prisons n’aurait reçu aucune plainte à la suite de ces visites, ce qui est particulièrement surprenant car rare, a-t-elle souligné.

Un expert a souhaité savoir si les détenus non musulmans pouvaient librement pratiquer leur culte, au même titre que les détenus musulmans. Les lieux de privation de liberté ne sont pas des lieux de privation de droits, a-t-il souligné.

Un expert s’est enquis de l’instance ayant un droit de regard sur le contrôle des prisons. Comment l’État veille-t-il au respect des normes carcérales, a-t-il demandé?

Un autre membre du Comité a fait observer que des ONG proposait l’adoption d’un moratoire sur certaines peines en attendant qu’une décision soit prise concernant l’opportunité de maintenir les châtiments corporels dans le nouveau Code de procédure pénal en gestation. Des médecins sont-ils autorisés à visiter des prisons, a-t-il en outre été demandé?

Une experte a relevé le sérieux problème posé par l’exécution de personnes qui étaient mineures au moment des faits ou de malades mentaux. Elle a appelé l’Arabie saoudite à ne plus accepter que les cadavres des condamnés à mort puisse être crucifiés et abandonnés à la putréfaction, comme cela est encore arrivé dernièrement, au mépris même des prescriptions du Coran qui prêche le respect des corps. Cette experte a également mentionné le quasi-esclavagisme des migrants.

Réponses de la délégation

En prélude aux réponses de sa délégation, le Vice-Président de la Commission des droits de l’homme a émis l’espoir que le Comité comprendrait les différences pouvant exister entre différents ordres juridiques, même s’il semble évident que l’on ne pourra se mettre d’accord sur certains questions litigieuses.

La délégation a par ailleurs annoncé que le Gouvernement saoudien venait de rendre publique aujourd’hui même sa «Vision 2030», qui vise à tracer la voie en matière de respect des droits de l’homme. Ce programme touche tous les domaines, y compris ceux couverts par la Convention contre la torture, a-t-elle précisé.

Tout détenu a connaissance dès le premier jour de sa détention des droits dont il bénéficie, parmi lesquels celui de connaître le motif de son interpellation, a rappelé la délégation. Le Royaume est attaché aux droits de l’homme et au respect des droits des détenus, a-t-elle assuré.

La torture est le premier ennemi de la vérité et cette pratique a été incriminée dès 1958 par l’Arabie saoudite, a rappelé la délégation. Elle a assuré de la volonté politique des autorités de garantir les droits de tout justiciable et de poursuivre tout auteur de torture, tout en garantissant le versement de réparations pour les victimes. En dépit des événements extrêmement graves qui l’ont affecté, le Royaume n’a jamais suspendu les droits fondamentaux et n’a pas imposé l’état d’urgence, a par ailleurs fait observer la délégation.

Les enquêtes en Arabie saoudite sont menées de manière indépendante, a d’autre part indiqué la délégation. La police ne saurait s’immiscer dans l’enquête, a-t-elle insisté.

S’agissant de l’incrimination de la torture, la délégation a rappelé qu’un décret de 1958 prévoyait une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de réclusion pour tout fonctionnaire qui se livrerait à des mauvais traitements envers un sujet du Royaume.

Depuis sa ratification, la Convention peut être invoquée devant les tribunaux, a en outre fait valoir la délégation, ajoutant que la définition de la torture dans la loi est identique à celle de la Convention. Tout ce qui tourne autour de la notion de torture, bien au-delà des dispositions de la Convention, est couvert par la loi saoudienne, a-t-elle insisté, rappelant que l’abus de pouvoir de la part d’un fonctionnaire est en passe d’être introduit dans la législation.

Le nouveau Code de procédure pénale adopté en 2013 prend en compte les recommandations du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, a par ailleurs indiqué la délégation.

Une commission royale indépendante a été mise sur pied afin de définir des principes généraux à l’intention des tribunaux, le but étant d’unifier la jurisprudence islamique, a ensuite indiqué la délégation. Il s’agit en effet de ne pas privilégier telle ou telle école de jurisprudence islamique mais d’unifier sous un même code quantité de textes qui n’ont jamais été rassemblés. La délégation a assuré que la torture ne serait admise en aucun cas dans le cadre de ce projet de code, y compris lorsque des animaux en sont victimes.

Tout déclaration obtenue sous la contrainte ne saurait être retenue par un tribunal, a également assuré la délégation. La simple menace de torture suffirait à invalider une déposition, si toutefois cette menace émane d’une personne ayant autorité; dans ce cas, les éléments (de preuve) obtenus de la sorte sont considérés comme nuls et non avenus.

Le Code pénal stipule expressément l’invalidité de tout ce qui contrevient à la charia, a rappelé la délégation.

S’agissant de l’indépendance de la justice, la délégation a affirmé que les juges étaient indépendants, étant uniquement soumis à la charia islamique dans l’exercice de leurs fonctions. Aucune compétence juridique n’est reconnu au Ministre de la justice, a souligné la délégation. Le Code de la magistrature réserve au Conseil supérieur de la magistrature l’autorité de nommer, de promouvoir et de déplacer les juges, a-t-elle précisé.

Des programmes de formation sont mis en œuvre à l’intention des agents de la fonction publique, a d’autre part souligné la délégation.

Le droit d’accès à un avocat est un élément essentiel des droits de la défense, a ensuite rappelé la délégation. Toute personne mise en cause a droit à recourir à l’avocat de son choix, pendant les interrogatoires; celui-ci peut être présent à toutes les étapes de la procédure, de l’interpellation au procès éventuel. L’avocat doit avoir accès à l’ensemble du dossier et l’enquêteur ne peut saisir les documents ou les courriers reçus par le prévenu.

En réponse aux noms cités par certains membres du Comité, la délégation a indiqué que ces noms avaient fait l’objet d’une vérification et a affirmé que les allégations concernant ces personnes étaient erronées. Toutes les informations utiles ont été fournies aux entités onusiennes qui se sont préoccupées du sort de ces personnes, a insisté la délégation.

Un site internet (www.nafethah.gov.sa) a été créé pour donner des informations aux proches des personnes emprisonnées sous les auspices des services de renseignement; une identification personnelle est nécessaire pour y accéder. Ce portail est considéré comme une innovation en matière de respect des droits de l’homme, a affirmé la délégation. Le détenu peut en effet ainsi communiquer avec sa famille et ses proches. Il est ainsi possible d’accéder à tout détenu, sans divulguer pour autant des informations confidentielles et privées. La sphère privée est pleinement respectée, a assuré la délégation. C’est aussi via ce site que des visites – des proches, des avocats, des organisations de droits de l’homme – peuvent être programmées, a-t-elle précisé. Via ce même site, le détenu peut aussi communiquer par messagerie ou oralement par les services téléphoniques via Internet.

Pour ce qui est des conditions carcérales, la délégation a indiqué que l’Arabie saoudite ne connaissait pas de problème de surpopulation carcérale, contrairement à nombre de pays. La délégation a rappelé l’existence de mesures de clémence et a souligné que des amnisties ont été décrétées; en outre, des programmes d’échange de prisonniers avec d’autres pays ont été effectués. Un projet de loi est à l’étude afin de favoriser les peines alternatives à l’emprisonnement, a d’autre part indiqué la délégation. Tout prisonnier dispose d’une superficie de plus de quatre mètres carrés, a-t-elle ensuite précisé. Elle a également fait valoir que des téléphones sont mis à disposition des détenus, ainsi que des cantines et des cours leur permettant notamment de faire de l’exercice – ces dernières étant accessibles en permanence sans qu’il soit nécessaire d’obtenir une autorisation.

La séparation entre les personnes placées en détention provisoire et les personnes condamnées est absolue, a par ailleurs indiqué la délégation.

En outre, tout détenu a le droit de pratiquer sa religion, quelle qu’elle soit.

L’autorité d’enquête du ministère public, qui compte près de 250 fonctionnaires, est habilitée à effectuer des visites en prison, lesquelles peuvent être organisées ou inopinées, a ensuite expliqué la délégation. Cette autorité, qui est chargée du contrôle des établissements pénitentiaires, peut contacter les détenus ou être contactée par tout détenu ayant des doléances à présenter.

Les visites effectuées dans des centres de détention par des délégations diplomatiques étrangères n’ont effectivement laissé apparaître aucune plainte pour torture, a confirmé la délégation.

Pour tout décès d’un détenu en prison, un examen est pratiqué et un rapport médical remis à la famille, a d’autre part souligné la délégation.

Les prisons font l’objet d’inspections régulières, a d’autre part souligné la délégation, admettant que, comme dans toute communauté humaine, les choses ne sont jamais parfaites. Le but de la détention est non pas de torturer les condamnés, mais de leur permettre de s’amender dans la perspective de leur réinsertion dans la société, a rappelé la délégation. En cas d’allégation de torture, ce sont des médecins qui établissent les faits, sur la base du Protocole d’Istanbul.

Des personnels de santé sont formés afin de leur permettre de détecter d’éventuels cas de torture. Tous les cas susceptibles d’être recensés doivent être dûment répertoriés et accompagnés de photos, conformément aux normes internationales, a assuré la délégation.

Toute allégation de torture fait l’objet d’une enquête, la Commission des droits de l’homme assurant un suivi de l’enquête qui est menée, a rappelé la délégation.

L’exécution publique des condamnations est réglementée par des normes religieuses, la peine devant être exécutée sur le lieu où le crime a été commis, a par ailleurs expliqué la délégation. Lorsque les victimes ou leurs proches pardonnent à l’auteur, la peine peut être révisée, a-t-elle rappelé.

La violence domestique et sexuelle est réprimée par la charia islamique, qui prévoit des mesures de protection et de réparation envers les victimes, a ensuite indiqué la délégation. Il existe en la matière un mécanisme national de plaintes, inauguré dernièrement et géré par des femmes, a-t-elle précisé, rappelant l’existence du numéro de téléphone gratuit: 1919. Les plaintes sont renvoyées à la Commission de la protection sociale, qui dispose d’antennes dans tout le pays, avant d’être instruites par un juge en cas de confirmation des allégations. La réhabilitation et l’aide aux victimes sont garanties par la loi, a d’autre part fait valoir la délégation, avant de rappeler qu’une prise en charge médicale est également garantie par la loi à tout citoyen.

Qualifiant d’erronées et dénuées de tout fondement les affirmations de certains membres du Comité, la délégation, qui s’est dite choquée par ce qu’elle a entendu, a indiqué qu’elle s’attendait de la part des membres du Comité à ce qu’ils s’appuient sur des informations dignes de foi. Les choses qui ont été dites s’apparentent à une forme de propagande, a déclaré la délégation, appelant les experts à vérifier leurs informations. L’échange entre le Comité et les représentants des États parties doit se faire sur la base de la confiance, une confiance qu’il s’agit de préserver, a insisté la délégation. Elle a assuré ne pas avoir voulu passer sous silence certaines questions et a déploré le manque de temps qui lui a été laissé pour répondre correctement à toutes les questions.

Le principal garant des droits de l’homme, c’est la loi et le droit, a poursuivi la délégation. Toute personne condamnée a été déférée devant un juge et a bénéficié d’un procès équitable, a-t-elle ajouté. Il ne suffit pas de se proclamer défenseur des droits de l’homme pour pouvoir violer la loi et prétendre à l’impunité, a-t-elle souligné. Elle a rappelé qu’une nouvelle loi règlemente le fonctionnement des organisations de la société civile: désormais, les délais d’enregistrement ont été raccourcis et le nombre minimal de personnes pour fonder une association est de dix.

Quant au terrorisme, il est clairement défini dans la loi saoudienne, a indiqué la délégation; il s’agit d’une définition normative, a-t-elle souligné, rappelant l’absence d’une définition du terrorisme internationalement agréée. Personne n’est détenu sans jugement; aucun suspect de terrorisme n’a été jugé par la justice militaire; et tout accusé a droit aux garanties juridiques reconnues à tout justiciable, a déclaré la délégation.

Dès le moment où l’État saoudien ratifie une Convention, celle-ci est intégrée dans le droit national et les instances concernées ont l’obligation de l’appliquer, a expliqué la délégation.

À l’issue de ce dialogue, la délégation a assuré que l’Arabie saoudite s’efforçait de façonner un système respectueux des droits de l’homme et qu’elle mettrait tout en œuvre pour éradiquer la torture. Il n’existe ni centre de détention secret, ni détention au secret dans le pays, a également assuré la délégation. Les questions posées par les membres du Comité ne peuvent qu’aider l’Arabie saoudite, celle-ci étant consciente de certaines failles, notamment en matière de tenue de statistiques ventilées, s’agissant en particulier des différents délits, a-t-elle conclu.

M. JENS MODVIG, Président du Comité, a pour sa part souligné qu’il était normal pour les membres du Comité de faire état d’informations qui leur ont été communiquées et qu’il ne fallait pas s’en étonner, ni s’en offusquer.


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CAT16/005F