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LE COMITÉ DES DISPARITIONS FORCÉES CÉLÈBRE LE DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE L'ADOPTION DE LA CONVENTION CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES

Compte rendu de séance

Le Comité des disparitions forcées a tenu, cet après-midi, une réunion consacrée au dixième anniversaire de l'adoption par l'Assemblée générale, le 20 décembre 2006, de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. L'attention s'est portée en particulier sur les défis actuels s'agissant de la mise en œuvre de la Convention.

Des déclarations ont été faites par les représentants des quatre pays ayant pris l'initiative de cette réunion: Mme Élisabeth Laurin, Ambassadeur de France, M. Mohamed Auajjar, Ambassadeur du Maroc, tous deux en début de séance, et, en fin de séance, MM. Alberto Pedro D'Alotto, Ambassadeur d'Argentine, et Junichi Ihara, Ambassadeur du Japon. Des déclarations liminaires ont été faites par ailleurs par le Président du Comité des disparitions forcées, M. Emmanuel Decaux, ainsi que par M. Louis Joinet, Premier avocat honoraire à la Cour de cassation et ancien membre de la Sous-Commission des droits de l'homme, qui avait participé à la rédaction de la Convention et a présenté cet après-midi un témoignage émouvant des travaux ayant abouti à l'adoption de la Convention. La séance a été ouverte par M. Ibrahim Salama, Directeur de la Division des traités relatifs aux droits de l'homme au Haut-Commissariat aux droits de l'homme.

Animé par la Vice-Présidente du Comité, Mme Suela Janina, une première réunion-débat a porté sur la répression du crime de disparition, la responsabilité de l'État et l'implication des acteurs non-étatiques , ainsi que l'articulation de la Convention avec le droit international dans le domaine des droits de l'homme. Les trois panélistes étaient M. Fabián Omar Salvioli, Président du Comité des droits de l'homme; M. Andrew Clapham, Directeur de l'Académie de droit international humanitaire et des droits humains à Genève; et M. Solomon Sacco, Conseiller juridique d'Amnesty International.

La deuxième réunion-débat, qui portait sur les droits des victimes, était animée par M. Santiago Corcuera, Vice-Président du Comité, et a compté avec la participation de quatre panélistes: Mme Houria Es Slami, Présidente-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires; Mme Mary Aileen Bacalso, Présidente de la Coalition internationale contre les disparitions forcées; M. Nicolas Agostini, Directeur exécutif de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH); et M. Federico Andreu, de la Commission internationale des juristes.

Des représentants d'États et d'organisations non gouvernementales, ainsi que des particuliers ont participé aux échanges. Les intervenants ont rappelé que la Convention était le fruit d'un long combat qui a compté avec la participation des familles de disparus et de la communauté internationale. Ils ont rendu un vibrant hommage à la mémoire de l'ambassadeur Bernard Kessedjian, président du groupe de travail intergouvernemental ayant veillé aux négociations et à la rédaction de la Convention. Les participants ont abordé des thèmes aussi divers que la répression du crime de disparition forcée, la responsabilité de l'État et l'implication des acteurs non-étatiques, l'articulation de la Convention avec le droit international des droits de l'homme, ou encore le rôle de la société civile et la contribution des organisations non gouvernementales dans la mise en œuvre de la Convention. À cet égard, le Président du Comité a mis l'accent sur la contribution «irremplaçable» des organisations non gouvernementales pour le bon fonctionnement d'une convention de protection des droits de l'homme, qui implique «un travail de sensibilisation et de plaidoyer, une vigilance permanente et un professionnalisme sans défaut». Il a indiqué, dans ce contexte, que le Comité leur devait un appui sans faille, notamment face aux intimidations et aux représailles.


La semaine prochaine, le Comité poursuit ses travaux dans le cadre de séances privées jusqu'à la séance de clôture de la session qui se tiendra le vendredi 18 mai à partir de 15 heures.


Dixième anniversaire de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : «Les défis contemporains»

Déclarations liminaires

M. IBRAHIM SALAMA, Directeur de la Division des traités relatifs aux droits de l'homme, a rappelé qu'il y a dix ans, l'Assemblée générale a adopté, à l'unanimité, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, un traité phare qui a adapté le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire aux fins de la protection de toutes les personnes contre ce crime. Résultat d'une longue lutte qui s'est étendue sur 40 ans, celle-ci a été conduite par les familles des disparus et la communauté internationale. M. Salama a rendu un vibrant hommage à toutes ces familles qui ont subi des souffrances indescriptibles dans la recherche de leurs êtres chers. En dépit de telles souffrances, nombre de familles se sont efforcées de faire campagne en faveur des milliers de disparus en fondant des associations, des organisations et mouvements internationalement reconnus. Il a ensuite rendu hommage aux États ayant appuyé la Convention, en particulier la France et l'Argentine, qui ont promu ces instrument durant les négociations et au-delà, de même que le Maroc et le Japon, et rappelé la mémoire de l'ambassadeur Bernard Kessedjian, président du Groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée, dont la détermination et les excellentes qualités diplomatiques ont facilité le travail de rédaction de la Convention en moins de quatre ans.

M. Salama a rappelé que la Convention était née suite aux pratiques effroyables des dictatures des années 1970 et 1980, mais qu'il serait erroné de considérer qu'il s'agit d'un instrument uniquement limité aux crimes du passé ou à une aire géographique donnée. Les rédacteurs de la Convention ont fait preuve de clairvoyance et d'une vision orientée vers le futur. Les disparitions forcées apparaissent aujourd'hui dans des contextes de conflits internes, de violence généralisée et de crises humanitaires ainsi que dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme. Cette pratique est utilisée par des États mais aussi par des acteurs non-étatiques comme des groupes paramilitaires, des milices et des criminels organisés, souvent avec la complicité de l'État.

MME ELISABETH LAURIN, Ambassadeur de France, a souligné que cet événement souligne que la lutte contre les disparitions forcées remonte à de longues années. Elle a salué la mémoire de Bernard Kessedjian et cité la présence de M. Louis Joinet - qui a participé à la rédaction de la Convention. Elle a appelé tous les pays qui ne l'ont pas encore fait à adhérer à la Convention et À l'annoncer dans le cadre de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme. Elle a ajouté que le Comité et le Groupe de travail sur les disparitions forcées sont les deux faces d'une même médaille. Elle a mis en garde contre la prolifération des disparitions forcées, alors que l'on assiste au recours systématique à cette pratique en Syrie et en République populaire démocratique de Corée. En cinq ans d'existence, le Comité a accompli un travail exemplaire, avec des décisions visant au renforcement de son mandat et à répondre aux appels des familles des personnes disparues. Tous ces éléments montrent la nécessité d'un organe de ce genre axé sur la spécificité de ce crime.

M. MOHAMED AUAJJAR, Ambassadeur du Maroc, s'est réjoui d'avoir pris l'initiative de cet événement aux côtés de trois autres pays – l'Argentine, la France et le Japon –et en partenariat avec le Comité. Par cette commémoration, il a signalé que l'on célèbre également les cinq ans d'existence du Comité. Il a jugé que l'occasion était propice, à plus d'un titre, pour faire le point sur le chemin parcouru et surtout évoquer les perspectives d'avenir et les défis à surmonter. Le crime de la disparition forcée est un fléau mondial qui prend de l'ampleur à l'aune des situations d'instabilité et de conflits dans plusieurs régions du monde. Pour M. Auajjar, l'évolution de cette pratique cruelle et infâme est d'autant plus inquiétante qu'elle est de plus en plus le fait d'acteurs non-étatiques et de groupes terroristes. Cette situation exige de redoubler d'efforts pour mobiliser toutes les parties prenantes en vue d'un engagement plus grand et plus fort pour combattre ce fléau. Il a noté, pour le déplorer, que seul le quart des membres de l'ONU avait ratifié cet instrument. L'ambassadeur marocain a ajouté que son pays avait ratifié la Convention en 2013, décision ayant concrétisé sa ferme détermination à en finir avec cette pratique, ce qui a été consacré dans la Constitution de 2011, qui dispose que la détention arbitraire ou secrète et la disparition forcée sont des crimes de la plus grande gravité et qu'elles exposent leurs auteurs aux sanctions les plus sévères. M. Auajjar a signalé l'établissement, en 2004, d'une commission nationale pour la vérité, l'équité et la réconciliation qui a étudié environ 17 000 dossiers et indemnisé plus de 9000 victimes. Le Maroc a reçu, en 2013, le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et le Groupe de travail sur la détention arbitraire, comme il a invité plusieurs titulaires de mandats. Il a espéré une ratification universelle pour que ce phénomène soit à jamais éradiqué.

M. LOUIS JOINET, Premier avocat honoraire à la Cour de cassation, ancien membre de la Sous-Commission des droits de l'homme, a déclaré avec émotion qu'il avait fait ses premiers pas dans cette lutte, dans cette même salle. Il a voulu que son intervention soit le témoignage de l'histoire de cette convention qui a fini par recevoir l'approbation de l'Assemblée. Cette aventure demeure pour M. Joinet l'une des périodes les plus exaltantes de son existence, Il a rappelé qua l'époque, les gouvernements de l'époque feignaient ignorer cette pratique et que les juristes comme lui étaient confrontés à certaines dictatures qui avaient même recours à la «mort virtuelle» qui veut que si une personne a disparu, elle est donc morte : «Circulez, il n'y a plus rien à voir». Autre événement historique, il a rappelé l'image qui a secoué la conscience du monde, ces manifestations hebdomadaires des grand-mères sur la place de mai à Buenos Aires. Rappelant l'ouverture d'esprit et l'autorité naturelle de Bernard Kessedjian, il lui a rendu un vibrant hommage. Après lecture d'un poème au nom d'une personne disparue, il a remercié «les vivants de ne pas m'oublier».

M. EMMANUEL DECAUX, Président du Comité des disparitions forcées, a remercié les quatre ambassadeurs dont les États sont les parrains de la résolution annuelle de l'Assemblée générale sur la Convention, qui ont pris l'initiative de cet événement qui marque le dixième anniversaire de cet instrument adopté en 2006. Il a jugé important de marquer cette occasion à Genève avant la réunion de l'Assemblée générale prévue à l'automne à New York. C'est en effet à Genève qu'est née la Convention, d'abord des travaux pionniers de la Sous-commission des droits de l'homme, puis lors des négociations du groupe de travail de la Commission des droits de l'homme que présidait l'ambassadeur Bernard Kessedjian, jusqu'à l'adoption historique du projet. M. Decaux a aussi salué les organisations non gouvernementales qui ont accompagné la longue histoire de la Convention avec une expertise juridique remarquable et qui gardent la mémoire vivante des travaux préparatoires. Il a souligné leur contribution irremplaçable pour le bon fonctionnement d'une convention de protection des droits de l'homme, qui implique un travail de sensibilisation et de plaidoyer, une vigilance permanente et un professionnalisme sans défaut. Il a indiqué, dans ce contexte, que le Comité leur doit un appui sans faille, notamment face aux intimidations et aux représailles, conformément aux principes de San José approuvés l'an dernier lors de la vingt-septième réunion annuelle des présidents des organes conventionnels, qui s'est tenue à San José du Costa Rica. Il a souligné que le Comité, avec ses appels urgents et ses mesures de protection, exerçait une veille constante des situations de disparitions forcées.

Le Président du Comité des disparitions forcées a ensuite indiqué que dans sa mission, celui-ci n'est nullement isolé et agit en concertation étroite avec des partenaires très proches comme le Groupe de travail sur les disparitions forcées, tout comme les autres organes conventionnels, au premier rang desquels le Comité des droits de l'homme. «C'est le mandat que nous donne l'article 26 de la Convention, mais c'est surtout notre souci de synergie et d'efficacité pour renforcer la cohérence du droit international, avec comme priorité la protection des victimes», a-t-il souligné, ajoutant que les dix ans de la Convention marquaient les cinq ans du Comité. Partant, cet anniversaire est l'occasion de mesurer le chemin parcouru, mais également et surtout, de se tourner vers l'avenir en redoublant d'efforts.

M. Decaux a attiré l'attention sur la prochaine réunion formelle des États parties, qui doit se tenir avant décembre 2016, affirmant que ce qui est en cause c'est un enjeu politique pour aller vers une ratification universelle et une application universelle de la Convention. Le socle de 51 États parties aujourd'hui atteint n'est qu'un point de départ, a encore commenté M. Decaux. À cet égard, il a encouragé à une véritable stratégie collective de mise en œuvre de la Convention car c'est une histoire faite de douleurs, de drames et de larmes, mais aussi du refus de la résignation et de la fatalité. C'est une mémoire vivante qui ne peut pas s'effacer et qui est au cœur de l'exigence de justice, du droit à la vérité et du refus de l'impunité, a-t-il affirmé, en pensant notamment au combat exemplaire des grand-mères de la place de mai en Argentine et de la rencontre du Comité l'année dernière avec Mme Estella de Carlotto, à la suite de ses retrouvailles avec son petit-fils, Guido, né en 1978. C'est cette tragédie quotidienne des familles de disparus face aux dictatures militaires d'Amérique latine qui a inspiré la Convention, a rappelé M. Decaux. Il a déploré qu'encore aujourd'hui, on ne cesse de prendre connaissance de nouvelles disparitions forcées à travers le monde. À cet égard, la mission du Comité est claire: c'est un engagement renouvelé à transformer les virtualités de la Convention en garanties effectives afin d'en faire un instrument de prévention et de protection pleinement efficace pour tous et partout.

Débat sur le thème «Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées: un instrument singulier et novateur»

Exposés

M. FABIÁN OMAR SALVIOLI, Président du Comité des droits de l'homme, s'est intéressé à l'articulation de la Convention sur les disparitions forcées avec le droit international des droits de l'homme. Il a déclaré que la disparition est l'une des tragédies les plus effroyables pour un individu et ses proches car elle supprime le droit au deuil, et l'incertitude poursuit les familles au quotidien, jour et nuit, et elles subissent un traitement inhumain. Il a mis l'accent sur les liens entre cette pratique et la torture, encourageant à aborder ce problème d'une manière globale. Le premier défi pour les organes d'application des instruments dans le domaine des droits de l'homme concerne l'identification du problème et de l'affaire, de la compétence et de la prise en compte du fait que la disparition forcée est un crime continu jusqu'à ce que la personne concernée réapparaisse en vie ou non. D'autre part, il s'agit d'accepter les preuves d'une façon souple car la disparition forcée est entourée par un complexe système de couverture et de secret. Enfin, il s'agit de tenir compte des spécificités des cas de disparitions forcées, par exemple lorsqu'on traite de disparition de personnes appartenant aux peuples autochtones, ou encore de la détention secrète.

M. ANDREW CLAPHAM, Directeur de l'Académie de droit international humanitaire et des droits humains, s'est penché pour sa part sur la responsabilité de l'État et l'implication des acteurs non-étatiques pendant les conflits armés internes, en renvoyant à l'article 43 de la Convention. Il a invité à examiner de très près le texte de la Convention qui est parfois plus spécifique que d'autres instruments internationaux. Dans les situations de conflits armés, le droit relatif à ces conflits s'applique aussi aux groupes armés. Il a analysé les dispositions de la Convention en ce qui concerne l'obligation de poursuites, la reconnaissance de l'extradition et le traitement des plaintes. Il a ajouté que le crime de disparition forcée commis par des individus privés qui travaillent pour une entreprise privée sont couverts par cet instrument. Prenant comme exemple la présence éventuelle d'un commando de Daech dans un pays, il a expliqué qu'il est de l'obligation de tout État partie d'enquêter sur toute disparition forcée, sans exception. Il a en outre recommandé de tenir pleinement compte des plaintes des victimes et de leur famille. Que le Gouvernement nie ou pas l'existence de groupes armés ou de milices, il demeure responsable au premier chef d'enquêter sur toute disparition forcée.

M. SOLOMON SACCO, Conseiller juridique d'Amnesty International, a abordé la question de la répression du crime de disparition forcée sous l'angle du travail de l'équipe d'Amnesty International sur cette problématique. Il a estimé que c'est la forme la plus cruelle de violations des droits de l'homme qui touche d'une façon ignoble et continue tant la personne concernée que tous les membres de sa famille. Les disparitions forcées se produisent dans diverses situations comme en Amérique latine, dans les Balkans, et aujourd'hui au Nigéria et ailleurs, de même que les crimes perpétrés par toutes les parties, souvent en toute impunité. La Convention oblige tous les États à réprimer cette pratique et le Statut de Rome traite aussi de différents aspects liés aux disparitions massives. Amnesty International préconise la ratification de la Convention par le plus grand nombre possible de pays pour combler tout vide possible dans les législations nationales. Toutes les communications doivent aussi être examinées, a insisté le panéliste, qui a déclaré que l'obstacle majeur était l'application de la Convention au niveau national. La poursuite et la pénalisation des auteurs est l'une des grandes priorités d'Amnesty International, qui estime que la liste de points du Comité est très utile pour faire justice aux victimes. Que ce soit le fait d'agents étatiques ou non-étatiques, c'est un crime contre l'humanité qui entraîne toutes les conséquences prévues par le droit international.

Débat

Dans le cadre du débat qui a suivi, le Ghana a déclaré envisager la ratification de la Convention et prié le Comité de distribuer un document décrivant la procédure à suivre. Il a par ailleurs souligné que certains pays nient les problèmes liés aux activités de milices et s'est demandé que faire dans ce cadre.

Un intervenant a voulu savoir quel rôle jouait le Comité s'agissant de situations de disparitions forcées au Sahara occidental, faisant état de 400 cas, dont 362 reconnus par le Gouvernement marocain sans pour autant fournir de détails spécifiques sur le sort de ces personnes. Comment un État peut-il être partie et juge? Il a aussi déploré le fait que le Comité n'ait pas effectué de visite sur le terrain pour faire la lumière sur ces cas.

Mme Khadija Marwazi, qui s'est présentée comme la Secrétaire générale d'une organisation non gouvernementale travaillant avec les victimes des disparitions forcées depuis 20 ans, a déploré que son organisation ne soit pas autorisée à se présenter devant les membres du Comité. Elle a ajouté avoir travaillé sur des disparitions commises durant les années de plomb au Maroc, ce qui est encore rendu plus difficile par le conflit autour du Sahara occidental. En dépit de l'instauration d'un système de justice transitionnelle au Maroc, elle a déclaré que certains cas ne font pas toujours l'objet d'enquêtes et de poursuites, bien qu'elle reconnaisse qu'il y ait eu des identifications et des indemnisations dans certaines situations.

D'autres intervenants ont également fait état de disparitions forcées dans les camps de Tindouf et ont voulu savoir comment le Comité comptait traiter de tels cas.

M. DECAUX a précisé que la Convention était entrée en vigueur il y a cinq ans et l'article 30 sur les appels urgents pourrait être utilisé. Il a ajouté que le rapport du Maroc était attendu dans un an.

M. JOINET a rappelé que ce type de situation s'était posée à lui sous le régime franquiste, avec le décès des auteurs de crimes commis. La restitution du corps à la famille est une exigence fondamentale, quelle que soit la date de la disparition, a-t-il affirmé.

Débat sur le thème «La Convention sur les disparitions forcées et les droits des victimes»

Exposés

MME HOURIA ES SLAMI, Présidente-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, a décrit la coopération entre le Comité et le Groupe de travail, se réjouissant de l'accomplissement d'un «rêve inouï» pour les victimes et leurs familles par le biais de l'adoption de la Convention. Elle a joint sa voix à celle de ceux qui ont appelé à la ratification universelle de la Convention et à la reconnaissance de la compétence du Comité pour favoriser le droit à la vérité et aux réparations pour les victimes. Mme Es Slami a mis en évidence le caractère complémentaire du travail du Comité et du Groupe de travail qu'elle dirige, qui a été saisi jusqu'à présent de 43 000 plaintes. Les deux organes se consultent sur les visites de pays, et ont des échanges sur les progrès réalisés et les obstacles rencontrés. Le Groupe de travail a aussi publié un rapport sur les droits sociaux et économiques des victimes, et examine la recrudescence de cas de disparitions forcées aux mains de groupes non-étatiques, mais aussi, récemment, du phénomène de la disparition à court terme (un ou deux mois en moyenne). Les deux organes ont aussi tenu un atelier en marge de la session du Groupe de travail qui a eu lieu à Rabat. La Présidente du Groupe de travail a aussi déclaré que les flux migratoires actuels sont associés à une augmentation des cas de disparitions.

MME MARY AILEEN BACALSO, Présidente de la Coalition internationale contre les disparitions forcées, s'est penchée sur l'importance, la portée et les défis posés à la Convention et mis en relief les souffrances indicibles des victimes. Elle a signalé que le Parlement argentin avait adopté, en novembre 2007, une loi pénalisant les disparitions. Il est d'une grande importance que l'Argentine ait aussi reconnu la compétence du Comité d'être saisi et d'examiner des communications que lui adressent des particuliers ou des États. Il reste cependant que peu de familles de victimes connaissent l'existence de cet instrument. En conséquence, pour elle, la tâche de le faire connaître sera encore longue. L'application concrète des mesures d'indemnisation et de réparation intégrale devant les tribunaux nationaux est aussi problématique. Le Pérou a ratifié la Convention mais ne reconnaît pas la compétence du Comité d'examiner les plaintes, tout comme l'Inde, à l'origine de milliers de disparitions dans la province du Cachemire, qui reste fortement militarisée. La panéliste a énuméré une longue liste d'États ayant ratifié la Convention mais n'en respectant pas les dispositions, en insistant sur la lutte contre l'impunité.

M. NICOLAS AGOSTINI, Directeur exécutif de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), attirant l'attention sur le rôle de la société civile et la contribution des organisations non gouvernementales dans la mise en œuvre de la Convention et dans les travaux du Comité, a souligné que son organisation avait défini la lutte contre les disparitions forcées comme l'une de ses priorités en s'engageant dans des actions contentieuses stratégiques pour établir les responsabilités et lutter contre l'impunité des auteurs. Il a expliqué, par exemple, que la FIDH soutient des familles de disparus dans une procédure judiciaire ouverte sur le massacre du 28 septembre 2009 en Guinée, ainsi que dans des procédures initiées au Mali dans des affaires d'exécutions et de disparitions forcées concernant l'affaire des bérets rouges et de la mutinerie de Kati. Devant les tribunaux français, la FIDH soutient, depuis près de 15 ans, des victimes et familles de disparus du Beach de Brazzaville au Congo dans leur quête de justice, ainsi que des victimes des années de plomb en Algérie, dans l'affaire Relizane, en application de la compétence extraterritoriale. Il a signalé qu'après plus de dix années de procédure initiée par les familles et les associations les soutenant, en décembre 2010, la Cour d'assises de Paris a condamné 13 anciens officiels chiliens et argentins pour la disparition forcée de quatre ressortissants franco-chiliens qui ont été détenus et ont disparu pendant la dictature d'Augusto Pinochet au Chili. Il a dénoncé les blocages et pressions politiques qui peuvent s'exercer sur les magistrats et les victimes au niveau national, ce qui a poussé la FIDH à saisir à plusieurs reprises le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale afin d'ouvrir des enquêtes sur des situations où des crimes de disparitions forcées ont été commis, comme dans l'État du Bajo Aguán au Mexique. Présentant les actions du FIDH visant au renforcement des mécanismes onusiens et régionaux, notamment par des campagnes en faveur de la ratification de la Convention, M. Agostini a indiqué qu'il a ainsi pu appeler la France à inclure dans sa loi d'adaptation du droit national une disposition donnant aux tribunaux français une compétence extraterritoriale, ce qui a été inclus dans la loi effectivement adoptée.

M. FEDERICO ANDREU, de la Commission internationale des juristes, s'agissant de la thématique des droits des victimes, a applaudi tous les militants des droits de l'homme, en particulier les initiateurs de la Convention, Rodolfo Matarolo, Bernard Kessedjian et Louis Joinet, et d'autres encore, hommes et femmes, sans qui cet instrument n'aurait jamais pu être rédigé en quatre ans, et qui prescrit la plus grande protection aux victimes jamais stipulée dans un instrument des droits de l'homme, y compris la famille, les proches et toute personne affectée par une disparition. Le droit des victimes concerne en fait toutes les dispositions de la Convention qui définit six groupes de droits des victimes, ce qui, à son avis, est révolutionnaire puisque la Convention a créé, de la sorte, des catégories contraignantes dans ce qui est appelé le «droit mou» et le droit à l'habeas corpus pour les familles, le droit à la dénonciation des faits et d'enquête, le droit à connaître l'évolution et les résultats de l'enquête, et le droit à la lutte contre l'impunité, aux réparations et à l'indemnisation. D'autre part, le droit des personnes de créer des associations pour des enquêtes a aussi été consacré, à l'initiative de la Suisse. Le droit à la vérité a été le plus difficile à négocier, a-t-il souligné, car il concerne le droit à connaître le sort et le lieu du disparu, de même que celui des enfants soustraits à leur famille et adoptés d'une manière illégale, notamment sous les régimes dictatoriaux; le droit à rétablir les liens avec la famille biologiques, qui fut une exigence des mères et grand-mères de la place de mai. Depuis cinq ans, le Comité a produit des interprétations remarquables dans ses observations générales, comme pour la réglementation de l'adoption.

Débat

L'ambassadeur de l'Algérie a mis en relief la problématique de plus de 10 000 enfants disparus, dont une majorité de migrants, qui sont entre les mains de réseaux criminels et de la traite des personnes. Il a espéré que la Convention puisse s'enrichir d'une analyse de ce phénomène et de l'établissement des responsabilités au niveau international.

Un représentant de familles de victimes a posé une question sur la disparition de 300 disparus depuis 1975 en Mauritanie et au Maroc. Il a demandé aussi à que soit établie la responsabilité de l'Algérie dans ces affaires. Un autre représentant d'ONG du Maroc a dit avoir passé 25 ans dans les camps de Tindouf. S'agissant du Gouvernement du Maroc, celui-ci a ratifié cette convention, contrairement à l'Algérie. Comment le Comité abordera cette question et avec qui: l'Algérie ou le Maroc, du fait que ces violations ont lieu dans des camps, a-t-il voulu savoir. M. Salam Hadi, militant sahraoui, a posé une question dans le même sens.

Répondant à l'ambassadeur algérien, MME ES SLAMI a confirmé que le Groupe de travail sur les disparitions forcées effectuera cette étude qui concerne un problème complexe et multidimensionnel, qui touche aussi à l'extraterritorialité, entre autres. En outre, le Groupe de travail n'a pas pour mandat d'établir les responsabilités mais plutôt de déterminer le sort du disparu. Elle a ensuite fait état de difficultés financières du Groupe de travail et invité l'Algérie à offrir une contribution.

Dans un commentaire d'ordre général sur les migrations, l'animateur du débat, M. Corcuera, a signalé que toutes les régions étaient touchées, d'autant que la migration va de pair avec la traite et la criminalité. Il a réitéré sa position sur la nécessité d'une convention interaméricaine sur la migration.

Conclusion

M. ALBERTO PEDRO D'ALOTTO, Ambassadeur d'Argentine, a noté les hommages rendus aux mères et grands-mères de la Place de mai, ainsi que l'appui inconditionnel et actif de Louis Joinet. Il a cité la phrase prononcée par l'ex-dictateur militaire argentin, Jorge Rafael Videla, avant son décès, expliquant pourquoi il avait mené sa campagne contre les opposants qui a donné lieu à la tragédie qui a frappé l'Argentine et plusieurs pays de la région: «Ces personnes étaient le prix nécessaire pour gagner la guerre, et ce en raison de leur nombre croissant». « Les milliers de prisonniers libérables ne pouvaient l'être car il était certain qu'ils allaient recommencer. En conséquence, la décision a été prise d'éliminer un grand nombre de personnes sans les fusiller pour que le public ne s'en rende pas compte. Il fallait les faire disparaître en silence et chaque disparition pouvait être considérée comme une dissimulation de la mort ». Pour M. d'Alotto, il faut ériger des digues et des obstacles perpétuels pour qu'il y ait garantie de non-répétition, ou à défaut, d'obligation redditionnelle. Il s'est félicité que les efforts conjoints aient favorisé une ratification accrue de la Convention.

M. JUNICHI IHARA, Ambassadeur du Japon, a dit sa conviction que cette réunion commémorative aura permis de trouver de nouvelles voies. Il a regretté que la Convention n'ait pas répondu aux engagements car les 51 États parties paraissent bien peu nombreux au vu de la multiplication de cas de disparitions. Il a lancé un appel en faveur d'une ratification universelle. M. Ihara a appuyé le travail du Comité et le Groupe de travail, notamment pour ce qui a trait aux cas réels. Une coopération plus étroite entre le Comité, le Groupe de travail et les États parties ne pourra que renforcer davantage la conviction que le rôle de la Convention est unique. Les enlèvements perpétrés par la Corée du Nord sont caractéristiques à cet égard. Le Japon et l'Union européenne soumettront à nouveau un projet de résolution sur la situation des droits de l'homme en République populaire démocratique de Corée, qui met l'accent sur la question des enlèvements.

M. DECAUX, Président du Comité des disparitions forcées, a conclu que les deux panels ont montré l'ampleur des défis à surmonter. Il a fait notamment appel à la ratification sur tous les continents, et aux États ayant ratifié à faire rapport dans les délais impartis.



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CED16/006F